Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190416


Dossier : IMM-488-18

Référence : 2019 CF 461

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

JULIA ISABELLA ST. CROIX

KYMARA DESIR

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Les demanderesses, une mère et sa fille, sont toutes deux des citoyennes de Sainte-Lucie. Elles sont arrivées au Canada en avril 2012; Mme St. Croix était alors âgée de 47 ans et Kymara, de 12 ans. Mme St. Croix a demandé l’asile en son propre nom et pour le compte de sa fille, en invoquant sa crainte de continuer à subir de la violence conjugale aux mains d’un ancien conjoint de fait, Alexander Henry.

[2]  Selon Mme St. Croix, M. Henry et elle ont été en couple pendant environ un an entre novembre 1986 et décembre 1987. Mme St. Croix a allégué que M. Henry avait été violent pendant la relation et que cette violence s’était poursuivie pendant les deux décennies et demie après qu’elle l’eut quitté et jusqu’à ce qu’elle s’enfuie enfin au Canada avec sa fille. Elle a allégué, entre autres choses, que M. Henry l’avait attaquée à maintes reprises dans l’intention de la tuer, qu’il l’avait violée, qu’il s’était introduit par effraction dans sa maison à plusieurs reprises, qu’il l’avait menacée au moyen d’une grosse roche sur la voie publique et qu’il avait tenté de la tuer en empoisonnant son approvisionnement en eau. M. Henry avait de graves problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme et il était souvent en état d’ébriété. Mme St. Croix a déclaré qu’elle l’avait dénoncé à la police à de nombreuses reprises, mais que celle-ci n’avait jamais donné suite à ses plaintes. Elle a affirmé que cette inaction s’expliquait par le fait que M. Henry venait d’une famille influente, que plusieurs agents de police locaux étaient ses amis, qu’il était mécanicien et qu’il entretenait gratuitement les véhicules de la police locale. Pendant toute la période en question, Mme St. Croix et M. Henry vivaient à Anse-La-Raye, un petit village de pêcheurs.

[3]  Le 6 novembre 2017, les demandes d’asile des demanderesses ont été entendues par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans une décision datée du 27 décembre 2017, la SPR a rejeté les demandes d’asile. Les demanderesses demandent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Les demanderesses soutiennent que les conclusions de la commissaire de la SPR en matière de crédibilité sont déraisonnables, que la commissaire a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire et que l’analyse faite par la commissaire de la protection de l’État est déraisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]  La commissaire de la SPR était convaincue que les demanderesses avaient établi leur identité personnelle en tant que citoyennes de Sainte-Lucie. Toutefois, la commissaire a rejeté les demandes d’asile en raison de l’effet cumulatif de plusieurs préoccupations quant à la crédibilité qu’elle a énoncées dans ses motifs. La commissaire a également conclu, à titre subsidiaire, que les demanderesses n’avaient pas renversé la présomption de protection de l’État à Sainte-Lucie.

[6]  En ce qui concerne la crédibilité des demandes d’asile, la commissaire a tiré un certain nombre de conclusions, dont les suivantes :

  • L’allégation de Mme St. Croix selon laquelle M. Henry avait tenté de la tuer à de nombreuses reprises au cours de ces 25 années n’était pas plausible, puisqu’elle a réussi à échapper à toutes ses attaques;
  • Mme St. Croix a prétendu avoir dénoncé M. Henry à la police à de nombreuses reprises, et il n’était pas crédible que la police ne prenne aucune mesure contre lui, surtout pour quelque chose d’aussi grave qu’une tentative de meurtre;
  • Mme St. Croix a allégué que M. Henry lui avait causé des blessures graves à plusieurs occasions, mais elle a fourni peu de preuves médicales corroborantes;
  • Mme St. Croix a prétendu que M. Henry a pu agir en toute impunité parce qu’il venait d’une famille influente, mais elle n’a pas mentionné ce fait important dans son exposé circonstancié original. Elle a plutôt affirmé au départ que la police avait refusé de faire plus que de l’avertir ou de lui donner une tape sur les doigts, parce qu’elle avait rejeté ses plaintes en prétendant qu’il s’agissait de simples disputes entre amoureux. Elle a affirmé que ses dénonciations [traduction] « sont devenues des blagues dont on pouvait rire dans la cour lorsqu’il allait travailler sur leurs véhicules ». Elle a ensuite ajouté : [traduction] « Je crois qu’ils faisaient cela pour se prouver qu’ils étaient des hommes et c’était perçu comme s’ils contrôlaient bien leur famille ou s’occupaient bien de leurs affaires ». Toutefois, dans un exposé supplémentaire déposé plusieurs années plus tard et juste avant l’audience de la SPR, Mme St. Croix a affirmé que la police [traduction] « se méfiait [de M. Henry] en raison du nom de sa famille, puisque son père avait alors de l’influence auprès des autorités ». Elle a ajouté pour la première fois que M. Henry [traduction] « a pu être transféré à l’hôpital psychiatrique à maintes reprises pour obtenir de faux documents afin d’éviter des poursuites judiciaires », après plusieurs des nombreuses fois où il l’avait attaquée;
  • Mme St. Croix n’a produit aucune preuve corroborant le statut allégué de M. Henry dans la collectivité ou l’influence de sa famille. Elle a déposé des déclarations de plusieurs personnes prétendant avoir une connaissance directe de M. Henry, y compris Lyzandra St. Croix (la fille de Mme St. Croix et de M. Henry), mais aucune de ces déclarations ne mentionne qu’il vient d’une famille puissante et influente;
  • Il n’était pas crédible que le politicien pour qui Mme St. Croix a travaillé pendant cinq ans n’ait pas demandé l’aide de la police en son nom, malgré le fait que, pendant cette période, M. Henry avait harcelé Mme St. Croix et l’avait attaquée à plusieurs reprises à son lieu de travail et ailleurs;
  • Les lettres et les affidavits que Mme St. Croix a déposés à l’appui de sa demande avaient peu de valeur probante, parce qu’ils ne corroboraient pas les aspects essentiels de la demande d’asile;
  • Les membres de la famille qui ont fourni des déclarations ont un intérêt à appuyer Mme St. Croix et Kymara, parce que la famille a exprimé le désir de vivre au Canada (une autre des quatre filles de Mme St. Croix est résidente permanente du Canada et une troisième fille avait sa propre demande d’asile en instance).

[7]  L’appréciation défavorable de la crédibilité de Mme St. Croix par la commissaire était un motif suffisant pour rejeter les demandes d’asile. La commissaire a également conclu, à titre subsidiaire, que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État à Sainte-Lucie s’ils en avaient besoin. La commissaire a tenu compte du fait que Sainte-Lucie est une démocratie fonctionnelle dotée de systèmes politiques et judiciaires efficaces. Il y avait un appareil officiel visant à protéger ses citoyens, y compris des mesures visant expressément les victimes de violence conjugale. En pareilles circonstances, les demandeurs d’asile doivent épuiser toutes les options qui s’offrent à eux pour renverser la présomption de protection de l’État. La commissaire a conclu que les demanderesses ne l’avaient pas fait, principalement parce qu’elle estimait que le « le témoignage de la demandeure d’asile concernant les prétendues agressions et l’interaction avec la police n’était pas digne de foi ».

III.  LA NORME DE CONTRÔLE

[8]  Il est bien établi que la Cour examine l’évaluation faite par la SPR des éléments de preuve dont elle dispose selon la norme de la décision raisonnable (Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993, aux paragraphes 6 à 15 [Hou]). Cette norme s’applique aux conclusions de la SPR quant aux faits, y compris ses conclusions quant à la crédibilité (Pournaminivas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1099, au paragraphe 5; Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242, au paragraphe 17) et à son interprétation de la preuve documentaire (Abdulkadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 318, au paragraphe 21). Cette norme s’applique également à l’appréciation par la SPR de la disponibilité de la protection de l’État, dans la mesure où la SPR applique le bon critère (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22; Kina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, au paragraphe 24).

[9]  Il est implicite, selon la norme de la décision raisonnable, que la Cour doive faire preuve de déférence envers les conclusions que tire la SPR en matière de crédibilité (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, au paragraphe 7). La SPR est bien placée pour apprécier la crédibilité (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CFA), au paragraphe 4 (QL); Hou au paragraphe 7). Elle a l’avantage d’observer les témoins qui déposent et elle possède peut-être bien une expertise dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision, ce qui inclut la situation qui règne dans le pays concerné (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 821, au paragraphe 58).

[10]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au paragraphe 18). La cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à la question de savoir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour de révision doit intervenir uniquement si ces critères ne sont pas satisfaits. Il ne revient pas à la cour de révision de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer à la décision l’issue qu’elle estime préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]  Comme il a été mentionné précédemment, les demanderesses contestent la décision de la SPR pour les trois motifs suivants :

  • a) les conclusions de la commissaire quant à la crédibilité sont déraisonnables;

  • b) la commissaire a commis une erreur dans l’appréciation de la preuve documentaire;

  • c) l’analyse de la commissaire concernant la protection de l’État est déraisonnable.

[12]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que la commissaire a raisonnablement conclu que les allégations de Mme St. Croix n’étaient pas crédibles. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les erreurs alléguées relativement au motif subsidiaire donné par la commissaire pour rejeter la demande d’asile, à savoir que les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

V.  ANALYSE

A.  Les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité sont-elles déraisonnables?

[13]  Les demanderesses reconnaissent que la question déterminante est celle de la crédibilité. Elles soutiennent que les conclusions de la commissaire concernant la crédibilité des allégations de mauvais traitements continus de Mme St. Croix par M. Henry sont déraisonnables. Elles soutiennent que la commissaire s’est livrée à des hypothèses et à des suppositions, qu’elle s’attendait déraisonnablement à ce que l’agent de persécution, M. Henry, ait agi de façon rationnelle et qu’elle a procédé à un examen tatillon de la preuve. Je ne suis pas de cet avis.

[14]  La conclusion essentielle de la commissaire était « que l’ensemble du récit de la demandeure d’asile principale donne une impression d’invraisemblance ». Comme il a été mentionné précédemment, la commissaire a cerné plusieurs éléments distincts de l’histoire qui l’ont amenée à cette conclusion. La commissaire a ajouté qu’elle était « consciente qu’aucune des préoccupations relatives à la crédibilité soulevées en l’espèce ne peut à elle seule justifier le rejet de la demande d’asile, mais, cumulativement, elles le justifient ». À mon avis, la commissaire pouvait raisonnablement tirer cette conclusion à la lumière de la preuve dont elle disposait.

[15]  La seule partie de l’analyse de la commissaire qui me préoccupe est la suivante :

J’accepte en effet que certains hommes entretiennent une obsession à l’égard d’une personne en particulier. Toutefois, la demandeure d’asile principale a soutenu que, en plus de la harceler, cet homme l’avait battue, violée et accostée, qu’il menace de la tuer, et qu’il a attenté à sa vie de nombreuses fois durant bon nombre d’années avant sa venue au Canada en 2012. Par exemple, elle a raconté qu’il l’avait empoisonnée à même son eau et qu’il avait essayé de la lapider. Il ne m’apparaît pas vraisemblable que cet homme puisse avoir été à ce point infructueux dans ses tentatives. Il est, après tout, un mécanicien compétent. L’explication de la demandeure d’asile selon laquelle elle a tout simplement été chanceuse parce que quelqu’un est toujours arrivé à temps pour l’empêcher de la tuer est difficile à croire.

[16]  La commissaire aurait sans doute pu mieux s’exprimer dans ce paragraphe, mais cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision. À la lecture de ce paragraphe, on comprend que la commissaire tente d’expliquer pourquoi, même si elle était disposée à conclure que Mme St. Croix a sans doute été victime de violence de la part de M. Henry à un moment donné, elle n’a pas jugé plausible que l’abus ait été aussi grave ou important que l’a allégué Mme St. Croix et pourquoi elle n’a donc pas jugé crédible le fondement de la demande d’asile. Autrement dit, il n’était pas déraisonnable de la part de la commissaire de conclure que la chance de Mme St. Croix se limitait à une simple explication et que l’explication la plus plausible était que M. Henry ne s’était pas résolu à la tuer pendant plus de deux décennies, voire jamais.

[17]  Cette conclusion est également étayée par les conclusions de la commissaire quant aux circonstances, comme Mme St. Croix les a présentées, par exemple l’absence de toute intervention policière significative à l’égard des mauvais traitements allégués. Selon sa propre version des faits, Mme St. Croix était disposée à demander l’aide de la police, ce qu’elle avait d’ailleurs fait à plusieurs reprises. Toutefois, pour diverses raisons avancées par Mme St. Croix, la police n’est jamais intervenue efficacement pendant les 25 années de violences alléguées. La nature changeante de ses explications quant à l’inaction de la police constituait un autre facteur pertinent dont la commissaire a raisonnablement tenu compte pour conclure que Mme St. Croix exagérait l’étendue des violences qu’elle avait subies.

B.  La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire?

[18]  Les demanderesses ont présenté un certain nombre d’éléments de preuve documentaire pour corroborer leurs allégations. Parmi ceux-ci, notons : des déclarations écrites d’autres membres de la famille et de deux anciens partenaires de Mme St. Croix; deux lettres datées du 19 novembre 2012 du Dr Desmond Long, un médecin à Sainte-Lucie, documentant les traitements que Mme St. Croix avait reçus à sa clinique pendant plus de sept ans pour traiter son anxiété (dont la cause n’est pas mentionnée) et pour traiter de multiples blessures des tissus mous découlant d’une attaque en juin 2011; une lettre datée du 8 octobre 2012 écrite sur du papier à en-tête du bureau du directeur des poursuites pénales de Sainte-Lucie, signée par l’agent de police Solome Poyote PC 214, documentant les échanges qu’avait eus Mme St. Croix avec la police à Anse-La-Raye concernant M. Henry en 2011 et au début de 2012; un affidavit de Flavia Cherry daté du 23 mai 2012 concernant la disponibilité d’une protection de l’État à Sainte-Lucie pour les femmes qui fuient des situations de violence; divers articles de presse sur la violence conjugale à Sainte-Lucie, et un rapport de Natalie Riback, une psychothérapeute agréée, daté du 15 novembre 2017 concernant Mme St. Croix.

[19]  Pour la plupart, les objections des demanderesses à l’égard de l’évaluation par la commissaire de la preuve documentaire ne sont que des objections au poids que le commissaire a accordé à cette preuve. Il ne m’appartient pas d’apprécier à nouveau la preuve documentaire. Il était raisonnablement loisible à la commissaire de conclure que la preuve documentaire ne compensait pas l’invraisemblance inhérente aux allégations de Mme St. Croix.

[20]  Pour donner quelques exemples, le commissaire a raisonnablement conclu que la lettre de l’agent de police Poyote n’appuyait que très peu les allégations de Mme St. Croix. Le fondement de son affirmation selon laquelle [traduction« la police de l’Anse-La-Raye est [sic] bien au courant que Mme Julia St. Croix et M. Henry vivaient en union de fait » et que cette union [traduction« était de nature violente » n’est pas précisé. L’auteur de la lettre résume [traduction« certains » des rapports au dossier, mais n’inclut pas l’intégralité des rapports ni n’explique pourquoi seulement certains rapports ont été résumés. Au mieux, si on la lit conjointement avec le rapport Dr Long, cette lettre laisse entendre que M. Henry a agressé Mme St. Croix en juin 2011. (Selon Mme St. Croix, cette agression s’est produite tout juste à l’extérieur du bureau où elle travaillait.) Toutefois, les demandes d’asile portaient sur la crainte alléguée des demanderesses de retourner à Sainte-Lucie du fait que Mme St. Croix avait été victime de beaucoup d’attaques beaucoup plus graves sur une longue période. Même si d’autres éléments de preuve documentaire démontraient que la violence conjugale et la violence sexuelle contre les femmes étaient de graves problèmes à Sainte-Lucie, ils étaient simplement compatibles avec les allégations de Mme St. Croix; il ne s’agissait pas d’éléments de preuve à l’appui des allégations.

[21]  De plus, il était loisible à la commissaire de tenir compte du fait que d’autres membres proches de la famille des demanderesses s’étaient établis au Canada au moment de déterminer le poids à accorder à leurs déclarations en appui aux demandes d’asile. La commissaire n’a pas simplement rejeté les déclarations parce qu’elles provenaient de membres de la famille; elle a plutôt donné une raison précise pour conclure qu’elles avaient peu de poids. Ce n’était qu’une des nombreuses considérations pertinentes sur lesquelles la commissaire s’est appuyée et elle ne lui a pas accordé une importance indue dans son analyse.

[22]  Enfin, il était loisible à la commissaire de conclure que le fait que des personnes qui étaient en mesure d’avoir connaissance de l’impunité dont aurait joui M. Henry selon Mme Ste. Croix en raison de la situation de sa famille n’aient pas fait mention de cette impunité fait planer d’autres doutes sur l’allégation voulant que ce soit la raison pour laquelle la police n’est jamais intervenue efficacement, malgré les plaintes répétées à son sujet. Il ne s’agit pas là d’un détail accessoire, mais plutôt d’un détail se rapportant directement à l’un des principaux problèmes que la commissaire a raisonnablement relevés au sujet des allégations, à savoir l’inaction de la police malgré le fait qu’on lui aurait demandé de l’aide à maintes reprises. Il était raisonnablement loisible à la commissaire de rejeter l’explication de Mme St. Croix, surtout compte tenu de son apparition tardive dans l’exposé circonstancié de Mme St. Croix et de l’absence de corroboration.

[23]  Une fois cette explication rejetée, il était également loisible à la commissaire de conclure que la police serait intervenue différemment si Mme St. Croix avait effectivement déposé les plaintes graves contre M. Henry qu’elle a dit avoir déposées pendant toutes ces années de violences. La preuve d’une telle intervention aurait pu constituer une corroboration précieuse du récit de Mme St. Croix. Toutefois, la commissaire n’a pas considéré son absence comme une raison de ne pas croire Mme St. Croix. La commissaire a plutôt raisonnablement apprécié la preuve potentiellement corroborante et a conclu qu’elle comportait des lacunes en ce qui concerne les éléments fondamentaux des demandes d’asile. Par conséquent, les prétentions devaient tenir ou tomber suivant le récit même de Mme St. Croix, puisque ce récit demeurait en grande partie non corroboré. Pour ce motif, il n’était pas déraisonnable de la part de la commissaire de conclure que Mme St. Croix ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir ses prétentions au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi.

VI.  CONCLUSION

[24]  Compte tenu de l’ensemble des motifs de la commissaire, rien ne me justifie à intervenir. Les motifs reflètent une appréciation raisonnable des aspects les plus importants de la preuve. La commissaire a pris soin d’affirmer que son appréciation de la crédibilité de Mme St. Croix était cumulative. Aucune considération prise individuellement n’était nécessairement suffisante pour rejeter les demandes d’asile. Le commissaire n’a certainement pas cru Mme St. Croix, du moins en ce qui concerne l’étendue des violences alléguées, mais il s’agissait d’une appréciation juste et raisonnée de la preuve. La conclusion de la commissaire selon laquelle Mme St. Croix avait vécu une relation de violence avec M. Henry à un certain moment était raisonnablement étayée par la preuve. La difficulté pour les demanderesses réside dans le fait que la commissaire n’a pas jugé que les éléments de preuve potentiellement corroborants étaient suffisants pour répondre à sa préoccupation centrale quant à la crédibilité de Mme St. Croix, soit que cette dernière avait exagéré l’étendue et la nature des violences à son endroit afin d’appuyer sa demande d’asile. Il était raisonnablement loisible à la commissaire de tirer une telle conclusion. Les motifs expliquent pourquoi la commissaire en est arrivée à cette conclusion et démontrent que celle-ci fait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits de l’affaire et du droit applicable.

[25]  La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[26]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER NO IMM-488-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de mai 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-488-18

 

INTITULÉ :

JULIA ISABELLA ST. CROIX, KYMARA DESIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Dotun Davies

 

pour les demanderesses

 

Leanne Briscoe

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.