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     T-1272-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 JUILLET 1997

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE DUBÉ

ENTRE :

     MERCK & CO., INC.

     et

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses-requérantes,

     et

     APOTEX INC.

     et

     APOTEX FERMENTATION INC.,

     défenderesses-intimées.

     ORDONNANCE

     Les motifs énoncés à l'égard de la demande présentée parallèlement contre le Ministre de la Santé et le Procureur général du Canada (T-1273-97) s'appliquant mutatis mutandis, la demande est rejetée. Dépens à suivre.

    

     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-1273-97

ENTRE :

     MERCK & CO., INC.

     et

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     requérantes,

     et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

         Les requérantes ("Merck") demandent, par les présentes, une injonction provisoire prescrivant au défendeur ("le Ministre") d'annuler ou de suspendre un avis de conformité ("ADC") délivré le 26 mars 1997 à Apotex Inc. ("Apotex") à l'égard du produit lovastatine, y compris la monographie de ce produit datée du 3 mai 1996.

     La société Merck invoque, entre autres raisons, qu'aucune demande n'a été faite pour l'obtention de cet ADC (une demande antérieure relative au même produit ayant été retirée); le produit lovastatine ("Apo-lovastatine") n'est pas fabriqué à l'aide du microbe obscurus comme le dit la monographie, mais d'un microbe différent ("Fuckelii"); aucune épreuve d'innocuité et d'efficacité appropriée n'a été faite à l'égard de l'un et l'autre microbe et la monographie du produit ne renferme aucune mise en garde ce qui pourrait atteindre gravement la santé des patients et même entraîner la mort.

     Bien qu'une injonction provisoire (valide pour 10 jours seulement) puisse être demandée ex parte aux termes de la règle 469, la société Merck a effectivement signifié un avis au Ministre (et également à Apotex au sujet de l'injonction provisoire requise contre elle et instruite conjointement). Toutes les parties ont comparu et les deux requêtes ont été longuement débattues.

     Il est généralement admis qu'une injonction provisoire ou interlocutoire doit être traitée, à la lumière de trois critères : en premier lieu, il faut que la question à instruire soit sérieuse; en deuxième lieu, le demandeur doit prouver qu'il subira un préjudice irréparable et, troisièmement, il faut considérer la prépondérance des inconvénients.

     Il est évident pour moi que Merck répond au premier critère dont le seuil de conformité est très bas. La question n'est sans doute pas frivole et, à cet égard à tout le moins et sans examiner pleinement le fond du problème, le cas à instruire est sérieux et complexe.

     Le deuxième critère, quant à lui, est d'un autre ordre. Pour réussir, le requérant doit prouver que le préjudice qu'il subira, faute d'une injonction, sera irréparable et qu'il ne peut être adéquatement compensé par des dommages-intérêts.

     L'affidavit de W.H. Guy Saheb, un administrateur de la société Merck, quoique solidement étayé quant au bien-fondé de la cause, aborde très superficiellement l'allégation cruciale de préjudice irréparable. Bien sûr, il s'agit d'établir ici non pas le préjudice irréparable causé au public ou aux patients en cause, mais bien celui qui retombe sur Merck. À ce sujet, M. Saheb allègue que toute réaction indésirable d'un patient à l'apo-lovastatine, [TRADUCTION] "portera gravement atteinte à la réputation d'innocuité et d'efficacité du propre produit de Merck, le MEVACOR (tablettes de lovastatine) et à celle de Merck Frosst en tant que fabricant de drogues fiable ... dans la mesure où Merck est largement reconnue sur le marché comme étant l'inventeur et le plus grand fournisseur de lovastatine". D'après M. Saheb, le public n'établira pas de distinction entre les fournisseurs de lovastatine, d'autant plus que les patients ne se rendent pas compte qu'ils reçoivent le produit générique d'Apotex dont les tablettes ont la couleur et la forme des comprimés de MEVACOR.

     Les auteurs de l'affidavit, employés de Merck, se sont livrés à des spéculations sur l'éventualité d'une grosse perte de marché et d'achalandage et la possibilité qu'un nombre de clients ne reviendraient pas au MEVACOR après avoir adopté l'Apo-lovastatine avant épreuves. Merck a menacé de mettre fin au financement de la recherche effectuée au Canada en soutenant qu'elle subira un préjudice irréparable du fait que l'innocuité et l'efficacité de l'Apo-lovastatine sont, à toutes fins, inconnues.

     Il ne faut pas perdre de vue que l'injonction provisoire requise n'est simplement valide que pour dix jours et ne constitue pas une injonction interlocutoire dont l'effet se prolonge jusqu'à l'instruction de la cause. Ainsi, la requérante Merck doit prouver qu'elle subira, durant ces dix jours, un préjudice irréparable. Il n'est pas facile de répondre à ce critère et, à mon point de vue, Merck ne l'a pas fait.

     Dans l'affaire Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd.1, la Cour d'appel, saisie d'une injonction interlocutoire, a statué qu'il fallait clairement établir que le demandeur subirait un préjudice irréparable. Voici ce qu'on peut lire aux pages 457 et 458 :

     Il est bien établi en droit au sein de la présente Cour que le demandeur qui cherche à obtenir une injonction interlocutoire doit établir au moyen de preuves claires qu'il, par opposition à une autre personne ou partie, subira un préjudice irréparable. Il n'est pas facile de s'acquitter de ce fardeau car l'injonction interlocutoire est une réparation extraordinaire qui ne sera accordée que si le requérant convainc la Cour, entre autres, que l'attribution de dommages-intérêts selon la common law ne constituerait pas une réparation suffisante si la Cour refuse d'accorder l'injonction.         

     ...

     Selon nous, une déclaration à ce point vague et intéressée faite par un représentant des intimées ne saurait à elle seule permettre aux intimées de s'acquitter du fardeau de présentation de la preuve qui leur incombe à cet égard. Les intimées doivent prouver que la perte serait la leur...         

     En ce qui a particulièrement trait à une injonction interlocutoire visant à faire échec à la délivrance d'un ADC par le Ministre à la défenderesse Apotex, le juge Rouleau s'est prononcé en ces termes dans l'affaire Glaxo Canada c. ministre de la Santé nationale et du Bien-être social2, à la page 214 :

     [TRADUCTION]         
     Il n'est pas surprenant que la demanderesse, en sa qualité de concurrente de la défenderesse Apotex, soit préoccupée par la décision du Ministre d'octroyer à Apotex un avis de conformité. Néanmoins, ce souci ne constitue pas, à mon avis, un intérêt d'ordre légal. La décision du Ministre de délivrer à Apotex un avis de conformité n'a pas modifié les droits légaux de la demanderesse qui ne lui imposaient, d'aucune façon, des obligations légales. Comme on l'a déjà dit, un concurrent comme la défenderesse n'a pas le droit d'intervenir dans une action officielle touchant un autre concurrent à seule fin d'empêcher celui-ci d'obtenir un avantage donné.         

     En ce qui concerne le préjudice irréparable attribuable à une perte d'achalandage et de réputation, mon collègue le juge MacKay a formulé, dans l'affaire Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc.3 les observations suivantes qui sont très pertinentes à l'égard du présent cas d'espèce (page 183) :

     Il est allégué en l'espèce que l'on peut douter que des dommages-intérêts seraient un redressement adéquat pour les demanderesses si elles ont gain de cause à l'instruction et si leur position n'est pas maintenant protégée par une injonction interlocutoire. La perte ou le préjudice repose sur la perte prévue par Merck Frosst de la moitié au minimum de son marché pour le VASOTEC une fois que l'APO-ENALAPRIL d'Apotex sera inclus dans les codex provinciaux, ce qui entraînera pour elle des pertes de ventes désastreuses. De plus, la perte de sa position avantageuse sur le marché comme seul fournisseur du médicament de prescription le plus important au Canada, en terme de chiffre d'affaires, aura des répercussions considérables sur la valeur de son achalandage. On a affirmé que cela aura aussi un effet négatif sur sa réputation de principale entreprise innovatrice dans le domaine pharmaceutique. Tant son achalandage que sa réputation seraient en danger compte tenu des risques qui pourraient découler pour les consommateurs des comprimés d'Apotex dont l'origine, l'âge, la durée de conservation et la stabilité sont inconnus mais qui sont de même couleur, de même grosseur, de même forme et de même concentration que le produit de marque VASOTEC des demanderesses. À mon avis, un tel préjudice ne peut être qu'hypothétique, étant donné que la Direction générale de la protection de la santé a délivré à Apotex, au nom du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et après une évaluation satisfaisante de sa sécurité et de son efficacité, un avis de conformité l'autorisant à vendre son produit au Canada. De plus, je ne suis pas convaincu que l'arrivée d'Apotex sur le marché du médicament en cause portera atteinte à la réputation de principale entreprise innovatrice dans le domaine pharmaceutique dont jouissent les demanderesses. Quelle que soit l'importance de ce médicament, les demanderesses et la défenderesse se font déjà la concurrence pour d'autres médicaments sans que cela ne nuise apparemment à la réputation des demanderesses. L'arrivée sur le marché d'une entreprise de produits génériques ne porte pas en soi atteinte à la réputation d'une entreprise innovatrice dont le produit a servi de modèle pour la conception du produit générique.         

     (Non souligné dans le texte)

     Dans la présente demande Merck a beaucoup insisté sur le bien-fondé de son action contre Apotex. À ce stade-ci des procédures et d'autant plus que la demanderesse cherche seulement à obtenir une injonction de dix jours, il n'appartient pas au juge des requêtes de s'engager très avant dans la question du bien-fondé de la cause. Ainsi, le seuil de conformité au critère de la question sérieuse étant très bas, le juge des requêtes doit simplement décider si la demande est tant soit peu fondée, en ce sens qu'elle n'est pas frivole. Le seuil de conformité en matière de préjudice irréparable est toutefois très élevé. Une injonction est une mesure de réparation extraordinaire et elle est discrétionnaire. La Cour ne devrait pas l'accorder rien que pour favoriser une partie au détriment d'une autre dans ce qui est évidemment une bataille en cour que se livrent deux producteurs sur le marché des médicaments d'ordonnance.

     En conséquence, la demande est rejetée. Dépens à suivre.

OTTAWA

Le 2 juillet 1997

    

     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1273-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Merck Frosst Canada Inc. et al.

                     c.

                     Le ministre de la Santé et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      17 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU              2 juillet 1997

ONT COMPARU :

Robert Charlton, Judith Robinson                  POUR LES REQUÉRANTES

et Leigh Crestohl

André L'Espérance                          POUR LES INTIMÉS

Harry S. Radomski                          POUR L'INTERVENANT

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault                          POUR LES REQUÉRANTES

Ottawa (Ontario)

George Thomson                          POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada

Goodman, Phillips & Vineberg                  POUR L'INTERVENANT

Toronto (Ontario)


__________________

1      (1996), 69 C.P.R. (3d), 455, Cour d'appel fédérale.

2      (1987), 18 C.P.R. (3d) 206.

3      (1993), 51 C.P.R. (3d) 170 (C.F. 1re inst.).

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