Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                              Date : 20020211

                                                                                                                        Dossier : T-2096-00

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 152

Ottawa (Ontario), le 11 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                       PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

                                                                                                                               demanderesses

                                                                            et

                                 APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                        défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Il s'agit d'une requête par laquelle la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) interjette appel contre l'ordonnance rendue par Madame le protonotaire Aronovitch le 11 décembre 2001, restreignant l'utilisation de la preuve documentaire (références d'antériorité) à l'audition de la présente affaire. Il a été ordonné à la défenderesse Apotex de ne pas se fonder sur les cinq documents contestés afin de remettre en question la validité du brevet.


[2]         L'avis d'allégation d'invalidité de la défenderesse Apotex était étayé par 96 références d'antériorité. En réponse à l'avis d'allégation, les demanderesses ont engagé la présente instance afin d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé, défendeur, (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le médicament appelé sertraline. À l'appui de leur demande, les demanderesses ont déposé quatre affidavits, dont trois étaient des affidavits d'experts, citant de nombreuses références d'antériorité à titre de pièces. En réponse, la défenderesse Apotex a également déposé quatre affidavits, dont trois étaient des affidavits d'experts. Tous les déclarants ont été contre-interrogés. Au cours des contre-interrogatoires de deux des experts des demanderesses, l'avocat de la défenderesse Apotex a contesté la preuve des experts en mentionnant et en produisant diverses références d'antériorité qui n'avaient pas été incluses dans l'avis d'allégation.

[3]         Dans son ordonnance, le protonotaire a fait l'observation suivante :

[TRADUCTION] Je conclus que même si les droits des parties au contre-interrogatoire dans le contexte de l'instance visée à l'article 6 sont préservés, ces droits doivent être exercés sous réserve de la mise en garde qui a été faite dans l'arrêt AB Hassle, précité. Par conséquent, même s'il est possible de se fonder sur les documents contestés aux fins d'un contre-interrogatoire approprié, ces documents ne peuvent pas être utilisés de façon à venir s'ajouter aux antériorités. Conclure le contraire aurait pour effet de rendre inopérantes les restrictions imposées à la défenderesse lorsqu'il s'agit de présenter une preuve dans une instance visée à l'article 6 et d'empêcher la demanderesse de contester la preuve élargie d'antériorité ou de répondre à pareille preuve.

[4]         Le protonotaire a donc appliqué l'arrêt A.B. Hassle c. Canada (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.) (l'arrêt Hassle) de la Cour d'appel fédérale et elle a ordonné à la défenderesse de ne pas se fonder sur les documents qu'elle avait produits lors des contre-interrogatoires afin de plaider l'invalidité du brevet dans le cadre de la demande.


[5]         Dans l'affaire Hassle, précitée, la seconde personne telle qu'elle est définie dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, avait présenté une preuve d'expert fondée sur des douzaines de références d'antériorité qui n'avaient pas été énumérées dans l'avis d'allégation, ces références étant jointes à titre de pièces. La Cour a statué que ces références visaient à élargir le fondement factuel de l'allégation au-delà de ce qui était énoncé dans l'avis d'allégation et que l'on ne pouvait pas se fonder sur ces références, étant donné que l'énoncé détaillé d'allégation doit être tel qu'il informe pleinement le breveté des motifs de la demande, à défaut de quoi ce dernier ne pourrait pas déterminer s'il doit engager les procédures visées à l'article 6.

[6]         En l'espèce, la défenderesse Apotex soutient que les documents étaient pertinents et qu'il satisfaisaient par ailleurs à toutes les conditions connues d'admissibilité et que leur utilisation devait être autorisée aux fins de la contestation de la validité du brevet. La défenderesse Apotex affirme que le protonotaire a commis une erreur en ce sens qu'elle a interprété d'une façon erronée la jurisprudence pertinente, qu'elle a créé une dichotomie inconnue en droit de la preuve en rejetant une preuve aux fins de la contestation de la validité du brevet tout en l'acceptant dans le cadre des contre-interrogatoires aux fins de la contestation des témoignages des experts de la partie adverse et, finalement, qu'elle a usurpé les fonctions du juge responsable de l'audience.


[7]         La défenderesse Apotex affirme que les documents en question n'ont pas été produits à titre de pièces jointes aux affidavits d'experts qu'elle a déposés en vue d'élargir ou de modifier le fondement factuel des allégations d'invalidité énoncées dans l'avis d'allégation comme c'était le cas dans l'affaire Hassle, précitée, mais qu'ils ont été soumis aux témoins des demanderesses lors des contre-interrogatoires en vue d'examiner leurs avis d'experts et d'attaquer leur crédibilité conformément aux fondements factuels et à l'état de la technique au moment pertinent dont il avait antérieurement été fait mention dans l'avis de demande. La défenderesse Apotex soutient que l'arrêt Hassle, précité, ne s'applique donc pas.

[8]         La défenderesse Apotex affirme en outre que le protonotaire aurait dû suivre l'arrêt Abbott Laboratories, Ltd. c. Nu-Pharm Inc. (1998), 83 C.P.R. (3d) 441, paragraphe 10 (l'arrêt Abbott), où la Cour d'appel fédérale a fait la remarque suivante:

La preuve concernant le brevet 272, et aussi le brevet 558, a été présentée non pas pour attaquer la validité de ces brevets, mais simplement pour établir l'état des connaissances d'un homme du métier au moment du dépôt du brevet 151.


[9]         À mon avis, les références d'antériorité ici en cause n'établissent pas simplement l'état des connaissances d'un homme du métier au moment du dépôt du brevet. Ces documents ont pour effet d'élargir le fondement factuel des allégations au-delà de ce qui est énoncé dans l'avis d'allégation. Dans l'arrêt Hassle, précité, la Cour d'appel a statué que cela n'était pas permis. La première personne doit avoir la possibilité de répondre à cette preuve ou de faire des remarques au sujet de cette preuve. Je conclus donc qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, le protonotaire n'a pas commis d'erreur en appliquant les principes énoncés dans l'arrêt Hassle à la preuve d'antériorité contestée.

[10]       En ce qui concerne les autres moyens d'appel invoqués par Apotex, à savoir la présumée dichotomie de la preuve n'existant pas en droit et l'usurpation des fonctions du juge responsable de l'audience, je ne suis pas convaincu que la défenderesse Apotex ait démontré que le protonotaire avait commis, dans ses conclusions, une erreur de droit justifiant l'intervention de la Cour.

[11]       À mon avis, il était loisible au protonotaire d'imposer des limites en permettant l'utilisation appropriée des antériorités aux fins d'un contre-interrogatoire, mais en interdisant leur utilisation dans les plaidoiries qui étaient présentées dans la demande au sujet de la validité du brevet. Dans l'arrêt Abbott, précité, la Cour d'appel a peut-être bien reconnu les différentes fins auxquelles la même preuve peut être utilisée dans la même instance. Dans l'arrêt Abbott, la Cour a conclu que la preuve était admissible lorsqu'il s'agissait d'établir l'état des connaissances de l'expert, mais qu'elle ne l'était pas aux fins de la contestation de la validité du brevet. Je suis donc d'avis que l'argument avancé par la défenderesse Apotex au sujet de cette présumée dichotomie peu pratique de la preuve est dénué de fondement.


[12]       De même, je ne puis retenir la prétention de la défenderesse Apotex selon laquelle, en rendant la décision qu'elle a rendue, le protonotaire a usurpé les fonctions du juge responsable de l'audience. Je souscris fondamentalement aux arguments énoncés dans les observations écrites des demanderesses et je les adopte, et je conclus que le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit en examinant la requête des demanderesses et en tirant la conclusion qu'elle a tirée. Le protonotaire n'a pas clairement commis d'erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[13]       Pour les motifs susmentionnés, cet appel est rejeté.

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête que la défenderesse Apotex a présentée en vue d'interjeter appel contre l'ordonnance rendue par le protonotaire Aronovitch le 11 décembre 2001 est rejetée, les dépens étant adjugés aux demanderesses.

                                                                                                                « Edmond P. Blanchard »         

                                                                                                                                                    Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                 T-2096-00

INTITULÉ :                                                 Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. c. Apotex Inc. et le ministre de la Santé

REQUÊTE RÉGLÉE SUR DOSSIER.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                               MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                               LE 11 FÉVRIER 2002

ARGUMENTATION ÉCRITE:

Anthony Creber                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Andrew R. Brodkin                                                 POUR LA DÉFENDERESSE (APOTEX)

W.B. Woyiwada                                                     POUR LE DÉFENDEUR

(LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur Henderson LLP                           POUR LA DEMANDERESSE

Goodmans                                                                POUR LA DÉFENDERESSE (APOTEX)

Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                        (LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.