Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19990423

Dossier : IMM-4825-98

ENTRE :

                                                           IQBAL SINGH,

                                                                                                                             demandeur,

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE,

              LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                       défenderesses.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A. INTRODUCTION

[1]         Iqbal Singh est un citoyen de l'Inde et un Sikh du Jammu. En 1998, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié l'a reconnu comme étant un réfugié. Cependant, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a refusé de lui accorder le statut de résident permanent parce qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il faisait partie d'une organisation terroriste et se trouvait ainsi dans une catégorie de personnes non admissibles en vertu des alinéas 19(1)e) et f) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         En mars 1998, le demandeur a appris qu'il serait expulsé pour ce motif. Il a reçu une attestation de sécurité en vertu du paragraphe 40.1(1) de la Loi déclarant que, en raison de renseignements de sécurité reçus, la ministre et le solliciteur général du Canada étaient d'avis que le demandeur était une personne décrite aux alinéas 19(1)e) et f). La validité de cette attestation a été examinée par le juge Rothstein en vertu du paragraphe 40.1(4) et confirmée.

[3]         En août 1998, une mesure d'expulsion a été rendue contre le demandeur. À la fin du mois d'octobre, le demandeur a signifié et déposé une déclaration contestant la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur l'immigration régissant son expulsion et son renvoi du Canada, tout particulièrement les alinéas 19(1)e) et f) et l'article 53.

[4]         L'article 53 prévoit que la personne qui a été reconnue comme étant un réfugié au Canada ne doit pas être renvoyée vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Toutefois, il existe certaines exceptions à cette interdiction générale de renvoi, et l'exception pertinente relativement à la présente affaire est que la personne fait partie d'une catégorie de personnes non admissibles en vertu des alinéas 19(1)e) ou f) et que la ministre est d'avis que la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada.

[5]         Le demandeur a présenté des observations à la ministre en vertu de l'article 53 et a fourni une preuve documentaire pour établir qu'il risquerait la détention, la torture ou la mort aux mains de la police ou des autorités militaires de l'Inde s'il était retourné dans ce pays. Dans des observations adressées à la ministre au nom du demandeur, l'avocate de celui-ci a maintenu que, en raison de ces risques appréhendés, ce serait porter atteinte aux droits que les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissent au demandeur que de le renvoyer en Inde.

[6]         Le demandeur a ensuite présenté une requête en injonction provisoire pour empêcher la ministre de le renvoyer en Inde avant que ne soient tranchées les questions constitutionnelles soulevées dans sa déclaration. À ce moment-là, la ministre n'avait pas encore rendu sa décision en vertu de l'article 53 et aucune mesure de renvoi n'avait été rendue contre M. Singh.

[7]         Par conséquent, dans l'exposé du droit et des faits déposé comme faisant partie du dossier de la requête de l'intimée, l'avocat de la ministre a allégué que la requête était prématurée. Cependant, avant l'audition de la requête, la ministre a émis l'avis en vertu de l'alinéa 53(1)b) que le demandeur constitue un danger pour la sécurité du Canada, et des dispositions ont été prises en vue de son renvoi du Canada vers l'Inde le 21 décembre 1998.

[8]         En dernier lieu, dois-je ajouter, le demandeur a été arrêté en avril 1998 et est resté en détention depuis lors, en attendant que soit exécutée la mesure d'expulsion.

B. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

[9]         Les avocats des deux parties étaient d'accord pour dire que l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d'accorder une injonction provisoire en l'espèce est régi par le critère à trois volets établi dans l'arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, dont il faut satisfaire à chacun des éléments avant que la mesure de redressement puisse être accordée.

(i) Une question grave

[10]       L'avocat de la ministre a reconnu lors de l'audition de la requête que la déclaration du demandeur soulève une question grave relativement à la constitutionnalité des décisions rendues conformément à l'article 53 de la Loi sur l'immigration. Le demandeur a soutenu que l'article 53 viole les articles 7 et 12 de la Charte en permettant le renvoi d'une personne vers un pays où cette personne risque grandement la torture. De plus, a-t-il été allégué, l'article 53 ne respecte pas les principes de justice fondamentale : premièrement, parce que la procédure de prise de décision n'est pas impartiale ni ne fournit adéquatement à la personne concernée la possibilité d'y participer; et, deuxièmement, parce que le renvoi dépend de l'avis subjectif du ministre quant à la menace que la personne représente pour la sécurité du Canada.

[11]       L'avocate du demandeur a également allégué que la déclaration soulevait des questions graves relativement aux alinéas 19(1)e) et f) de la Loi, dont la très grande étendue de l'expression « actes de terrorisme » ainsi que l'absence de toute norme valable importée par l'exigence de « motifs raisonnables de croire » . L'avocat de l'intimée, par contre, a maintenu qu'il a déjà été jugé dans l'affaire McAllister c. Canada, [1996] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.), que l'expression « actes de terrorisme » n'est pas inconstitutionnellement imprécise, et il nie qu'il ait y une question grave au sujet de la validité de ces alinéas.

(ii) Le préjudice irréparable

a) Les préoccupations du demandeur

[12]       L'avocate du demandeur a soutenu que les affidavits et autres documents présentés dans le dossier de la requête établissaient que, si le demandeur était retourné en Inde, il risquerait grandement la détention, les interrogatoires, la torture ou même la mort en raison de ses liens présumés avec des militants sikhs. Cela, a prétendu l'avocat, constituait manifestement un préjudice irréparable aux fins du critère établi dans l'arrêt RJR-MacDonald.

[13]       L'avocate a également dit que le renvoi du Canada priverait le demandeur de la possibilité d'obtenir une mesure de redressement pour l'atteinte aux droits que lui garantit la Charte, atteinte qu'il a allégué dans sa déclaration. Cela aussi constituerait un préjudice irréparable.

           

b) Le caractère prématuré

[14]       En plus de contester ces points, l'avocat de la ministre a soulevé une opposition plus fondamentale à la mesure de redressement. Il a soutenu que, comme le demandeur a la possibilité de soulever les questions constitutionnelles dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la ministre en vertu de l'article 53 et, si besoin est, de solliciter la suspension de son renvoi en attendant qu'il soit statué sur cette demande, il ne subirait pas de préjudice irréparable si la présente requête en injonction provisoire était refusée. Autrement dit, l'avocat a allégué que l'opposition fondée sur le caractère prématuré qui avait été soulevée dans l'exposé de l'intimée avant que ne soit rendue la décision de la ministre en vertu de l'article 53 et avant que ne soit rendue une mesure de renvoi était encore applicable.

[15]       Si je comprends bien, le raisonnement que l'avocat a présenté au soutien de sa position allait comme suit. Premièrement, une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la ministre en vertu de l'article 53 constitue une mesure correctrice plus appropriée qu'une déclaration pour qu'un tribunal puisse examiner les questions soulevées par le demandeur, parce que le tribunal disposera de tous les documents sur lesquels la ministre a fondé sa décision et quels que soient les motifs que la ministre a exposés relativement à sa décision.

[16]       Deuxièmement, l'avocat a laissé entendre que je devrais refuser d'accorder une injonction provisoire parce que, en instituant une action, le demandeur cherchait simplement à obtenir deux possibilités de contester la validité du renvoi, à savoir au moyen de la déclaration et de la demande subséquente de contrôle judiciaire de la décision rendue par la ministre en vertu de l'article 53. Cependant, le pouvoir de la Cour de gérer des procédures connexes et de les examiner en même temps (voir, par exemple, Ahani c. La Reine (C.F. 1re inst.; T-1767-98; 28 septembre 1998) et la théorie de la resjudicata lui permettront d'éviter le dédoublement inutile des litiges.

[17]       L'avocate du demandeur a affirmé qu'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la ministre en vertu de l'article 53 ne constituait pas une mesure de redressement adéquate parce que le demandeur ne pourrait pas soulever la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration. L'avocate s'est reportée à l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, pour faire valoir que, lors d'une demande de contrôle judiciaire, un tribunal ne peut pas réviser une décision relativement à un motif sur lequel l'organisme décisionnel faisant l'objet du contrôle n'avait pas le pouvoir de fonder sa décision.

[18]       Même si l'avocate a raison de dire que la ministre n'a pas le pouvoir de statuer sur les contestations de la validité de la Loi fondées sur la Charte, et je pense qu'elle a probablement raison, la ministre est néanmoins tenue d'interpréter et d'appliquer les dispositions de la Loi sur l'immigration et d'exercer tout pouvoir discrétionnaire qu'elle peut conférer, d'une manière qui soit conforme à la Charte : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.

[19]       Par conséquent, lors d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la ministre, le demandeur peut, par exemple, contester la constitutionnalité du processus de prise de décision en soutenant qu'il n'a pas respecté les principes de justice fondamentale ou que l'application de l'article 53 par la ministre aux pièces portées à sa connaissance porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité du demandeur ou constitue des traitements ou des peines cruels et inusités en contravention de l'article 12 parce qu'elle l'expose à un risque très élevé de torture ou de mort s'il est retourné en Inde.

[20]       Par contre, dans la décision prévue à l'article 53, la ministre n'est pas appelée à interpréter ou à appliquer les alinéas 19(1)e) et f), que le demandeur dit être également inconstitutionnels. Donc, cette question ne peut pas être soulevée lors d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la ministre.

[21]       Toutefois, je n'étais pas convaincu qu'il y avait une question grave au sujet de la validité de dispositions pertinentes du paragraphe 19(1), spécialement à la lumière de la décision McAllister, précitée. De plus, le demandeur a attendu sept mois à partir du moment où l'attestation de sécurité a été délivrée en vertu du paragraphe 40.1(1) et où il a pris connaissance de la décision de la ministre de l'expulser en vertu des dispositions législatives qu'il cherche maintenant à attaquer. S'il a perdu la possibilité de soulever un autre argument constitutionnel, c'est en raison du temps qu'il a mis à agir.

C. CONCLUSION

[22]       Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur subira un préjudice irréparable si je n'accorde pas une injonction provisoire. J'ajouterais également que cette conclusion est conforme au principe selon lequel la Cour devrait, dans la mesure du possible, encourager les parties à contester la légalité d'une action posée par le gouvernement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire plutôt qu'au moyen d'une déclaration, que les motifs du contrôle comprennent ou non des questions constitutionnelles. La demande de contrôle judiciaire est spécialement conçue à cette fin, et sa procédure vise à assurer que les affaires soient instruites rapidement sans devoir passer par les étapes préliminaires d'une action.

[23]       Afin de permettre au demandeur d'avoir une possibilité raisonnable de soulever la constitutionnalité de l'application de l'article 53 à son égard et de l'exercice de tout pouvoir discrétionnaire conféré par cet article, j'ordonne que le demandeur ne soit pas renvoyé pendant une période de 14 jours à compter de la date de la présente ordonnance. Cela devrait permettre à l'avocate de déposer une demande de contrôle judiciaire et de déposer de nouveau avec celle-ci les pièces présentées relativement à la présente requête, si cela n'a pas déjà été fait, et, si besoin est, de solliciter une autre suspension du renvoi du demandeur en attendant qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                                   

OTTAWA (ONTARIO)                                                                                     John M. Evans              

                                                                                                                                                                                                       

23 avril 1999.                                                                                                               J.C.F.C.                  


Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A.,LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :IMM-4825-98

INTITULÉ :IQBAL SINGH

ET

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :LE 14 DÉCEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :MONSIEUR LE JUGE EVANS

DATE DE L'ORDONNANCE :LE 23 AVRIL 1999

COMPARUTIONS :

Barbara JackmanPOUR LE DEMANDEUR

Jim Leasing et Andrea HortonPOUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et AssociésPOUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris RosenbergPOUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


Date : 19990423

Dossier : IMM-4825-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                                 IQBAL SINGH,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                    LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                   défenderesses.

                                                                ORDONNANCE

                        SURrequête en ordonnance d'injonction provisoire;

                        LA COUR STATUE que la requête en injonction provisoire est refusée à condition que l'intimée ne procède pas au renvoi du requérant en Inde dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance.

John M. Evans

                                                       

                                                                JCFC

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A.,LL.L.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.