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                                                                                                                                Date : 1998.03.05

                                                                                                                                                           

                                                                                                                                           T-2784-97

E n t r e :

KIRIN-AMGEN INC. et JANSSEN-ORTHO INC.,

demanderesses,

- et -

BOEHRINGER MANNHEIM CANADA LTD./LTÉE.

défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MACKAY

1           Voici les motifs de l'ordonnance par laquelle la Cour a rejeté une demande présentée par les demanderesses en vue d'interdire à la défenderesse, sauf pour les activités exemptées en vertu du paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée (la Loi), de vendre commercialement au Canada son produit RECORMON rhEPO ou d'amener d'autres personnes à employer au Canada son produit RECORMON rhEPO sans envoyer aux avocats des demanderesses un préavis écrit de 60 jours.


2           La demande est quelque peu inusitée. Elle est formulée sous forme de mesure interlocutoire dans une action en contrefaçon de brevet dans laquelle les actes de procédure sont clos et une date provisoire d'instruction a été fixée pour dans quelque neuf mois d'ici. La demanderesse a déjà présenté une requête en injonction interlocutoire qui a été ajournée sine die.

3           L'action est présentée quia timet, étant donné que le produit RECORMON rhEPO de la défenderesse n'est pas encore offert en vente au Canada. À cette étape-ci, la défenderesse a demandé l'autorisation de commercialiser le produit, qui est un médicament vendu sur ordonnance. Elle ne prévoit pas obtenir cette autorisation avant quelques mois.

4           Après avoir été informé que le produit ne serait probablement pas lancé bien avant le 1er septembre 1998, l'avocat de la demanderesse a demandé à l'avocat de la défenderesse de déposer avant le 1er septembre 1998 devant la Cour un document par lequel la défenderesse s'engagerait à ne pas offrir en vente, vendre ou distribuer son produit RECORMON au Canada, sauf au niveau actuel prévu par le programme spécial, et à ne pas augmenter ses activités préalables à la commercialisation et, si elle offre en vente, vend ou distribue le produit après le 1er septembre 1998, à en aviser la demanderesse 60 jours à l'avance.

5           L'avocat de la défenderesse a répondu à la demande, en précisant que la défenderesse n'avait pas l'intention, jusqu'au moins le premier trimestre de 1999, de vendre commercialement le produit en question au Canada, sauf pour en fournir des échantillons pour des motifs de commisération ou pour exercer les activités prévues à l'article 55 de la Loi. De plus, si la défenderesse a l'intention de vendre le produit au Canada avant cette date, un [TRADUCTION] « préavis suffisant » sera envoyé à la demanderesse.

6           La demanderesse prie instamment la Cour de préciser cet engagement de l'avocat de la défenderesse et de le rendre exécutoire en précisant dans une ordonnance que la défenderesse ne peut vendre commercialement au Canada son produit en litige ou inciter d'autres personnes à l'utiliser sans avoir donné un préavis de 60 jours. La demanderesse craint que, sans un tel préavis, elle soit privée de la possibilité de présenter sa demande d'injonction interlocutoire et de faire instruire l'affaire avant l'arrivée de la défenderesse sur le marché canadien et perde les avantages qu'elle peut s'attendre à obtenir en sollicitant une telle réparation quia timet avant l'arrivée de la défenderesse sur le marché.

7           Cette crainte de la demanderesse est renforcée par sa perception que la Cour ne peut faire exécuter un engagement qui ne lie que les avocats (voir le jugement Canadian Kennel Club c. Continental Kennel Club, jugement non publié, 9 décembre 1997 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein, no du greffe : T-1274-97). De plus, un engagement qui manque de précision, comme peut-être l'engagement de la défenderesse de donner un « préavis suffisant » , n'est probablement pas exécutoire (voir le jugement R. v. Rowbotham (No. 2) (1977), 2 C.R. (3d) 222, aux pages 233 et 234 (C.C. Ont.)).

8           L'avocat de la défenderesse affirme que la demanderesse réclame maintenant l'équivalent d'une injonction, c'est-à-dire une ordonnance interdisant à la défenderesse d'arriver sur le marché sans donner un préavis de 60 jours. Il ajoute qu'une telle ordonnance ne respecterait pas les conditions habituelles qui régissent l'audition des demandes d'injonction. Il souligne que la Cour n'a pas compétence pour rendre une telle ordonnance, mais que, si elle a le pouvoir discrétionnaire de la rendre, tout préavis à donner devrait se limiter au préavis de dix jours qui s'applique habituellement dans le cas d'une demande d'injonction interlocutoire présentée en vertu de l'article 321.1 des Règles de la Cour.

9           J'ai invité les avocats à me citer tout autre précédent qu'ils pouvaient connaître au sujet de la compétence de la Cour pour ordonner ce que la demanderesse a effectivement qualifié de modification à un engagement pris par l'avocat d'une partie face à son homologue relativement aux mesures préparatoires au procès. Je remercie les avocats des deux parties pour l'aide qu'ils m'ont procurée en me faisant part de leurs observations par écrit.

10         L'avocat de la demanderesse soutient que, pour qu'un engagement soit exécutoire, particulièrement au moyen d'une instance pour outrage, il faut qu'il soit libellé en des termes précis, sinon la Cour se voit obligée, pour qu'on puisse obtenir l'exécution forcée de l'engagement comme s'il s'agissait d'un contrat, d'interpréter ses termes de façon sensée ou raisonnable (voir le jugement Coulter, [1993] O.J. No. 622 (Cour de l'Ontario, Division générale)). Pour ce qui est de notre Cour, la demanderesse souligne la pratique consistant à fixer un délai dans lequel la partie doit exécuter l'engagement qu'elle a pris lors de l'enquête préalable. La défenderesse soutient que cette pratique vise uniquement à se conformer à l'article 461 des Règles pour forcer une partie à répondre aux questions légitimes qui ont été posées lors de l'enquête préalable. Elle ajoute que cette pratique n'est pas fondée sur un pouvoir distinct qui permettrait à la Cour d'imposer au moyen d'une ordonnance des conditions plus précises relativement à l'engagement général pris par un avocat envers un autre avocat.

11         À mon avis, la Cour n'a pas le pouvoir d'empêcher une partie de faire quelque chose qu'elle est libre de faire, comme, en l'espèce, de lancer sur le marché un produit qui satisfait aux exigences réglementaires, tant que la Cour ne s'est pas prononcée sur les droits des parties, que ce soit à titre interlocutoire en attendant le procès, ou à l'issue du procès. La Cour ne peut rendre d'ordonnance de la nature d'une injonction sans se prononcer sur les droits des parties dans le cadre d'une instance ordinaire dans laquelle ce type de réparation est sollicité. À mon avis, l'ordonnance que la demanderesse cherche à obtenir est de la nature d'une injonction, même si elle devait être assortie de conditions.

12         Même si mon avis n'est pas partagé et que la seule question en litige en l'espèce est la modification des modalités de l'engagement en vue de préciser l'engagement pris par un avocat envers son homologue, j'estime que la Cour n'exercerait que dans des cas exceptionnels son pouvoir discrétionnaire d'intervenir comme on lui demande de le faire, si tant est qu'elle a ce pouvoir. Je ne suis pas persuadé que ce soit le cas en l'espèce.

13         La demande est rejetée. Les dépens réclamés par la défenderesse suivront l'issue de la cause.

       « W. Andrew MacKay »       

Juge

Toronto (Ontario)

Le 5 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                 T-2784-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            KIRIN-AMGEN INC. et

                                                                                    JANSSEN-ORTHO INC.

                                                                                    - et -

                                                                        BOEHRINGER MANNHEIM

                                                                                    CANADA LTD./LTÉE

DATE DE L'AUDITION :                                            2 MARS 1998

LIEU DE L'AUDITION :                                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge MacKay le 5 mars 1998

ONT COMPARU :

                                                           

            Me Donald M. Cameron

                                                                                                pour les demanderesses

            Me Stephen Lane

                                                                                                pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                       

            Smith Lyons

Scotia Plaza, bureau 5800

40, rue King Ouest

            Ottawa (Ontario) M5H 3Z7

                                                                                                pour les demanderesses

            Sim, Hughes, Ashton & McKay

            330, avenue University, 6e étage

            Toronto (Ontario) M5G 1R7

                                                                                                pour la défenderesse

                                                                                   

                                                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                Date : 1998.03.04

                                                                       

                                                                                                                                          T-2784-97

                                                                                    Entre :

                                                                        KIRIN-AMGEN INC. et

                                                                                    JANSSEN-ORTHO INC.

                                                                                                                                    demanderesses,

                                                                                    - et -

                                                                        BOEHRINGER MANNHEIM

                                                                                    CANADA LTD./LTÉE.

                                                           

                                                                                                                                        défenderesse

                                                           

                                                                                                                                                                                                                                                                               

                                                                                                                                                                                                                                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                          

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