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     Date : 19990611

     Dossier : IMM-2394-98



OTTAWA (ONTARIO), LE 11 JUIN 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ



ENTRE :

     OLEG KOROZ,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     ORDONNANCE



     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                

                                         Juge


Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19990611

     Dossier : IMM-2394-98



ENTRE :

     OLEG KOROZ,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      Le demandeur soulève quatre questions dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 5 mai 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi)1.

1.      Les questions en litige

[2]      Les quatre questions soulevées par le demandeur sont les suivantes :

     1.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur dans les circonstances de l'espèce?
     2.      La Commission a-t-elle refusé d'exercer sa compétence dans la présente espèce en adoptant le raisonnement d'un autre tribunal concernant l'existence d'une possibilité de refuge intérieur?
     3.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait en concluant que le demandeur peut avoir été victime de discrimination, mais n'a pas été exposé à un risque grave de persécution compte tenu des faits de l'espèce?
     4.      Y a-t-il eu déni de justice naturelle envers le demandeur pendant l'audience à cause de la qualité de l'interprétation?

2.      Les faits

[3]      Le demandeur est né en 1971 à Tiraspol, en Moldavie. Il est un juif non pratiquant. Il affirme que durant son enfance, il a été maltraité à la garderie, s'est fait voler sa bicyclette par des enfants du voisinage et a été tourmenté et injurié par des camarades de classe et des professeurs pendant ses années de collège et plus tard dans la vie comme sculpteur sur bois. Il a été harcelé et maltraité, et a été victime de deux agressions. Il a quitté la Moldavie le 8 juin 1997 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention à Montréal le lendemain. Sa revendication a été rejetée le 5 mai 1998.

3.      La décision de la Commission

[4]      La Commission a déclaré que la question fondamentale que soulève la présente espèce est la possibilité de refuge intérieur. Elle s'est demandé si le demandeur avait réellement une crainte subjective compte tenu du fait qu'il n'avait pas saisi l'occasion de se rendre en Israël comme citoyen à part entière en vertu de la loi de réforme israélienne. La Commission a toutefois axé son analyse sur l'existence d'une possibilité de refuge évidente dans la capitale du pays, Kishinev. Elle s'est référée à une demande (dossier portant le numéro A96-00885) qui a été rejetée par un autre tribunal le 22 avril 1998 au motif qu'il ressortait d'une preuve documentaire récente que Kishinev, où il y a une communauté juive, était un lieu sûr pour les Juifs. La Commission a adopté le même raisonnement que l'autre tribunal et a annexé cette décision à la sienne.

[5]      La Commission a conclu que [traduction] " l'intéressé peut être victime de discrimination à Kishinev en raison de sa nationalité juive, mais que cette discrimination ne constitue pas une persécution, même quand on la considère cumulativement ". Elle a ensuite examiné la question de savoir si la possibilité de refuge à Kishinev était raisonnable dans les circonstances. La Commission a noté que le demandeur, lorsque la solution d'une possibilité de refuge a été évoquée, a répondu que Kishinev n'était pas une ville calme, que le logement serait plus cher là-bas et qu'il pourrait être incapable d'y trouver du travail.

4.      Analyse

[6]      Premièrement, la Commission pouvait, selon moi, conclure que le demandeur avait une possibilité de refuge dans la capitale de la Moldavie compte tenu de la preuve documentaire récente. Il ressort surtout de cette preuve que la communauté juive de Kishinev est très active, vit en paix et [traduction] " connaît une renaissance sans précédent dans les temps modernes ". Il incombait au demandeur de prouver que la Moldavie n'offre aucun refuge sûr aux Juifs. On ne saurait dire que l'interprétation que la Commission a donnée des règles de droit et de la jurisprudence sur la possibilité de refuge intérieur est inexacte ou que son appréciation de la preuve documentaire est déraisonnable. La Commission était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risquait pas sérieusement d'être persécuté dans la capitale et que, dans les circonstances de l'espèce, il n'était pas déraisonnable qu'il y cherche refuge.

[7]      Deuxièmement, on ne saurait dire non plus que la Commission a refusé d'exercer sa compétence en adoptant le raisonnement d'un autre tribunal concernant l'existence d'une possibilité de refuge dans la capitale de la Moldavie. Après tout, les deux tribunaux ont été saisis de la même preuve documentaire. Par ailleurs, la Commission a également examiné une autre décision (dossier portant le numéro A95-00490) dans laquelle le tribunal a conclu que l'intéressé avait une crainte fondée de persécution en Moldavie en raison de sa nationalité juive. La Commission n'était pas dans l'obligation d'accepter l'une ou l'autre décision. Elle a décidé de suivre la décision rendue dans le dossier portant le numéro A96-00885 et a précisé pourquoi. Il est inhabituel qu'un tribunal annexe à sa décision la décision d'un autre tribunal, mais ce geste ne constitue pas un obstacle fatal. C'est comme s'il avait annexé la jurisprudence qu'il aurait décidé de suivre.

[8]      Troisièmement, on a défini la " persécution " comme " le fait d'infliger sans relâche des traitements cruels ou une succession de mesures prises systématiquement pour punir "2. La question de savoir si des mesures particulières constituent une persécution est une question de fait et de droit. Comme le juge Marceau l'a déclaré dans l'arrêt Sagharichi c. M.E.I.3, la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination, ou le harcèlement, est difficile à tracer. La Commission doit rendre une décision dans un contexte factuel particulier en analysant attentivement la preuve qui a été produite. Dans la présente espèce, la Commission ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la discrimination constituait une persécution à Tiraspol, où le demandeur vivait. Elle a conclu qu'il n'y avait pas de probabilité de persécution à Kishinev.

[9]      Pour ce qui est de la quatrième question, soit celle de savoir si la qualité de l'interprétation pendant l'audience était si médiocre qu'il en est résulté un déni de justice naturelle envers le demandeur, il faut regarder la transcription. Le demandeur était représenté par un avocat mais il n'a pas soulevé la question. En fait, c'est le président de l'audience qui l'a fait. Celui-ci a ajourné l'audience pour discuter du problème, après quoi il a demandé à l'avocat du demandeur s'il [traduction] " consentait à poursuivre l'audience avec le même interprète ". L'avocat y a consenti. Quoique la traduction paraisse avoir été laborieuse, rien ne permet de conclure que des erreurs préjudiciables au demandeur ont été commises.

5.      Dispositif

[10]      La décision de la Commission n'est pas déraisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. À la demande de l'avocat du demandeur, je certifierai la question suivante en tant que question grave de portée générale aux termes de l'article 83 de la Loi :

     Un tribunal peut-il " adopter le même raisonnement qu'un autre tribunal " lorsqu'il a été saisi de la même preuve documentaire pour conclure à l'existence d'une possibilité de refuge dans le même pays?

                                

                                         Juge




OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 juin 1999




Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-2394-98

INTITULÉ :                      OLEG KOROZ C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 9 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :                  11 JUIN 1999


COMPARUTIONS :

M. FREDERICK M. INGUTIA                  POUR LE DEMANDEUR


M. DARRELL KLOEZE                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. FREDERICK M. INGUTIA                  POUR LE DEMANDEUR

KANATA (ONTARIO)


M. MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129, aux p. 133 et 134 (C.A.F.).

     3      (1993), 182 N.R. 398, à la p. 399 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée (1994), 170 N.R. 159n.

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