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Date : 20021113

Dossier : T-1508-02

Référence neutre: 2002 CFPI 1181

ENTRE:

                                                       TRAWLERCAT MARINE INC.

GRAHAM N. PFISTER

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                 and

GENE FOLDEN,

AMERIYACHT, UNE SOCIÉTÉ DU GROUPE MÉTRO,

LE NAVIRE PARTIELLEMENT ACHEVÉ

AMITY, UN CATAMARAN À MOTEUR,

SES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES Y INTÉRESSÉES

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Il s'agit dans la présente requête de savoir notamment si la présumée utilisation de plans d'un yacht protégés par droit d'auteur peut justifier l'introduction d'un action réelle. Les défendeurs affirment que la Cour est dépourvue de toute compétence in rem (ou réelle) en matière de droit d'auteur ou autrement, et que par conséquent il doit y avoir mainlevée de la saisie de l'Amity.

[2]                 Conformément à la contestation préliminaire prévue par la règle 208d), et se rapportant à la compétence de la Cour, l'action réelle formée contre le yacht catamaran partiellement achevé Amity est annulée. L'Amity bénéficie d'une mainlevée de saisie en application de la règle 488(1). Avant d'examiner les détails de cette affaire, je rappellerai d'abord quelques faits.

CONTEXTE

[3]                 Pour qu'une exception interlocutoire d'incompétence soit admise, le défaut de compétence doit être clair et évident avant que soit justifiée la radiation d'un acte de procédure : voir par exemple Hodgson c. Bande indienne Ermineskin no 942 (2000), 180 F.T.R. 285, page 289. Par ailleurs, une contestation selon la règle 221, la règle de la radiation, en ce qui a trait à la compétence de la Cour, peut être appuyée d'une preuve par affidavit : Nation déné c. Canada, [1992] 2 C.F. 681, page 687 (C.A.F.). Comme c'est le cas ici, je peux m'en remettre à la fois à la déclaration et à la preuve par affidavit pour exposer les événements qui ont conduit à la présente requête et, le cas échéant, pour statuer sur l'exception d'incompétence.


[4]                 En septembre 1998, le défendeur M. Folden remettait au demandeur M. Pfister un dépôt de 7 950 $ É.-U. afin que M. Folden puisse obtenir des épures pour un yacht catamaran à moteur qui avait été dessiné par les demandeurs. M. Folden voulait les plans afin de pouvoir déterminer la configuration générale d'un yacht qu'il avait alors l'intention de faire construire chez Northern Marine Inc., à Anacortis, État de Washington. M. Folden affirme qu'il a décidé de ne pas aller de l'avant avec le projet lorsqu'il a appris que, contrairement à l'indication des demandeurs, ceux-ci n'avaient pris aucune disposition au chantier de Northern Marine pour construire le navire, un yacht catamaran plutôt imposant de 55 pieds qui serait constitué de carènes à couples, du genre carènes à déplacement.

[5]                 Par la suite, M. Folden a retenu les services de M. Howard Apollonio, un architecte bien établi, qui non seulement avait un plan de réserve susceptible d'être adopté pour un yacht catamaran à moteur de 70 pieds pour M. Folden, mais aussi avait accès, pour son modèle, à un moule existant, au chantier d'Atlantis Yacht Inc., à Delta, en Colombie-Britannique. Le yacht de 70 pieds d'Apollonio est un modèle plus aérodynamique, formé de carènes planantes à grande vitesse, qui sont renforcées par des serres de renfort longitudinales et des cloisons. Après examen des croquis, on constate que les plans de la carène et de la superstructure sont très différents.


[6]                 Le 16 septembre 2002, les demandeurs introduisaient la présente action et par la suite faisaient saisir l'Amity, partiellement achevé. Les demandeurs allèguent rupture d'un engagement de conclure un contrat d'achat et de construction. Ils affirment aussi qu'il y a eu contrefaçon de droit d'auteur, par utilisation des dessins des demandeurs, dessins qui auraient été remis par les défendeurs à leur architecte et qui, après modification, auraient servi à construire l'Amity. Les demandeurs disent par conséquent qu'ils ont fourni des renseignements confidentiels, ou des services, aux défendeurs et qu'ils devraient être indemnisés, le cas échéant, selon la valeur du service rendu. Les demandeurs disent que, par les activités susmentionnées, les défendeurs sont coupables de rupture d'engagement, de négligence, de déclarations frauduleuses et d'abus de confiance. Les demandeurs affirment aussi que les défendeurs ont manqué à leurs obligations de confidentialité, ont fait une imitation frauduleuse, ont créé de la confusion au sens de l'article 7 de la Loi sur le droit d'auteur et ont trompé le public au sens de l'article 52 de la Loi sur la concurrence, et ils disent qu'ils devraient en conséquence être indemnisés ainsi que le prévoit le paragraphe 36(1) de la Loi sur la concurrence.

[7]                 Entre autres réparations, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire leur conférant un droit réel contre l'Amity, l'expropriation de l'Amity et de tout cautionnement, un compte rendu comptable des bénéfices et une injonction impérative ou injonction mareva visant à empêcher le navire saisi de quitter le territoire. Il semble s'agir là d'un litige concernant la propriété intellectuelle, mais je dois considérer tout cela plus en détail pour savoir si une action réelle est de quelque manière justifiée.


[8]                 Je dois aussi mentionner que les demandeurs ont maintenant abandonné leur affirmation selon laquelle la carène ou superstructure de l'Amity selon le plan Apollonio porte atteinte au dessin des demandeurs, mais disent simplement que la configuration intérieure renferme des éléments semblables aux éléments utilisés par les demandeurs. M. Apollonio affirme que ce n'est qu'après l'introduction de la présente action qu'il a vu les croquis des demandeurs. De l'avis de M. Apollonio, même si M. Folden est intervenu dans la configuration intérieure du navire, aucun aspect de l'aménagement intérieur n'était exceptionnel, cet aménagement étant largement imposé par des considérations essentielles, par exemple l'implantation de la salle des machines, et les caractéristiques mêmes de la configuration intérieure sont des caractéristiques qu'utilisent M. Apollonio et les ingénieurs du génie maritime autres que les demandeurs. Tout cela sera sans doute éclairci un jour, mais pour l'heure je dois voir si, d'après les faits exposés dans la déclaration et eu égard à la compétence de la Cour, un quelconque argument pourrait suffire à établir une compétence réelle sur l'Amity.

EXAMEN

[9]                 L'argument de base des demandeurs est que le présent litige autorise une action réelle, en raison du paragraphe 22(1) ou des alinéas 22(2)m) ou n) de la Loi sur la Cour fédérale, ainsi rédigés :

Navigation et marine marchande

22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas -- opposant notamment des administrés - où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

Navigation and shipping

22. (1) The Trial Division has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.

Compétence maritime

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants :

...

Maritime jurisdiction

(2) Without limiting the generality of subsection (1), it is hereby declared for greater certainty that the Trial Division has jurisdiction with respect to any one or more of the following:

...


m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l'acconage et le gabarage;

n) une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d'équipement d'un navire;

(m) any claim in respect of goods, materials or services wherever supplied to a ship for the operation or maintenance of the ship, including, without restricting the generality of the foregoing, claims in respect of stevedoring and lighterage;

(n) any claim arising out of a contract relating to the construction, repair or equipping of a ship;

[10]            Les demandeurs se réfèrent à la Loi sur la concurrence, mais ne prétendent pas qu'une compétence réelle découle de cette loi. Ils affirment plutôt, mais sans beaucoup de conviction cependant, que la compétence prévue par la Loi sur le droit d'auteur doit être étendue pour englober une compétence réelle.

Revendication d'un droit d'auteur

[11]            La Cour fédérale a compétence, selon l'article 20 des Règles de la Cour fédérale (1998), pour statuer entre autres sur les questions de droit d'auteur, mais cette compétence doit être fondée sur le droit fédéral applicable et non sur une action quasi délictuelle ou contractuelle, accessoire aux règles du droit d'auteur. La source du droit fédéral, dans le cas présent, serait la Loi sur le droit d'auteur.


[12]            En arrivant à la conclusion selon laquelle une revendication de droit d'auteur n'autorise pas l'introduction d'une action réelle, j'ai gardé à l'esprit que je dois interpréter d'une manière libérale le paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale. J'ai aussi gardé à l'esprit que les recours exercés en vertu du droit maritime canadien ne doivent pas se limiter à une démarche traditionnelle ou historique, mais doivent être interprétés dans un contexte moderne et pertinent : voir ici l'arrêt Monk Corporation c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779, page 795. Cette interprétation libérale confère à la Cour fédérale compétence sur une matière « entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien... » (loc. cit.).

[13]            J'ai encore de la difficulté à déceler une compétence selon le paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale : la revendication de droit d'auteur concernait des plans fournis pour un navire qui n'était pas construit et qui n'existait pas. S'il en est ainsi, c'est parce que la revendication, qui intéresse un droit d'auteur dans les plans d'un navire envoyés à un éventuel client pour qu'il soit en mesure de visualiser la nature du navire, n'entre pas dans le champ du droit maritime tel qu'il est intégré dans les lois du Canada, ni dans la compétence législative fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires : voir par exemple l'arrêt Quebec and Ontario Transportation Co. c. Le « Incan St. Laurent » (1979) 104 D.L.R. (3d) 139, pages 141 et 142 (C.A.F.), confirmé par [1980] 2 R.C.S. 242.


[14]            Certes, il y a eu devant la Cour fédérale des cas qui concernaient des plans de yachts, et j'ai ici à l'esprit par exemple l'affaire Bayliner Marine Corporation c. Doral Boats Ltd. (1985), 5 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.) et (1986), 10 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). Cependant, cette affaire ne comportait aucun aspect de nature réelle (in rem). Je ne vois d'ailleurs pas comment des affaires intéressant un droit d'auteur ou un dessin industriel pourraient être l'objet d'une exécution de nature réelle. La compétence en matière réelle dépend si l'affaire relève de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, et si elle fait l'objet d'une exécution réelle selon ce qu'autorise le paragraphe 43(2), sous réserve de l'exception énoncée au paragraphe 43(3). Cela nous ramène à la question de savoir si la revendication des demandeurs relève des alinéas 22(2)m) ou n), ce que j'examinerai bientôt.

Revendication contractuelle

[15]            Les demandeurs réclament réparation aux défendeurs parce qu'ils ont rompu leur engagement de conclure un contrat de construction d'un navire. Nous ne chercherons pas à savoir si c'est bien là ce que cela semble être, un engagement non exécutoire de contracter, au sens de l'arrêt Walford v. Miles, [1992] 2 A.C. 128 (H.L.), ou bien soit un engagement exécutoire de donner effet à un deuxième engagement, soit un genre d'engagement incertain de négocier de bonne foi. Les engagements de conclure des contrats font intervenir des arguments qui n'ont pas trouvé grâce auprès des juges dans l'arrêt Walford, non plus qu'au Canada, et j'ai ici à l'esprit des précédents tels que Westcom T.V. Groups c. CanWest Global (BC), [1997] 1 W.W.R. 761 (C.S. C.-B.) et Mannpar Enterprises Ltd. c. Canada (1997), 33 B.C.L.R. (3d) 203 (C.S. C.-B.), confirmé par(1999), 173 D.L.R. (4d) 243 (C.A. C.-B.).


[16]            Au mieux, il pourrait s'agir d'une forme de revendication personnelle, car il n'y a rien dans les actes de procédure, ou dans les pièces des demandeurs, pour établir un lien entre d'une part ce qui aurait pu être le contrat entre les demandeurs et les défendeurs in personam et, d'autre part, l'Amity, lequel n'existait pas à la date pertinente. Quoi qu'il en soit, aucune procédure de nature réelle n'est possible dans le cas d'une forme quelconque d'engagement personnel à conclure un contrat de construction d'un navire.

Compétence de nature réelle selon le paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale

[17]            Dans un cas qui fait intervenir une exception d'incompétence, « la Cour doit être convaincue que des faits juridictionnels ou des allégations de tels faits étayent une attribution de compétence » : MIL Davie Inc. c. Hibernia Management Development Co. (1998), 226 N.R. 369, page 374 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour a relevé ensuite que la preuve par affidavit était recevable dans une requête selon la règle relative aux radiations, c'est-à-dire la règle 419(2) :

[8]       En général, lorsqu'une objection se rapportant à la compétence de la Cour est soulevée, la Cour doit être convaincue que des faits juridictionnels ou des allégations de tels faits étayent une attribution de compétence. L'existence des faits juridictionnels requis pourra habituellement être établie à partir des actes de procédure et des affidavits déposés au soutien de la requête ou en réponse à celle-ci. À cet égard, l'interdiction prévue à la Règle 419(2) en matière d'admissibilité de la preuve ne s'applique pas lorsque c'est la compétence même de la Cour qui est contestée, par opposition à la situation où il s'agit de la formulation d'une simple objection contre les actes de procédure au motif qu'ils ne révèlent aucune cause raisonnable d'action...


[18]            La demande ne se réfère pas expressément à l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire qu'elle n'est pas relative à des marchandises, matières ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, mais elle se réfère à des renseignements exclusifs donnés aux défendeurs. L'affidavit de délivrance de mandat, invoqué par les demandeurs, se réfère à des faits qui, selon le déposant, Graham N. Pfister, remplissent les conditions des alinéas 22(2)m) et n) de la Loi sur la Cour fédérale. On a fait valoir que ce pouvait être là un mode possible d'attribution de compétence.

[19]            Une demande relative à des matières ou services fournis à un navire est souvent appelée demande de nécessités, mais ce n'est pas une expression employée dans la Loi sur la Cour fédérale. L'alinéa 22(2)m) peut d'ailleurs être plus large que la simple fourniture des nécessités traditionnelles, car il peut s'étendre à des matières ou services accessoires ou complémentaires, ou nécessaires pour le fonctionnement du navire et, ici, je me référerais au jugement Kuhr c. Le « Friedrich Busse » , [1982] 2 C.F. 709 (C.F. 1re inst.), aux pages 715 et 716 :

L'expression « fournitures nécessaires » ne se retrouve pas dans l'énumération du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale. En essence, toutefois, elle serait couverte par le libellé de l'alinéa m) précité : si l'on devait chercher à distinguer les deux notions, on ne pourrait que conclure que le libellé de l'alinéa m) doit nécessairement inclure la fourniture des approvisionnements nécessaires sans y être limité. En d'autres mots, la fourniture de marchandises, de matériaux ou de services peut ne pas être nécessaire à l'exploitation mais seulement complémentaire, accessoire, tant qu'elle concourt, ou qu'on la destine à concourir, à l'exploitation du navire. D'ailleurs, mise à part l'extension apparente que l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale apporte à cette notion d'équipement nécessaire du navire, nous constatons que l'interprétation plutôt restrictive originale qui en avait été faite a été considérablement élargie. Dans l'Admiralty Jurisdiction and Practice of the High Court of Justice de Roscoe (5e édition), nous trouvons ce qui suit, à la page 203 :

[Traduction] ... quoique désignant d'abord les réparations indispensables, les ancres, câbles, voiles et approvisionnements, le terme a acquis maintenant, de toute évidence, un sens plus large que les exigences des temps modernes ont amplifié et amplifient encore, graduellement, comme l'indique l'espèce The Mecca, où l'on a statué que le péage des canaux tombait sous son emprise. On ne saurait distinguer entre l'équipement nécessaire au navire et l'équipement nécessaire au voyage; tout ce qui raisonnablement est nécessaire à l'activité particulière à laquelle s'adonne le navire doit être compris dans cette catégorie.

[20]            Traditionnellement, au sens large, la fourniture de nécessités englobe tout ce qui est nécessaire pour l'utilisation du navire ou qui la facilite. L'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale est sans doute plus étendu que cette manière traditionnelle de considérer les nécessités, mais il y a des restrictions dans cette disposition, que je crois utile de reproduire ici de nouveau :

m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l'acconage et le gabarage;

  

(m) any claim in respect of goods, materials or services wherever supplied to a ship for the operation or maintenance of the ship, including, without restricting the generality of the foregoing, claims in respect of stevedoring and lighterage;


[21]            On s'aperçoit immédiatement que cette disposition apparemment étendue comporte des limites. D'abord, les marchandises, matériels ou services doivent concerner le fonctionnement ou l'entretien du navire, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de plans destinés à un navire qui n'existe pas encore. Deuxièmement, la disposition parle du fonctionnement ou de l'entretien du navire. Ici, on ne parle pas d'un navire, mais du navire. Lorsque les croquis ont été remis à l'un ou l'autre des défendeurs in personam, voire peut-être même aux deux, « le navire » n'existait que comme possibilité qui pouvait porter fruit dans l'avenir pour le cas où les défendeurs in personam décideraient de passer une commande aux constructeurs. L'existence du navire est une condition essentielle sans laquelle il ne saurait exister qu'une responsabilité de nature personnelle. L'alinéa 22(2)m) n'est pas un fondement possible de compétence, car non seulement les croquis ne sont-ils pas nécessaires pour le fonctionnement ou l'entretien du navire, mais encore ces croquis ne sont ni accessoires ni complémentaires à un navire inexistant. J'examinerai maintenant la possibilité d'une compétence fondée sur un contrat de construction de navire.

[22]            Les demandeurs affirment qu'une compétence peut être trouvée dans l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale, qui donne compétence à la Cour dans le cas de :

n) une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d'équipement d'un navire;

(n) any claim arising out of a contract relating to the construction, repair or equipping of a ship;

[23]            La déclaration aborde cet aspect au paragraphe 10 :

[Traduction]

10.         Les demandeurs disent, et les faits le confirment, que les défendeurs ont conclu avec les demandeurs un contrat au moyen d'une correspondance datée du 28 septembre 1998, contrat par lequel les défendeurs versaient un dépôt de 7 950 $ É.-U. pour l'achat d'un catamaran à moteur de 59 pieds, étant entendu qu'ils allaient signer avec les demandeurs un contrat d'achat et de construction.

Comme je l'ai dit, on fait aussi brièvement référence à l'alinéa 22(2)n) dans l'affidavit de délivrance de mandat. Si l'on s'en remet à l'alinéa 22(2)n), aux actes de procédure et à l'affidavit des demandeurs, y compris l'affidavit de délivrance de mandat, il semble que le meilleur argument qui s'offre aux demandeurs est qu'il y a eu engagement de conclure un contrat pour que les demandeurs construisent ou, puisqu'ils ne sont pas des constructeurs de navires, pour qu'ils fassent construire un navire conçu pour les demandeurs.

[24]            Vu que le navire Amity des défendeurs n'existait pas en septembre 1998 et que, selon les actes de procédure et les affidavits, aucun contrat n'existait entre les parties pour la construction d'un quelconque navire, les demandeurs doivent se rabattre sur l'argument de la rupture d'un engagement de conclure un contrat d'achat et de construction. Un tel engagement de conclure un contrat n'entre manifestement pas dans le libellé ni l'esprit de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale, qui parle d'un contrat « de construction » d'un navire : ces mots ne peuvent s'étendre à un engagement de conclure un contrat, engagement dont la rupture, si tant est qu'une telle rupture existe, ne peut être que de nature personnelle.

[25]            Un deuxième argument, qui à mon sens est tout aussi convaincant, est que l'alinéa 22(2)n) doit manifestement se rapporter à un contrat de construction entre un constructeur de navire et un propriétaire. Tel n'est pas le cas ici.


[26]            Troisièmement, en tout état de cause, on ne semble pas ici avoir affaire à un contrat, car, comme je l'ai dit, il n'existe pas de contrat de construction d'un navire. Peut-être s'agit-il d'une action des demandeurs pour négligence ou pour déclaration frauduleuse, puisque les demandeurs affirment qu'ils ont été amenés à croire que les défendeurs entendaient conclure un contrat. Cette affaire est donc de nature quasi délictuelle. Il ne m'est pas nécessaire ici d'exposer le raisonnement montrant qu'une allégation de négligence ne serait pas recevable. Il suffit de faire observer qu'une telle allégation relèverait des règles ordinaires de la négligence et non d'une loi fédérale ou du droit maritime canadien, une précision qu'a apportée le juge en chef adjoint Jerome dans l'affaire Atlantic Sandblasting & Coating Inc. c. Le « Gulf MacKenzie » , décision non publiée du 3 mars 1982, dossier T-2163-80. Une action quasi délictuelle à l'encontre d'une partie concernée par un navire qui n'a pas été construit n'est pas une action découlant d'un contrat de construction d'un navire, au sens de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale.

CONCLUSION

[27]            Ni les arguments avancés dans cette action ni les affirmations figurant dans les affidavits ne permettent de conférer à la Cour fédérale la compétence nécessaire en matière réelle qui lui permettrait de saisir le navire Amity. L'aspect personnel de cette action pourrait relever de la compétence conférée à la Cour fédérale, un aspect non plaidé dans la présente requête, mais il ne suffit pas, pour établir une compétence en matière réelle, que la matière présente un quelconque lien avec un navire.

[28]            L'objet de l'action ne relève pas du droit maritime canadien ni de la disposition générale conférant une compétence au titre de la navigation et des bâtiments ou navires, ni du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, ni de la compétence en matière maritime qui est plus précisément énoncée dans le paragraphe 22(2).


[29]            En conséquence, l'action réelle est radiée et, ici, je me référerais à un précédent, l'affaire Bornstein Seafoods Canada Ltd. c. Hutcheon (1997), 14 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge Gibson avait affaire à l'annulation de la saisie d'un navire, la cause d'action étant le présumé transfert d'un contingent de pêche détourné. Le juge Gibson n'a pu conclure que l'objet relevait du paragraphe 22(1) ou des parties applicables du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, et il n'a pu conclure non plus que « l'objet de la présente action est entièrement lié aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien » (page 251). Il a conclu que l'objet de l'action ne relevait pas de la compétence de la Cour fédérale, qu'il s'agisse de sa compétence fondée sur le droit maritime canadien ou de celle fondée sur un autre ensemble de règles se rapportant à la navigation et aux bâtiments et navires. Il a donc jugé que l'action réelle n'était pas fondée. En conséquence, le mandat de saisie ne pouvait subsister (loc. cit.). C'est le cas dans la présente affaire.

[30]            Tout cela ne veut pas dire que l'action personnelle ne pourrait pas dans une certaine mesure réussir. Mais l'action devra maintenant se dérouler en tant qu'action purement personnelle, et il y aura mainlevée de la saisie de l'Amity. Les dépens de cette requête seront adjugés aux défendeurs, quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                                     « John A. Hargrave »          

                                                                                                                                                    Protonotaire                 

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 13 novembre 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           T-1508-02

  

INTITULÉ :                                        Trawlercat Marine Inc. et autre c. Gene Folden et autres

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

  

DATE DE L'AUDIENCE :              le 30 octobre 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE: le protonotaire Hargrave

  

DATE DES MOTIFS :                     le 13 novembre 2002

  

COMPARUTIONS :                       

K Joseph Spears                                                                            POUR LES DEMANDEURS

David F McEwen                                                                           POUR LES DÉFENDEURS

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Spears and Company                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

  

McEwen, Schmitt & Co.                                                               POUR LES DÉFENDEURS

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

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