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                                                                                                                                           Date : 20010508

                                                                                                                                       Dossier : T-284-01

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 443

OTTAWA (Ontario), le 8 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

HARVEY THOMAS, WALLACE MOCCASIN,

CONNIE GOPHER, GILBERT NIGHT, CHARLES MARTELL,

CARY GOPHER ET ROY HELMAN, fiduciaires des terres

des Saulteux dues en vertu d'un traité

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                                                                                  (défendeurs)

et

PEACE HILLS TRUST COMPANY et KELLY BITTERNOSE

                                                                                                                                              défenderesses

                                                                                                                                          (demanderesses)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]                 La présente requête soulève dans un nouveau contexte la sempiternelle question de la compétence de la Cour fédérale. Les fiduciaires d'une fiducie constituée aux fins de la gestion de sommes d'argent se rapportant à des terres dues en vertu d'un traité poursuivent leurs banquiers en alléguant que ces derniers ont détourné les fonds de la fiducie à des fins non autorisées par celle-ci. L'action est intentée devant la Cour fédérale conformément à une clause d'un accord connexe par lequel les parties qui ont constitué la fiducie s'engagent à reconnaître la compétence de la Cour fédérale. Les banquiers, qui ne sont pas parties à cet accord, contestent que la Cour fédérale ait la compétence voulue pour entendre l'action. Si c'est le cas, je dois déterminer si la présente affaire relève de la compétence de la Cour fédérale.


[2]                 Le litige ici en cause porte sur l'utilisation des fonds versés conformément à la procédure relative aux droits fonciers issus de traités en Saskatchewan, en vertu de laquelle la Couronne a indemnisé certaines bandes indiennes par suite de l'omission de fournir les terres promises à ces bandes dans les traités qu'elle avait conclus avec elles. Les fiduciaires (les fiduciaires) de l'accord de fiducie des Saulteux (qui sera désigné sous le nom d'accord de fiducie lorsqu'il sera question de l'accord et de fiducie lorsqu'il sera question de la fiducie constituée par l'accord), qui sont tous membres de la Première nation des Saulteux, intentent l'action contre Peace Hills Trust Company (Peace Hills), qui est le banquier de la fiducie. Dans la déclaration, il est allégué que Peace Hills et l'une de ses employées, Kelly Bitternose, ont violé les dispositions de l'accord de fiducie en utilisant les fonds de la fiducie à des fins non autorisées par l'accord de fiducie. Dans la déclaration, on énumère dix-huit cas précis dans lesquels des fonds de la fiducie ont été virés à des comptes contrôlés par la bande et par le conseil de la Première nation des Saulteux. L'accord de fiducie prévoit que la masse des fonds doit uniquement servir à l'achat de terres au profit de la Première nation des Saulteux. Les comptes auxquels les fonds ont été virés sont divers comptes de prêts ou de dettes en cours de la bande et du conseil de la Première nation des Saulteux. En plus d'une violation de l'accord de fiducie, le manquement à l'obligation fiduciaire existant entre le banquier et le client ainsi que la négligence sont allégués dans la déclaration.

[3]                 La fiducie a été constituée au moyen de l'accord de fiducie des Saulteux conclu entre la Première nation des Saulteux, les fiduciaires et la Banque de Nouvelle-Écosse, lequel a été signé le 7 avril 1993. Par un accord en date du 25 août 1995, la Banque de Nouvelle-Écosse a été remplacée par Peace Hills Trust Company (Peace Hills), qui a accepté toutes les obligations imposées par l'accord de fiducie. La fiducie a été établie aux fins de la gestion des fonds versés à la Première nation des Saulteux de façon qu'il soit fait droit à la revendication relative aux droits fonciers issus de traités.

[4]                 Peace Hills présente la requête ici en cause en vue de faire radier l'action du fiduciaire pour le motif que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre l'action. Peace Hills se fonde sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire ITO - International Terminal Operators Ltd c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, (1986) N.R. 241 (l'arrêt ITO), dans laquelle la Cour suprême du Canada a statué que les conditions à remplir pour que la Cour fédérale ait compétence étaient :

a)          une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;


b)          l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence;

c)          la loi invoquée dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où l'expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[5]                 Peace Hills soutient que la présente demande ne remplit aucune de ces conditions. Elle affirme qu'il n'existe aucune attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral, qu'il n'existe aucun ensemble de règles de droit fédérales essentiel qui constitue le fondement de l'attribution de compétence et qu'il n'existe aucune « loi du Canada » sous-tendant la demande.

[6]                 L'article 24.01 de l'accord de fiducie prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le présent accord est à tous les égards interprété en vertu des lois de la Saskatchewan et des lois du Canada qui y sont applicables et est régi par ces lois, et les parties conviennent que le principal lieu de gestion de la fiducie créée par le présent accord est situé en Saskatchewan.

[7]                 À première vue, il est difficile de constater une attribution de compétence à la Cour fédérale par une loi du Parlement fédéral qui s'appliquerait aux faits ici en cause. Il s'agit d'une action opposant des particuliers, se rapportant à des biens meubles situés en Saskatchewan détenus par une fiducie dont les fiduciaires sont tous membres de la Première nation des Saulteux et peuvent donc être considérés comme des résidents de la Saskatchewan. Aucun de ces faits n'est de nature à conférer la compétence voulue à la Cour fédérale.


[8]                 Selon l'arrêt ITO, il faut un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution de compétence. La question de savoir ce qui constitue une règle de droit fédérale est plus complexe que la simple question de la compétence législative. Comme Monsieur le juge en chef Laskin l'a dit dans l'arrêt Rhine Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, à la page 447, (1980) 34 N.R. 290 :

[...] Est-il nécessaire d'ajouter qu'on ne peut invariablement attribuer les « contrats » ou les autres créations juridiques, comme les délits et quasi-délits, au contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même que la common law, comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial.

Dans la décision Rhine, précitée, la question des règles de droit fédérales était liée au régime légal détaillé qui régissait les circonstances dans lesquelles le contrat était créé. Le rejet de l'allégation selon laquelle le contrat relevait purement du droit provincial dépendait de ce contexte légal détaillé. Pour qualifier des lois de « règles de droit fédérales » il faut donc tenir compte du contexte.

[9]                 En outre, dans l'arrêt Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, aux pages 330 et 331, (1989), 92 N.R. 241, la Cour suprême a reconnu qu'il y a souvent un chevauchement entre les deuxième et troisième éléments du critère énoncé dans l'arrêt ITO :

Bien qu'il y ait nettement un chevauchement entre les deuxième et troisième éléments du critère applicable pour établir la compétence de la Cour fédérale, le deuxième, tel que je le comprends, exige qu'il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l'objet de la contestation, en l'espèce le droit relatif aux Indiens et à leurs intérêts dans les terres des réserves, et le troisième, que la loi spécifique qui servira à trancher le litige soit « une loi du Canada » au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. On n'aura aucune difficulté à respecter le troisième élément du critère si le litige doit être tranché en fonction d'un texte de loi fédéral existant. Comme on le verra [page 302], des problèmes peuvent cependant surgir si la loi du Canada invoquée est non pas un texte de loi fédéral mais ce qu'on appelle de la « common law fédérale » , ou si la loi fédérale n'est pas la seule applicable à la question en litige.


[10]            En ce qui concerne la common law fédérale, le passage suivant de l'arrêt R. c. McNamara Construction (Western) Ltd., [1977] 2 R.C.S. 654, (1977), 13 N.R. 181 est instructif. Le juge en chef Laskin cite d'abord l'arrêt Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitée, [1977] 2 R.C.S. 1054, (1976) 9 N.R. 471, et décrit ensuite la notion de common law fédérale :

... Il est bon de rappeler que le droit relatif à la Couronne a été introduit au Canada comme partie du droit constitutionnel ou du droit public de la Grande-Bretagne; on ne peut donc prétendre que ce droit relève du droit provincial. Dans la mesure où la Couronne, en tant que partie à une action, est régie par la common law, il s'agit de droit fédéral pour la Couronne du chef du Canada, au même titre qu'il s'agit de droit provincial pour la Couronne du chef d'une province, qui, dans chaque cas, peut être modifié par le Parlement ou la législature compétente. Il n'est pas question en l'espèce de droit de la Couronne.

On ne peut conclure de cet extrait qu'il suffit à la Couronne d'être partie à un contrat qu'elle invoque dans son action à titre de demanderesse pour que l'exigence relative à la législation fédérale applicable soit remplie. La situation est différente si la responsabilité de la Couronne est en cause car il existe des règles de common law en matière de responsabilité contractuelle et de non-responsabilité délictuelle de la Couronne, règles cependant considérablement modifiées par la législation. Lorsqu'il ne s'agit pas de la responsabilité de la Couronne mais de celle de l'autre partie à un contrat bilatéral, la situation n'est plus la même quant au droit de la Couronne d'obliger cette personne à agir en défense dans une action intentée en Cour fédérale.


[11]            Si j'applique cette analyse aux faits de la présente affaire tels qu'ils ont ci-dessus été énoncés, il existe peu de motifs à l'appui de la compétence de la Cour fédérale. Le litige porte sur les droits de bandes indiennes, sur lesquels la Cour fédérale a parfois compétence, mais il n'est pas lié d'une façon inextricable aux règles de droit fédérales. De fait, le droit régissant les fiducies, dans la mesure où il est en litige, se rapporte à une fiducie située en Saskatchewan, dont les fiduciaires sont en Saskatchewan et dont l'objet se rapporte à des biens meubles, à savoir de l'argent ou des comptes. Dans la mesure où le droit régissant les fiduciaires ou le droit en matière de négligence sont en cause, comme le droit régissant les fiducies, la « Couronne, en tant que partie à une action, [n']est [pas] régie » par ces règles de droit; par conséquent, il ne s'agit pas de règles de droit fédérales à ces fins. Je conclus donc qu'il n'existe pas d'ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence et qu'aucune loi du Canada ne donne naissance à la demande.

[12]            Par conséquent, à première vue, rien ne permet de dire que la présente affaire relève de la compétence de la Cour fédérale. Toutefois, les demandeurs signalent l'ensemble d'accords conclus entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada (la Couronne fédérale), Sa Majesté la Reine du chef de la Saskatchewan (la Couronne provinciale) et la Première nation des Saulteux, soit en sa propre qualité soit en qualité d'une des bandes indiennes de la Saskatchewan qui ont droit à une indemnité parce que la Couronne ne lui a pas attribué les terres promises dans les traités nos 4, 6 et 10 (les bandes ayant droit à des terres). Les demandeurs affirment que ces accords créent le lien nécessaire avec la compétence de la Cour fédérale. En particulier, ce lien est créé par une disposition des accords pertinents par laquelle les parties s'engagent à ce que tout différend se rapportant à l'interprétation et à l'application des accords soit réglé par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada.


[13]            La Couronne fédérale et la Couronne provinciale ont versé aux fiduciaires les fonds qui constituent la masse de la fiducie de façon à remplir l'obligation que la Couronne a envers la Première nation des Saulteux conformément à deux accords. L'accord initial est l'accord-cadre en matière de droits fonciers issus de traités en Saskatchewan (l'accord-cadre), qui servait de fondement aux fins de la conclusion de tous les accords subséquents en matière de droits fonciers issus de traités entre les Couronnes fédérale et provinciale et les bandes individuelles. L'accord-cadre, qui a été conclu entre la Couronne fédérale, la Couronne provinciale et les bandes ayant droit à des terres, a été signé le 22 septembre 1992.

[14]            Le but général de l'accord-cadre est énoncé au paragraphe T du préambule, qui est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Malgré les paragraphes N, Q, R et S susmentionnés, [lesquels indiquent les divergences d'opinions existant entre les parties sur certains points] le Canada et chacune des bandes ayant droit à des terres ont entre autres convenu que les obligations non exécutées en matière de droits fonciers issus de traités que le Canada a envers pareilles bandes seront remplies conformément aux conditions et aux dispositions du présent accord.

[15]            À cette fin, les parties se sont entendues sur une vaste gamme de questions, comme en faisait foi non seulement l'accord-cadre, mais aussi des accords types destinés à être utilisés aux fins de la conclusion d'accords entre la Couronne fédérale, la Couronne provinciale et les bandes individuelles ayant droit à des terres, y compris la Première nation des Saulteux. En particulier, l'accord-cadre était joint à un accord type particulier et à un accord de fiducie type. L'accord particulier est un genre d'accord qui est destiné à incorporer les dispositions de l'accord-cadre dans un accord entre la Couronne fédérale, la Couronne provinciale et une bande individuelle. L'accord de fiducie type est un accord destiné à être utilisé avec chaque accord particulier en vue de permettre la gestion des fonds à payer conformément aux objectifs des deux accords.

[16]            L'accord-cadre renferme une définition du mot « accord » qui se lit comme suit :


« accord » , « le présent accord » , « aux présentes » , « dans les présentes » , « ci-après » et autre expression semblable, ainsi que toute référence à l' « accord-cadre » Sauf disposition contraire, s'entendent du présent accord, y compris son préambule, ses annexes, ses appendices, mais non un article, paragraphe, alinéa ou toute autre subdivision.

[17]            L'accord-cadre renferme également les clauses ci-après énoncées qui sont ici pertinentes :

[TRADUCTION]

20.09 Le présent accord est régi par toutes les lois applicables, y compris les lois de la Saskatchewan et les lois du Canada qui s'y appliquent, et est interprété conformément à ces lois.

20.20 Malgré l'article 19, à l'exception des questions à l'égard desquelles il a été convenu de procéder à l'arbitrage aux termes de l'article 19.02 en cas de différend entre les parties, notamment sur une question d'interprétation d'un terme, d'un engagement, d'une condition ou d'une disposition du présent accord, le règlement de pareil différend et l'exécution y afférente relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada.

(ci-après désignée comme étant la « clause de reconnaissance » )

[18]            Afin de donner effet à l'accord-cadre, il a fallu édicter certaines lois. La loi fédérale était la Loi sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan, L.C. 1993, ch. 11 (la Loi). Les dispositions de la Loi se rapportent à l'allégation selon laquelle il y a attribution légale de compétence; nous les examinerons donc d'une façon passablement détaillée. La définition de l' « accord-cadre » figurant à l'article 2 de la Loi fait mention de l'accord-cadre qui a été signé le 22 septembre 1992 (c'est-à-dire de l'accord-cadre ici en cause) « dont certaines dispositions figurent à l'annexe II » . L'examen de l'annexe II montre qu'elle incorpore les dispositions de l'accord-cadre portant sur les droits environnementaux et riverains et sur les accords de gestion partagée relatifs aux nappes d'eau. La clause de reconnaissance ne figure pas à l'annexe II.


[19]            Les modifications apportées à la Loi concernant le transfert des ressources naturelles, qui étaient nécessaires en vue de donner effet à certaines parties de l'accord-cadre, sont ratifiées à l'article 3 de la Loi. En vertu de l'article 4, un compte se rapportant aux droits fonciers issus de traités est ouvert parmi les comptes du Canada; les sommes à porter au crédit de ce compte y sont désignées. L'article 5 prévoit que les sommes portées au débit ou au crédit du compte ne constituent pas de l'argent des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens. L'article 6 traite des sommes reçues par le receveur général avant la mise de côté des terres dues en vertu d'un traité.

[20]            L'article 7 de la Loi confirme les articles 6.04, 6.05 et 6.11 de l'accord-cadre, qui sont des dispositions confirmant le pouvoir des bandes ayant droit à des terres de conclure certains types d'accords. Les articles 9 et 10 traitent de la cession de terres indiennes et du transfert de droits miniers. L'article 11 porte sur l'octroi des avantages prévus dans l'accord-cadre à certaines bandes qui ne font pas partie des bandes ayant droit à des terres.

[21]            Il importe de noter que la Loi n'incorpore pas l'accord-cadre, sauf en ce qui concerne les clauses énoncées à l'annexe II et les dispositions qui sont confirmées à l'article 7. Par conséquent, la clause de reconnaissance continue à être uniquement de nature contractuelle plutôt que législative.


[22]            Après que la Loi sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan eut été édictée, la Couronne fédérale et la Couronne provinciale ont conclu l'accord sur les droits fonciers issus de traités des Saulteux (l'accord concernant la bande des Saulteux) avec la Première nation des Saulteux en utilisant l'accord type qui faisait partie de l'accord-cadre. Cet accord a été signé le 7 avril 1993. Une copie signée de l'accord de fiducie des Saulteux en date du 7 avril 1993 était jointe à cet accord. Aux fins de la présente requête, les dispositions suivantes de l'accord concernant la bande des Saulteux sont pertinentes.

[TRADUCTION]

1.03 Les appendices ci-après énumérés sont joints et incorporés au présent accord et doivent être signés par les parties qui y sont désignées :

1- Accord de fiducie [...]

20.18 Malgré l'article 19, à l'exception des questions à l'égard desquelles il a été convenu de procéder à l'arbitrage aux termes de l'article 19.02 en cas de différend entre les parties, notamment sur une question d'interprétation d'un terme, d'un engagement, d'une condition ou d'une disposition du présent accord, le règlement de pareil différend et l'exécution y afférente relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada.

(également désignée comme étant la « clause de reconnaissance » )

[23]            Compte tenu de ce cadre contractuel et législatif, les fiduciaires soutiennent que leur demande satisfait aux exigences énoncées dans l'arrêt ITO. Ils affirment que le fait que la Loi a été édictée afin de donner effet à l'accord-cadre doit être considéré comme ayant pour effet de ratifier la clause de reconnaissance et d'effectuer une attribution légale de compétence. Je ne trouve pas cet argument convaincant. Aucune disposition de la Loi sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan ne peut être interprétée comme conférant la compétence voulue à la Cour fédérale à l'égard de l'objet de la Loi. La compétence sur un objet particulier, ou sur des parties particulières, pourrait exister indépendamment de la Loi, mais il n'y a rien dans la Loi qui créerait une nouvelle compétence ou qui élargirait la compétence de la présente cour.


[24]            Il a été soutenu que la Cour a compétence sur les parties parce qu'il a été jugé que les conseils de bandes indiennes sont un « office fédéral » au sens de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. C'est exact en ce qui concerne une procédure de contrôle judiciaire, mais cela ne veut pas pour autant dire que la Cour fédérale a compétence sur toute opération dans laquelle le conseil d'une bande indienne est en cause. Même si c'était le cas, les demandeurs ne sont pas un conseil de bande indienne, mais un groupe de fiduciaires.

[25]            Par conséquent, les conditions énoncées dans l'arrêt ITO ne peuvent pas être remplies. Il n'y a pas d'attribution légale de compétence ou d'ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution de compétence, et ce, d'autant plus que la Couronne fédérale n'est pas partie à l'action. Enfin, la cause d'action ne découle pas d'une loi du Canada puisque les droits du fiduciaire sont fermement ancrés dans l'accord de fiducie plutôt que dans une loi fédérale ou dans la common law fédérale.

[26]            Toutefois, ce n'est pas tout; en effet, l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, semble conférer une compétence sur consentement, auquel cas la clause de reconnaissance pourrait suffire afin de conclure que la Cour a compétence pour entendre la présente demande.

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

17. (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Trial Division has concurrent original jurisdiction in all cases where relief is claimed against the Crown.

(2) La Section de première instance a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par_:

a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d'argent appartenant à autrui;

(2) Without restricting the generality of subsection (1), the Trial Division has concurrent original jurisdiction, except as otherwise provided, in all cases in which

(a) the land, goods or money of any person is in the possession of the Crown;

b) un contrat conclu par ou pour la Couronne;

c) un trouble de jouissance dont la Couronne se rend coupable;

d) une demande en dommages-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.

(b) the claim arises out of a contract entered into by or on behalf of the Crown;

(c) there is a claim against the Crown for injurious affection; or

(d) the claim is for damages under the Crown Liability and Proceedings Act.

(3) La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour les questions suivantes_:

a) le paiement d'une somme dont le montant est à déterminer, aux termes d'une convention écrite à laquelle la Couronne est partie, par la Cour fédérale -- ou l'ancienne Cour de l'Échiquier du Canada -- ou par sa Section de première instance;

(3) The Trial Division has exclusive original jurisdiction to hear and determine the following matters:

(a) the amount to be paid where the Crown and any person have agreed in writing that the Crown or that person shall pay an amount to be determined by the Federal Court, the Trial Division or the Exchequer Court of Canada; and

b) toute question de droit, de fait ou mixte à trancher, aux termes d'une convention écrite à laquelle la Couronne est partie, par la Cour fédérale -- ou l'ancienne Cour de l'Échiquier du Canada -- ou par sa Section de première instance.

(b) any question of law, fact or mixed law and fact that the Crown and any person have agreed in writing shall be determined by the Federal Court, the Trial Division or the Exchequer Court of Canada.

(4) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d'une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l'objet de demandes contradictoires.

(4) The Trial Division has concurrent original jurisdiction to hear and determine proceedings to determine disputes where the Crown is or may be under an obligation, in respect of which there are or may be conflicting claims.

(5) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées_:

(5) The Trial Division has concurrent original jurisdiction

a) au civil par la Couronne ou le procureur général du Canada;

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits -- actes ou omissions -- survenus dans le cadre de ses fonctions.

[non souligné dans l'original]

(a) in proceedings of a civil nature in which the Crown or the Attorney General of Canada claims relief; and

(b) in proceedings in which relief is sought against any person for anything done or omitted to be done in the performance of the duties of that person as an officer, servant or agent of the Crown.

(emphasis added)

[27]            L'argument en faveur de la compétence sur consentement découle de l'alinéa 17(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, qui traite de la compétence acquise aux termes d'une convention écrite à laquelle la Couronne est partie. Dans ce cas-ci, la clause de reconnaissance figurant dans l'accord concernant la bande des Saulteux est une convention écrite entre la Couronne et une autre personne (les membres de la bande représentés par le conseil de la bande) conférant la compétence voulue à la Cour fédérale à l'égard de l'interprétation et de l'application de l'accord particulier qui, de son côté, incorpore par renvoi l'accord de fiducie. À première vue, il semble qu'entre la Couronne et la bande, pareille convention ait pour effet de conférer la compétence voulue à la Cour à l'égard de l'accord particulier. De là, il n'y a qu'un pas à faire pour se demander si cet accord lie des personnes qui ne sont pas partie à la convention conférant la compétence en question.


[28]            Cependant, l'article 17 de la Loi exige un examen plus approfondi. La lecture du paragraphe 17(1) montre qu'il confère une compétence concurrenteà la Cour fédérale dans les cas de demande de réparation contre la Couronne. La lecture du paragraphe 17(3) montre qu'une compétence exclusiveest conférée dans les cas où il existe une convention écrite à laquelle la Couronne est partie. Par conséquent, l'importance du paragraphe 17(3) ne découle pas du fait qu'il confère une compétence sur consentement, mais qu'il confère une compétence exclusive sur consentement. Le paragraphe 17(3) ne semble donc pas élargir la compétence de la Cour, en ce sens qu'il conférerait une compétence qui puisse être élargie sur consentement. L'effet du paragraphe 17(3) n'est pas d'élargir la compétence de la Cour fédérale, mais d'éliminer la compétence de la Cour supérieure provinciale.

[29]            Le paragraphe 17(3) conférerait-il une compétence exclusive dans un cas où la Cour n'avait pas antérieurement compétence? Les arrêts semblent tous dire que la compétence ne peut pas être acquise sur consentement, du moins lorsque la compétence d'un tribunal découle d'une loi. Ainsi, dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437, (1987), 13 F.T.R. 52, Monsieur le juge McNair a statué ce qui suit :

La loi est claire : le consentement ou l'accord des parties ne peut conférer compétence à une cour lorsqu'une telle compétence n'existe pas. C'est particulièrement le cas d'une cour comme la Cour fédérale qui tire son existence de la loi et dont la compétence est définie et limitée par sa loi constitutive.

[30]            En tirant cette conclusion, le juge s'est fondé sur les arrêts suivants qu'il a cités :

[TRADUCTION] ... à mon avis, c'est un principe fondamental qu'aucun consentement ne peut habiliter une cour ou un tribunal possédant une compétence limitée à outrepasser cette compétence...

Essex Incorporated Congregational Church Union v. Essex County Council, [1963] A.C. 808 (H.L.), lord Reid, pages 820 et 821.


[TRADUCTION] Lorsque la loi ne confère pas à une cour la compétence sur une question, aucun consentement - pas même un consentement exprès - ne peut la rendre compétente.

Dominion Canners Ltd. v. Costanza, [1923] S.C.R. 46, aux pages 66 et 67, [1923] 1 D.L.R. 551.

[31]            La conclusion qui s'impose est que la compétence qui est acquise sur consentement au paragraphe 17(3) de la Loi est la compétence exclusive à l'égard d'une demande sur laquelle la Cour aurait par ailleurs une compétence concurrente. Comme il en a ci-dessus été fait mention, il ne s'agit pas tant d'acquérir la compétence que d'éliminer la compétence concurrente de la Cour supérieure provinciale.

[32]            Si cette conclusion est exacte, cela veut dire que la Couronne et Peace Hills ne pourraient pas conférer la compétence voulue à la Cour au moyen d'une convention écrite parce qu'en l'espèce, il n'y a rien qui relève de la compétence de la Cour. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle une réparation est demandée à l'encontre de la Couronne. Il ne s'agit pas d'une demande de contrôle judiciaire au sens de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Il ne s'agit pas d'une demande opposant des administrés « en vertu du droit canadien » ne ressortant pas à un tribunal au sens de l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale. De toute évidence, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a compétence sur le présent litige, et ce, même s'il était démontré qu'il a pris naissance en vertu d'une loi du Canada.


[33]            Une situation analogue s'est produite dans l'arrêt Armeco Construction Ltd. c. Canada, [1995] A.C.F. no 473 (1re inst.), conf. [1995] A.C.F. no 1561 (C.A.), qui se rapportait à un litige entre la Couronne et un entrepreneur. Étant donné que l'on avait tardé à réaliser le projet, l'entrepreneur avait intenté une action en dommages-intérêts contre la Couronne, en sollicitant notamment des dommages-intérêts que l'entrepreneur pourrait être tenu de payer à ses sous-traitants, que l'entrepreneur cherchait à recouvrer de la Couronne. Il s'agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour statuer sur les demandes entre l'entrepreneur et le sous-traitant dans le contexte d'une demande entre la Couronne et l'entrepreneur. La Cour a statué ce qui suit :

[...] L'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, tel qu'il existait avant les modifications effectuées en février 1992 et au moment où l'action principale a été intentée, conférait à la Cour fédérale une compétence exclusive dans tous les cas où un recours était exercé contre l'État. Les arrêts portant sur la question d'ordre juridictionnel de la Cour fédérale ont de fait limité la compétence de cette dernière en ce qui concerne les litiges entre l'État et des tiers. Partant, seules les parties au contrat passé avec l'État peuvent réclamer une indemnité devant la Cour fédérale. Dans l'arrêt Western Caissons, le juge en chef de la Cour fédérale, qui siégeait en appel, a statué que la compétence de la Cour ne s'étendait pas aux procédures mettant en cause des sous-traitants et l'entrepreneur principal.

Armeco, précité, paragraphe 19 (non souligné dans l'original)

[34]            À mon avis, le principe énoncé dans l'arrêt Armeco ne se rapporte pas à la question de la connexité contractuelle, mais au fait que la compétence conférée à la Cour fédérale à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale est limitée aux personnes qui ont passé un contrat avec la Couronne et ne s'étend pas aux personnes qui présentent une demande par l'entremise d'une partie contractante. Ce principe s'applique, et ce, peu importe que la Cour fédérale ait une compétence exclusive ou concurrente, de sorte que les modifications apportées par la suite à l'article 17, dont le juge de première instance a fait mention, n'influent pas sur le résultat.


[35]            En fin de compte, j'estime que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre la présente action. Il s'agit d'une action entre particuliers découlant d'un accord de fiducie qui a été conclu en Saskatchewan par des parties résidant en Saskatchewan à l'égard d'une fiducie dont le situs est en Saskatchewan. La clause de reconnaissance constitue l'unique lien avec la compétence de la présente Cour, mais cela n'est pas suffisant pour conférer à la Cour la compétence voulue parce que ni la clause en question ni le paragraphe 17(3) de la Loi ne peuvent élargir la compétence conférée à la Cour dans la Loi sur la Cour fédérale. Même si la clause de reconnaissance pouvait conférer la compétence voulue, ce ne pourrait être qu'en faveur de personnes qui ont passé un contrat avec la Couronne, ce que ni l'une ni l'autre des parties ne peuvent alléguer avoir fait en l'espèce.

[36]            Ce résultat n'est pas incompatible avec certains des arguments de principe que les demandeurs ont soulevés à l'appui de la compétence de la Cour fédérale. Les demandeurs affirment qu'étant donné que la Cour fédérale a compétence pour examiner l'accord-cadre et l'accord particulier, elle devrait assumer la compétence voulue pour examiner l'accord de fiducie de façon que tous les accords soient interprétés d'une façon uniforme. Il ne faut pas considérer comme acquis que la Cour fédérale a compétence sur toutes les questions découlant de l'accord-cadre et de l'accord particulier. Ainsi, l'une des questions découlant de ces accords est celle des servitudes aux fins des services publics. Dans la mesure où certains services publics sont des sociétés d'État provinciales exerçant leurs activités en vertu de lois d'application générale de la Saskatchewan, il se peut que le lien avec la compétence de la Cour fédérale doive être établi. Quant à la question de l'interprétation uniforme de l'accord de fiducie ici en cause et des accords de fiducie concernant diverses autres bandes, la Cour du Banc de la Reine peut comme la présente Cour assurer une uniformité interne.


[37]            Il a été soutenu dans les plaidoiries qu'il peut exister une demande reconventionnelle contre les fiduciaires et que pareille demande reconventionnelle pourrait uniquement être entendue par la Cour fédérale. Le cas échéant, cette question sera tranchée selon les faits qui lui sont propres, mais comme la question qui est ci-dessus soulevée, le lien avec la compétence de la Cour fédérale devra peut-être bien être démontré en pareil cas. À coup sûr, l'existence ou l'inexistence de la compétence de la Cour fédérale à l'égard de l'action ici en cause n'a aucunement pour effet de déterminer la compétence en ce qui concerne une demande reconventionnelle contre les fiduciaires. Il a également été soutenu que Peace Hills pourrait invoquer la compensation en ce qui concerne les fonds de la fiducie qui auraient censément été détournés et la dette que la bande et le conseil ont envers elle. Il a été affirmé qu'il s'agit d'un motif permettant à la Cour fédérale d'assumer sa compétence. Encore une fois, il est uniquement possible de dire, à l'heure actuelle, que le lien existant entre pareille demande et la compétence de la présente Cour devrait peut-être être démontré puisqu'il ne serait pas nécessairement évident aux yeux de certaines personnes.

[38]            L'avocat des demandeurs a sollicité l'autorisation de modifier ses actes de procédure au cas où il serait conclu que l'omission d'invoquer l'accord-cadre ou l'accord particulier entre en ligne de compte dans le règlement de la présente requête. À mon avis, le problème de la compétence touche au fond et il ne peut pas y être remédié au moyen de la modification des actes de procédure.


ORDONNANCE

Pour ces motifs, la requête est accueillie et la déclaration est rejetée pour défaut de compétence. Étant donné que le litige porte sur une question de compétence qui a autant d'importance pour une partie que pour l'autre, chaque partie devrait supporter ses propres dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         T-284-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       HARVEY THOMAS ET AUTRES

c.

PEACE HILLS TRUST COMPANY ET KELLY BITTERNOSE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 24 AVRIL 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 8 MAI 2001

ONT COMPARU

RAY BLAIS                                                                      POUR LES DEMANDEURS

DORIS REIMER                                                              POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

LINDGREN, BLAIS, FRANK ET HEINRICHS          POUR LES DEMANDEURS

NORTH BATTLEFORD (SASKATCHEWAN)

OLIVE WALLER ZINKHAN ET WALLER                 POUR LES DÉFENDERESSES

REGINA (SASKATCHEWAN)

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