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Date : 20010510

Dossier : T-994-99

                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 467

ENTRE :

                                       DOROTHY SIMON

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

                        LA NATION CRIE DE SAMSON et

                                  MARVIN LITTLECHILD

                                                                                                 défendeurs

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du superviseur des élections de la Nation crie de Samson, Marvin Littlechild, (le superviseur des élections) de rayer le nom de la demanderesse de la liste des candidats au conseil. Cette décision a été rendue le 17 mai 1999 et la demanderesse l'a reçue le 18 mai 1999.


LES FAITS

[2]    Vers le mois de mars 1999, Marvin Littlechild a été nommé par le chef et le conseil de la Bande de Samson pour agir en qualité de superviseur des élections en vue de l'élection prochaine de la bande.

[3]    Le 5 mai 1999, la candidature de la demanderesse au poste de conseillère a été approuvée pour l'élection du conseil de bande de la Nation crie de Samson prévue pour le 20 mai 1999.

[4]    Sur le formulaire d'acceptation de candidature en date du 6 mai 1999 qu'elle a remis au superviseur des élections, la demanderesse a dit qu'elle résidait ordinairement dans les réserves de Samson et de Pigeon Lake depuis au moins six mois immédiatement avant les élections de 1999.

[5]    Le samedi 8 mai 1999, le superviseur des élections a reçu une lettre l'informant que la demanderesse résidait en fait à Wetaskiwin. Vers le lundi 10 mai 1999, l'agent d'élection a reçu douze appels de membres de la bande qui se plaignaient de l'inscription du nom de la demanderesse sur la liste des candidats alors qu'elle résidait à Wetaskiwin. Une plainte écrite a en outre été reçue le 14 mai 1999.


[6]                 Le 13 mai 1999, le superviseur des élections a avisé la demanderesse des plaintes concernant son lieu de résidence. Le 18 mai 1999, le superviseur des élections a rencontré la demanderesse et lui a remis une copie d'une lettre en date du 17 mai 1999 qui disait ce qui suit :

[TRADUCTION] J'ai le regret de vous informer que votre candidature susmentionnée ne sera pas possible en raison de l'alinéa 3c) de la loi électorale de Samson (8 mars 1993).

[7]                 Les élections ont eu lieu le 20 mai 1999 et le nom de la demanderesse ne figurait pas sur la liste des candidats.

LA QUESTION EN LITIGE

[8]                 Le superviseur des élections a-t-il outrepassé sa compétence en déclarant la demanderesse inhabile et en rayant son nom de la liste des candidats après l'assemblée de mise en candidature?

ANALYSE

[9]                 La demanderesse soutient que la compétence du superviseur des élections a pris fin à la conclusion de l'assemblée de mise en candidature lors de laquelle il a accepté sa candidature et il était convaincu qu'elle satisfaisait aux conditions de résidence fixées par la Samson Election Law (la loi électorale).


[10]            La demanderesse fait aussi valoir que toute plainte relative à l'éligibilité d'un candidat doit prendre la forme d'une demande présentée après l'élection à la commission d'appel en vertu de l'alinéa 82b) de la loi électorale. Par conséquent, les plaintes reçues par le superviseur des élections avant l'élection ne prolongeaient pas sa compétence au-delà de l'assemblée de mise en candidature.

[11]            Le superviseur des élections soutient que l'article 16 de la loi électorale, qui lui confère le pouvoir de veiller à l'entière administration et au processus de l'élection, n'est pas limité par les autres dispositions de la Loi électorale mentionnées par la demanderesse.

[12]            Le superviseur des élections affirme en outre que le fait qu'aucun processus ne soit établi pour constater l'inhabilité des candidats avant l'élection n'emporte pas son incompétence pour déclarer un candidat inhabile. Ainsi, si le superviseur des élections apprend qu'une personne n'est pas éligible avant l'élection, le pouvoir que lui confère l'article 16 comprend celui de déclarer les candidats inhabiles pour préserver l'intégrité du processus électoral.

[13]            Quant à la Nation crie de Samson, elle fait valoir que la décision du superviseur des élections était correcte étant donné que la preuve établit clairement que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions relatives à la résidence qu'elle devait remplir pour être candidate à l'élection de mai 1999.


[14]            L'article 16 énumère les fonctions du superviseur des élections :

[TRADUCTION]

16.           Le superviseur des élections est reconnu comme la personne autorisée à veiller à l'entière administration et au processus de l'élection. Le superviseur des élections s'acquitte notamment des responsabilités suivantes :

a)             planifier et préparer l'élection,

b)             assigner des tâches et donner des directives à ses assistants,

c)             assurer une surveillance, présenter des rapports d'avancement et rester en contact au besoin avec le conseil de la Nation crie de Samson et les membres intéressés de la Nation de Samson,

d)             obtenir les renseignements et documents requis de l'administration tribale de la Nation crie de Samson,

e)             dresser une liste des électeurs de Samson et d'autres listes pour les afficher comme il se doit,

f)             connaître toutes les dispositions de la loi électorale.

[15]            Les articles 21 et 22 de la loi électorale portent sur les mises en candidature en vue des élections :

[TRADUCTION]

21.           Au moins six (6) jours consécutifs avant la date de l'assemblée de mise en candidature, le superviseur des élections affiche au bureau de l'administration tribale de la Nation crie de Samson et aux autres endroits publics situés sur la réserve Samson qu'il juge nécessaires, un avis faisant état des éléments suivants :

a)             la date, l'heure et le lieu de l'assemblée de mise en candidature;

b)             le poste ou les postes à combler au moyen de l'élection;

c)             une copie de la liste des électeurs de Samson à cette date;

d)             une liste des noms et adresses de toutes les personnes nommées à la commission d'appel des élections de Samson;

e)             une copie de la présente déclaration;

f)             le nom des agents de sécurité désignés.

22.           Sauf maladie ou autre excuse raisonnable, le superviseur des élections assiste à l'assemblée de mise en candidature à l'heure, à la date et à l'endroit indiqués dans l'avis prévu au paragraphe 21; il ouvre et préside l'assemblée.

23.           [...]

24.           Comme élément suivant de l'ordre des travaux, les électeurs éligibles qui le désirent se voient accorder l'occasion de proposer ou d'appuyer la candidature de toute personne habile à devenir candidat à un poste à la condition de fournir au superviseur des élections une preuve, qu'il juge convaincante, établissant que cette personne satisfait aux conditions relatives à l'âge et à la résidence fixées par les alinéas 3a) et 3c).


25.           Le superviseur des élections inscrit le nom de toute personne dont la mise en candidature est approuvée et le nom de toutes les personnes qui ont proposé ou appuyé sa candidature.

26.           Au moment de l'approbation de chaque candidature, le superviseur des élections confirme à l'assemblée que le candidat proposé à un poste et les personnes qui ont proposé et appuyé sa candidature sont des électeurs éligibles et qu'une preuve de l'âge et de la résidence du candidat a été fournie conformément au paragraphe 24.

[16]            L'article 24 exige une preuve, que le superviseur des élections juge convaincante, établissant que le candidat proposé satisfait aux conditions relatives à l'âge et à la résidence fixées par les alinéas 3a) et 3c). Voici ce que prévoient les alinéas 3a) et 3c) de la loi électorale :

[TRADUCTION] Sous réserve du paragraphe 4, est éligible et peut se porter candidat à l'élection au poste de chef ou de conseiller toute personne qui :

a)             a vingt-et-un (21) ans révolus;

b)             [...]

c)             réside ordinairement dans la réserve de Samson ou de Pigeon Lake depuis au moins six (6) mois immédiatement avant l'élection

[17]            L'article 71 de la loi électorale établit la procédure à suivre lorsque la preuve fournie au superviseur des élections est insuffisante :

[TRADUCTION]

71.           Toute personne dont la candidature a été proposée conformément au paragraphe 24 mais à l'égard de laquelle la preuve fournie au superviseur des élections pour établir qu'elle satisfait aux conditions relatives à l'âge et à la résidence fixées par les alinéas 3a) et 3c) n'est pas suffisante peut, au plus tard le lendemain de l'assemblée de mise en candidature, signifier au superviseur des élections une demande écrite en vue de faire modifier la liste des candidats pour y inclure son nom.

[18]            L'article 74 dispose :

[TRADUCTION]

74.           Le superviseur des élections examine et tranche les demandes présentées en vertu du paragraphe 71 dans les deux jours suivant l'assemblée de mise en candidature.


[19]            Voici ce que prévoit l'article 75 de la loi électorale :

[TRADUCTION]

75.           Le superviseur des élections peut décider, à sa discrétion, de donner suite à la demande ou de refuser d'y donner suite.

[20]            La décision rendue par le superviseur des élections en vertu de l'article 75 est susceptible d'appel devant la commission d'appel des élections de Samson par application de l'article 91 de la loi électorale :

[TRADUCTION]

91.           Toute décision rendue par le superviseur des élections en vertu du paragraphe 75 peut être portée en appel par la personne dont l'âge ou la résidence fait l'objet de la décision.

[21]            Selon la demanderesse, le superviseur des élections n'a pas le pouvoir de rayer le nom d'un candidat de la liste, sauf en application de ces dispositions et de ces limites. La demanderesse fait aussi valoir que la loi électorale doit être interprétée de façon restrictive.

[22]            La demanderesse s'appuie sur l'affaire Bugle c. Lameman [1997] A.C.F. no 560 (C.F. 1re inst.) (Bugle) dans laquelle Monsieur le juge Campbell a interprété l'article 10 de la loi électorale de la tribu de Beaver Lake. Voici ce qu'a dit le juge Campbell :

D'abord, je suis d'avis que la loi électorale est le code général permettant d'élire et de destituer un chef et un membre du conseil de la première nation de Beaver Lake. Le pouvoir de destituer le chef Lameman, le cas échéant, découle donc uniquement de cette loi. À mon avis, les dispositions de la loi électorale doivent être interprétées de façon restrictive; en effet, je ne peux interpréter le sens de ces dispositions de façon libérale, car les conséquences de la destitution sont tellement graves qu'une interprétation stricte s'impose.


[23]            Le superviseur des élections plaide que l'affaire Bugle ne valide pas l'hypothèse voulant que toutes les dispositions des lois électorales des bandes doivent être interprétées de façon restrictive. Il s'agissait d'un cas d'espèce, compte tenu des conséquences graves d'une disposition particulière.

[24]            Le superviseur des élections invoque l'ouvrage de Ruth Sullivan, intitulé Statutory Interpretation, (Concord: Irwin Law, 1997), qui dit, aux pages 135 et 136 :

[TRADUCTION] Pour attribuer une interprétation valable à un texte législatif, les interprètes doivent identifier et examiner l'objet de la loi. Il s'agit notamment de l'objet de la disposition interprétée ainsi que des parties plus longues, des divisions et de l'ensemble de la loi. Après avoir identifié l'objet, on s'appuie sur celui-ci pour établir le sens du texte. On l'utilise comme une norme pour évaluer les interprétations proposées : l'interprétation qui favorise la réalisation de cet objet l'emporte sur celle qui ne la favorise pas, alors que celles qui risquent d'y faire obstacle sont écartées.

[25]            Je suis d'accord avec le superviseur des élections pour dire que l'affaire Bugle est un cas d'espèce et ne valide pas l'hypothèse voulant que toutes les dispositions des lois électorales des bandes doivent être interprétées de façon restrictive.

[26]            Toutefois, il faut aussi souligner que la loi électorale n'établit pas la procédure à suivre pour rayer un candidat éligible de la liste des candidats au conseil. Néanmoins, la liste des candidats au conseil précisait :

[TRADUCTION] L'éligibilité des candidats susmentionnés peut changer sous réserve de l'alinéa 3c) de la loi électorale de Samson (8 mars 1993).


[27]            Selon l'interprétation proposée par la demanderesse, même si le superviseur avait connaissance après l'assemblée de mise en candidature, mais avant la tenue de l'élection, qu'un candidat inscrit sur la liste ne répond pas aux conditions d'éligibilité fixées par l'article 24, ce candidat pourrait participer au processus d'élection et un candidat à l'élection devrait attendre après l'élection pour se plaindre, en vertu de l'alinéa 82b), du fait qu'un candidat n'est pas éligible.

[28]            Comme l'a fait valoir le superviseur des élections, une telle interprétation de la loi électorale laisse croire que l'écoulement du temps ou une fausse déclaration concernant l'éligibilité à l'assemblée de mise en candidature peut rendre un candidat éligible. De plus, l'interprétation proposée par la demanderesse viderait de leur sens les dispositions de la loi électorale concernant l'éligibilité et encouragerait les comportements répréhensibles dans le cadre du processus électoral.

[29]            Selon l'interprétation proposée par les superviseur des élections, l'article 16 de la loi électorale confère au superviseur des élections un vaste pouvoir de veiller à l'entière administration et au processus de l'élection. La loi électorale a pour objet de limiter les candidatures aux personnes qui satisfont au critère de résidence. Il faut tenir compte de cet objet pour interpréter la portée de la compétence du superviseur des élections de contrôler le processus et l'administration de l'élection.

[30]            Selon le superviseur des élections, l'article 4 et l'article 16 de la loi électorale, lus ensemble, laissent croire que le pouvoir du superviseur des élections englobe celui de déclarer des candidats inhabiles.


[31]            L'article 4 de la loi électorale porte sur l'inhabilité d'un chef ou d'un membre du conseil de la Nation crie de Samson.

[32]            Je suis d'avis que l'interprétation proposée par le superviseur des élections est celle qui est la plus compatible avec l'objet de la loi électorale et avec l'intention de ses rédacteurs. Il est impossible que les rédacteurs de la loi électorale aient eu l'intention de permettre à une personne qui ne satisfait pas aux conditions fixées par la loi de se porter candidate à une élection.

[33]            Par ailleurs, l'interprétation proposée par la demanderesse entraînerait le gaspillage des ressources de la Nation crie de Samson parce qu'il serait probablement nécessaire de tenir une autre élection si une personne qui ne satisfait pas aux critères fixés par la loi électorale était candidate à l'élection.

[34]            Par conséquent, je conclus que le superviseur des élections n'a pas outrepassé sa compétence en rayant le nom de la demanderesse de la liste des candidats.


[35]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur des deux défendeurs.

« Pierre Blais »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 10 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                        T-994-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                           DOROTHY SIMON

c.

LA NATION CRIE DE SAMSON ET MARVIN LITTLECHILD

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                              le 2 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                                            MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                                     le 10 mai 2001

ONT COMPARU

Me Terrance Glancy                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Me Priscilla Kennedy                                                         POUR LA DÉFENDERESSE (La Nation crie de Samson)

Me Janet Hutchison                                                            POUR LE DÉFENDEUR (Marvin Littlechild)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Royal McCrum Duckett                                                    POUR LA DEMANDERESSE

& Glancy

Edmonton (Alberta)

Parlee McLaws                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Edmonton (Alberta)                                                           (La Nation crie de Samson)

Chamberlain Hutchison                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Edmonton (Alberta)                                                           (Marvin Littlechild)

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