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Date : 19971219


Dossier : T-1257-97

ENTRE :


BELL CANADA,


Requérante,


- et -


L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE, LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER, FEMMES ACTION ET LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,


Intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


[exposés à l'audience à Ottawa (Ontario)

le jeudi, 18 décembre 1997]

LE JUGE McGILLIS

LES FAITS

[1]      La présidente du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a sollicité l'autorisation d'intervenir dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire.

[2]      En avril 1997, le Tribunal, désigné afin d'enquêter sur une plainte invoquant la discrimination en matière salariale, a entendu les témoignages et arguments produits dans le cadre d'une requête préliminaire par laquelle Bell Canada demandait au Tribunal de reconnaître qu'il n'était pas un organisme quasi judiciaire indépendant capable, institutionnellement parlant, d'assurer une audition équitable conforme aux principes de justice naturelle et de liberté fondamentale. Subsidiairement, Bell Canada demandait au Tribunal de porter la question de son indépendance devant la Cour. Pendant l'audition de la requête, le Tribunal a recueilli le long témoignage de son registraire, et reçu un ensemble considérable de preuves documentaires concernant sa structure et ses pratiques institutionnelles.

[3]      Le 4 juin 1997, le Tribunal rendait une décision aux termes de laquelle le Tribunal avait bien la compétence nécessaire pour se prononcer sur sa propre indépendance. Le Tribunal a par conséquent refusé de porter cette question devant la Cour. Le Tribunal a également conclu, se prononçant au fond sur la question évoquée devant lui, qu'il était (Traduction) " ...un organisme quasi judiciaire indépendant capable, institutionnellement parlant, d'assurer une audition équitable conforme aux principes de justice naturelle et de liberté fondamentale ".

[4]      Le 10 juin 1997, Bell Canada déposait un avis de requête introductive d'instance sollicitant l'annulation de cette décision, notamment pour les motifs suivants :

         (Traduction)                 
         i)      Le Tribunal a outrepassé sa compétence, a agi sans compétence et commis une erreur de droit, allant ainsi à l'encontre du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, en décidant qu'il est bien un organisme quasi judiciaire indépendant capable, institutionnellement parlant, d'assurer une audition équitable conforme aux principes de justice naturelle, et cela, malgré les liens institutionnels le rattachant à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) comparaissant devant lui en tant que partie intéressée;                 

         ii)      Le Tribunal a outrepassé sa compétence, a agi sans compétence et commis une erreur de droit, contrairement au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, en décidant qu'il est un organisme quasi judiciaire indépendant capable, institutionnellement parlant, d'assurer une audition équitable conforme aux principes de justice naturelle, bien qu'il soit lié par les directives en matière de parité salariale émises par la Commission, qui comparaît devant lui en tant que partie intéressée;                 

[5]      Le 16 juin 1997, le juge Richard rendait une ordonnance joignant la demande déposée dans le cadre du présent dossier à deux demandes connexes de contrôle judiciaire. Il enjoignait également aux parties de présenter un seul dossier de demande et de s'en tenir à un calendrier exigeant que l'ensemble des documents soient déposés au plus tard le 22 septembre 1997.

[6]      Le 8 août 1997, le juge en chef adjoint fixait par ordonnance la date de l'audience au 19 janvier 1998.

LA QUESTION À TRANCHER

[7]      Il s'agit en l'espèce de dire si la présidente du Tribunal doit être autorisée à intervenir dans le cadre de cette affaire.

ANALYSE

[8]      Les principes permettant de dire si un tribunal administratif peut ou non prendre part à une procédure d'appel ou de contrôle judiciaire ont été énoncés par le juge Estey dans un arrêt qui a fixé la jurisprudence; l'arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Edmonton [1979] 1 R.C.S. 684, aux pp. 709-711 :


         Cette Cour, à cet égard, a toujours voulu limiter le rôle du tribunal administratif dont la décision est contestée à la présentation d'explications sur le dossier dont il était saisi et d'observations sur la question de sa compétence, même lorsque la loi lui confère le droit de comparaître. (Voir les arrêts The Labour Relations Board of the Province of New Brunswick c. Eastern Bakeries Limited et autre; The Labour Relations Board of Saskatchewan c. Dominion Fire Brick and Clay Products Limited et autres.) Lorsque la loi donne à un tribunal administratif le droit de comparaître et de plaider, ce dernier aurait tout avantage à suivre les principes énoncés par le juge Aylesworth dans l'arrêt International Association of Machinists v. Genaire Ltd. and Ontario Labour Relations Board, aux pp. 589, 590 :                 
                 Il ne fait aucun doute qu'en appel d'une décision du Conseil, celui-ci peut se faire représenter par un avocat qui plaidera sa cause devant le tribunal d'appel. Nous estimons toutefois approprié que la plaidoirie traite non du fond de l'affaire entre les parties qui ont comparu devant le Conseil, mais plutôt de la compétence ou du défaut de compétence de ce dernier. Si l'avocat de Conseil mène sa plaidoirie de la sorte, l'impartialité du Conseil sera d'autant mieux mise en valeur et sa dignité et son autorité en seront d'autant mieux garanties. En même temps, le tribunal d'appel bénéficiera de toutes les observations que l'avocat du Conseil jugera utiles de présenter sur la question de compétence.                         
             Lorsque la loi constitutive ou organique ne dit rien du rôle ni du statut du tribunal dans les procédures d'appel ou d'examen judiciaire, cette Cour a limité ledit rôle à la seule question de la compétence pour rendre l'ordonnance contestée. (Voir Central Broadcasting Company Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail et la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, Section locale no 529.)                 
             Au sens où j'ai employé ce mot ici, la " compétence " n'inclut pas la transgression du pouvoir d'un tribunal par l'inobservation des règles de justice naturelle. Dans un tel cas, lorsqu'une partie aux procédures devant ce tribunal est également partie aux procédures de révision, c'est le tribunal lui-même qui fait l'objet de l'examen. Accorder au tribunal administratif la possibilité de défendre sa conduite et en fait de se justifier donnerait lieu à un spectacle auquel nos traditions judiciaires ne nous ont pas habitués. Dans l'arrêt Re Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd. et autres , le juge Spence a écrit à ce sujet (pp. 746-7) :                 
                 Il est exact qu'on a souvent utilisé la conclusion selon laquelle un tribunal administratif a manqué aux principes de justice naturelle pour décider qu'il a renoncé à l'exercice de sa compétence et par conséquent qu'il se trouvait dans l'impossibilité de statuer, comme il prétendait le faire. Cependant, j'estime que c'est là simplement une façon de permettre à la Cour d'avoir recours au certiorari et non une question qui touche à la compétence que le tribunal prétend avoir. Il est évident qu'il n'appartient pas au Conseil qui voit sa façon d'exercer ses fonctions contestée, de plaider en appel, à titre d'intéressé, sur la question de savoir s'il a ou non agi conformément aux principes de justice naturelle; c'est là un point dont doivent débattre en appel les parties et non le tribunal dont les actions sont soumises à examen. [Les notes en bas de page n'ont pas été reprises]                         

[9]      Pour appliquer les principes dégagés dans l'arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Edmonton, supra, aux circonstances de notre affaire, je n'ai pas à dire si la question essentielle de l'indépendance du tribunal est effectivement une question de compétence. Même si je postulais que la question de l'indépendance du tribunal a trait à sa compétence, il serait impossible à la présidente du Tribunal de présenter des arguments sur ce point sans se laisser entraîner dans des questions de fond. Autrement dit, pour trancher cette affaire au fond, il faut examiner la question de l'indépendance du tribunal, la question que, justement, la présidente s'attache à considérer comme une question de compétence afin de justifier son intention d'intervenir dans le cadre de ces procédures. J'estime, en l'occurrence, que la bonne exécution de la mission que lui a confiée le législateur exige que le Tribunal veille à son apparence d'impartialité, qui risquerait d'être affectée si sa présidente prenait part à cette action à titre d'intervenante. C'est pourquoi je conclus qu'il n'y a pas lieu d'accorder à la présidente du Tribunal la qualité d'intervenante car son intervention ne serait pas conforme aux exigences posées dans l'arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Edmonton, supra.

[10]      Subsidiairement, et même si ma principale conclusion sur ce point n'est pas fondée, j'estime également que l'intervention de la présidente du Tribunal ne répondrait en l'occurrence à aucune fin utile. L'examen du dossier déposé dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire confirme le fait que le registraire du Tribunal a produit d'abondantes preuves de la structure et des pratiques institutionnelles de cet organisme. La Commission canadienne des droits de la personne a d'ailleurs versé au dossier des arguments détaillés à l'appui de la décision rendue par le Tribunal sur la question de son indépendance. J'estime que la présidente du Tribunal n'est donc guère en mesure de produire d'autres éléments pertinents susceptibles d'aider la Cour à trancher la question.

[11]      La requête en autorisation d'intervenir est par conséquent rejetée. Je remercie les différents avocats qui ont si éloquemment plaidé.


D. McGillis

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 19971218


Dossier : T-2590-95

OTTAWA (ONTARIO) LE JEUDI 18 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE MCGILLIS

ENTRE :


BELL CANADA,


Requérante,


- et -


L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE, LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER, FEMMES ACTION ET LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,


Intimés.


ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés oralement, la requête en autorisation d'intervenir présentée par la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne est rejetée.


D. McGillis

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-1257-97

INTITULÉ :          Bell Canada

             - et -

             L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE,LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER, FEMMES ACTION ET LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 18 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE McGILLIS

DATE :          Le 19 décembre 1997

ONT COMPARU :

Me Roy L. Heenan      POUR LA REQUÉRANTE

Me Thomas E. F. Brady

Me T. B. Smith C.R.      POUR L'ASPIRANTE À L'INTERVENTION, LA PRÉSIDENTE D'UNE FORMATION DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

HEENAN BLAIKIE      POUR LA REQUÉRANTE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

STIKEMAN, ELLIOTT      POUR L'ASPIRANTE À

OTTAWA (ONTARIO)      L'INTERVENTION

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