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     T-905-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 JUIN 1997.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

         AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, avec modificatifs, en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision datée du 12 mars 1996 de M. Robert Wells, délégué du sous-chef en matière de griefs de classification auprès de Citoyenneté et Immigration Canada, relativement à un grief de classification.                 

ENTRE :

     MICK CHONG, RAY BOWES et

     GUDRUN GOSEN,

     requérants,

ET :

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR, le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et le MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,         

     intimés.

     O R D O N N A N C E

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     L.-Marcel Joyal

    

     J U G E

Traduction certifiée conforme :     
                         François Blais, LL.L.

     T-905-96

         AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, avec modificatifs, en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision datée du 12 mars 1996 de M. Robert Wells, délégué du sous-chef en matière de griefs de classification auprès de Citoyenneté et Immigration Canada, relativement à un grief de classification.                 

ENTRE :

     MICK CHONG, RAY BOWES et

     GUDRUN GOSEN,

     requérants,

ET :

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR, le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et le MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,         

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

     Les points dont il est question en l'espèce remontent au 6 septembre 1994, date à laquelle un comité de règlement des griefs de classification (" le comité ") a recommandé que les postes des requérants susmentionnés, qui étaient au service de la Fonction publique du Canada, soient classés au groupe et au niveau PM-03.

     À cette époque, les requérants occupaient le poste d'analyste du renseignement auprès d'Emploi et Immigration Canada, dans la région de la Colombie-Britannique et du Yukon, et étaient classés au niveau PM-03. Devant le comité, ils ont fait valoir, notamment, que dans la région de l'Ontario, leurs collègues dont les descriptions de travail et les fonctions étaient les mêmes se trouvaient classés au niveau PM-04.

     Le 27 juillet 1994, une audience a été tenue en conformité avec une procédure de réglement des griefs de classification (" PRGC "), et, dans un rapport écrit daté d'août-septembre 1994, le comité a recommandé que les postes des plaignants soient classés au niveau PM-03. Cette recommandation a obtenu l'aval du délégué du sous-chef le 13 septembre 1994.

     Les plaignants ont ensuite sollicité un contrôle judiciaire et, le 30 novembre 1995, mon collègue, le juge McKeown, a fait droit à la demande et renvoyé l'affaire au comité [voir Chong et al c. Canada, (1995) 104 F.T.R. 253]. Après avoir décrit en détail le régime des griefs de classification en vigueur au sein de la Fonction publique et après avoir exposé la jurisprudence actuelle concernant les champs d'intervention judiciaire dans les décisions de nature administrative, le juge McKeown a fait remarquer ce qui suit :

1.      Dans les circonstances de l'affaire, le régime de classification obligeait à comparer les postes de l'Ontario et ceux de la Colombie-Britannique/Yukon.
2.      Les seuls renseignements émanant de la direction ont été obtenus au téléphone de M. John Kent, et n'ont pas été communiqués aux requérants.
3.      La décision du comité ne traitait pas de l'argumentation des plaignants ou n'y faisait pas référence, pas plus qu'elle n'expliquait pourquoi les postes de la Colombie-Britannique/Yukon étaient classés à un niveau inférieur.     
4.      En outre, et en accord avec l'arrêt de la Cour suprême Prassad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 1 R.C.S. 560, le juge a conclu que la décision, étant de nature administrative, ne donnait lieu qu'à un degré minimal d'" équité " dans ses processus.

     Le juge McKeown a néanmoins conclu que le processus était suffisamment défectueux pour justifier une intervention de sa part. Il n'a pas accordé beaucoup d'importance à la plupart des doléances énumérées par les requérants, mais il a quand même conclu que le comité ne s'était pas acquitté de son mandat. En fait, si j'ai bien compris ce que dit le juge, le comité avait rejeté les griefs sans traiter de la comparabilité de la situation des plaignants à celle de leurs collègues ontariens, un aspect que les plaignants avaient directement soulevé. En outre, le juge, manifestement préoccupé par le facteur " John Kent ", avait enjoint le comité d'examiner aussi cette question.

     Le texte proprement dit des instructions du juge McKeown est le suivant :

     La requête est accueillie. L'affaire est renvoyée au Comité pour qu'il examine les différences entre le poste ontarien et celui de la C.-B. et du Yukon; le Comité peut poser d'autres questions aux plaignants et à la direction au sujet de ces postes, après quoi il décidera, sur la foi de toutes les preuves et témoignages, à quel niveau il faut classifier le poste des requérants. Dans ses motifs de décision, le Comité notera le témoignage de M. John Kent conformément aux dispositions de la Procédure du règlement des griefs de classement, relatives à l'établissement du rapport.         

     Il ressort du dossier qu'en réponse à l'ordonnance et aux instructions du juge McKeown, le comité a ordonné que l'on vérifie le poste de la région de l'Ontario, ce qui a été fait les 4 et 5 janvier 1996. Le comité a examiné les résultats de cette vérification et, le 10 janvier 1996, a recommandé que le poste en question soit déclassé du niveau PM-04 au niveau PM-03. Le délégué du sous-chef a accepté la recommandation et, vers le 12 mars 1996, ces résultats ont été communiqués aux plaignants de la région de la Colombie-Britannique/Yukon.

     Quelque temps plus tard, il a été constaté que le comité n'avait peut-être pas répondu au second volet de l'ordonnance du juge McKeown, c'est-à-dire d'analyser le témoignage de M. John Kent, conformément aux dispositions de la PRGC, au moment d'établir les motifs. Les membres du Comité se sont donc réunis de nouveau le 1er mai 1996 dans le but d'examiner le témoignage en question, à la suite de quoi ils ont ajouté ce qui suit dans un rapport annexe :


     [TRADUCTION]         
     Compte tenu des renseignements qu'a fournis M. John Kent sur les postes en question, le comité est convaincu que la réponse de M. Kent confirmait la compréhension qu'avait le comité de ces fonctions et tâches.         

Le comité a conclu qu'il fallait maintenir sa recommandation initiale. Le délégué du sous-chef a accepté cette conclusion et, le 8 mai 1996, les plaignants en ont été avisés.

     La Cour est maintenant saisie d'une autre demande de contrôle judiciaire, reposant sur le motif que la manière de procéder du comité avait enfreint les principes d'" équité " et que ce dernier avait commis une erreur " manifestement déraisonnable " en fixant deux dates d'entrée en vigueur différentes pour la classification des postes de la Colombie-Britannique/Yukon et celle des postes de l'Ontario. Plus précisément, les requérants soutiennent ce qui suit :

1.      il ne leur a pas été dit quels renseignements M. Kent avait communiqués au comité;     
2.      ils n'ont pas eu la possibilité de répondre aux renseignements que M. Kent avait fournis;
3.      ils n'ont pas eu la possibilité de soumettre d'autres arguments au comité;
4.      ils n'ont jamais été informés du déclassement des postes ontariens;
5.      le comité ne s'est pas conformé à l'ordonnance du juge McKeown concernant le témoignage de M. Kent.

     À l'appui de l'opinion des requérants selon laquelle ceux-ci ont été traités de manière inéquitable, l'avocat se fonde sur une longue liste de causes où les décisions de tribunaux administratifs ont été contestées avec succès pour ces motifs : Hale c. Canada (Conseil du Trésor) (1996), 112 F.T.R. 216; S.E.P.Q.A. c. Canada (C.C.D.P.), (1989) 2 R.C.S. 879; Mercier c. Canada, [19994] 3 C.F. 3 (C.A.).

     L'avocat des requérants se fie particulièrement au jugement qu'a rendu le juge Reed dans Hale, où il était question aussi du processus de règlement de griefs de classification. Le plaignant, illustrateur technique au service de la Fonction publique, avait demandé que son poste soit reclassé du niveau DD-04 au niveau DD-05. Le comité était d'accord avec le plaignant sur certains points, mais s'était prononcé en fin de compte contre lui, sur la foi de preuves d'expert qui, semble-t-il, n'avaient pas été portées à sa connaissance. La Cour a décrété que le fait que le comité ait négligé de donner au plaignant la possibilité de formuler des observations en réponse à cette preuve d'expert constituait un manquement à l'obligation imposée par l'équité. Selon la Cour, il convenait d'annuler la décision du comité et de la déférer pour nouvel examen et nouvelle décision.

     Le degré d'" équité " en tant qu'élément susceptible d'un contrôle judiciaire au sein du processus de règlement des griefs de classification a aussi été analysé dans une décision du juge Pinard datée du 3 mai 1996 : Tanack et al c. Canada (Conseil du Trésor) , (1996) 112 F.T.R. 182. Dans cette affaire, un comité avait été saisi d'une demande visant à hausser le niveau d'agents d'appel de l'immigration au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. La décision du comité était contestée parce que les éléments de preuve de la direction n'avaient pas été communiqués aux plaignants, qui, de ce fait, s'étaient vu refuser la possibilité d'y répliquer. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, le juge Pinard s'est appuyé sur l'analyse du juge McKeown dans la décision Chong à propos du degré d'" équité " à appliquer dans de telles instances. Le juge Pinard a conclu que le comité n'était pas tenu d'engager un processus antagoniste en rappelant les plaignants pour qu'ils répliquent aux observations de la direction.

     À mon humble avis, les règles qui ont été promulguées au sujet de ces griefs reflètent assez clairement le type de tribune qu'envisage le processus. Réduit à sa plus simple expression, ce dernier invite les plaignants, en l'absence de la direction, à faire connaître leur point de vue. Il demande ensuite à la direction, en l'absence des plaignants, de répondre aux questions du comité, après quoi les membres de ce dernier délibèrent et rendent leur décision ou formulent leur recommandation. Il est à noter cependant qu'il n'est pas permis à la direction de plaider pour ou contre la décision ayant donné lieu au grief, de tenter d'influencer le comité ou de prendre part à ses délibérations. Le comité se réserve bien sûr le droit de faire appel à d'autres personnes pour obtenir des renseignements supplémentaires ou procéder à une visite sur place.

     Il me semble qu'il convient de lire et d'interpréter ces dispositions du processus de réglement des griefs de classification dans le contexte des droits patronaux exclusifs que confère aux intimés l'alinéa 11(2)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, dans sa forme modifiée, pour ce qui est de classer les postes et les employés au sein de la Fonction publique et, en outre, à l'exclusion précise des procédures d'appel par ailleurs disponibles en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, dans sa forme modifiée.

     Ma conclusion est la suivante : quoi que soutienne l'avocat des requérants, le régime n'est pas antagoniste, pas plus qu'il ne donne nécessairement ouverture à des contestations de nature technique reposant sur l'équité procédurale, un manquement à la justice naturelle, ou d'autres éléments accessoires dans l'évolution du processus de contestation d'une classification. À mon humble avis, dans la présente affaire les exigences en matière d'équité sont suffisamment minimes pour que le simple fait qu'une partie allègue qu'elle n'a pas entendu la preuve ni eu l'occasion d'y répliquer ou d'être contre-interrogée sur elle n'est pas suffisant. Autrement dit, il ne s'agit pas d'une affaire où l'" inéquité " en soi donnera lieu à un bref de certiorari , mais où il importe de faire valoir des arguments précis de préjudice.

     Je reconnais bien sûr que lorsque l'on adopte les règles de conduite que la Cour suprême du Canada a énoncées dans les affaires liées à n'importe quel processus administratif, il y a une forte tendance à appliquer automatiquement ces règles. Selon moi, dans la présente affaire, cela ne suffit pas. Il n'y a absolument aucune preuve que les allégations d'" inéquité " sont plus que de simples allégations dénuées de toute substance. Toute position contraire, à mon humble avis, bat en brèche les éléments suivants de l'affaire :

1.      Conformément à la procédure ordinaire, les plaignants ont fait valoir leur point de vue devant le comité, et mentionné notamment que les titulaires de l'Ontario étaient classés au niveau PM-04. Le comité a ensuite vraisemblablement obtenu de la direction tous les renseignements pertinents nécessaires. Il y a eu par la suite une conversation téléphonique avec M. Kent, de Toronto, après quoi, dans une appréciation analytique détaillée, le comité a rejeté le grief et confirmé le poste au niveau PM-03.
2.      En révisant sa décision antérieure, en exécution de l'ordonnance du juge McKeown datée du 30 novembre 1995, le comité s'est conformé à l'obligation d'analyser la comparabilité des postes de la Colombie-Britannique/Yukon et ceux de l'Ontario, ainsi que d'examiner le témoignage de M. Kent. Le comité a respecté en tous points les directives du juge McKeown, et ce qu'il a fait à propos de la classification des titulaires ontariens n'est d'aucun intérêt pour la Cour à ce stade-ci. Il ne reste simplement à cette dernière que l'inférence selon laquelle la mesure prise à cet égard était du ressort du comité.
4.      Il m'apparaît clairement que, de toute façon, les plaignants étaient parfaitement au courant des résultats de leur grief antérieur. La nouvelle audition cadrait tout à fait avec l'ordonnance du juge McKeown et n'ajoutait ou n'enlevait rien à la décision antérieure par laquelle le comité avait rejeté les griefs.

     Certes, la décision du juge Reed dans l'affaire Hale donne à penser que les conditions plus strictes de l'équité procédurale devraient s'appliquer aux procédures de règlement des griefs de classification. Ceci étant dit avec égards, je préfère toutefois la démarche plus réservée que l'on relève dans la décision du juge McKeown (Chong) et dans celle du juge Pinard (Tanack).

     La question de la classification n'est pas négociable, et en ce qui concerne la présente Cour, les processus qui s'appliquent à cet égard devraient être laissés au soin de l'institution qui est légalement et exclusivement habilitée par le législateur à s'en charger, c'est-à-dire le Conseil du Trésor.

     Là encore, il faut être prudent lorsque l'on fait une telle déclaration. Il n'y a pas d'absolus. Aucune procédure administrative n'est à l'abri des erreurs et hors de portée de la Cour. Trop souvent, toutefois, l'application de précédents judiciaires devient une question de reductio ad absurdem. Je suis humblement d'avis qu'il faut qu'il existe, dans un processus de nature purement administratif, une erreur ou un préjudice démontrable avant qu'une Cour doive intervenir par voie de contrôle judiciaire. Peut-être que la sagesse repose moins sur les précédents, et davantage sur le cas par cas.

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     L.-Marcel Joyal

     J U G E

O T T A W A (Ontario)

Le 16 juin 1997

Traduction certifiée conforme :     
                         François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-905-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mick Chong, Ray Bowes et
                     Gudrun Gosen,

     requérants,

                     et
                     Sa Majesté la Reine du chef
                     du Canada et al.

     intimés.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          3 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE JOYAL

EN DATE DU :              16 juin 1997

ONT COMPARU :

Me Andrew J. Raven                      POUR LES REQUÉRANTS
Me Harvey A. Newman                  POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Jewitt & Allen                  POUR LES REQUÉRANTS

Avocats et procureurs

Ottawa (Ontario)

Conseil du Trésor du Canada              POUR LES INTIMÉS

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

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