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Date : 20010807

Dossier : T-1043-99

Référence neutre : 2001 CFPI 857

ENTRE :

WILLIAM SMITH

demandeur

-

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY


[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, qui a été entendue à St. John's (Terre-Neuve), le 17 novembre 2000 et que le demandeur a engagée à l'égard d'une décision en date du 11 mai 1999 du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le « Tribunal » ou le « TAC » ). Dans cette décision, le Tribunal a rejeté l'appel du demandeur concernant la demande de prestations d'invalidité que celui-ci a présentée relativement à la colite dont il souffre apparemment par suite de l'ingestion de médicaments destinés à soigner l'arthrose de la colonne lombaire, affection pour laquelle il a touché une pension.

[2]         Le demandeur demande une ordonnance annulant la décision du Tribunal et lui accordant rétroactivement toutes les prestations qui lui sont dues en raison de l'affection dont il dit souffrir. Subsidiairement, le demandeur demande une ordonnance annulant la décision du Tribunal et renvoyant la question à une formation différente en vue d'une nouvelle décision.

Les faits

[3]         M. Smith, le demandeur, a été membre de la GRC du 4 juillet 1973 au 5 août 1997; en 1990 et 1992, il s'est blessé au dos pendant l'exercice de ses fonctions et, par suite de ces blessures, il a souffert d'arthrose de la colonne lombaire donnant lieu à une incapacité partielle permanente pour laquelle il a touché une pension depuis sa retraite. Le traitement de cette maladie nécessite l'utilisation prolongée de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiques. C'est après avoir commencé à prendre ces médicaments que le demandeur a éprouvé des problèmes d'intestin. Selon les rapports médicaux, les symptômes en question indiquent qu'il s'agit de la maladie intestinale inflammatoire ( « MII » ), dont le contrôle nécessite une médication et des soins médicaux constants.


[4]         En raison de cette situation, le demandeur a demandé des prestations d'invalidité supplémentaires le 12 septembre 1997, soutenant que sa colite découlait des médicaments qu'il avait pris pour soigner son arthrose. Le ministre a rejeté la demande le 5 décembre 1997. Dans sa décision, il a cité un commentaire qu'avait formulé un médecin du Tribunal en octobre 1997 et selon lequel [TRADUCTION] « la colite découlant de l'ingestion d'un médicament ne cause aucun problème, sauf si la personne prend à nouveau le médicament en question. S'agit-il d'une invalidité? » Le ministre a alors conclu qu'il n'y avait aucun diagnostic médical clair et qu'aucune invalidité n'avait été établie.

[5]         En appel, le comité d'examen de l'admissibilité a confirmé cette décision, qui a alors été portée en appel devant le Tribunal. La présente demande de contrôle judiciaire découle de la décision en date du 11 mai 1999 par laquelle le Tribunal a rejeté la demande de prestations et confirmé la décision du comité d'examen de l'admissibilité.


[6]         Dans sa décision datée du 1er octobre 1998, le comité d'examen de l'admissibilité a conclu à l'absence 1) de diagnostic confirmé de l'affection sous étude; 2) d'avis médical d'un spécialiste établissant un lien entre l'affection ouvrant droit à pension et la présence, à ce stade, de la MII. Cette décision a été prise malgré les nouveaux éléments de preuve que le demandeur a déposés, notamment un rapport en date du 3 août 1998 du Dr R.O. Hart, le médecin de famille du demandeur. Selon ce rapport, les biopsies faites par un spécialiste indiquaient que le demandeur souffrait d'une inflammation aiguë et chronique donnant à penser qu'il s'agit de la MII, qui serait considérée comme une cause d'invalidité par toute personne qui en souffre. De l'avis du Dr Hart, les symptômes découlent de l'ingestion prolongée de médicaments non stéroïdiques destinés à soigner l'arthrose du demandeur.

[7]         Au soutien de l'appel qu'il a interjeté devant le TAC, M. Smith s'est fondé sur un rapport ultérieur en date du 26 novembre 1998 (soit après la décision du comité d'examen de l'admissibilité) du Dr S.B. Reddy, gastro­-entérologue, qui comportait les commentaires suivants : [TRADUCTION] « des biopsies du côlon de cette personne indiquent un stade précoce de la maladie intestinale inflammatoire » . En ce qui a trait aux symptômes qui se sont manifestés, un rapport médical précédent préparé le 22 mai 1997, soit avant que le demandeur quitte la GRC, indiquait que les symptômes en question étaient probablement causés par l'ingestion de médicaments non stéroïdiques qui lui avaient été prescrits et qu'il prenait pour le contrôle de la douleur découlant de l'arthrose dont il souffrait.

[8]         Pendant la longue procédure d'appel, le demandeur a fait valoir et continue à soutenir que, selon la bonne interprétation de la preuve disponible, il souffre d'une invalidité découlant d'une colite, laquelle a été causée par l'ingestion de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiques prescrits pour le traitement de l'arthrose de la colonne lombaire dont il souffrait et pour laquelle il touchait déjà une pension.


[9]         Même s'il n'existait pas d'éléments de preuve médicale contradictoires, le Tribunal a conclu à l'absence de diagnostic médical définitif ou d'avis médical établissant un lien de cause à effet entre les symptômes dont le demandeur souffrait et l'ingestion de médicaments non stéroïdiques. En conséquence, il n'y avait aucun lien avec l'invalidité ouvrant droit à pension de M. Smith et le TAC a donc confirmé la décision du comité d'examen de l'admissibilité.

[10]       Le défendeur fait valoir que les questions soulevées par la présente demande concernent la norme d'examen applicable, la suffisance de la preuve et le respect des dispositions législatives par le TAC.

Le régime législatif

[11]       Les membres de la GRC sont admissibles à des prestations de retraite conformément à la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, ainsi qu'à l'article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-11, chaque fois que la blessure ou la maladie - ou son aggravation - ayant causé l'invalidité ou le décès était consécutive ou se rattachait directement au service de l'intéressé dans la Gendarmerie.

[12]       Les dispositions législatives pertinentes comprennent celles de la Loi sur les pensions, notamment les dispositions suivantes :

2. Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

5. (3) Lorsqu'il prend une décision, le ministre :

                 a)        tire des circonstances portées à sa connaissance et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur ou au pensionné;

b)        accepte tout élément de preuve non contredit que celui-ci lui présente et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;


c)         tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

21.(1) et (2)        [Ces dispositions prévoient, notamment, le versement d'une pension d'invalidité au cours du service en temps de guerre ou en temps de paix dans certaines circontances].

21 (5) En plus de toute pension accordée au titre des paragraphes (1) ou (2), une pension est accordée conformément aux taux indiqués à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, sur demande, à un membre des forces, relativement au degré d'invalidité supplémentaire qui résulte de son état, dans le cas où :

                 a)              d'une part, il est admissible à une pension au titre des alinéas (1)a) ou (2)a) ou du présent paragraphe, ou a subi une blessure ou une maladie -- ou une aggravation de celle-ci -- qui aurait donné droit à une pension à ce titre si elle avait entraîné une invalidité;

2)                  d'autre part, il est frappé d'une invalidité supplémentaire résultant, en tout ou en partie, de la blessure, maladie ou aggravation qui donne ou aurait donné droit à la pension.

[13]             La Loi sur le Tribunal des anciens combattants, L.C. 1995, ch. 18 (la « Loi sur le TAC » ) crée certaines obligations à la charge du Tribunal, qui examine les appels interjetés au sujet des questions liées à la pension :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a)              il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b)              il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c)              il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

[14]             Au soutien de sa position, le demandeur invoque la décision rendue dans l'affaire Ballingall c. Canada (ministre des Anciens combattants) (1994), 76 F.T.R. 44, p. 49 (C.F. 1re inst.), où le juge Denault s'est exprimé comme suit :


La Cour d'appel fédérale a décidé à plusieurs reprises que l'omission de la part du [Tribunal] ... de donner effet, dans ses décisions, à ces dispositions [articles 3 et 39 de la Loi sur le TAC et article 2 de la Loi sur les pensions] ou à celles qu'elles ont remplacées équivaut à une erreur susceptible de révision...

[15]             De plus, en ce qui a trait à l'interprétation de l'alinéa 39(1)a), qui a été remplacé par l'actuel alinéa 39a) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants, le juge Denault a formulé les commentaires suivants à la page 50 :

Il semblerait donc que l'omission d'interpréter l'alinéa 39(1)a) de la Loi sur les pensions d'une façon libérale ou de tirer de la preuve les conclusions les plus favorables possible au requérant peut être considérée comme une erreur susceptible de révision, malgré l'existence de la clause privative.

[16]             Dans l'affaire Ewing c. Tribunal des anciens combattants (Can.) et al. (1997), 137 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a décidé que l'omission du Tribunal d'appliquer le critère qui convenait pour déterminer l'admissibilité du demandeur à une pension est une erreur de compétence.

[17]             Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur de compétence en négligeant de donner pleinement effet au paragraphe 5(3) de la Loi sur les pensions et à l'article 39 de la Loi sur le TAC et, effectivement, en refusant de reconnaître l'article 2 de la Loi sur les pensions et l'article 3 de la Loi sur le TAC. De l'avis du demandeur, la décision du Tribunal est manifestement déraisonnable et, par conséquent, susceptible de révision.


[18]       Pour sa part, le défendeur fait valoir que l'article 31 de la Loi sur le TAC renferme une clause privative qui énonce que la décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut une décision du Tribunal et qu'elle est définitive et exécutoire. Selon le défendeur, en raison de l'existence de cette clause privative, il est difficile pour le demandeur de prouver qu'une erreur susceptible de révision a été commise.

[19]       Le défendeur souligne que, dans l'affaire Hunt c. Canada (ministre des Anciens combattants) (1998), 145 F.T.R. 96, p. 100 (C.F. 1re inst.), le juge Muldoon a statué que, dans une demande fondée sur le paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions, la norme de preuve que le demandeur doit respecter pour avoir gain de cause est la norme civile, soit celle de la prépondérance des probabilités. Le défendeur ajoute que la preuve que le demandeur a présentée au Tribunal est insuffisante pour respecter le critère de base.


[20]       Toujours selon le défendeur, même si le demandeur a présenté une preuve médicale récente à chacun des paliers d'appel, cette preuve indiquait simplement l'existence d'un lien entre l'ingestion de médicaments non stéroïdiques et l'apparition de symptômes de la MII. Or, le demandeur devait fournir des documents médicaux faisant état d'un diagnostic ferme et d'une opinion concernant la cause de ce diagnostic. De l'avis du défendeur, la preuve médicale du demandeur se limitait à un diagnostic incertain de la présence de la MII. Chaque opinion faisait état d'un diagnostic proposé qui reposait sur un avis presque entièrement dénué d'analyse ou d'évaluation d'une cause quelconque. Le défendeur soutient donc que, même si la preuve présentée n'a pas été contredite, elle demeure insuffisante pour établir l'existence d'une invalidité en vertu du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions.

[21]       Le défendeur reconnaît que, tant en vertu de l'article 2 de la Loi sur les pensions que de l'article 3 de la Loi sur le TAC, les deux lois devraient être interprétées de façon libérale. De plus, l'article 39 de la Loi sur le TAC oblige le Tribunal à examiner la preuve dont il est saisi sous l'angle le plus favorable qui soit au moment de décider si la norme civile de preuve a été respectée. Dans la présente affaire, le Tribunal n'a pas expressément mis en doute la crédibilité de la preuve médicale et a accepté en entier la preuve non contredite, mais celle-ci n'établissait pas une invalidité supplémentaire résultant, en tout ou en partie, de l'invalidité qui donne actuellement droit à la pension de M. Smith.

[22]       Le défendeur allègue que le Tribunal ne peut déduire l'existence d'un diagnostic définitif et d'un lien de cause à effet lorsque la preuve médicale ne les établit pas de façon explicite. Même si les documents médicaux laissent supposer l'existence d'un diagnostic et d'un lien de cause à effet, ils ne comporteraient aucune conclusion définitive. C'est pourquoi le Tribunal soutient qu'il n'est pas raisonnable pour lui d'accepter comme diagnostic une conclusion qui n'est pas suffisamment étayée par la preuve. Établissant une distinction avec les décisions rendues dans les affaires Ballingall et Ewing, le défendeur affirme que rien n'indique que le Tribunal a omis de tenir compte de l'ensemble de la preuve dont il était saisi en l'espèce.


Analyse

[23]       Dans l'affaire McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 177 F.T.R. 5 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a commenté les normes de révision à appliquer pour l'examen des décisions du TAC. Plus tard, dans l'affaire Trainor c. Canada (Procureur général) (2000), 188 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a donné d'autres explications à ce sujet à la page 80 :

Dans la décision McTague c. Canada (Procureur général) [supra], M. le juge Evans a analysé la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions du Tribunal compte tenu de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle et il a tiré la conclusion suivante, au paragraphe [48] de ses motifs : < TBODY >

L'importance des facteurs examinés précédemment dans le cadre de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle indique qu'en l'espèce, on devrait considérer que le législateur a prescrit une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire. Toutefois, ces facteurs ne montrent pas que la norme fondée sur la plus grande retenue judiciaire devrait être appliquée. La norme de contrôle de la décision « manifestement déraisonnable » semble de plus en plus réservée aux décisions des organismes administratifs qui sont protégés par des clauses limitatives rigides et qui ont beaucoup plus de responsabilités de réglementation que le Tribunal qui n'exerce que des fonctions juridictionnelles. Il s'agit également de la norme appropriée, comme je l'ai indiqué précédemment, quand la question litigieuse concerne des conclusions quant à des faits essentiels, y compris des conclusions tirées des éléments de preuve.

< /TBODY > En l'espèce, je suis convaincu que la question litigieuse ne porte pas sur des conclusions de fait principal, dont des conclusions tirées sur la base de la preuve, mais plutôt sur une conclusion à la fois de fait et de droit, savoir si le demandeur, compte tenu des faits de la présente affaire, a jamais été membre des forces canadiennes de Sa Majesté et s'il est un ancien combattant canadien de la Seconde Guerre mondiale.


[24]       Je souligne que dans l'affaire McTague, le juge Evans a conclu à la lumière des faits que la décision rendue au sujet de la question de savoir si la blessure sous étude découlait du service militaire n'était pas une conclusion de fait principal, mais une conclusion à laquelle s'appliquait la norme du caractère raisonnable de la décision aux fins de la révision.

[25]       Dans l'affaire Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a tiré la conclusion suivante au sujet de circonstances semblables à celles dont la Cour est actuellement saisie (p. 204) :

J'ai examiné avec minutie l'ensemble de la preuve qui a été portée à la connaissance du Tribunal avant de prendre une décision, et j'en suis venu à la conclusion que le Tribunal a mal appliqué les articles 3 et 39 de la Loi et qu'il a mal interprété la jurisprudence établie par la Cour.

La Cour a poursuivi en ces termes aux paragraphes 60 et 61 :

Si le bénéfice du doute doit fonctionner en faveur du demandeur et que celui-ci doit établir la preuve « selon la prépondérance des probabilités » , je suis convaincu que la décision du Tribunal était manifestement déraisonnable.

Je suis également convaincu que le Tribunal a commis une erreur de droit en exigeant du demandeur une norme de preuve considérablement plus contraignante que celle de la « prépondérance des probabilités » .

[26]       Dans l'affaire Schott c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 126 (C.F. 1re inst.), le juge Hansen a statué comme suit au paragraphe 26 :

En l'espèce, j'estime également que le TAC aurait pu tirer sa conclusion uniquement en omettant de tenir compte de la preuve présentée par les docteurs Hurley et Jaeger, en interprétant la preuve d'une façon erronée ou en se trompant au sujet de l'effet de l'article 39 de la Loi compte tenu de l'existence d'éléments de preuve vraisemblables et dignes de foi. Même en l'absence de certitude, comme dans l'affaire Metcalfe, supra, le TAC disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour faire droit à la demande s'il s'était conformé aux dispositions de l'article 39.


Jugeant que les conclusions du TAC étaient abusives, la Cour a infirmé la décision de celui-ci.

[27]       Enfin, en ce qui concerne les conclusions fondées sur la preuve médicale et les obligations d'origine législative du TAC, la décision qu'a rendue le juge Evans dans l'affaire Metcalfe c. Canada (Procureur général) (1999), 160 F.T.R. 281 (C.F. 1re inst.), est éclairante (p. 285) :

Vu que les dispositions de la loi confèrent au Tribunal une compétence exclusive et rendent ses décisions définitives et exécutoires, et compte tenu du fait que la question en litige nécessite l'application de la loi aux faits constatés et relève du domaine de compétence du Tribunal, la norme de contrôle à appliquer est celle du caractère manifestement déraisonnable...

Il est important de souligner qu'en l'espèce, la Cour doit se prononcer sur le caractère raisonnable ou autre de la conclusion du Tribunal en prenant en considération la preuve qui a été soumise au Tribunal et les dispositions législatives pertinentes. En particulier, les dispositions de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui indiquent au Tribunal comment il doit envisager la preuve, sont fort utiles aux demandeurs, à qui il revient de prouver leur droit à une pension. Ainsi, le Tribunal doit tirer de la preuve les conclusions les plus favorables possible à l'appelant; accepter comme vrai tout élément de preuve crédible et fiable produit par le demandeur; et, dans l'appréciation de la preuve, trancher toute incertitude en faveur de l'appelant. En outre, l'article 3 prévoit que les pouvoirs et fonctions du Tribunal doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le Canada reconnaît avoir à l'égard de ses anciens combattants.

Après avoir examiné les faits à la lumière de la norme de révision énoncée ci-dessus, le juge Evans a statué comme suit à la page 287 :

Pour ces motifs, je suis arrivé à la conclusion que le Tribunal a commis une erreur de droit en fondant sa décision de rejeter la demande du demandeur sur une conclusion de fait qui, compte tenu de la preuve qui a été soumise au Tribunal et des dispositions législatives pertinentes, est manifestement déraisonnable.


[28]       Dans la présente affaire, après avoir examiné les arguments qu'ont présentés les avocats du demandeur et du défendeur, tant verbalement que par écrit, et après avoir étudié en profondeur le dossier du Tribunal, je suis d'avis que la décision du TAC n'est pas raisonnable.

[29]       Lorsqu'il a exposé les motifs pour lesquels il rejetait l'appel du demandeur, le Tribunal s'est exprimé comme suit :

[TRADUCTION] Malgré l'avis médical que la spécialiste a exprimé dans sa lettre, le Tribunal n'est pas saisi d'un avis médical définitif énonçant un diagnostic de colite causée par l'ingestion de médicaments; par conséquent, le Tribunal en arrive malheureusement à la conclusion que le droit à une pension n'est pas indiqué... (non souligné dans l'original)

De plus, le Tribunal a confirmé la conclusion quant à l'absence de lien de cause à effet entre l'affection à l'étude et l'affection ouvrant droit à pension du demandeur. À mon avis, en exigeant un « avis médical définitif » , le Tribunal a élevé le fardeau de la preuve à un seuil dépassant celui de la prépondérance des probabilités, qui a été reconnu comme la norme applicable dans l'affaire Cundell, et il a omis d'examiner l'ensemble de la preuve dont il était saisi sous l'angle le plus favorable possible au demandeur conformément aux dispositions législatives applicables.


[30]       Au cours de la présentation de la preuve devant le Tribunal, le demandeur a déposé des documents médicaux provenant de son médecin de famille, le Dr Hart, et d'une gastro-entérologue, le Dr Reddy. Dans une lettre en date du 3 août 1998 qu'il a adressée au Tribunal, le Dr Hart s'est exprimé comme suit :

[TRADUCTION] Les biopsies ont indiqué une inflammation aiguë et chronique donnant à entendre qu'il s'agit de la MII. Selon le consultant et moi-même, ces symptômes étaient causés par l'ingestion de médicaments non stéroïdiques destinés à soigner l'arthrite dont il souffrait.

...

Je ne crois pas que qui que ce soit puisse nier que ces symptômes se sont manifestés en raison de l'ingestion prolongée des médicaments non stéroïdiques... Je pense que toute personne souffrant d'une maladie intestinale inflammatoire chronique estimerait que son affection la place dans une situation d'invalidité.

Dans une lettre datée du 26 novembre 1998, le Dr Reddy a affirmé que [TRADUCTION] « les biopsies du côlon [du demandeur] ont indiqué qu'il s'agit d'un stade précoce de la maladie intestinale inflammatoire » . Elle a également souligné que le demandeur devra prendre à vie les médicaments qui lui ont été prescrits pour le contrôle des symptômes de la MII.


[31]       Selon la conclusion initiale, que le Tribunal a appuyée, les symptômes du demandeur ne constituaient pas une cause d'invalidité ouvrant droit à pension parce que, de l'avis du médecin du Tribunal, le demandeur ne souffrirait plus des symptômes de la maladie intestinale inflammatoire s'il cessait de prendre les médicaments prescrits pour le contrôle des douleurs provoquées par l'arthrose. C'est une raison qui a été invoquée tout au long de la procédure d'appel au soutien de l'assertion selon laquelle les symptômes de la MII ne constituent pas une affection ouvrant droit à pension. C'est là un argument qui n'est pas raisonnable car, en obligeant le demandeur à décider s'il continuera ou non à prendre les médicaments non stéroïdiques prescrits, le Tribunal lui demande essentiellement de choisir l'affection dont il préfère continuer à souffrir : la douleur lombaire causée par l'arthrose, s'il cesse de prendre les médicaments prescrits, ou la MII, qui continuera à évoluer, s'il tente de contrôler la douleur au dos en prenant les médicaments non stéroïdiques prescrits. En déduisant ce lien de cause à effet, le propre médecin du Tribunal a établi un lien de causalité entre l'ingestion prolongée de médicaments non stéroïdiques et les symptômes de la MII, ce qui va à l'encontre de l'une des principales conclusions du Tribunal.

[32]       Il incombe au demandeur de prouver selon la prépondérance des probabilités que l'affection à l'étude ouvre droit à pension et découle d'une affection pour laquelle une pension était déjà versée conformément à l'alinéa 21(5)b) de la Loi sur les pensions et le Tribunal doit examiner cette preuve sous l'angle le plus favorable possible au demandeur. Après avoir examiné la preuve dont il était saisi, le Tribunal a statué que la preuve médicale n'était pas concluante, parce que les spécialistes médicaux n'ont pas fourni un [TRADUCTION] « avis médical définitif » au sujet du diagnostic de la MII. Cependant, à mon sens, le Tribunal n'a pas appliqué correctement les exigences découlant à la fois de la Loi sur les pensions et de la Loi sur le TAC, selon lesquelles il devait examiner la preuve sous l'angle le plus favorable possible au demandeur.


[33]       Le Tribunal n'a pas reconnu que les avis médicaux fournis pour le demandeur ne font état que d'un seul diagnostic possible, lequel ne peut découler que d'une seule cause plausible. Les médecins indiquent dans leurs avis que les symptômes et les biopsies donnent à entendre qu'il s'agit de la MII. Aucune autre affection n'est indiquée, ne serait-ce qu'à des fins d'enquête plus poussée. Ils ont écrit qu'à leur avis, la cause la plus probable est l'ingestion prolongée de médicaments non stéroïdiques destinés à soigner l'arthrose dont le demandeur souffrait et à l'égard de laquelle il avait obtenu une pension d'invalidité à la retraite. Tel qu'il est mentionné plus haut, même le propre médecin du Tribunal a admis implicitement en octobre 1997 que la cause des symptômes de la maladie intestinale était l'ingestion des médicaments prescrits pour le contrôle de l'arthrose dont M. Smith souffrait.

[34]       Le TAC est autorisé en vertu de sa Loi habilitante à demander un avis médical supplémentaire (par. 10(3)), ce qu'il n'a pas fait malgré le seul diagnostic qu'ont signalé les médecins à l'appui de la demande du demandeur. Par conséquent, le Tribunal n'était pas saisi d'éléments de preuve médicale contradictoires.

[35]       Dans Mackay c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 286 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a formulé les commentaires suivants au sujet de l'examen que le Tribunal avait fait de la preuve dans cette affaire (p. 292 et 293) :

... le raport [du Dr Murdoch] parle de « probabilités » et non de possibilités. Le rapport médical porte donc sur une question décisive qui est pertinente et qui pourrait avoir eu un effet déterminant si elle avait été acceptée par le TAC (R & A).

... le TAC (R & A) ne s'est pas ... prononcé sur la crédibilité du rapport [du Dr Murdoch], il l'a simplement qualifié de « spéculatif » . ... [ Dr Murdoch] exprime une opinion claire et non équivoque sur le lien probable, et non seulement possible, ... Quand un expert parle de probabilités et non de possibilités, ce n'est pas de la spéculation. [souligné à l'original]


[36]             Dans les circonstances, si le Tribunal s'était conformé à ses obligations d'origine législative, il lui aurait été difficile d'en arriver à des conclusions autres que les suivantes :

a.    avant de commencer à prendre les médicaments non stéroïdiques, le demandeur n'avait aucun problème d'intestin;

2.       après avoir pris les médicaments non stéroïdiques pendant quelque temps, le demandeur a commencé à éprouver des problèmes d'intestin de façon chronique;

3.       de l'avis des Drs Hart et Reddy, le demandeur souffre de la MII et aucun autre diagnostic n'est suggéré;

4.       une des causes connues de la MII est l'ingestion prolongée des médicaments non stéroïdiques qui ont été prescrits en l'espèce et que le demandeur a pris pour contrôler les douleurs causées par l'arthrose de la colonne, pour laquelle il touchait une pension d'invalidité;

5.       aucun avis médical contraire n'est suggéré au sujet de ce lien de causalité.

[37]             En demandant au demandeur de fournir un « avis médical définitif » au sujet de son état, le Tribunal l'oblige à respecter la norme la plus élevée plutôt que d'examiner lui-même la preuve selon le critère de la prépondérance des probabilités et sous l'angle le plus favorable possible au demandeur. En concluant comme il l'a fait, le Tribunal a commis une erreur et a rendu une décision qui n'était pas raisonnable.

Conclusion


[38]       Je reconnais que la portée du contrôle judiciaire est restreinte, compte tenu de la clause privative de l'article 31 de la Loi sur le TAC, qui énonce que les décisions du Tribunal sont finales et exécutoires. Cependant, à mon avis, la décision que le Tribunal a rendue en l'espèce n'est pas raisonnable. De plus, en exigeant que le demandeur respecte la norme de preuve la plus élevée pour prouver le bien-fondé de sa demande de pension, c'est-à-dire en l'obligeant à établir l'existence d'un diagnostic définitif et d'un avis définitif au sujet de la cause, le Tribunal n'a pas appliqué correctement l'article 39 de la Loi sur le TAC et le paragraphe 5(3) de la Loi sur les pensions; ce faisant, il a commis une erreur de droit susceptible de révision.

[39]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision qu'a rendue le Tribunal des anciens combattants le 11 mai 1999 est infirmée et la demande du demandeur est renvoyée au Tribunal en vue d'un réexamen par une formation différente.

[40]       Le demandeur a demandé les dépens et la Cour lui accorde dans son ordonnance ci-jointe les dépens selon la base habituelle, soit les dépens entre parties.

                                                                                                                     W. Andrew MacKay            

Juge

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Le 7 août 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                           T-1043-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       William Smith

- et -

Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             St. John's (Terre-Neuve)

DATE DE L'AUDIENCE :                                          le 17 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                  Le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                                                  le 7 août 2001

ONT COMPARU :

M. William G. Morrow, c.r.                                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Leanne Wrathall                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. William G. Morrow, c.r.                                              POUR LE DEMANDEUR

C.P. 870

Bay Robeerts (T.-N.) A0A 1G0

Tél. : (709) 786-9207 - Téléc. : (709) 786-9507

Mme Leanne Wrathall                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Suite 1400, Duke Tower

5251 Duke Tower

B3J 1P3

Halifax (N.-É.)

Tél. : (902) 426-2511 - Téléc. : (902) 426-2329


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20010807

Dossier : T-1043-99

ENTRE :

WILLIAM SMITH

demandeur

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                  


Date : 20010807

Dossier : T-1043-99

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE), le mardi 7 août 2001.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

ENTRE :

WILLIAM SMITH

demandeur

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE

Vu la demande de contrôle judiciaire relative à une décision en date du 11 mai 1999 par laquelle le Tribunal des anciens combattants a rejeté la demande du demandeur en vue de faire reconnaître son droit à une pension d'invalidité conformément à l'alinéa 21(5)b) de la Loi sur les pensions;


Après avoir entendu les avocats du demandeur et du défendeur à St. John's, le 17 novembre 2000, date à laquelle elle a mis l'affaire en délibéré, et après avoir examiné les arguments alors invoqués,

LA COUR ORDONNE :

1.                    La demande est accueillie.

2.                    Le demandeur a droit aux dépens selon la base habituelle, soit les dépens entre parties.

                                                                                                                     W. Andrew MacKay            

Juge

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Le 7 août 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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