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Date : 19990108


Dossier : IMM-166-98

ENTRE:

            

MARIANO VASQUEZ AMAYA

     Partie requérante

ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     Partie intimée

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l"immigration et du statut du réfugié rendue le 15 décembre 1997, concluant que le requérant n"est pas "un réfugié au sens de la Convention". Le requérant demande à la Cour de casser ladite décision et d"ordonner la tenue d"une audition devant d"autres commissaires de la Commission.

FAITS

[2]      Le requérant, un citoyen du Honduras, revendique le statut de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social particulier. Les faits ci-dessous sont tirés de la décision de la Commission du 15 décembre 1997. Le requérant a déclaré qu"entre avril 1990 et juin 1996, il a travaillé à l"hôtel Terraza à San Pedro Sula. En avril 1994, il se serait impliqué dans la formation syndicale et aurait accepté d"être coordonnateur. En mai 1996, il aurait revendiqué des améliorations aux conditions de travail qui auraient été partiellement acceptées par l"employeur. Aussi, au cours du mois de mai, le propriétaire de l"hôtel aurait informé le requérant qu"il était au courant de son implication au sein du syndicat et qu"il tenait l"information de personnes bien placées à la direction d"investigation criminelle (DIC). Le 2 juin 1996, le propriétaire de l"hôtel aurait convoqué le requérant pour lui annoncer qu"il était promu responsable des employés dans un restaurant espagnol affilié. Cette promotion lui a permis d"obtenir une importante augmentation de salaire en plus d"être logé et nourri.

[3]      Le requérant relate que trois incidents se sont ensuite produits. Premièrement, il déclare avoir été agressé et volé par deux individus armés le 29 novembre 1996. Il s"est rendu au bureau de la DIC pour porter plainte. Il a déclaré qu"on lui aurait demandé de l"argent pour procéder à une enquête et qu"il a reconnu l"un de ses agresseurs au bureau de la DIC. Deuxièmement, il déclare que deux individus l"auraient menacé à son retour du travail le 22 décembre 1996, mais qu"il n"a pas porté plainte à la DIC puisqu"il était convaincu que l"attaque avait été orchestrée par des individus à la DIC. Suite à ces incidents, le requérant décide de quitter son emploi au restaurant. Troisièmement, il affirme avoir été suivi par deux individus le 3 janvier 1997 alors qu"il quittait son domicile pour aller chercher un emploi.

[4]      Le requérant a quitté le Honduras pour se rendre au Guatemala, où il serait demeuré jusqu"au 15 février 1997. Il a ensuite séjourné au Mexique jusqu"au 30 avril 1997 pour arriver au Canada le 18 mai 1997 après avoir traversé les États-Unis.

QUESTION EN LITIGE

[5]      La décision de la Commission de l"immigration et du statut du réfugié est-elle entachée d"une erreur de droit ou de fait, ou d"une violation d"un principe de justice naturelle?

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[6]      Le requérant soulève quatre moyens à l"appui de sa demande de contrôle judiciaire. Toutefois, il n"a pas fait de soumissions orales en ce qui concerne la première question.

     1)      La Commission a commis une erreur dans l"appréciation de la preuve testimoniale. La décision indique que le requérant a porté plainte à deux reprises alors que les notes sténographiques de l"audition démontrent qu"il n"a porté plainte qu"une seule fois.         
     2)      La Commission a fait abstraction de la preuve en fondant sa décision sur la conclusion que les agressions et les menaces n"étaient pas liées aux activités syndicales de l"hôtel Terraza. Le requérant soutient que les agressions dont il a été victime sont liées aux activités au restaurant à Ciguantepeque et non à l"hôtel Terraza. Après avoir obtenu sa promotion, il a encouragé les employés de ce restaurant à revendiquer des augmentations de salaire, et c"est ce qui a déclenché les agressions et les menaces.         
     3)      La décision de la Commission indique que rien dans la preuve ne permet de conclure qu"il existe un lien entre l"employeur et la DIC. Le requérant soutient que son témoignage démontre qu"il existe un lien et qu"il s"agit d"une preuve extra-judiciaire dont la Commission aurait dû tenir compte.         
     4)      Le requérant soutient que la Commission a commis une erreur de droit en tenant compte de l"information obtenue du Directeur du personnel de l"hôtel Terraza concernant la formation du syndicat. L"information a été obtenue à l"extérieur du Canada alors que la Loi sur l"immigration ne permet pas les commissions rogatoires et les requêtes à l"extérieur du pays. En outre, la preuve n"est pas crédible puisque le directeur a été embauché après la formation du syndicat et il ne peut témoigner concernant une période où il n"était pas présent.         

[7]      L"intimé soutient en réponse aux allégations du requérant que la décision de la Commission n"est pas fondée sur le nombre de plaintes déposées à la DIC, mais plutôt sur le manque de crédibilité du requérant et l"absence de crainte de persécution liée aux activités syndicales. L"intimé soutient que la Commission était fondée, compte tenu de l"ensemble de la preuve, de conclure qu"il n"existe aucun lien causal entre les activités syndicales alléguées par le requérant et les agressions et menaces. En ce qui a trait à l"aveu extra-judiciaire, l"intimé soumet qu"il ne s"agit que d"un élément du témoignage du requérant qui ne permet pas d"établir la complicité alléguée. Les autres faits au dossier tendent plutôt à contredire cette affirmation. Finalement, l"intimé soumet que le statut de réfugié n"est pas lié par les règles légales et techniques de présentation de la preuve conformément au paragraphe 68.(3) de la Loi sur l"immigration. En outre, la réponse du Directeur du personnel à la demande d"information comporte des renseignements généraux admissibles en preuve sur lesquels la Commission n"était pas tenue de permettre le contre-interrogatoire.

ANALYSE

Erreur sur le nombre de plaintes déposées au DIC

[8]      Le requérant soutient que la Commission a commis une erreur dans l"appréciation des faits puisque la décision indique que le requérant a déposé deux plaintes à la DIC alors que la preuve testimoniale démontre qu"il ne s"est présenté à la DIC qu"une seule fois car il soupçonnait la DIC d"être responsable des agressions. L"intimé soumet que la décision n"est pas fondée sur le nombre de plaintes déposée par le requérant, et que la décision se fonde plutôt sur l"absence de crédibilité du requérant et l"absence de crainte de persécution liée à ses activités syndicales.

[9]      Je suis d"avis, comme le souligne l"intimé, qu"il s"agit d"une erreur sans importance sur laquelle ne s"appuie pas la décision de la Commission. Ce n"est pas une erreur justifiant l"intervention de la Cour.

Lien causal entre les activités syndicales et les agressions et menaces

[10]      Le requérant allègue que la Commission a erré en concluant qu"il n"existait pas de lien causal entre les activités syndicales et les agressions et menaces dont se plaint le requérant. Le requérant soutient que la Commission a fait abstraction de la preuve puisqu"il appert de la preuve que les agressions et les menaces sont survenues après qu"il ait été promu au restaurant parce qu"il aurait encouragé les employés à revendiquer des augmentations de salaires. Le requérant cite le passage suivant de la décision de la Commission pour démontrer l"erreur alléguée.

         Quant aux agressions, le tribunal ne peut conclure qu"elles sont reliées aux activités syndicales du revendicateur. D"autant plus qu"il n"a jamais été mention de l"implication du revendicateur dans le syndicat, lors des agressions ou des menaces qu"il aurait reçues. Il ne travaillait plus à l"hôtel Terraza depuis plusieurs mois lorsqu"elles eurent lieu.                 

[11]      L"intimé souligne à cet égard que l"ensemble des faits en preuve sous-tendent la conclusion de la Commission quant à l"absence de lien entre l"implication syndicale et les agressions. Entre autres, la Commission a aussi tenu compte des faits en preuve qui étayent l"absence de lien pour conclure que le requérant n"était pas crédible, notamment, le comportement de l"employeur, l"absence de confrontations, la promotion qu"a obtenu le requérant, ainsi que le refus d"assigner le requérant à un autre emploi ce qui aurait permis de se débarrasser de lui.

[12]      À mon avis, cette prétention du requérant m"apparaît non fondée. Le passage que cite le requérant ne démontre pas que la Commission a négligé de prendre en considération les faits, ou qu"elle s"est mépris sur les faits, ayant motivés les agressions et les menaces. La Commission n"est pas tenue lorsqu"elle rend ses motifs de faire mention de tous les éléments dont elle a tenue compte pour rendre sa décision: Atwal v. Canada (Secretary of State) , (1994), 82 F.T.R. 73. En outre, il appert des motifs de la Commission que la décision se fonde entre autres sur un bon nombre d"éléments de preuve ainsi que sur la crédibilité du requérant. La Commission ne me semble avoir commis aucune erreur déraisonnable dans l"appréciation de la preuve ou de la crédibilité du requérant en rendant sa décision.

Conclusion de fait concernant le lien entre l"employeur et le DIC

[13]      Le requérant soutient que la Commission a erré en concluant que "rien dans la preuve" ne permet d"établir un lien entre l"employeur et le DIC. Le requérant soumet que la Commission n"a pas tenu compte de son témoignage à cet effet et que la Commission était tenu de tenir compte de cette preuve/aveu extra-judiciaire. Comme le souligne l"intimé, et je suis d"accord avec cette proposition, la Commission est maître de l"appréciation des faits, et elle possède toute la discrétion nécessaire pour en évaluer la crédibilité et leur valeur probante. La Commission peut donc accorder une plus grande valeur à une preuve documentaire qu"à une preuve testimoniale: M.E.I. c. Zhou , A-492-91, 18 juillet 1994. En l"espèce, la Commission a entendu le témoignage du requérant concernant les aveux que son employeur lui aurait faits et on ne peut prétendre qu"elle n"a pas considéré cet élément de preuve pour le simple motif que la décision mentionne que "rien dans la preuve ne permet d"établir un lien". Il me semble qu"on ne peut prendre cette expression au pied de la lettre. À mon avis, ce passage indique que la preuve ne démontre pas qu"il existe un lien entre l"employeur et le DIC. En fait, il appert aussi de la décision que la Commission a considéré les prétentions du requérant à cet égard, et qu"elle les a jugées invraisemblables.         

[14]      À mon avis, ce moyen n"est pas fondé. Le requérant ne soulève aucun argument démontrant que la Commission a commis une erreur justifiant l"intervention de la Cour.

Admissibilité des renseignements obtenus par le biais de la demande d"information

[15]      Suite à une demande d"information, la Direction de la recherche de la Commission de l"Immigration et du statut de réfugié est entrée en contact avec le Directeur du personnel de l"hôtel Terraza. Une brève note rapportant les informations obtenues - que le syndicat avait été formé en 1996 et que depuis sa formation qu"il n"y avait eu aucun conflit entre la direction et les autorités - a été déposée lors de l"audition.

[16]      Le requérant soutient que la réponse à la demande d"information n"est pas admissible puisque la Loi sur l"immigration ne permet pas les commissions rogatoires, qu"il n"a pas eu l"opportunité de contre-interroger le Directeur du personnel, et que le Directeur n"était pas en poste pendant la période visée. Le requérant a soumis la cause de Nrecaj c. Canada [1993] 3 C.F. 630 pour établir que le fait d"obtenir des renseignements de sources autres que l"audition et de produire ces renseignements seulement à l"audition constitue une violation de la justice naturelle. L"affaire ne saurait étayer la proposition avancée par l"avocat du requérant et elle ne s"applique pas aux faits de l"espèce.

[17]      L"intimé soutient que la Commission n"est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve conformément au paragraphe 68.(3) de la Loi sur l"immigration. En outre, la note d"information ne porte pas sur des renseignements personnels; il s"agit d"une demande d"information générale au sujet du syndicat dans un restaurant qui opère depuis 25 ans. La Commission n"était pas tenue d"obtenir la permission du requérant ou de lui permettre de contre-interroger le directeur du personnel.

[18]      Le paragraphe 68(3) de la Loi sur l"immigration se lit comme suit:

La section du statut n"est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu"elle juge crédibles ou dignes de foi en l"occurrence et fonder sur eux sa décision.

The Refugee Division is not bound by any legal or technical rules of evidence and, in any proceedings before it, it may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances of the case.

[19]      Dans l"affaire Fajardo c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), A-1238-91, 15 septembre 1993, la Cour d"appel fédérale s"est penchée sur l"application de l"article 68(3) de la Loi sur l"immigration et rejetait la prétention qu"un affidavit n"était pas admissible parce qu"il n"était pas possible de mener un contre-interrogatoire :

         By s. 68(3) of the Immigration Act, the Refugee Division is not bound by legal or technical rules of evidence and it may base a decision on evidence adduced in the proceedings which it considers credible and trustworthy in the circumstances. If the tribunal here is suggesting that the affidavit evidence of patently respectable deponents as to facts within their knowledge may be discounted because, in the very nature of the process, the deponents are not available to be cross-examined, the tribunal is wrong. It is not for the Refugee Division to impose on itself or claimants evidentiary fetters of which Parliament has freed them.                 

[20]      Je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en admettant en preuve l"information obtenue du Directeur du personnel de l"hôtel. L"article 68(3) stipule que la Commission n"est pas liée par les règles de présentation de la preuve, en autant qu"elle juge les éléments crédibles ou dignes de foi. Il s"agissait d"information générale concernant, notamment, la date de formation du syndicat, et non pas de renseignements personnels sur le requérant. Comme le mentionne la Cour d"appel fédérale dans Fajardo , supra, l"absence de contre-interrogatoire ne rend pas la preuve inadmissible.

CONCLUSION

[21]      Le requérant n"a pas démontré que la Commission avait commis une erreur justifiant l"intervention de cette Cour. Les erreurs qu"il soulève dans la décision sont sans importance et ne sous-tendent pas la décision de la Commission qui se fonde essentiellement sur la crédibilité du requérant et l"absence de crainte de persécution.

[22]      Le procureur du requérant a déposé la question suivante pour certification :

         L"agent d"audience ou la SSR est-elle en droit de faire recueillir des éléments de preuve - soit dans le cas en espèce un témoignage d"un employé de l"agent persécuteur allégué, témoignage dont l"essentiel est résumé dans la réponse à la demande d"information HND28206.F - hors audience et hors du Canada, sans la permission ni la connaissance du revendicateur avant que de faire, et de manière à ce qu"aucun contre-interrogatoire ne puisse être conduit et ne soit offert dans le cadre de l"audience?"                 

[23]      Je n"accepte pas la question à être certifiée telle que rédigée puisque la portée en est beaucoup trop grande et outrepasse les faits de la présente affaire.

[24]      Toutefois, je suis prêt à certifier la question suivante :

         Les membres de la formation peuvent-ils, de leur propre chef, obtenir des renseignements sur la question dont il sont saisis, que ces renseignements proviennent de sources canadiennes ou de sources étrangères et ensuite confronter le revendicateur à ces renseignements sachant que la personne qui leur a fourni les renseignements ne peut être contre-interrogée?                 

[25]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée et la question précitée, telle que reformulée, est certifiée.

                         "Max M. Teitelbaum"

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 8 janvier 1999

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