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                                                                                                                                            Date : 20031219

                                                                                                                                       Dossier : T-1308-03

                                                                                                                            Référence : 2003 CF 1490

Entre :

                                                                LAURENT RIVARD

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal des anciens combattants Canada (le « Tribunal » ) rendue le 5 juin 2003, refusant d'octroyer au demandeur une pension rétroactive additionnelle en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), c. P-6 (la « Loi » ).

Les faits

[2]         Le demandeur était dans les forces canadiennes lors de la Seconde Guerre mondiale du 24 juin 1943 au 6 février 1946.


[3]         En novembre 1945, en raison d'une condition psychiatrique, le demandeur est retourné au Canada et fut libéré pour raison médicale le 6 février 1946. En 1950 et en 1964, le demandeur s'est plaint de symptômes psychiatriques.

[4]         Le 19 septembre 1994, la Commission canadienne des pensions a statué que l'anxiété dont souffrait le demandeur était imputable au service militaire accompli au cours de la Seconde Guerre mondiale.

[5]         Le 16 avril 1997, le demandeur a présenté une nouvelle demande d'invalidité en vertu du paragraphe 21(5) de la Loi, alléguant qu'une maladie coronarienne et un reflux gastro-oesophagien étaient consécutifs à l'anxiété qui avait ouvert son droit à une pension. Le 2 juin 1997, le ministre des Anciens combattants a refusé cette demande. Cette décision fut confirmée par le Comité de révision du Tribunal (le « Comité » ) le 23 septembre 1997.

[6]         Le demandeur a interjeté appel de la décision rendue le 23 septembre 1997 en vertu des articles 25 et 26 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.R.C. (1985), c. 18 (la « Loi sur le Tribunal » ). Le 28 janvier 1998, le Tribunal a confirmé la décision du Comité.

[7]         Le 21 septembre 1999, le demandeur a demandé au Tribunal de réexaminer la décision du 28 janvier 1998 en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal et, le 12 avril 2000, le Tribunal a confirmé la décision. Cette dernière décision du Tribunal a fait l'objet d'une révision judiciaire; elle a été annulée et le dossier, renvoyé au Tribunal pour être reconsidéré le 26 juin 2001.


[8]         Le 20 septembre 2001, le Tribunal a conclu qu'un droit à pension dans la proportion d'un cinquième représentait le rôle qu'a pu jouer l'anxiété chronique dans l'aggravation de la maladie coronarienne du demandeur. La date effective du droit à la pension a été fixée au 20 septembre 1998, soit la date précédant de trois ans la date à laquelle la pension a été accordée.

[9]         Le 11 décembre 2001, le demandeur a demandé au Tribunal de réexaminer la décision du 20 septembre 2001 en soumettant que le Tribunal a erré dans son interprétation de la Loi en omettant d'octroyer une rétroactivité additionnelle en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi.

[10]       Le 23 janvier 2002, en vertu des dispositions du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal et par dérogation à l'article 31, le Tribunal a conclu que la rétroactivité additionnelle en vertu du paragraphe 39(2) n'était pas applicable au demandeur.

[11]       Le 18 juillet 2002, le demandeur a demandé un réexamen de la décision et, le 5 juin 2003, le Tribunal a confirmé la décision du 23 janvier 2002. Cette décision fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision du Tribunal

[12]       Le 5 juin 2003, le Tribunal a refusé la demande de réexamen du demandeur parce que le demandeur n'avait pas présenté de demande pour une rétroactivité additionnelle et parce que les délais encourus lorsqu'un demandeur exerce ses droits devant la Cour fédérale ne sont pas les délais prévus au paragraphe 39(2) de la Loi. Le Tribunal s'explique comme suit dans sa décision :

L'avocat au nom de l'appelant allègue que le Tribunal a erré dans son interprétation en omettant d'octroyer une rétroactivité en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions.


Le Tribunal conclut que la présente demande est non fondée et une seconde fois le Tribunal déclare qu'il n'y a aucune erreur de droit puisqu'aucune demande n'a été faite pour une rétroactivité additionnelle en vertu de l'article 39(2) de la Loi sur les pensions. En effet, le Tribunal ne peut commettre d'erreur à un certain sujet si celui-ci n'a jamais fait l'objet d'une décision.

D'autre part, le Tribunal est d'avis que l'appelant qui exerce ses droits devant la cour fédérale et les délais qui en écoulent ne constituent pas motifs d'octroi d'une indemnité de rétroactivité additionnelle et ne constituent pas des délais administratifs au sens du paragraphe 39(2).

La législation pertinente

[13]       Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :


2. Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

39. (1) Le paiement d'une pension accordée pour invalidité prend effet à partir de celle des dates suivantes qui est postérieure à l'autre_:

a) la date à laquelle une demande à cette fin a été présentée en premier lieu;

b) une date précédant de trois ans la date à laquelle la pension a été accordée au pensionné.

(2) Malgré le paragraphe (1), lorsqu'il est d'avis que, en raison soit de retards dans l'obtention des dossiers militaires ou autres, soit d'autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur, la pension devrait être accordée à partir d'une date antérieure, le ministre ou le Tribunal, dans le cadre d'une demande de révision ou d'un appel prévus par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), peut accorder au pensionné une compensation supplémentaire dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension.


2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

39. (1) A pension awarded for disability shall be made payable from the later of

(a) the day on which application therefor was first made, and

(b) a day three years prior to the day on which the pension was awarded to the pensioner.

(2) Notwithstanding subsection (1), where a pension is awarded for a disability and the Minister or, in the case of a review or an appeal under the Veterans Review and Appeal Board Act, the Veterans Review and Appeal Board is of the opinion that the pension should be awarded from a day earlier than the day prescribed by subsection (1) by reason of delays in securing service or other records or other administrative difficulties beyond the control of the applicant, the Minister or Veterans Review and Appeal Board may make an additional award to the pensioner in an amount not exceeding an amount equal to two years pension.


[14]       La disposition pertinente de la Loi sur le Tribunal est la suivante :


3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.


3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants, may be fulfilled.



Analyse

[15]       Je suis d'avis que le Tribunal a fait une mauvaise application du paragraphe 39(2) de la Loi, ce qui constitue une erreur de droit qui justifie l'intervention de cette Cour. En effet, s'agissant en l'espèce d'une question d'interprétation de la loi, la norme applicable de contrôle judiciaire est celle du bien-fondé, comme l'a décidé la Cour d'appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. MacDonald (le 23 janvier 2003), A-542-01, 2003 CAF 31, au paragraphe [11] :

Le juge saisi de la demande n'a pas traité expressément de la norme de contrôle judiciaire à appliquer à la décision du Tribunal, mais il semble avoir appliqué la norme du bien-fondé. Puisque la question en litige nécessite d'interpréter la loi, je conviens qu'en l'espèce la norme applicable est celle du bien-fondé. . . .


[16]       Ici, le Tribunal a eu tort de faire dépendre l'exercice de la discrétion qui lui est accordée par la disposition en cause d'une demande expresse, par le pensionné, d'une compensation supplémentaire. Rien dans le paragraphe 39(2) ne limite ainsi l'exercice du pouvoir discrétionnaire accordé au Tribunal. La seule exigence requise pour l'exercice de la discrétion conférée par la disposition est celle que le Tribunal soit d'avis « que, en raison soit de retards dans l'obtention des dossiers militaires ou autres, soit d'autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur, la pension devrait être accordée à partir d'une date antérieure » . Ainsi, qu'une demande de la compensation supplémentaire prévue au paragraphe 39(2) soit faite ou non, le Tribunal peut, si le dossier devant lui révèle l'existence des retards ou autres difficultés administratives dont parle la disposition et s'il est d'avis qu'en raison de ces retards ou difficultés administratives la pension devrait être accordée à partir d'une date antérieure, accorder au pensionné une compensation supplémentaire dont le montant ne dépasse pas celui de deux années de pension. À mon sens, cette interprétation du paragraphe 39(2) est renforcée par l'obligation imposée au Tribunal, par l'article 3 de la Loi sur le Tribunal, d'interpréter les dispositions de la Loi de façon large, « compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge » . De plus, l'article 2 de la Loi requiert que les dispositions de cette même loi soient interprétées de façon libérale.

[17]       Bien que cette erreur de droit du Tribunal soit suffisante pour justifier l'intervention de cette Cour, j'exprime aussi l'avis qu'il était manifestement déraisonnable pour le Tribunal de ne pas accorder au demandeur de compensation supplémentaire au motif que les délais découlant de l'exercice de ses droits devant cette Cour ne pouvaient constituer des délais administratifs au sens du paragraphe 39(2). De fait, le demandeur a présenté sa demande pour ses troubles cardiaques et son reflux gastro-oesophagien le 16 avril 1997. Ce n'est que le 20 septembre 2001 que le Tribunal a finalement décidé de lui accorder une prestation pour ces troubles, et ce, seulement suite à un recours à la Cour fédérale. À mon sens, que le Tribunal n'ait pu accorder cette prestation plus tôt résulte d'empêchements administratifs découlant de la nécessité d'attendre le résultat du recours exercé devant cette Cour concernant une décision antérieure du même Tribunal. Vu l'obligation imposée au Tribunal par l'article 3 de la Loi sur le tribunal et par l'article 2 de la Loi d'interpréter leurs dispositions de façon large et libérale, je considère qu'il se devait de considérer qu'il s'agissait là de « difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur » .

[18]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est maintenue et l'affaire est renvoyée au Tribunal différemment constitué pour nouvelle considération qui devra tenir compte des présents motifs. Il n'y a pas d'adjudication de dépens, le demandeur n'en n'ayant pas demandés.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 décembre 2003


                                  COUR FÉDÉRALE

             NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-1308-03

INTITULÉ :                           LAURENT RIVARD c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 27 novembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :     L'honorable juge Pinard

EN DATE DU :                    19 décembre 2003

ONT COMPARU :

Me Jean-Pierre Morin                         POUR LE DEMANDEUR

Me Patricia Gravel                    POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Morin, Metcalfe, s.e.n.c.              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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