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                                                  T-2613-96

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 16 janvier 1997

 

 

En présence de monsieur le juge Dubé

 

 

Entre :

 

                     SANDRA GERNHART,

 

                                                requérante,

 

 

                          - et -

 

                   SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                   intimée.

 

 

                     ORDONNANCE

 

 

La réponse aux questions de droit posées sont les suivantes :

 

a)Le paragraphe 176(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne viole pas l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés;

 

b)Sans objet.

 

 

                                 (Signature)  « J.E. Dubé »

  Juge

 

 

Traduction certifiée conforme :                           

 

  F. Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                  T-2613-96

 

 

Entre :

 

                     SANDRA GERNHART,

 

                                                requérante,

 

 

                          - et -

 

 

                   SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                   intimée.

 

 

 

 

               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

 

LE JUGE DUBÉ

 

     Dans la présente affaire, qui concerne l'impôt sur le revenu, les deux parties cherchent à faire trancher une question de droit en vertu de l'alinéa 17(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale et de la règle 474 des Règles de la Cour fédérale. Les deux s'entendent sur les faits en cause ainsi que sur les deux questions à trancher. Elles conviennent aussi qu'une décision soit rendue sur la validité constitutionnelle du paragraphe 176(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et que, s'il est déterminé que ledit paragraphe est invalide, un redressement déclaratoire soit obtenu par la présente procédure. Le paragraphe en question est libellé en ces termes :

 

176. (1) - Dès que cela est réalisable, après réception d'un avis d'appel à la Cour canadienne de l'impôt - sauf s'il s'agit d'un appel visé à l'article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt - le ministre fait transmettre à cette cour et à l'appelant des copies des déclarations, avis de cotisation, avis d'opposition et de toute notification pertinents à l'appel.

 


L'exposé conjoint des faits indique ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

a)Vers le 19 avril 1994, la requérante a déposé, en vertu de la Procédure générale, un avis d'appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt en application de l'article 169 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

b)En accord avec le paragraphe 176(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national (ci-après appelé le « ministre »), après avoir reçu avis d'un appel interjeté devant la Cour canadienne de l'impôt selon la Procédure générale a transmis à la Cour des copies de toutes les déclarations, tous les avis de cotisation, tous les avis d'opposition et toute notification pertinents à l'appel (ci-après appelés les « documents »). [Dans le cas d'un appel interjeté selon la Procédure informelle de la Cour canadienne de l'impôt, le paragraphe 170(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu comporte la même exigence.]

 

c)En vertu du paragraphe 124(2) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (ci-après appelé la « Procédure générale ») [et du paragraphe 9(1) desdites règles (ci-après appelé la « Procédure informelle »)], les documents que le ministre a transmis à la Cour en vertu de ces dispositions sont considérés par cette dernière comme un élément du dossier.

 

d)Bien que les documents que le ministre transmet à la Cour puissent ne jamais être soumis en preuve par l'une ou l'autre partie, ils sont réputés faire partie du dossier de la Cour.

 

e)Selon le paragraphe 124(3) de la Procédure générale, rien de ce qui figure dans les documents ne constitue une preuve à moins que le document en question ait été présenté séparément comme preuve à l'instruction.

 

f)Étant donné qu'il faut donner un certain sens au paragraphe 124(2) de la Procédure générale, il faut conclure que le juge du procès a accès à l'ensemble du dossier de la Cour et peut consulter ce dernier, y compris les documents transmis en application du paragraphe 176(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

g)L'article 16 de la Procédure générale énonce ce qui suit :

 

« Sous réserve d'une ordonnance limitant l'accès à des tiers à un dossier particulier, que la Cour peut rendre dans des circonstances spéciales, toute personne peut, sous une surveillance appropriée, lorsque les installations et les services de la Cour permettent de le faire sans gêner les travaux ordinaires de celle-ci : 

 

a) examiner les dossiers de la Cour portant sur une question dont celle-ci est saisie;

 

b) sur paiement de 0,40 $ la page, obtenir une photocopie de tout document contenu dans un dossier de la Cour. »

 

h)En conséquence, en l'absence d'ordonnance de la Cour en vertu de l'article 16 de la Procédure générale, tout membre du public aurait le droit de consulter un document figurant dans le « dossier de la Cour » (en anglais : court file).

 

i)En anglais, les mots « court file » ont un sens encore plus large que les mots « court record ». Les documents que transmet le ministre seraient certainement inclus dans l'expression « court file ».

 

j)Cela a pour effet que les documents que le ministre transmet à la Cour peuvent être consultés et copiés par le grand public, qu'ils soient déposés en preuve ou non par l'une quelconque des parties à l'action.

 

k)En outre, le public a accès aux documents avant que commence l'instruction proprement dite, et ce, même si l'affaire en question est destinée à être réglée hors Cour et si l'une ou l'autre des parties, ou les deux, n'ont peut-être pas l'intention de poursuivre l'appel.

 

 

 

Les deux questions à trancher sont les suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

a)Le paragraphe 176(1) d'une Loi concernant les impôts sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), avec modificatifs, viole-t-il l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où il autorise une « saisie abusive »?

 

b)Dans l'affirmative, le paragraphe 176(1) de la Loi concernant les impôts sur le revenu constitue-t-il une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte?

 

Enfin, le texte de l'article 8 de la Charte est le suivant :

 

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

 

     En ce qui concerne la première question, l'élément clé à résoudre est, à l'évidence, celui de savoir si, en l'espèce, il est bel et bien question d'une « saisie déraisonnable », voire d'une « saisie » quelconque.

 

     La requérante fait valoir que le contribuable n'a aucune latitude en ce qui concerne le dépôt de certains documents en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu : les documents en question doivent être déposés avec les déclarations de revenus et, par la suite, sur appel, ils sont versés dans le dossier de la Cour canadienne de l'impôt et en font partie intégrante, et sont mis à la disposition des avocats, des juges et, en fait, de n'importe quel membre du public. Dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Brandon Roy Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, le juge La Forest, à la p. 431 du recueil, a défini en termes généraux ce qu'est une saisie en vertu de l'article 8 :

 

À mon avis, il y a saisie au sens de l'art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement.


     Ce qui constitue une saisie selon la requérante est le fait de prendre les renseignements confidentiels d'un contribuable et de les mettre à la disposition du public. Il peut y avoir des documents qui sont manifestement personnels et privés et qui ne devraient pas être communiqués au public. Il n'y a aucun intérêt démontrable à forcer le contribuable à communiquer de tels documents dans le cours ordinaire des appels de l'impôt sur le revenu. La requérante fait valoir que si le ministère public ou le contribuable estiment que certains documents ou éléments d'information sont pertinents à l'affaire, ils pourraient demander que les pièces applicables soient déposées dans le cadre de la preuve. À ce stade-là, n'importe laquelle des parties aurait le droit de soulever une objection, et le juge du procès aurait à rendre une décision.

 

     La requérante signale que l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui comporte un code de confidentialité bien circonscrit, reconnaît déjà l'attente de respect de la vie privée.

 

     L'avocat de l'intimé admet qu'il n'est pas convenable que le public et les juges aient accès à l'ensemble du dossier de l'impôt sur le revenu. Il croit que le juge ne devrait pouvoir consulter que le dossier de la Cour, et que ce sont les avocats qui devraient contrôler les documents soumis à un juge. Étant donné que le contribuable sait qu'en vertu du paragraphe 176(1), un certain nombre de documents personnels figurant dans son dossier seront communiqués à la Cour, si jamais il décidait de porter sa cause en appel il pourrait craindre que ces attentes justifiées quant au respect de la vie privée disparaissent.

 

     Les deux parties conviennent donc que le paragraphe 176(1) de la Loi n'est plus approprié, que les temps ont changé. Vu la commodité des photocopieurs, il n'est plus nécessaire de transférer tout le dossier de l'impôt sur le revenu à la Cour canadienne de l'impôt. L'intimé fait toutefois valoir que le moyen fondé sur la Charte n'est pas le bon recours car, selon lui, aucune saisie n'a eu lieu.

 

     Tel est donc le noeud de l'affaire : savoir si le paragraphe 176(1) donne lieu ou non à une « saisie abusive ». À mon avis, non.

 

     La requérante se fonde sur un certain nombre de causes qui ne sont pas comparables à la présente parce qu'elles comportent des activités d'enquête. Dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada[1], une ordonnance de production de documents a été accordée en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions[2]. La Cour a décrété qu'il y avait eu une saisie en vertu de l'article 8 de la Charte. Cette affaire est différente de la présente parce que la saisie a eu lieu dans le cadre d'une enquête.

 

     Dans l'arrêt Comité paritaire c. Potash[3], des renseignements ont été demandés, dans le cadre d'une enquête, au sujet de certains dossiers d'emploi d'une industrie fort réglementée. Cette affaire est différente elle aussi de la présente parce que la saisie a été effectuée lors d'une enquête. Dans l'arrêt R.c. McKinlay Transport Ltd.[4] il était question d'une vérification fiscale. L'arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch[5] est une affaire relative à des valeurs mobilières dans laquelle une enquête a eu lieu.

 

     Dans R. c. Dyment, le juge La Forest, comme je l'ai mentionné plus tôt, a décrété que pour qu'il y ait saisie, une autorité publique doit prendre quelque chose appartenant à une personne sans son consentement. Dans les affaires relatives à l'impôt sur le revenu, le contribuable est tenu par la loi de produire des déclarations annuelles de revenus et, pour s'acquitter de cette obligation, il doit déposer certains documents. Toutefois, à mon sens, on ne peut dire que les documents accompagnant les déclarations de revenus ont été saisis par le ministre. Ce dernier ne dispose d'aucun pouvoir d'enquête en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu[6], mais la réception de déclarations de revenus n'en fait pas partie. Le simple fait de transférer ces documents à la Cour en vue d'un appel ne peut être considéré comme une saisie.

 

     Par conséquent, il n'y a pas eu de « saisie déraisonnable » en violation de l'article 8 de la Charte. Les deux parties ont invité la Cour à recommander que le paragraphe 176(1) de la Loi soit modifié de manière à mieux protéger la vie privée du contribuable. Il incombe à la Cour de rendre des décisions, pas de formuler des recommandations. Si l'intimé souhaite que le paragraphe 176(1) de la Loi soit simplifié et mis à jour, il peut fort bien demander au Parlement de le faire sans la bénédiction de la Cour.

 

     Cela étant dit, je suis certainement d'accord avec les deux parties que le contribuable a droit à une attente raisonnable de respect de la vie privée et qu'il n'est plus nécessaire, pour administrer la justice, que tout le dossier du contribuable devienne le dossier de la Cour canadienne de l'impôt. Vu les progrès de la technologie moderne, il est possible de trouver, produire et reproduire instantanément les documents pertinents, moyennant des frais relativement modestes. Dans le cadre du système actuel, l'hésitation de certains contribuables à révéler au monde entier leurs affaires personnelles peut peut-être les empêcher d'interjeter appel d'une cotisation du ministre. Par exemple, un contribuable qui déclare des frais d'intérêt considérables pourrait être perçu comme une personne lourdement endettée.

 

     Aux termes du paragraphe 176(1), lorsque la Cour canadienne de l'impôt reçoit un avis d'appel, le ministre doit transmettre tous les documents à la Cour, où le grand public peut les consulter et les copier, qu'ils soient soumis en preuve ou pas au procès. Par ailleurs, le juge lui-même peut examiner le dossier, indépendamment du fait que les documents en question seront produits ou non en preuve, ce qui, dans le concept des litiges civils, est inapproprié. Une partie à un litige a le droit de savoir quelles preuves le décisionnaire a pris en compte. Et les questions que celui-ci a à trancher doivent être celles que les parties ont formulées, de manière consensuelle ou non.


     En conséquence, la réponse à la première question est négative : le paragraphe 176(1) de la Loi ne viole pas l'article 8 de la Charte. Il s'ensuit donc qu'il n'est pas nécessaire de répondre à la seconde question.

 

 

                                 (Signature)  « J.E. Dubé »

 Juge

 

 

Vancouver (C.-B.)

16 janvier 1996

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme :                           

 

F. Blais, LL.L.


         AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :SANDRA GERNHART

 

- et -

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

No DU GREFFE :T-2613-96

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :12 décembre 1996

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

 

 

EN DATE DU :16 janvier 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me Richard W. Poundpour la requérante

Me Pierre Martel

 

 

Me Roger Leclairepour l'intimée

Me Anne-Marie Levesque

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

     Stikeman, Elliottpour la requérante

Montréal (Québec)

 

 

Me George Thomsonpour l'intimée

Sous-procureur général

  du Canada



     [1].[1990] 1 R.C.S. 425.

     [2].L.R.C. (1970), ch. C-23.

     [3].[1994] 2 R.C.S. 406.

     [4].[1990] 1 R.C.S. 627.

     [5].[1995] 2 R.C.S. 3.

     [6].Dans un document publié par Me Richard W. Pound (l'avocat de la requérante en l'espèce), intitulé « Audit, Inquiry, Search and Seizure », l'auteur décrit comme suit les quatre types de pouvoirs d'enquête que prévoit la Loi (p. 27:2) [TRADUCTION] : « les vérifications, les lettres de demande et les assignations, les perquisitions et saisies, et les demandes de renseignements ».

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