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     Date : 19981202

     Dossier : IMM-6021-98

ENTRE

     ZOLMAY ZOLFIQAR,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         (Prononcés à l'audience, tenue à Toronto (Ontario) le vendredi 27 novembre 1998, tels que révisés)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]          Il s'agit d'une demande d'injonction provisoire dans une action intentée par le demandeur pour faire interdire au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'expulser à 19 h 45 ce soir. Dans l'action, le demandeur cherche à démontrer que la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, exige que le processus de renvoi d'une personne qui affirme risquer d'être torturé inclue une évaluation du risque, et que le processus actuel ne le fait pas. Le demandeur prétend que s'il ressortait de l'évaluation du risque qu'un individu risque d'être torturé, la Charte exige qu'il ne soit pas expulsé vers un pays où ce risque est présent.

[2]          Le demandeur est originaire de l'Afghanistan. Il est un Tajik. Il est venu au Canada en 1988; il a été conclu que sa revendication du statut de réfugié avait un minimum de fondement, et il a obtenu le droit d'établissement en 1992. En 1995, il a été déclaré coupable d'avoir importé 3-3/4 livres d'héroïne et condamné à 10 ans d'emprisonnement.

[3]          En avril 1996, le ministre a déclaré que le demandeur constituait un danger pour le public aux fins du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[4]          En 1997, une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur. Celui-ci a obtenu la libération conditionnelle le 28 octobre 1998 ou vers cette date. À cette date, on l'a avisé qu'il serait renvoyé en Afghanistan. Le renvoi était prévu pour le

7 novembre 1998. Le demandeur a retenu les services d'un avocat le 4 novembre 1998. L'avocat a saisi la Cour d'une demande de contrôle judiciaire, et un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion a été demandé. La demande de sursis d'exécution devait initialement être débattue le 6 novembre 1998, mais en raison des difficultés dans l'arrangement du voyage, le renvoi du demandeur a été remis au 14 novembre 1998. L'avocat du demandeur en a été avisé le 6 novembre 1998, et suivant le conseil de l'avocat du défendeur, il a accepté de débattre du sursis d'exécution le

9 novembre 1998.

[5]          La demande de sursis d'exécution a été entendue par le juge Blais le 9 novembre 1998. Essentiellement, les arguments relatifs au renvoi du demandeur qui ont été invoqués devant le juge Blais sont répétés devant la Cour à l'occasion de la demande d'injonction provisoire. Les motifs et l'ordonnance du juge Blais ont été rendus le 12 novembre 1998. Il était disposé à présumer, sans se prononcer, que le demandeur avait soulevé une sérieuse question. Toutefois, il n'était pas convaincu que le demandeur subirait un préjudice irréparable dans l'éventualité de son renvoi en Afghanistan. Il a reconnu que l'Afghanistan continuait de connaître la guerre civile et l'instabilité politique. Il s'est penché sur les arguments du demandeur selon lesquels ce dernier craignait pour sa vie et pourrait être torturé dans l'éventualité de son renvoi. Il n'était pas convaincu que les Talibans ou le gouvernement afghanistan cherchaient à faire du tort au demandeur. Il a également examiné les arguments relatifs aux articles 7 et 12 de la Charte et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 26 juin 1987, 1465 U.N.T.S. 85. Après avoir conclu que le demandeur ne subirait pas de préjudicie irréparable dans l'éventualité de son renvoi en Afghanistan, il a également conclu que la prépondérance des inconvénients penchait en faveur du ministre. Il a donc rejeté la demande de sursis d'exécution.

[6]          Immédiatement après avoir été avisé de la décision et de l'ordonnance du juge Blais, le demandeur a saisi la Division générale de la Cour de l'Ontario d'une action en injonction provisoire pour faire surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion qui devait être exécutée le 14 novembre 1998. Les défendeurs ont cherché à faire suspendre l'action devant la Division générale. Le juge Wilkins a été saisi de l'affaire le 13 novembre 1998. Le juge Wilkins a conclu que la Division générale ne devrait pas connaître de la demande de sursis d'exécution présentée par le demandeur, et il a fait droit à la requête en arrêt de procédures introduite par les défendeurs. Il a estimé que [TRADUCTION] "il ne convient pas que la Cour prête son concours au sondage de tribunaux de la pire espèce dans l'intention d'obtenir des résultats contradictoires entre des tribunaux de compétence concurrente."

[7]          Des arrangements de voyage n'ont pu être faits pour le demandeur le 14 novembre 1998, et l'avocat du demandeur en a été avisé. Le 23 novembre 1998, l'avocat du demandeur a été informé que ce dernier devait être expulsé le 27 novembre 1998. Par la suite, la présente action a été intentée, avec la requête en injonction provisoire qui a été entendue aujourd'hui.

[8]          Les défendeurs soutiennent que la Cour ne devrait pas connaître de la demande d'injonction provisoire puisque le juge Blais a déjà tranché la question du préjudice irréparable, et que la requête est [TRADUCTION] "irrégulière pour ne pas dire qu'elle constitue un abus de la procédure".

[9]          Certes, les arguments soulevés dans la présente action sont essentiellement les mêmes que ceux invoqués dans le contrôle judiciaire sollicité par le demandeur; mais l'avocat du demandeur dit qu'il existe des doutes sur la procédure appropriée à suivre lorsqu'il s'agit de contester la décision d'un agent d'immigration sur la base des motifs énumérés dans la Charte. Il dit qu'après réflexion, il a estimé qu'il était plus approprié d'intenter la présente action plutôt que d'agir en contrôle judiciaire, comme cela avait initialement été fait.

[10]          Bien que l'avocat du demandeur tente de justifier l'engagement de la présente action en invoquant le motif qu'une contestation de la décision d'un agent d'immigration fondée sur la Charte devrait prendre la forme d'une action plutôt que d'un contrôle judiciaire, ce qui se passe réellement est une tentative de faire annuler par un autre juge de la Cour la décision du juge Blais quant au sursis d'exécution. C'est en fait ce qu'a tenté le demandeur en saisissant la Division générale de la Cour de l'Ontario d'une action.

[11]          En des termes des plus favorables au demandeur, celui-ci sollicite un réexamen de la décision du juge Blais de ne pas lui accorder un sursis à l'exécution de sa mesure d'expulsion. Une requête appropriée en réexamen devrait être introduite devant le juge qui a rendu la décision initiale. Quoi qu'il en soit, la portée du réexamen est restreinte.

[12]          Il est de règle générale que les décisions judiciaires sont définitives. Le réexamen est une exception restreinte à la règle de l'irrévocabilité. Les faits nouveaux survenus par suite de la prise d'une décision ou découverts ultérieurement à la prise d'une décision peuvent donner lieu à un réexamen. Un jugement obtenu par fraude peut également être réexaminé. Voir Les Règles de la Cour fédérale (1998), paragraphe 399(2). Toutefois, la partie qui cherche à obtenir un réexamen doit faire preuve de diligence raisonnable pour obtenir tous les renseignements pertinents antérieurs à la prise de la décision initiale. De plus, les nouveaux renseignements doivent en fait être nouveaux et ne doivent pas être les mêmes renseignements qui étaient auparavant disponibles, qui ont été présentés sous une autre forme ou donnés par l'entremise d'un autre témoin.

[13]          Pour ce qui du préjudice irréparable, le demandeur a produit deux nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le juge Blais. Ces deux éléments de preuve se rapportent à la situation de l'Afghanistan et aux circonstances du demandeur qui s'y rapportent. L'avocat du demandeur dit que ces éléments de preuve n'auraient pu raisonnablement été obtenus aux fins de l'action en sursis d'exécution dont était saisi le juge Blais. Le premier est un affidavit d'un individu originaire de l'Afghanistan qui travaille maintenant comme conseiller en matière communautaire au Canada. Le second est une lettre d'Amnistie internationale. L'affidavit du conseiller en matière communautaire a été obtenu aux fins des procédures devant la Division générale. Il a été établi le 12 novembre 1998, le même jour que celui où la décision du juge Blais a été rendue, et le jour précédant les procédures devant la Division générale. La lettre d'Amnistie internationale est datée du 19 novembre 1998.

[14]          J'ai pris connaissance des deux nouveaux documents. Ils ne révèlent pas le témoignage dont ne disposait pas le juge Blais, et même s'ils le faisaient, je ne suis pas convaincu qu'ils n'auraient pas pu être obtenus pour ces procédures.

[15]          Le juge Blais disposait d'un rapport d'Amnistie internationale daté du 17 août 1998, qui fait état des difficultés que les Tajiks connaissaient aux mains des Talibans dans des parties de l'Afghanistan. Un rapport de cinq pages plus récent daté de novembre 1998, intitulé [TRADUCTION] "Afghanistan : Le massacre à Mazar E. Sharif" se trouvait également dans la preuve dont était saisi le juge Blais. Les deux nouveaux éléments de preuve réitèrent ce qui figurait dans les documents du 17 août et de novembre. L'avocat du demandeur dit que l'affidavit et la lettre d'Amnistie internationale fait expressément état du demandeur, et que cela est nouveau. Toutefois, le demandeur a déposé son propre affidavit dans les procédures devant le juge Blais pour expliquer pourquoi il a cru craindre pour sa sécurité. Le juge Blais était saisi des mêmes points particuliers au demandeur soulevés dans les documents ultérieurs en raison du propre affidavit du demandeur.

[16]          L'avocat du demandeur dit que les nouveaux éléments de preuve n'auraient pu être obtenus plus tôt. Je ne suis pas d'accord. Si l'avocat du demandeur estimait que les documents initiaux déposés dans la demande de sursis d'exécution à l'occasion des procédures de contrôle judiciaire étaient insuffisants, il y avait du temps pour obtenir les nouveaux éléments de preuve. Le 6 novembre 1998, l'avocat du demandeur a été avisé que l'expulsion avait été ajournée au 14 novembre 1998. Il ne semble pas qu'il y ait eu tentative de faire ajourner l'audition de la demande de sursis d'exécution pour permettre à l'avocat d'obtenir d'autres éléments de preuve. L'avocat a accepté que les procédures se déroulent le 9 novembre 1998 en l'absence de ceux-ci.

[17]          Par ces motifs, je ne pense pas que les "nouveaux" renseignements soient nouveaux. En outre, l'affidavit et la lettre d'Amnistie internationale auraient pu être obtenus aux fins de la demande de sursis d'exécution dans les procédures de contrôle judiciaire.

[18]          L'avocat du demandeur a précisé qu'il croyait fermement que le Canada ne devait pas être complice de torture, et qu'aucune expulsion ne devrait avoir lieu en l'espèce lors même que le demandeur serait un importateur d'héroïne condamné. Je ne doute nullement de la sincérité de l'avocat du demandeur. Je reconnais également qu'il existe la preuve que les Tajiks connaissent des difficultés en Afghanistan. Toutefois, le juge Blais s'est penché sur la question relativement au demandeur, et il n'était pas convaincu que le demandeur subirait un préjudice irréparable dans l'éventualité de son renvoi en Afghanistan. Il a rejeté la demande de sursis d'exécution. Il avait le pouvoir de trancher la question et il l'a fait. L'administration appropriée de la justice exige que sa décision soit acceptée par les parties, et qu'elle ne soit pas remise en question.

[19]          Le juge Wilkins a conclu qu'il ne convenait pas que la Division générale [TRADUCTION] "prête son concours au sondage de tribunaux dans l'intention d'obtenir des résultats contradictoires entre des tribunaux de compétence concurrente." Je conclus qu'il ne convient pas qu'une partie s'engage dans un processus de sondage de juges dans l'intention d'obtenir des résultats contradictoires entre des juges de la Cour sur la base des mêmes faits de la même affaire.

[20]          La Cour doit être accessible, spécialement dans des affaires sérieuses telles les demandes de sursis à l'exécution de mesures d'expulsion. Toutefois, cette fin importante ne doit pas être dégradée par des demandes pleines de redites nécessitant un sondage de tribunaux et de juges. La présente demande est un abus de la procédure. Elle n'aurait pas dû être présentée. La demande est rejetée.

[21]          L'avocat des défendeurs a demandé des frais sur la base procureur client, invoquant le motif que la Cour a conclu que la requête n'aurait pas dû être introduite, et qu'il s'agit de la troisième requête en sursis d'exécution en approximativement trois semaines. L'avocat du demandeur soutient qu'il s'est occupé de l'affaire à titre bénévole, et que la Cour devrait en tenir compte. Les frais sont adjugés aux défendeurs sur la base procureur et client. Bien qu'il semble peu probable que les défendeurs recouvrent des frais, la Cour devrait indiquer fortement l'irrégularité des procédures qui ont été engagées aujourd'hui.

                                 Marshall Rothstein                                          Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 2 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-6021-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Zolmay Zolfiqar

                             et

                             Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
DATE DE L'AUDIENCE :              Le vendredi 27 novembre 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge Rothstein

EN DATE DU                      mercredi 2 décembre 1998

ONT COMPARU :

    Lorne Waldman                      pour le demandeur
    Neeta Logsetty                      pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Jackman, Waldman & Associates
    Avocats
    281, avenue Eglinton est
    Toronto (Ontario)
    M4P 1L3                          pour le demandeur
    Morris Rosenberg
    Sous-procureur général du Canada      pour les défendeurs

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19981202

     Dossier : IMM-6021-98

ENTRE

ZOLMAY ZOLFIQAR,

     demandeur,

     et

SA MAJESTÉ LA REINE,

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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