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Date : 19980702


Dossier : T-1737-97

ENTRE

     SIMON SMITH, DAVID PAUL, CHRIS TOM, VERN TOM,

     JOHN ELLIOTT, CURTIS OLSEN et JOE BARTLEMAN, en leur nom

     à titre de Chef et de Conseil de la bande indienne Tsartlip

     et au nom de la bande indienne Tsartlip,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

     CLYDESDALE ESTATE HOLDINGS LTD., BLAINE WILSON,

     TRACY WILSON, GENEVIEVE ELLIOTT, LAVINA OLSEN

     et GEORGE WILSON,

     défendeurs,

     et

     TROY ET SUSAN LANIGAN, DUANE ET JAELA FRANKLIN,

     RICHARD ET TAMARA NICHOLSON, WAYNE ET NICOLA OLSTEN,

     DWAYNE ET TARA FOSS, CLIFF ET LYUNN KETCHESON,

     CURTIS ET CARMEN GALE, CHARLES ET JEANNINE POWELL,

     WALLACE ET MARY LUMLEY, WARREN ET ARLENE REID,

     HAROLD ET LENORA HARKNESS, GARY ET LESLEY MCKNIGHT,

     MAURICE ET DOREEN FOORD, JOHN MCMURRAY ET

     FRANHARDER, SHAWN ET TREENA ARMITAGE, BOBBI ET

     ELDON SADLER, et JIM ET TERRI FOSS, collectivement appelés

     la Clydesdale Estates Residents Association,

     intervenants.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire par laquelle les demandeurs cherchent à obtenir : un jugement déclarant que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a omis de respecter l"obligation de fiduciaire qu"il a envers la bande indienne Tsartlip lorsqu"il a, en avril 1997, loué à Clydesdale Estate Holdings Limited relativement à des terres faisant partie de la réserve indienne numéro 1 de South Saanich, en Colombie-Britannique, et ce, pour une période débutant le 1er avril 1996; un jugement déclarant qu"en consentant cette location, le ministre a agi à l"encontre de la Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985); et, un bref de certiorari annulant la location et la déclarant nulle et de nul effet.

[2]      Les personnes désignées à titre de défendeurs, soit Blaine Wilson, Tracy Wilson, Genevieve Elliott, Lavina Olsen et George Wilson, sont toutes membres de la bande Tsartlip. Elles détenaient collectivement des certificats de possession pour les lots 5 et 5A du bloc 6 de la réserve indienne numéro 1 de South Saanich, en vertu de l"article 20 de la Loi sur les Indiens . En avril 1996, les défendeurs, qui sont aussi actionnaires de Clydesdale Estate Holdings Limited, ont demandé au ministre de louer au profit de leur société les terres qu"ils détenaient en vertu de leurs certificats de possession, conformément au paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens . Le but recherché était de poursuivre le développement d"un lotissement de maisons préfabriquées et de légitimer la présence d"occupants non Indiens sur la réserve, connus collectivement sous le nom de Clydesdale Estates Residents Association (les intervenants). Depuis plusieurs mois, ces derniers occupaient une partie des terrains et vivaient dans des maisons préfabriquées sur les lieux en vertu de ce qui est appelé en langage courant une location " Buchshee " ou droit d"occupation.

[3]      Un bref historique des événements ayant mené à la présente demande s"impose pour mieux comprendre les présentes procédures. Tôt en février 1996, un groupe représentant les intervenants a rencontré un fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) pour trouver une manière de régulariser et rendre conforme à la loi leur occupation de maisons préfabriquées sur la réserve. Au cours de cette rencontre, il est apparu clairement que le chef et le conseil de la bande indienne Tsartlip s"opposaient au projet. La bande était au courant que certaines mesures avaient été prises pour régulariser l"occupation des terres de la réserve car elle avait constaté la présence sur place d"un bureau d"ingénieurs engagé par les occupants dans le but de procéder à une évaluation environnementale.

[4]      En avril 1996, les demandeurs ont présenté au ministre une demande de location en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens. Cette disposition prévoit :




The Minister may lease for the benefit of any Indian, on application of that Indian for that purpose, the land of which the Indian is lawfully in possession without the land being designated.

Le Ministre peut louer au profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession légitime sans que celle-ci soit désignée.


[5]      Lorsque cette demande a été communiquée au conseil de bande, celui-ci y a réitéré son opposition et a demandé au MAINC de prendre des mesures pour que le projet soit interrompu et que les maisons existantes soient enlevées de la réserve Tsartlip.

[6]      En mai 1996, une évaluation environnementale préliminaire a été fournie à la bande. Par lettre envoyée au ministre et aux fonctionnaires du MAINC, celle-ci a réaffirmé son opposition au projet et a demandé de nouveau que les maisons soient enlevées. Il s"ensuivit un échange de lettres entre les fonctionnaires du MAINC, le ministre et le chef et le conseil de bande, qui permettait d"entrevoir la négociation d"une solution à l"amiable.

[7]      La réserve Tsartlip, comprenant environ 160 acres, a un système d"égoûts et d"alimentation d"eau construit entre 1984 et 1988 qui est relié à des installations appartenant au district de Central Saanich. L"utilisation du système d"égoûts par la bande ne peut excéder 375 unités en vertu de l"entente conclue avec le ministre provincial et le district; 180 unités de la réserve avaient été branchées.

[8]      Lors d"une rencontre préliminaire entre les défendeurs et le conseil de bande, aucune approbation officielle n"a été accordée, mais ce dernier a reconnu qu"il n"avait guère les moyens d"arrêter le projet, étant donné qu"un dénommé Arthur Cooper, membre de la bande, en avait un semblable comprenant 70 maisons faisant l"objet d"ententes de location " Buckshee ". Cet état de fait prévalait depuis environ 10 ans et avait été toléré par le conseil. Le lotissement Cooper n"était pas relié aux infrastructures de la réserve; en fait, M. Cooper ne jouissait même pas d"un contrat de location du ministre conformément au paragraphe 58(3), bien qu"il ait été en possession légitime des terres en question en vertu d"un certificat de possession.

[9]      Au cours des mois suivants, tout en poursuivant les évaluations environnementales, les fonctionnaires du MAINC ont continuellement écrit au conseil de bande, le tenant informé de tout fait nouveau et sollicitant sa participation.

[10]      Compte tenu de l"opposition soutenue dont elles faisaient l"objet, les maisons préfabriquées qui étaient déjà branchées au système d"égoûts de la réserve ont été débranchées. Ces événements ont eu pour effet de retarder encore plus la location par le ministre, qui devait s"assurer de la conformité des résultats de l"évaluation environnementale ainsi que du respect d"autres exigences relatives au nouveau lotissement. L"installation d"une station autonome d"épuration des eaux usées conforme aux exigences légales et réglementaires en était un élément particulièrement important. Ce n"est qu"au cours de l"année 1997 que le MAINC, Travaux publics Canada et Santé Canada ont été convaincus de la conformité des résultats de l"évaluation environnementale et du respect du Règlement sur la destruction des déchets dans les réserves indiennes.

[11]      Vu les nombreuses consultations relatives aux évaluations techniques et d"ingénierie, ce n"est que vers la fin du mois de janvier 1997 qu"une approbation a été donnée aux défendeurs et aux intervenants. Suivant l"approbation, certaines lacunes ont été signalées au MAINC par le conseil de bande, notamment des problèmes quant à la rétention des eaux d"orage. Après que ces questions ou problèmes eurent été réglées ou corrigés, selon le cas, un rapport technique et d"ingénierie favorable a été préparé et envoyé au conseil de bande.

[12]      En avril 1997, le MAINC a finalement donné son approbation et un contrat de location visant les lots 5 et 5A a été octroyé au profit de la société défenderesse, Clydesdale Estate Holdings Ltd, en vertu du paragraphe 58(3) of the Loi sur les Indiens. Ce contrat rétroagissait au 1er avril 1996 et prenait fin le 30 septembre 1997. Il prévoyait également que, sous réserve du maintien de l"attestation de la conformité du système d"égoûts et du respect de l"évaluation environnementale, le ministre pouvait, à son choix, le proroger pour une période supplémentaire pouvant aller jusqu"à 24 ans et 11 mois.

[13]      Entre juillet et décembre 1996, il y a eu de nombreuses rencontres entre les défendeurs et le conseil de bande. Lors de la rencontre tenue le 14 septembre 1996, on a dit à M. Blaine Wilson d"être patient car quelqu"un d"autre avait présenté une demande visant 50 unités supplémentaires et que d"autres personnes, dans la réserve, nourrissaient des projets similaires. Ces gens se sont fait dire que le conseil de bande voulait d"abord régler le lotissement Cooper, craignant qu"un agrandissement du système d"égoûts n"entraîne l"imposition de taxes dans la réserve.

[14]      L"examen du procès-verbal de la réunion du 14 septembre 1996 du conseil de bande révèle que l"un de ses membres, soit Samuel Sam, a déclaré :

                 [TRADUCTION]                 
                 Nous ne pouvons pas vous empêcher de faire quoi que ce soit. Mais il y a une chose qui nous arrête et c"est la restriction. Nous devons tous vous facturer pour pouvoir ensuite acheter plus de capacité.                 

[15]      Par lettre datée du 4 octobre 1996 et envoyée à Blaine Wilson, le conseil de bande mentionnait qu"il ne permettrait pas que le branchement des services ait lieu sans qu"une entente quelconque ne soit intervenue sur un certain nombre d"autres points. Il reconnaissait que les canalisations d"eau et d"égoûts avaient été posées dans le lotissement et rattachées aux services de la réserve et demandait que les maisons mobiles déjà branchées soient débranchées jusqu"à ce qu"une entente soit conclue sur les éléments suivants :

                 [TRADUCTION]                 
                 1. Installation de compteurs pour mesurer les égoûts et l"eau.                 
                 2. Inspection visuelle des canalisations d"eau pour vérifier si elles sont acceptables.                 
                 3. Accord sur les frais pour l"eau et les égoûts de la bande.                 
                 4. Accord sur les coûts de branchement des unités.                 
                 5. Accord sur la compensation ou les frais pour les services.                 

[16]      Lors d"une rencontre en octobre 1996, les discussions ont porté sur les coûts d"entretien de l"infrastructure; le chef a fait part du fait que [TRADUCTION] " nous sommes déjà dans le rouge avec nos factures de réparation d"égoûts ". M. Wilson s"est alors fait demander de suspendre tout nouveau lotissement jusqu"à ce que l"élection du prochain conseil de bande ait eu lieu, après quoi les discussions devaient se poursuivre. Un membre du conseil a ensuite signalé que [TRADUCTION] " nous n"avons pas encore négocié le prix du raccordement de chaque maison mobile. Vous avez proposé un prix que nous n"avons pas accepté. C"est la question clé, présentement. Nous ne pouvons pas vous arrêter mais les unités doivent payer pour les raccordements. Nous avons besoin de cet argent pour payer de la capacité d"égoûts dans l"avenir. Nous voulons parler de dollars. Attendez jusqu"à ce que les élections soient passées ".

[17]      Par lettre datée du 9 novembre 1996, le conseil a de nouveau informé M. Wilson qu"il devait suspendre tout nouveau lotissement puisque le conseil n"était toujours pas d"accord avec les frais de branchement d"égoûts et d"alimentation d"eau pour les maisons mobiles existantes.

[18]      Lors de la réunion du 30 novembre du conseil de bande, il a été déposé une lettre émanant du ministère des Affaires indiennes qui confirmait au conseil de bande que les demandeurs étaient en situation de possession légitime et qui leur rappelait le contrat de location en suspens avec Clydesdale Estate Holdings Ltd.

[19]      Les élections pour le conseil de bande ont eu lieu en décembre 1996. Le nouveau groupe a rédigé un règlement de zonage visant à limiter le lotissement des terres de la réserve à des fins commerciales et à imposer la condition que tout projet sur la réserve reçoive l"approbation préalable du Comité consultatif de zonage du conseil. Le règlement a été adopté par le conseil de bande le 23 décembre 1996 et envoyé au ministre le même jour. En janvier 1997, le ministre a confirmé que le règlement entrait en vigueur, conformément à l"article 82 de la Loi sur les Indiens , à compter du 31 janvier 1997.

[20]      Par la suite, la bande a refusé de permettre que le lotissement des défendeurs soit branché au système d"égoûts de la bande. De plus, la bande a présenté à la Cour provinciale de la Colombie-Britannique une demande d"injonction visant l"enlèvement des maisons préfabriquées non autorisées.

[21]      L"évaluation environnementale menée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a pris fin. Le projet proposé n"étant plus relié au système d"égoûts de la réserve, les défendeurs désignés ont, par l"entremise de leur société, Clydesdale Estate Holdings Ltd., mis en place une installation de traitement des eaux usées à l"hydroxyle. Il faut remarquer qu"en ce qui concerne le système d"alimentation d"eau, les maisons préfabriquées ont pu demeurer branchées à la source de la bande de façon temporaire.

[22]      Pendant toute la période des discussions entre le conseil de bande et les défendeurs, le procès-verbal des réunions ne mentionne jamais que la bande souhaitait interdire le projet ni qu"elle désirait obtenir l"enlèvement des maisons préfabriquées existantes. Les discussions ont surtout porté sur les coûts associés aux raccordements ou à l"agrandissement du système existant et sur le fardeau financier que cela pourrait imposer à la réserve. Avant les élections de décembre 1996, il n"avait jamais même été question du concept d"un règlement limitant le lotissement et exigeant le consentement du Comité consultatif de zonage du conseil.

[23]      À l"audience, l"avocat des demandeurs a fait valoir que le ministre a une obligation de fiduciaire envers le conseil de bande. Bien que, dans l"arrêt Boyer v. Canada [1986] 4 C.N.L.R. 53, la Cour d"appel ait statué que le consentement du conseil de bande n"était pas requis pour que le ministre octroie une location en vertu du paragraphe 58(3), il prétend que la présente demande soulève des questions qui n"ont pas été abordées dans Boyer . Les demandeurs soutiennent que la seule question juridique ayant fait l"objet d"une décision dans l"arrêt Boyer était de savoir si le consentement d"un conseil de bande était requis ou non lorsqu"une demande fondée sur le paragraphe 58(3) de la Loi était soumise au ministre. Toutefois, contrairement à l"arrêt Boyer , le Règlement sur la destruction des déchets dans les réserves indiennes n"est pas invoqué dans le cadre des présentes procédures.

[24]      De plus, les demandeurs avancent qu"à la lumière de la décision rendue dans l"arrêt Guérin c. R., [1984] 2 R.C.S. 335, la Loi sur les Indiens confère aux conseils de bande de vastes pouvoirs en matière de gestion des réserves et que, par voie de conséquence, ils détiennent des pouvoirs implicites sur les questions faisant l"objet du présent litige. Les demandeurs font valoir que toute attribution d"un droit de possession d"une partie d"une réserve ne change pas le but pour lequel la réserve est détenue et gérée.

[25]      Les demandeurs prétendent également qu"il ressort clairement de l"arrêt de la Cour suprême du Canada R. v. Devereux (1965) 51 D.L.R. (2d) 546, que la procédure d"éviction intentée par le ministre à la demande du conseil de bande constituait la procédure appropriée selon la cour. Il a été reconnu que l"éviction d"une personne qui n"était pas membre de la bande et qui était locataire occupant après terme de terres antérieurement détenues en vertu d"un certificat de possession était conforme à la Loi sur les Indiens . De façon similaire, le ministre aurait dû agir selon les volontés de la bande lorsque celle-ci a demandé l"enlèvement des maisons préfabriquées.

[26]      Les demandeurs plaident aussi que le ministre a commis une erreur de droit lorsqu"il a consenti à la location pour régulariser l"occupation et le lotissement qui étaient interdits par règlement. Le règlement est entré en vigueur trois mois avant la location par le ministre et ce dernier savait fort bien que le lotissement n"était pas conforme à l"exigence d"obtention préalable du consentement du Comité consultatif de zonage du conseil. Au soutien de leur argument, les demandeurs invoquent l"arrêt The Corporation of the City of Ottawa et al v. Boyd Builders Limited, [1965] R.C.S. 408.

[27]      Enfin, les demandeurs soumettent que la Cour doit annuler l"approbation par le ministre de l"évaluation environnementale car le consultant engagé par le conseil de bande a émis des doutes sur la méthode d"élimination des eaux usées approuvée par le ministre.

[28]      J"ai examiné les décisions citées par les demandeurs et je ne peux accepter leur interprétation de ce qu"ils estiment être la jurisprudence applicable.

[29]      Dans l"arrêt La Reine v. Devereux , précité, les faits démontrent que le conseil de bande avait effectivement demandé et obtenu l"aide du ministre pour expulser un non-Indien qui se trouvait sur une terre de la réserve attribuée à l"origine à un membre de la bande indienne par contrat de location, en conformité avec le paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens . Le non-Indien avait aidé aux travaux de la ferme autochtone depuis 1934; il avait ensuite conclu un contrat de location avec la veuve d"un membre de la Bande indienne des Six-Nations. À la demande de celle-ci, la Couronne avait consenti à louer la ferme à M. Devereux pour une période de 10 ans. À l"échéance, deux permis avaient été successivement délivrés au défendeur, de sorte qu"il avait pu occuper la terre. Lorsque ces permis étaient venus à expiration, il n"était pas moins demeuré en possession des biens. Il prétendait avoir des droits découlant d"un legs aux termes du testament fait par le défunt détenteur du certificat de possession. Avis avait été donné à M. Devereux de quitter les lieux à la date d"expiration de son permis et le conseil de bande avait adopté une résolution stipulant que le défendeur était en possession illégitime des terres et il avait demandé au procureur général du Canada de procéder à son éviction.

[30]      La cour avait jugé que, suivant le décès de Mme Davis en 1958, bien qu"elle eût détenu la terre aux termes d"un certificat de possession délivré en 1954 en vertu du paragraphe 20(2) de la Loi , les droits du défendeur s"étaient éteints au moment de l"échéance de son permis, soit quatre ans après le décès. La cour avait conclu qu"un non-Indien peut jouir de la possession de seulement deux manières; il est en possession aux termes d"une location octroyée en application de l"article 58(3) par le ministre pour le profit de tout Indien ou aux termes d"un permis délivré en vertu de l"article 28(2). Étant donné qu"il n"y avait plus d"entente de location entre un Indien et le ministre, et le permis ayant expiré, le conseil de bande pouvait exiger du ministre qu"il évince le locataire non Indien occupant après terme.

[31]      En l"espèce, contrairement à la situation de fait dans Devereux , les Wilson et les Elliott sont des Indiens ayant un droit légitime de louer aux termes du paragraphe 58(3), et le ministre n"a pas le pouvoir de les en empêcher et encore moins d"obéir à des directives du conseil de bande de les évincer.

[32]      Une lecture attentive de Boyd Builders fait aussi voir que les principes qui en découlent ne sont ni applicables à l"espèce ni compatibles avec l"argument avancé par l"avocat des demandeurs. Dans l"arrêt Boyd Builders , le demandeur avait acquis des terrains dans la ville d"Ottawa pour lesquels le zonage autorisait les immeubles d"habitation. Il avait procédé à la confection de plans pour un immeuble à logements et avait déposé une demande de permis de construction. Les terrains ne faisaient pas l"objet de restrictions au moment de l"achat. Quelque temps après, la ville d"Ottawa avait adopté un nouveau règlement général de zonage et les terrains en question s"étaient retrouvés dans une zone tombant dans une catégorie permettant la construction d"appartements. Les résidents voisins s"étaient opposés et avaient recommandé que ces terrains fassent l"objet d"un nouveau zonage interdidant la construction d"immeubles d"habitation. Le comité d"urbanisme avait alors modifié le règlement dans le sens des changements proposés.

[33]      À la suite du refus de délivrer le permis, Boyd Builders avait produit une demande auprès des tribunaux pour l"obtention d"une injonction péremptoire ordonnant la délivrance d"un permis de construction. L"audition de la demande avait été ajournée jusqu"à ce que la demande de confirmation des modifications du règlement de zonage présentée par la ville auprès de la Commission municipale soit entendue. La cour avait jugé que la modification du règlement n"entrait pas en vigueur tant et aussi longtemps qu"elle n"avait pas été approuvée par la Commission municipale, de sorte que lorsque l"intimée avait déposé sa demande de permis de construction et avait demandé une injonction péremptoire ordonnant la délivrance d"un permis, aucun règlement en vigueur n"en interdisait la délivrance. La cour a conclu que Boyd Builders avait un droit prima facie d"obtenir le permis et, après qu"on le lui eût refusé, un droit prima facie d"obtenir une injonction péremptoire de délivrance. Plus important encore est le fait que la Cour ait jugé que la municipalité ne pouvait passer outre à ces droits que si elle réussissait à démontrer qu"ell avait un projet de zonage bien défini pour le quartier et qu"elle agissait de bonne foi et avec diligence.

[34]      Si on évalue le cas présent à la lumière de ces principes, il ressort qu"aucune preuve n"a été faite devant la Cour que les demandeurs avaient l"intention claire de restreindre ou de zoner le lotissement des défendeurs avant qu"une demande de location ne soit présentée au ministre. D"ailleurs, en 1996, lorsque les défendeurs, étant détenteurs de certificats de possession valides, ont demandé au ministre de consentir une location en avril 1996, aucun règlement n"avait même été projeté par le conseil de bande de Saanich. Le seul obstacle à l"octroi obligatoire de la location était une évaluation environnementale qui a finalement eu lieu et qui a été approuvée par le ministre. La preuve indique que la première fois que le conseil de bande a manifesté l"intention d"adopter un règlement de zonage a été en novembre 1996. En conséquence, la demande de location des défendeurs est antérieure d"une période d"au moins sept mois à l"intention du conseil de bande d"adopter un règlement de zonage.

[35]      L"avocat des demandeurs a fait valoir que l"évaluation environnementale ayant eu lieu et ayant été approuvée par le ministre doit être examinée de nouveau, compte tenu du fait que les consultants engagés par le conseil de bande ont fait état de certains vices dans le système, déjà installé, de traitement des eaux usées à l"hydroxyle. Cependant, la preuve démontre que le ministre était parfaitement au courant des questions relatives à l"alimentation d"eau et aux égoûts se rapportant au lotissement et que celles-ci ont fait l"objet d"examens et de contrôles approfondis avant l"octroi de la location.

[36]      Ce que les demandeurs veulent que la Cour fasse, en réalité, c"est d"examiner la décision du ministre au mérite et de décider s"il a correctement évalué la preuve dont il était saisi concernant les services d"eau et d"égoûts pour le lotissement et s"il a pris la bonne décision en louant. Toutefois, ce n"est pas le rôle que la Cour doit jouer lorsqu"elle remplit son devoir de contrôle judiciaire. La Cour doit plutôt faire preuve de retenue envers l"exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et ne doit pas intervenir à moins que les faits ne démontrent qu"il a pris sa décision en se fondant sur des éléments non pertinents, en faisant preuve de mauvaise foi, en omettant de prendre en considération des faits pertinents ou en commettant une erreur de droit. Je n"ai pas constaté la présence d"une telle erreur en l"espèce, de sorte que rien ne justifie que je fasse obstacle à la décision du ministre.

[37]      En bref, je suis convaincu que toute cette affaire aurait pu être résolue simplement en se fiant à l"arrêt Boyer c. La Reine , de la Cour d"appel fédérale. En dépit des efforts de l"avocat des demandeurs pour faire une distinction d"avec Boyer , les faits et les principes juridiques applicables sont analogues au cas présent.

[38]      Dans l"arrêt Boyer , un chef indien et son conseil de bande avaient institué une demande pour obtenir un jugement déclarant qu"un contrat de location portant sur des terres de la réserve intervenu entre Sa Majesté et une société ontarienne était nul et sans effet. Comme dans le cas présent, les actionnaires de la société ontarienne étaient autochtones et détenteurs d"un certificat de possession d"une partie de terrain située dans la réserve qui leur avait été attribuée en 1973 par le conseil de bande avec l"approbation du ministre. Ils avaient alors demandé au ministre l"autorisation de louer le terrain à des fins de lotissement à une société dans laquelle M. Boyer et son épouse détenaient l"ensemble des actions en circulation. Il y avait un règlement du conseil de bande qui imposait certaines restrictions. La bande avait contesté le pouvoir du ministre de procéder à la location sans son consentement, donné en bonne et due forme, et avait ajouté quelques autres motifs d"opposition relativement à certains aspects du projet de lotissement.

[39]      Le ministre avait néanmoins octroyé la location au profit de la société, au nom de M. Boyer qui avait déposé la demande. La bande avait fait valoir que la location était nulle au motif qu"elle nécessitait le consentement du conseil de bande. Faisant plus particulièrement référence au paragraphe 58(3), la Cour, à la page 401, s"est exprimée ainsi :

                 ... le paragraphe 58(3) ne s"applique que lorsqu"une demande est faite par l"Indien qui est en possession légitime du terrain ...                 

La Cour a ajouté, à la page 402 :

                 Un examen du contexte étroit à l"intérieur duquel s"inscrit la disposition ne conduit certes pas naturellement à la conclusion que l"absence de mention du consentement de la bande au paragraphe 58(3) est due à un oubli...                 
                 Les appelants disent que, selon l"économie de la Loi sur les Indiens , l"intérêt d"un locataire, tel Corbière, dans sa parcelle du terrain de la réserve est subordonné à l"intérêt communautaire de la bande elle-même, et l"attribution de droits de possession à des membres de la bande ne supprime pas l"intérêt reconnu de cette dernière dans la mise en valeur des terrains accordés. De plus, ajoutent les appelants, la règle veut que les non-Indiens ne puissent obtenir la possession de terrains faisant partie d"une réserve que si ces terrains ont été cédés par la bande et, sauf pour certaines fins déterminées énoncées dans la Loi ...                 

Et, à la page 404, la Cour a poursuivi :

                 Je ne vois ni comment ni pourquoi l"Indien en possession légitime d"un terrain situé à l"intérieur d"une réserve pourrait être empêché de l"exploiter à sa guise. Rien dans la Loi ne pourrait être considéré comme " assujettissant " son droit à un autre droit du même type appartenant simultanément au conseil de bande. Selon moi, par l"" attribution " d"une parcelle de terrain faisant partie d"une réserve, le droit à l"usage de ce terrain et au profit qu"il peut procurer, de collectif qu"il était, devient le droit individuel et personnel du locataire. L"intérêt de la bande, entendu dans son sens technique et juridique, a disparu ou, à tout le moins, a été suspendu.                 

[40]      En ce qui concerne les obligations de fiduciaire découlant de l"arrêt Guérin , la Cour a émis les commentaires suivants à la page 405 :

                 Quoi qu"il en soit, je ne crois tout simplement pas que la Couronne soit soumise à des obligations de fiduciaire lorsqu"elle exerce le pouvoir conféré par le paragraphe 58(3). Dans l"affaire Guérin , il était question de terrains non attribués faisant partie d"une réserve, terrains qui avaient été cédés à la Couronne afin qu"elle consente à leur sujet un bail à long terme ou vende ces terrains à des conditions favorables à la bande. Selon mon interprétation du jugement, c"est à cause de toutes ces circonstances qu"il a pu être dit qu"une obligation de caractère fiduciaire était née : en effet, l"intérêt même de la bande avait été confié au ministre lors de la cession des terrains et était en jeu au moment de leur aliénation. Lorsqu"un bail est consenti en vertu du paragraphe 58(3), les circonstances sont entièrement différentes : aucune aliénation n"est envisagée et le droit qui sera transféré temporairement est le droit à l"usage d"un terrain, droit qui appartient individuellement à l"Indien qui en a possession, et aucun intérêt de la bande ne peut être touché.                 
                 ...il [le ministre] ne peut non plus tenir compte de considérations non pertinentes dans l"exercice de sa discrétion, ce qui serait le cas s"il accordait de l"importance à quoi que ce soit d"autre que le profit de l"Indien en possession légitime à la demande duquel il agit. L"obligation du ministre ne concerne tout simplement pas la bande.                 

[41]      Ce raisonnement s"applique en tout point au présent cas. À la lumière de la preuve soumise, la décision prise par le ministre, en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens , de louer aux défendeurs les lots 5 et 5A découlait de l"exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire, et les demandeurs n"ont pas réussi à démontrer que, ce faisant, il a commis une erreur susceptible de contrôle qui nécessiterait l"intervention de la Cour.

[42]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.

                                     P. ROULEAU

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 2 juillet 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-1737-97     

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Bande indienne de Tsartlip et al c. Le ministre des

                     Affaires indiennes et du Nord canadien et al et

                     la Clydesdale Estates Residents Association

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 15 avril 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              2 juillet 1998

COMPARUTIONS :

M. Arthur Pape                          POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Robert McDonell                          POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Jack Woodward/Mme Patricia Hutchings          POUR LES DÉFENDEURS

Victoria (Colombie-Britannique)

M. Kim Roberts                          POUR LES INTERVENANTS

Vancouver (Colombie-Britannique)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pape & Salter                          POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Farris, Vaughan, Wills & Murphy                  POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Woodward & Company                      POUR LES DÉFENDEURS

Victoria (Colombie-Britannique)

Roberts & Stahl                          POUR LES INTERVENANTS

Vancouver (Colombie-Britannique)


Date : 19980702


Dossier : T-1737-97

OTTAWA (Ontario), le 2 JUILLET 1998

EN PRÉSENCE DU JUGE ROULEAU

ENTRE

SIMON SMITH, DAVID PAUL, CHRIS TOM, VERN TOM,

JOHN ELLIOTT, CURTIS OLSEN et JOE BARTLEMAN, en leur nom

à titre de Chef et de Conseil de la bande indienne Tsartlip

et au nom de la bande indienne Tsartlip,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

CLYDESDALE ESTATE HOLDINGS LTD., BLAINE WILSON,

TRACY WILSON, GENEVIEVE ELLIOTT, LAVINA OLSEN

et GEORGE WILSON,


défendeurs,


et


TROY ET SUSAN LANIGAN, DUANE ET JAELA FRANKLIN,

RICHARD ET TAMARA NICHOLSON, WAYNE ET NICOLA OLSTEN,

DWAYNE ET TARA FOSS, CLIFF ET LYUNN KETCHESON,

CURTIS ET CARMEN GALE, CHARLES ET JEANNINE POWELL,

WALLACE ET MARY LUMLEY, WARREN ET ARLENE REID,

HAROLD ET LENORA HARKNESS, GARY ET LESLEY MCKNIGHT,

MAURICE ET DOREEN FOORD, JOHN MCMURRAY ET

FRANHARDER, SHAWN ET TREENA ARMITAGE, BOBBI ET

ELDON SADLER, et JIM ET TERRI FOSS, collectivement appelés

la Clydesdale Estates Residents Association,


intervenants.


ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


P. ROULEAU

JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

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