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Date : 20040203

Dossier : T-687-88

Référence : 2004 CF 178

Ottawa (Ontario), le 3 février 2004

Présente :      L'honorable juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                           EROS - ÉQUIPE DE RECHERCHE OPÉRATIONNELLE

                                                                EN SANTÉINC.

                                                                                                                               Demanderesse

                                                                            ET

                      CONSEILLERS EN GESTION ET INFORMATIQUE C.G.I. INC.

                                                                            et

                                      RÉGIE RÉGIONALE DE LA SANTÉET DES

                                              SERVICES SOCIAUX DE QUÉBEC

                                                                            et

                                      RÉGIE RÉGIONALE DE LA SANTÉET DES

                                      SERVICES SOCIAUX DE LA MONTÉRÉGIE

                                                                                                                                Défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une action dans laquelle la demanderesse, Eros - Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. ( « Eros » ), poursuit les défenderesses, Conseillers en gestion et informatique CGI inc. ( « CGI » ), la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Québec ( « Régie de Québec » ) solidairement et conjointement, et la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie ( « Montérégie » ), pour violation de ses droits d'auteur selon la Loi sur les droits d'auteur, L.R.C. 1985, c. C-42 (la « Loi » ) relatifs à l'usage de son oeuvre littéraire intitulée Classification (des bénéficiaires) par types (de programmes) en milieu de soins prolongés ( « CTMSP » ).

[2]                Les défenderesses Régie de Québec et Montérégie sont toutes deux des corporations constituées en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec, L.R.Q., c. S-4.2 ( « Loi sur la santé » ).

[3]                Plusieurs des éléments dont il est question dans cette affaire ont eu lieu avant que les conseils régionaux de santé et des services sociaux ne deviennent des régies régionales de la santé et des services sociaux. Je choisis toutefois, pour simplifier la lecture, de référer en tout temps à ces organismes comme étant des régies.

LA DEMANDERESSE EROS

[4]                Eros est une société dûment constituée en vertu des lois du Canada. M. Tilquin en est le président. Il fut professeur à l'Université de Montréal pendant plus de 30 ans. Sa spécialité de recherche y était l'analyse de la charge de soins. M. Tilquin souhaitant mettre en marché ses résultats de recherche, crée en 1980 la compagnie Science des systèmes Montréal 1980 (SSM-80). En 1984, il fonde Eros - Équipe de recherche opérationnelle en santé inc., qu'il fusionne avec SSM-80.


[5]                Eros est une entreprise d'évaluation, de conception, de réalisation et de mise en opération de systèmes de gestion dans le domaine de la santé.

HISTORIQUE

[6]                L'historique suivant, dressé à partir des faits admis par les parties, assure une meilleure compréhension du dossier.

A. L'évaluation des bénéficiaires dans le réseau québécois d'hébergement et de soins de longue durée


[7]                Jusqu'au début des années 1980, le réseau québécois d'hébergement et de soins de longue durée était composé de plusieurs établissements autonomes. Il n'y avait aucune coordination régionale des processus d'admission, ce qui a engendré plusieurs problèmes de gestion et a créé des iniquités dans le système d'accès aux établissements. Les personnes qui souhaitaient être admises au sein du réseau devaient faire une demande directement à l'établissement. Si l'établissement où la personne nécessitant des soins avait fait une demande d'admission rejetait celle-ci, la personne se retrouvait sans recours pour se trouver une place dans le réseau. Les listes d'attente des établissements étaient donc devenues incontrôlables et contenaient de faux renseignements, les bénéficiaires faisant souvent des demandes d'admission à plusieurs endroits. De plus, l'existence d'un tel réseau d'établissements autonomes avait comme conséquence d'empêcher le ministère des Affaires sociales ( « MAS » ), (maintenant le ministère de la Santé et des Services sociaux) de savoir quelle était la population de ses centres d'hébergement.

[8]                Pour remédier à cette situation, le gouvernement du Québec, par son décret 1320-84 du 6 juin 1984, imposa aux régies régionales la responsabilité d'élaborer et de coordonner un système régional d'admission et de transfert des bénéficiaires dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux de leur région. Les régies et les établissements se voient imposer plusieurs nouvelles obligations, dont celles énoncées aux articles 32 et 33 du Règlement sur l'organisation et l'administration des établissements, R.R.Q. 1981, c. S-5, r. 3.01 :



32. Le conseil régional élabore et coordonne avec la collaboration des établissements de la région un système d'admission et de transfert des bénéficiaires dans les établissements offrant des soins de longue durée ou des services d'hébergement.

Un tel système est élaboré après consultation des établissements et des intervenants impliqués dans l'évaluation des demandes d'admission et l'orientation des bénéficiaires vers la ressource la mieux adaptée à leurs besoins, en vue de leur admission.

Le système doit tenir compte de l'ensemble des ressources du territoire, incluant les familles d'accueil et les services de maintien à domicile, ainsi que des permis des établissements. Il doit être de nature à favoriser une intervention complémentaire à celle des autres établissements auprès de la clientèle visée.

Le système d'admission doit notamment prévoir la participation de médecins, d'infirmières ou infirmiers et de praticiens en service social.

Le système d'admission doit prévoir les modalités de l'évaluation de la demande et la formation d'un comité régional ou de comités sous-régionaux d'admission.

Le comité d'admission établit l'ordre de priorité des admissions pour les établissements visés par le présent article. Le conseil régional doit constituer un fichier des demandes d'admission reçues par les comités d'admission.

33. Un bénéficiaire est admis dans un établissement offrant des soins de longue durée ou des services d'hébergement selon les formalités suivantes :

1)              une demande d'admission est faite par écrit au centre local de services communautaires du territoire où le bénéficiaire réside, ou au centre de services sociaux de la région, s'il n'y a pas de centre local de services communautaires;

2)             une évaluation médicale et une évaluation de l'autonomie du bénéficiaire donnant les informations requises par le conseil régional, atteste de la nécessité de l'admission;

3)              la demande d'admission est acceptée par le comité régional ou sous-régional d'admission formé par le conseil régional, en tenant compte des préférences exprimées par le bénéficiaire;

4)             l'établissement désigné par un comité d'admission admet le bénéficiaire dès qu'un lit est disponible.

Lorsqu'une demande vise un bénéficiaire déjà hébergé dans un établissement, elle est transmise directement au comité d'admission avec l'évaluation du bénéficiaire, et une copie en est transmise au centre local de services communautaires du territoire où le bénéficiaire réside ou au centre des services sociaux de la région, s'il n'y a pas de centre local de services communautaires.

32.    Each regional council shall prepare a system for admitting beneficiaries to and transferring beneficiaries in institutions providing long-term care or homecare services, coordinated in cooperation with the institutions in the region.

The system shall be prepared after consulting the institutions and practitioners involved in assessing applications for admission and directing beneficiaries towards the resource best suited to their needs, with a view to their admission.

Such system must take into account the whole of the resources of the territory served, including foster families and homecare resources and permits issued to institutions. It must be designated to promote services that complement those provided by other institutions for the users in question.

The admission system shall in particular provide for the participation of physicians, social workers and nurses.

The admissions system shall provide procedures for assessing the application and for setting up regional or subregional admission committees.

The admissions committee shall fix the order of priority of admissions for the institutions covered by this section. The regional council shall maintain a card-index of applications for admission received by the admissions committees.

33.    A beneficiary shall be admitted to an institution providing long-term care or homecare services under the following procedures:

(1)           an application for admission shall be made in writing to the local community service centre of the territory in which the beneficiary resides, or to the social service centre of the region, if there is no local community service centre;

(2)           a medical assessment and an assessment of the beneficiary's autonomy, supplying the information required by the regional council, must certify the need for admission;

(3)           the application for admission shall be accepted by the regional or subregional admissions committee formed by the regional council, taking into account preferences expressed by the beneficiary;

(4)           the institution designated by an admissions committee shall admit the beneficiary as soon as a bed is available.

Where an application applies to a beneficiary already sheltered in an institution, it shall be sent directly to the admissions committee with the assessment of the beneficiary, and a copy shall be sent to the local community services centre of the territory where the beneficiary resides or to the social service centre of the region, if there is no local community service centre.


[9]                En 1984-1985, le MAS reçut 13 000 000 $, annualisés à 27 000 000 $ l'année suivante, pour les centres d'hébergement et les centres hospitaliers de soins prolongés. Ces sommes devaient être utilisées pour accroître le taux de satisfaction en besoins infirmiers, en ergothérapie et en physiothérapie. Aucun montant n'était prévu pour l'achat d'équipement informatique ou la conception de logiciels.

[10]            Le MAS devait trouver une manière de répartir équitablement les sommes reçues. Il décida d'effectuer des évaluations à l'échelle provinciale dans le but de distribuer les fonds selon les besoins des régions. Plusieurs discussions eurent lieu pour décider quel outil devait être utilisé pour effectuer les évaluations. Le MAS choisit le CTMSP.

Le contrat de cession d'intérêts

[11]            Le 8 août 1984, Eros conclut une entente avec le MAS pour la cession de certains de ses intérêts dans l'oeuvre littéraire CTMSP. Aucune des trois défenderesses dans la présente cause n'a participé aux négociations qui ont mené à ce contrat. Reproduites ci-dessous sont les clauses du contrat qui sont pertinentes en l'espèce. Le « contractant » dans ces extraits fait référence à la demanderesse Eros.

1.5            Le ministre est d'avis que le système CTMSP 81 constitue actuellement l'outil le plus adéquat pour répondre à ses objectifs et, pour favoriser son implantation et son utilisation dans le réseau des Affaires sociales, il reconnaît l'accepter comme outil standard d'évaluation et d'orientation des bénéficiaires.

[...]


3.1            Le contractant accorde par les présentes au ministre, à compter de ce jour, définitivement mais sous les restrictions et limites territoriales mentionnées dans cette convention, une licence exclusive d'exploitation de l'oeuvre originale connue sous le nom abrégé "CTMSP 81".

3.2            En vertu de la présente licence, le ministre aura le droit exclusif d'accomplir les actes suivants :

a)              l'ensemble des droits et attributs quant à l'exploitation littéraire de l'oeuvre (l'impression, la publication, la reproduction, la distribution, la diffusion, la promotion, l'exécution publique de l'oeuvre et sa mise en marché);

[...]

c)              l'ensemble des mêmes droits et attributs quant à la transcription (adaptation) de l'oeuvre CTMSP 81 sous les formes ou supports suivants seulement: micro-film, vidéo, télévisuelle, pistes sonores et tous autres dispositifs sonores ou visuels ou combinant les deux.

3.3            Toute autorisation accordée au ministre en vertu de la présente licence vaut aussi pour ses préposés, agents ou mandataires (personnes ou organismes en relation d'affaires avec le ministre) aux seules fins et en vue de l'exercice des attributs concédés au ministre.

[...]

4.6            Enfin, le ministre reconnaît expressément que la présente licence ne lui confère aucun droit d'exploitation informatique de l'oeuvre et que ce droit (y compris, mais non limitativement, celui d'utiliser ou reproduire tout ou partie du CTMSP 81 sur un ou plusieurs supports, par quelque procédé que ce soit, aux fins et en cie de l'impression, de la publication, de la distribution, de la diffusion et de la mise en vente de l'oeuvre à des fins d'usage informatique) appartient exclusivement au contractant. Le ministre s'interdit tout acte personnel susceptible d'entraver la jouissance des droits qui sont conservés par le contractant.

En contrepartie, le contractant s'engage à informer immédiatement le ministre de toute adaptation informatique qu'il pourra faire de l'oeuvre ou de ses dérivés. Il s'engage, en outre, à accorder priorité au ministre (droit de premier refus) pour toute concession d'intérêts relative à l'exploitation de toute adaptation informatique de l'oeuvre ou de ses dérivés.

[12]            Le 24 octobre 1984, le MAS distribua la circulaire ministérielle 1984-069 pour informer les régies et les établissements de la santé et des services sociaux de ses nouvelles politiques quant à l'évaluation et l'orientation des bénéficiaires. Les régies devaient s'assurer que tous leurs établissements avaient les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins de leur clientèle. Pour ce faire, il était non seulement important d'évaluer la lourdeur des besoins des bénéficiaires mais également de pouvoir gérer ces renseignements.

[13]            La circulaire informe les destinataires que le CTMSP est l'outil choisi par le MAS pour l'évaluation et l'orientation des bénéficiaires. Grâce à la cession d'intérêts, ce formulaire papier fut mis à la disponibilité de l'ensemble des régies et des établissements de la province gratuitement. La circulaire indique également les limites sur les droits d'auteurs obtenus par le MAS sur le CTMSP et avise les destinataires que le formulaire ne peut faire l'objet d'aucune modification par les utilisateurs.

Le CTMSP

[14]            Le CTMSP fut créé en 1976 par M. Claude Tilquin. Il s'agit d'un outil qui permet l'évaluation manuelle des besoins des personnes âgées en perte d'autonomie et qui permet de décider de leur orientation dans le réseau. Il consiste en un ensemble de formulaires et comprend quatre étapes.

[15]            La première étape consiste en l'évaluation médicale de l'état de santé du client. Le formulaire pertinent est rempli par un médecin. Une infirmière ou un travailleur social remplit ensuite le formulaire d'évaluation d'autonomie. Ce formulaire dresse un portrait de l'autonomie du client quant à sa capacité d'effectuer des activités de tous les jours, c'est-à-dire les activités de base et les activités de la vie de tous les jours.

[16]            La deuxième étape consiste à évaluer les services qui seront requis par le bénéficiaire ayant fait la demande d'admission dans le réseau. Il existe deux catégories de services : les services potentiels et les services réels. Les services potentiels sont liés à la lourdeur globale du client, c'est-à-dire tous les services que requiert le bénéficiaire indépendamment de l'aide qu'il reçoit de son entourage. Les services réels représentent les services que le réseau devra fournir une fois que l'entourage du bénéficiaire a fait sa part.

[17]            C'est durant cette évaluation qu'on retrouve la formule de détermination des services requis en soins infirmiers et d'assistance. Celle-ci est au coeur du CTMSP, car ces services représentent 90 % de la charge en soins.


[18]            Une fois ces formulaires remplis, une coordinatrice lit les évaluations et s'assure que tout a été bien complété. Elle transmet alors le dossier à une équipe multidisciplinaire qui détermine les services requis. Cette équipe comprend un médecin, une infirmière, un travailleur social ou un physiothérapeute ainsi qu'un ergothérapeute. L'équipe doit arriver à un consensus pour s'assurer que le plan d'intervention comble adéquatement les besoins du bénéficiaire. Ces données sont ensuite consolidées dans la formule de mesure des ressources requises, qui est la troisième étape du CTMSP.

[19]            Cette troisième étape consiste à calculer le total des pointages pour les soins infirmiers, ainsi que les services requis de chaque autre professionnel. Ce calcul peut être fait par la coordinatrice ou un des professionnels de l'équipe. Les résultats de ce calcul sont présentés en heures/soins, c'est-à-dire qu'ils indiquent les soins requis par le bénéficiaire pour chaque tranche de 24 heures.

[20]            La quatrième étape consiste à orienter le bénéficiaire dans le réseau de soins et de services prolongés des personnes âgées. Il existe toute une gamme de programmes, allant des programmes offerts au bénéficiaire à son domicile jusqu'aux programmes offerts dans des établissements pour les bénéficiaires les plus lourds.

[21]            En mars 2002, le MAS informe les régies que l'outil multiclientèle serait dorénavant l'outil d'évaluation unique dans le réseau. Cependant, les formulaires CTMSP étaient et sont encore en usage au Québec.


Le CTMSP abrégé

[22]            Eros créa le CTMSP abrégé pour effectuer l'évaluation continue de bénéficiaires qui résidaient déjà dans un centre d'hébergement du réseau. L'évaluation continue est effectuée après l'évaluation initiale à l'aide du CTMSP. L'évaluation continue permet de jauger le progrès ou la détérioration du bénéficiaire et permet de réévaluer ses besoins selon son état actuel de santé.

[23]            Le CTMSP abrégé est essentiellement une version abrégée du CTMSP. Il ne comprend que le formulaire d'évaluation des soins infirmiers et d'assistance requis. Il est rempli par une infirmière de la même manière que le CTMSP. Ensuite, une équipe multidisciplinaire révise le formulaire et détermine les soins infirmiers requis par le bénéficiaire.

[24]            À l'époque, il était aussi un outil utile pour distribuer les allocations budgétaires au sein des régions et pour gérer les ressources à l'intérieur même des institutions.

La création d'un système d'information


[25]            La circulaire ministérielle 1984-051 qui fut distribuée aux directeurs généraux des établissements de santé et de services sociaux et des régies régionales le 20 juin 1984 énumère les nouvelles obligations imposées à ceux-ci en vertu du décret 1920-84. Il y est notamment indiqué que les régies devront « constituer un fichier de demandes d'admission reçues par des comités et un fichier de congés des bénéficiaires » . Les régies avaient donc la responsabilité de collecter et de conserver les renseignements sur les bénéficiaires.

[26]            Pendant l'été 1984, le MAS décide aussi qu'il était nécessaire de recueillir des données relatives aux bénéficiaires du réseau. Le MAS décide de confier « à un comité conjoint le mandat de coordonner l'implantation d'un système de cueillette de données pour alimenter des systèmes d'informations relatives aux clients des CHSLD » . (Circulaire ministérielle 1984-053, datée le 16 août 1984, p. 2)

[27]            Dès juin 1980, la Régie de Québec commence à mettre sur pied un système régional d'admission, le Programme d'évaluation et de coordination des admissions ( « PECA » ). En février 1981, tous les établissements de la région de Québec adhérèrent au PECA. Sous le régime du PECA, toutes les demandes d'admission en centre d'accueil, en centre d'hébergement et en centre hospitalier de soins prolongés de la région de Québec étaient évaluées avec un instrument uniforme : le formulaire CTMSP.


[28]            À l'automne 1983, dans le cadre du PECA, la Régie de Québec effectue l'opération 8800, une évaluation globale de toute la clientèle en hébergement dans les divers établissements de la région. Pour effectuer cette opération, la Régie de Québec utilisa le CTMSP.

Le logiciel SIBPA

[29]            La présente action porte sur les dommages causés à Eros par la création, la mise en circulation et l'usage du logiciel SIBPA qui contenait les formulaires CTMSP.

[30]            Le logiciel SIBPA (Système d'information pour les bénéficiaires en perte d'autonomie) est un système d'information créé par la Régie de Québec pour faciliter la gestion d'admission par le PECA et par d'autres mécanismes régionaux d'admission. Il fut conçu pour respecter les obligations que le MAS imposa aux régies en vertu des articles 32 et 33 du Règlement sur l'organisation et l'administration des établissements, précité . SIBPA n'était pas un système destiné aux établissements.

[31]            Les objectifs de SIBPA, énoncés par la Régie de Québec dans une lettre adressée aux directeurs généraux des établissements de la région de Québec, sont les suivants :

-               soutenir le mécanisme régional et sous-régional d'évaluation, d'orientation et de coordination des admissions dans un programme répondant aux besoins de la personne en perte d'autonomie;

-               mettre en parallèle les besoins de la clientèle avec les ressources dont disposent les distributeurs de services et ainsi, d'allouer les ressources budgétaires;


-               de planifier à plus long terme l'organisation des ressources et services à cette clientèle en dégageant des tendances lourdes de besoins;

-               d'aider les établissements dans la production de rapports de toute sorte, tout en leur fournissant régulièrement un état global des besoins de leur clientèle hébergée ou de soins prolongés.

[32]            La Régie de Québec fut mandatée par le MAS pour concevoir ce logiciel et reçut de celui-ci une subvention de 200 000 $ à cette fin en janvier 1986. L'une des conditions liées à l'octroi de la subvention était que, une fois terminé, le logiciel devait être mis à la disposition de l'ensemble du réseau provincial de la santé et des services sociaux.

[33]            Initialement, la Régie de Québec demanda à CGI de faire une étude préliminaire sur la conception d'un système d'information sur l'évaluation des bénéficiaires hébergés.

[34]            Par la suite, la Régie de Québec engagea Partagec, une société para-gouvernementale sans but lucratif, pour créer le logiciel qui deviendra SIBPA.

[35]            La Régie de Québec demeura le maître d'oeuvre en tout temps. Lors de l'entente entre Partagec et la Régie de Québec, celle-ci choisit d'acquérir les droits de propriété sur le logiciel plutôt que d'acquérir seulement des droits d'utilisation du logiciel.

[36]            À la fin de 1985, début de 1986, SIBPA était prêt à être mis à la disposition des régies et fut donc installé à la Régie de Québec. Les autres régies de la province furent avisées par une lettre provenant du directeur général de la Régie de Québec datée du 13 mai 1986 qu'elles pouvaient se procurer SIBPA gratuitement. La Régie de Québec ne récolta aucun profit lié à SIBPA.

[37]            Pour faire l'acquisition de SIBPA, une régie n'avait qu'à en informer Claude Roy chez Informas-IST (successeur de Partagec). Celui-ci envoyait ensuite à la régie une disquette contenant le logiciel. La régie n'avait plus qu'à sauvegarder le contenu de la disquette sur le disque dur de son serveur.

[38]            Pour effectuer les évaluations avec le logiciel SIBPA, il était nécessaire de remplir le formulaire CTMSP. Les données étaient ensuite saisies dans le logiciel par des techniciennes. Le logiciel produisait des extrants qui contenaient les résultats des calculs faits par le logiciel pour chaque établissement et chaque usager. Les résultats dans les extrants étaient présentés sous forme de données heures/soins et celles-ci aidaient les établissements dans leur gestion interne. Ces données permettaient également le calcul d'heures/soins requis par le bénéficiaire moyen pour l'ensemble de l'établissement. Ces résultats étaient utiles pour la Régie du Québec lorsqu'elle devait faire l'allocation des budgets d'alourdissement de la clientèle.


Le système PLAISIR

[39]            La présente affaire porte également sur les dommages relatifs à l'oeuvre d'Eros PLAISIR ( « Planification informatisée des soins infirmiers requis » ). Ces dommages auraient été causés par l'utilisation du logiciel SIBPA.

[40]            Le système PLAISIR, conçu par Eros au début des années 80, est un outil d'évaluation des besoins des personnes âgées en perte d'autonomie qui résident déjà dans un établissement d'hébergement de longue durée.

[41]            PLAISIR n'est composé que d'un seul formulaire, le FRAN ( « Formulaire de relevés des actions nursing » ), qui doit être rempli par une infirmière. Une fois rempli, ce formulaire est envoyé chez Eros où une infirmière le relit et s'assure de la fiabilité et de la validité des données. Cette relecture est une partie intégrale du système. Le formulaire est ensuite traité par Eros à l'aide d'un logiciel. Le logiciel détermine les ressources requises par le bénéficiaire qui fait l'objet de l'évaluation par période de sept jours et aussi par quart de travail.

[42]            Ce système effectue la même fonction que le CTMSP abrégé. Il est utilisé pour faire l'évaluation continue des bénéficiaires qui sont déjà hébergés dans le réseau, et non pour l'évaluation complète de personnes faisant une demande d'admission dans un centre d'hébergement.


[43]            Cependant, PLAISIR est plus détaillé que CTMSP pour ce qui est de la nomenclature décrivant les actes infirmiers. La nomenclature de PLAISIR est « ouverte » , c'est-à-dire qu'en remplissant le formulaire FRAN, l'infirmière coche un certain nombre de paramètres qui se trouvent dans la liste et qui reflètent les besoins du bénéficiaire. En cochant les paramètres liés aux actions nécessaires, elle crée de nouvelles actions de soins. Contrairement au CTMSP où les actions sont déjà toutes décrites, le FRAN permet donc une description plus souple des besoins du bénéficiaire. Une fois le formulaire rempli, un pointage est attribué à chaque action par le logiciel PLAISIR chez Eros. Le logiciel calcule ensuite les résultats.

[44]            Parce que PLAISIR subdivise ses résultats en quart de travail, il permet une évaluation plus subtile des besoins en main-d'oeuvre et aide à la gestion de celle-ci. Le CTMSP abrégé, lui, mesure la charge de travail en la séparant entre la charge des infirmières et celle des auxiliaires et des préposés, ce que PLAISIR ne fait pas.

[45]            L'outil PLAISIR fut utilisé en Montérégie dès 1983 et par la Régie de Québec à partir de 1984. Montérégie avait utilisé PLAISIR en 1983-1984 et 1984-1985 pour effectuer des évaluations dans toute sa région. Cependant, elle annula le contrat pour l'évaluation PLAISIR de 1985-1986.


La présence de CGI dans le dossier

[46]            CGI est une société constituée en vertu des lois du Canada. CGI est la continuation légale de Partagec, Société Informas du Québec ( « SIQ » ) et IST-Informas inc. ( « IST » ). La présence de CGI dans ce dossier remonte à mai 1996, à l'époque où elle achète Groupe IST inc. Le contrat de vente prévoyait l'achat par CGI d'une compagnie Groupe IST inc. qui n'était composée que de la division « impartition » de IST, et non de sa division « santé » . CGI n'a jamais acheté la division qui avait eu le dossier SIBPA et ce logiciel ne faisait pas partie des actifs achetés en mai 1996. C'est la compagnie MédiSolution inc. qui est propriétaire de la division « santé » de IST. Par contre, le contrat de vente stipule que CGI a acquis l'action d'Eros contre IST. CGI possède donc les droits et obligations de ses prédécesseurs, Partagec, SIQ et IST.

Les prétentions de la demanderesse

[47]            Eros reproche à la Régie de Québec d'avoir violé ses droits d'auteur en accomplissant les actes suivants :

            - autoriser la reproduction de parties importantes des formulaires CTMSP lors de la conception de SIBPA par CGI;

            - autoriser la traduction en langage informatique du CTMSP par CGI;

            - reproduire l'oeuvre CTMSP lors de l'utilisation de SIBPA;


            - autoriser l'utilisation du logiciel contrefacteur SIBPA et conséquemment, la reproduction du CTMSP lors de l'utilisation;

            - mettre en circulation l'oeuvre contrefacteur de façon à porter préjudice à Eros en offrant le logiciel à toutes les régies.

[48]            Eros reproche à Montérégie la reproduction de son oeuvre CTMSP lors de l'utilisation de SIBPA.

[49]            Eros reproche à CGI la reproduction de parties importantes de son oeuvre CTMSP lors de la conception de SIBPA. En incorporant les formulaires CTMSP dans le logiciel SIBPA, CGI les a reproduits, mais dans un langage informatique.

II. ANALYSE

1. L'immunité de la Couronne

[50]            La Régie de Québec prétend qu'elle ne peut être tenue responsable des dommages causés par la conception de SIBPA, car elle agissait en tant que mandataire de la Couronne et peut à ce titre invoquer le bénéfice de l'immunité de la Couronne provinciale.


[51]            En effet, dans l'arrêt Commission des normes du travail c. Conseil régional des services de la santé et des services sociaux de la Montérégie, [1987] R.J.Q. 841 à la p. 850 (C.A.) ( « Commission » ), la Cour d'appel du Québec stipule clairement que les CRSSS sont des mandataires de l'État en vertu du contrôle important qu'exerce le MAS sur leurs activités.

[52]            Lorsque la Régie de Québec agit dans le cadre d'un mandat spécifique du MAS comme dans la présente affaire, son statut de mandataire est d'autant plus clair.

[53]            C'est un principe bien établi en droit administratif qu'un mandataire ou un préposé de la Couronne jouit de l'immunité de la Couronne (R. c. Eldorado Nuclear Ltd., [1983] 2 R.C.S. 551) ( « Eldorado » ).

            A)        La Loi sur le droit d'auteur est-elle applicable à la Couronne du chef d'une province?

[54]            L'article 17 de la Loi d'interprétation fédérale, L.R.C. (1985), c._I-21 stipule qu'aucun texte législatif ne lie ni n'a d'effet sur la Couronne à moins d'une mention expresse :


17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses droits et prérogatives.

17. No enactment is binding on Her Majesty or affects Her Majesty or Her Majesty's rights or prerogatives in any manner, except as mentioned or referred to in the enactment.


[55]            Puisque la Loi ne précise pas qu'elle s'applique à la Couronne, la Régie de Québec soumet que le MAS et ses mandataires, dont les régies, peuvent se prévaloir de l'immunité de la Couronne.

[56]            Il est reconnu en common law que la Couronne fédérale et les Couronnes provinciales jouissent d'une immunité importante. Cette immunité est prévue dans les lois d'interprétation fédérale et de plusieurs des provinces.

[57]            L'arrêt Alberta Government Telephones c. C.R.T.C., [1989] 2 R.C.S. 225 ( « AGT » ), a confirmé que la mention de Sa Majesté à l'article 16 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1970, c. I-23 (maintenant l'article 17), s'entend non seulement de la Couronne du chef du Canada mais également de la Couronne du chef d'une province.

[58]            En l'espèce, la Loi ne précise pas qu'elle s'applique à la Couronne. Ce silence entraîne donc la nécessité d'analyser les dispositions de la Loi afin de déterminer si la Couronne peut toutefois être assujettie implicitement à la Loi.

[59]            Eros prétend que l'article 12 de la Loi est un indice que la Loi est applicable à la Couronne. Je ne suis pas de cet avis. L'article 12 mentionne expressément qu'il est applicable sous réserve des droits et privilèges de la Couronne :



12. Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d'auteur sur les oeuvres préparées ou publiées par l'entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d'un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l'auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu'à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l'oeuvre. [Je souligne].

12. Without prejudice to any rights or privileges of the Crown, where any work is, or has been, prepared or published by or under the direction or control of Her Majesty or any government department, the copyright in the work shall, subject to any agreement with the author, belong to Her Majesty and in that case shall continue for the remainder of the calendar year of the first publication of the work and for a period of fifty years following the end of that calendar year. [My emphasis].


[60]            Dans son ouvrage Fox' Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3e éd., Toronto, Carswell, 2000 ( « Fox » ), à la p. 355, John S. McKeown énonce que la Couronne peut se prévaloir des droits reconnus à l'article 12 de la Loi sans que cela n'élimine son immunité.

                        La théorie de la renonciation ou de la « complémentarité des avantages et des inconvénients »

[61]            Dans l'arrêt Sparling c. Caisse de dépôt & du placement, [1988] 2 R.C.S. 1015 ( « Sparling » ), la Cour suprême du Canada a décidé que la Couronne ne peut bénéficier des droits conférés par une loi sans être assujettie aux obligations qui en découlent. Donc, même en l'absence de mention qu'une loi s'applique à la Couronne, cette dernière peut se soumettre à l'application de la Loi par ses propres actions. La théorie de la renonciation nécessite, cependant qu'il existe un lien assez étroit entre l'avantage tiré par la Couronne et l'obligation à laquelle on veut l'assujettir.


[62]            Eros affirme que le MAS s'est assujetti de sa propre volonté au régime de la Loi de par sa négociation avec Eros pour le contrat de cession de droits d'auteur. Le MAS en a tiré un avantage en se procurant une licence exclusive sur le CTMSP. Ceci constituerait une acceptation implicite des avantages du régime de la Loi. Le MAS ne peut donc se prévaloir des dispositions créant et protégeant les droits qui font l'objet de sa licence sans être soumis au régime de responsabilité pour la violation des droits d'auteur de son contractant. Si les droits découlant de la licence que le MAS a obtenu avaient été violés, celui-ci aurait voulu poursuivre le contrefacteur; il ne peut donc pas se soustraire à l'application du régime auquel il aurait fait appel dans les circonstances. La Couronne et ses mandataires ne peuvent prendre avantage d'un régime législatif et ensuite ignorer les obligations qui en découlent.

[63]            En l'espèce, je suis d'avis que le MAS s'est prévalu du régime de la Loi. Il existe un lien étroit entre l'avantage que procure une licence exclusive, c'est-à-dire le droit d'utilisation d'une oeuvre à l'exclusion de toute autre personne, et l'obligation de ne pas violer les droits que le cédant a choisi de ne pas céder, en l'espèce, le droit à l'informatisation de son oeuvre. Le MAS et ses mandataires sont donc liés par les dispositions de la Loi et ne peuvent se prévaloir de l'immunité de la Couronne.

            B)        Les gestes de Québec étaient-ils ultra vires de son mandat?

[64]            De plus, je suis d'avis que même si la Régie de Québec avait pu jouir de l'immunité, elle a outrepassé le mandat conféré par le MAS en violant les droits d'auteur d'Eros et conséquemment, elle a perdu son immunité.


[65]            Dans l'arrêt Eldorado, précité à la p. 566, la Cour suprême du Canada affirme ce qui suit :

Cependant, lorsque le mandataire outrepasse les fins de l'État, il agit personnellement et non pour le compte de l'État, et il ne peut invoquer l'immunité dont bénéficie le mandataire de l'État. Cela découle du fait que l'art.16 de la Loi d'interprétation s'applique à l'avantage de l'État et non à l'avantage du mandataire personnellement.

[66]            Dans AGT, précité à la page 295, elle a confirmé que « cette théorie peut s'appliquer lorsqu'un palier de gouvernement tente d'invoquer l'immunité de la Couronne à l'encontre d'une loi d'un autre palier » .

[67]            Il n'existe aucune preuve au dossier selon laquelle le MAS aurait donné à la Régie de Québec le mandat de violer les droits d'Eros quant à l'informatisation du formulaire CTMSP. La preuve démontre plutôt le contraire. Dans sa circulaire ministérielle 1984-069, le MAS informa les régies des droits cédés au MAS par Eros. De plus, rien dans le mandat que le MAS a donné à Québec n'oblige, ne permet ou ne sanctionne l'informatisation du CTMSP. Également, aucune disposition de la Loi sur la santé ne donne le pouvoir aux régies de contrevenir aux lois canadiennes dans l'accomplissement de leur mandat.


[68]            Je conclus donc que la Régie de Québec a outrepassé les limites de son mandat lorsqu'elle a décidé d'inclure le formulaire CTMSP dans le logiciel SIBPA. En conséquence, elle ne peut se prévaloir de l'immunité de la Couronne pour se protéger des conséquences de sa violation des droits d'Eros.

            C)        La Régie de Québec a-t-elle engagé sa responsabilité en vertu du régime de responsabilité civile du C.c.B.-C.?

[69]            Le premier paragraphe de l'article 356 du C.c.B.-C. prévoit ce qui suit:


Art. 356. Les corporations séculières se subdivisent encore en politiques et en civiles. Les politiques sont régies par le droit public, et ne tombent sous le contrôle du droit civil que dans leurs rapports, à certains égards, avec les autres membres de la société individuellement.

Art. 356. Secular corporations are further divided into political and civil; those that are political are governed by the public law, and only fall within the control of the civil law in their relations, in certain respects, to individual members of society.


[70]            Eros allègue que la conception de SIBPA n'était pas un acte politique mais plutôt un acte d'exécution qui peut engager la responsabilité de la personne morale de droit public. En posant un acte d'exécution, la personne morale dite « politique » agit comme une personne privée. Elle doit donc être soumise aux règles de droit privé.

[71]            Dans Fox, précité à la p. 414, John S. McKeown met en garde contre l'application de concepts de droit privé aux violations de droits d'auteur : « [b]ecause the rights in question are statutory in nature the terms of the [Copyright] Act speak for themselves and it is not helpful in interpreting those provisions to import tort concepts » . Ce principe a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357 aux pp. 372-373, où elle affirme :


En ce domaine technique du droit d'auteur, les cours ont estimé plus prudent de ne statuer que sur les questions de droit soumises et d'éviter autant que possible les comparaisons, les exemples et les hypothèses. Je ferai de même et ne trancherai donc pas la question de savoir si, aux fins des articles pertinents de la Loi sur le droit d'auteur, il peut exister en droit deux "fabricants" d'un même disque. Répondant à une question de la Cour, Me Hughes, l'avocat de l'intimée, a très bien exposé la situation en disant que le droit d'auteur n'est pas régi par les principes de la responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par un texte législatif. Il ne va pas à l'encontre des droits existants en matière de propriété et de conduite et il ne relève pas des droits et obligations existant autrefois en common law. La loi concernant le droit d'auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif. En droit anglais, il en est ainsi depuis la reine Anne, sous laquelle fut promulguée la première loi relative au droit d'auteur. Il n'est pas utile, aux fins de l'interprétation législative, d'introduire les principes de la responsabilité délictuelle. La loi parle d'elle-même et c'est en fonction de ses dispositions que doivent être analysés les actes de l'appelante. [Je souligne].

[72]            Il appert que les principes de responsabilité délictuelle n'ont pas leur place dans l'interprétation du droit d'auteur. Je suis d'avis qu'il est inexact de proposer, comme le suggère la demanderesse, que le droit civil puisse être la source de la faute de la défenderesse dans un cas de violation de droit d'auteur.

[73]            La Loi prévoit déjà quels sont les actes qui constituent une violation au droit d'auteur et quels sont les recours qui sont disponibles. Le recours en dommages-intérêts est prévu aux articles 34 et 35.


[74]            Je reconnais que dans l'arrêt Club de golf Murray Bay c. La Commission des normes du travail, [1986] A.Q. no 422 (QL), la Cour d'appel du Québec a appliqué les principes de la responsabilité délictuelle de l'article 1053 C.c.B.-C. pour fonder sa conclusion que la Commission des normes du travail avait violé la Loi sur les normes du travail, L.R.Q. c. N-1.1. Cependant, contrairement à la présente instance, la Loi sur les normes du travail ne prévoit aucun recours pour la demanderesse. La Cour s'est donc fondée sur le droit civil pour indemniser la demanderesse pour les dommages causés par la faute de la Commission. Les principes contenus dans cet arrêt ne sont pas applicables en l'espèce.

[75]            En conclusion, je suis d'avis que, bien que la Régie de Québec était mandataire du MAS dans le cadre du projet SIBPA, elle ne peut pas se prévaloir de l'immunité de la Couronne puisque le MAS, et conséquemment ses mandataires, s'est soumis à l'application de la Loi lorsqu'il a conclu le contrat de cession de droits d'auteur. De plus, même si la Régie de Québec jouissait de l'immunité, elle a perdu cette immunité en outrepassant son mandat. La Régie de Québec devra subir les conséquences de ses gestes contrefacteurs.

2.         La connaissance de l'existence des droits d'auteur d'Eros par les régies

[76]            Les formulaires CTMSP ont été créés par M. Charles Tilquin et sous sa supervision. M. Tilquin et ses collaborateurs ont signé des cessions en faveur d'Eros de tous leurs droits résultant de la création des formulaires CTMSP. Les formulaires CTMSP font l'objet d'enregistrements de droit d'auteur au nom de la demanderesse.

[77]            Les parties admettent que les formulaires CTMSP sont des oeuvres littéraires protégées par la Loi.

[78]            M. Tilquin a témoigné qu'au cours du printemps 1984, il a négocié avec le MAS les modalités de l'utilisation de son formulaire CTMSP dans le réseau québécois de santé. Le 8 août 1984, la cession d'intérêts est signée. Elle confère au MAS les droits d'exploitation littéraire de l'oeuvre CTMSP.

[79]            M. Tilquin ne voulait céder qu'une licence d'exploitation et non ses droits sur l'oeuvre CTMSP car s'il les cédait, il risquait de perdre ses droits sur ses autres oeuvres, i.e. PLAISIR et PRN. Il ne voulait pas non plus céder une licence sur l'utilisation informatique de son oeuvre puisqu'en 1984, l'informatisation débutait dans les réseaux et il y voyait un potentiel important pour le CTMSP.

[80]            Cette intention est d'ailleurs évidente à la lecture de toutes les versions préliminaires du contrat qui contiennent des ratures quant à la cession de l'exploitation informatique. La clause 4.6 du contrat précise qu'Eros conserve les droits pour l'exploitation informatique du CTMSP.


[81]            Au moment des négociations, les parties ont prévu une révision du CTMSP. Puisque le CTMSP allait être utilisé dans toute la province, le MAS voulait s'assurer qu'il était tout à fait adéquat pour le contrôle des admissions. La révision du CTMSP-85 devait comprendre l'évaluation de l'autonomie et l'évaluation médicale, et la révision de la détermination des services requis et la mesure des ressources requises devaient être effectués au CTMSP-87.

[82]            La circulaire du MAS 1984-069 destinée à toutes les régies du Québec confirme la cession d'intérêts liés au CTMSP et indique que seuls les droits d'exploitation littéraire sont cédés au MAS.

[83]            M. Daniel Fortin, chargé du projet SIBPA à la Régie de Québec, a témoigné qu'il a vu cette circulaire. Un rapport présenté à son conseil d'administration en décembre 1984 fait référence aux droits d'auteur d'Eros.

[84]            La preuve est donc concluante quant à la connaissance des droits d'auteur d'Eros par la Régie de Québec.

3.         La violation du droit d'auteur d'Eros

[85]            Eros prétend que chacune des défenderesses a violé ses droits d'auteur, soit par l'accomplissement d'un des actes énoncés à l'article 3 ou par l'autorisation de celui-ci. L'article 3 prévoit ce qui suit :



3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif_:

                a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l'oeuvre;

                b) s'il s'agit d'une oeuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre oeuvre non dramatique;

                c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre oeuvre non dramatique, ou d'une oeuvre artistique, de transformer cette oeuvre en une oeuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;

                d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, d'en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l'aide desquels l'oeuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

                e) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publiquement l'oeuvre en tant qu'oeuvre cinématographique;

                f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

                g) de présenter au public lors d'une exposition, à des fins autres que la vente ou la location, une oeuvre artistique - autre qu'une carte géographique ou marine, un plan ou un graphique - créée après le 7 juin 1988;

                h) de louer un programme d'ordinateur qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil;

                i) s'il s'agit d'une oeuvre musicale, d'en louer tout enregistrement sonore.

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes.

3. (1) For the purposes of this Act, "copyright", in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

                (a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

                (b) in the case of a dramatic work, to convert it into a novel or other non-dramatic work,

                (c) in the case of a novel or other non-dramatic work, or of an artistic work, to convert it into a dramatic work, by way of performance in public or otherwise,

               

                (d) in the case of a literary, dramatic or musical work, to make any sound recording, cinematograph film or other contrivance by means of which the work may be mechanically reproduced or performed,

                (e) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to reproduce, adapt and publicly present the work as a cinematographic work,

                (f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

                (g) to present at a public exhibition, for a purpose other than sale or hire, an artistic work created after June 7, 1988, other than a map, chart or plan,

                (h) in the case of a computer program that can be reproduced in the ordinary course of its use, other than by a reproduction during its execution in conjunction with a machine, device or computer, to rent out the computer program, and

                (i) in the case of a musical work, to rent out a sound recording in which the work is embodied,

and to authorize any such acts.


[86]            Le paragraphe 27(1) de la Loi stipule que l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qui seul ce titulaire a la faculté d'accomplir en vertu de la Loi constitue une violation du droit d'auteur. Le paragraphe 27(2) de la Loi stipule que la mise en circulation d'une oeuvre qui viole les droits d'auteur d'un autre est également un acte de violation de droit d'auteur.



27. (1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.

27. (2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l'exemplaire d'une oeuvre, d'une fixation d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'une fixation d'un signal de communication alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit_:

                a) la vente ou la location;

                b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

                c) la mise en circulation, la mise ou l'offre en vente ou en location, ou l'exposition en public, dans un but commercial;

                d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c);

e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c).          

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

27(2) It is an infringement of copyright for any person to

                (a) sell or rent out,

                (b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

                (c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

                (d) possess for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), or

                (e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c),


                                Est-ce que SIBPA constitue une reproduction d'une partie importante des formulaires CTMSP?

[87]            Le critère pour déterminer s'il y a eu reproduction d'une partie importante d'une oeuvre est qualitatif plutôt que quantitatif (U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F.), p. 268-269). Il s'agit d'une question de fait qui doit être déterminée en tenant compte de toutes les circonstances entourant l'acte (Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939 (C.A.), p. 1945, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 25 mai 2000).

[88]            Mme Lucille Guénette, directrice informatique chez Eros, a témoigné que le code source du logiciel SIBPA reproduit des parties substantielles des formulaires CTMSP.

[89]            Le code source d'un logiciel est une série d'instructions rédigées par le programmeur dans un langage de programmation. Celui-ci est ensuite traduit en un code objet, c'est-à-dire les instructions destinées à être exécutées par l'ordinateur. Le code source contient toutes les instructions pour l'ordinateur et des commentaires du programmeur, en plus de tous les mots, expressions, chiffres, valeurs et pointages qui sont affichés à l'écran lorsque le logiciel fonctionne.

[90]            Mme Guénette affirme que le code source de SIBPA reproduit la terminologie et le pointage des formulaires CTMSP 81 et 87 et que ceux-ci apparaissent à l'écran dans le même ordre que dans les formulaires.

[91]            Mme Guénette ajoute que certains des pointages pour les actions de soins des formulaires CTMSP n'apparaissent ni à l'écran ni dans les programmes de SIBPA, mais qu'ils se trouvent dans des tables de données ou des programmes internes de SIBPA.

[92]            Elle indique aussi qu'un programme dans le code source permet l'impression du rapport intitulé « Fiche de services requis CTMSP'87 » .

[93]            Mme Guénette a constaté que des éléments du Formulaire d'évaluation de l'autonomie des CTMSP 81 et 85 sont contenus dans le logiciel SIBPA. Elle confirme que le logiciel SIBPA peut calculer des heures/soins requis par bénéficiaire et par établissement en soins infirmiers, en services sociaux, en physiothérapie, en ergothérapie et en services de soutien. M. Tilquin a témoigné que « le coeur » de son oeuvre CTMSP consiste en la détermination des services requis et la mesure des ressources requises. Au coeur de ces sections est le Formulaire de détermination des soins infirmiers et d'assistance et le Formulaire de mesure des heures de soins infirmiers et d'assistance requis.

[94]            De plus, les défenderesses ont admis que le guide d'utilisation du logiciel SIBPA reproduit des parties importantes des formulaires CTMSP.

[95]            Tout ces éléments de preuve démontrent clairement que les défenderesses se sont appropriées l'essence de l'oeuvre CTMSP.

[96]            La jurisprudence en matière de contrefaçon de logiciel n'a pas encore tranché si le fait de transposer une oeuvre dans un langage informatique constitue une reproduction ou une traduction de l'oeuvre. Dans l'arrêt Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1988] 1 C.F. 673 (C.A.) (confirmé dans [1990] 2 R.C.S. 209, mais la Cour suprême du Canada ne s'est pas prononcée sur cette question), la Cour d'appel fédérale devait décider si les programmes machines des intimées qui étaient inscrits sur des microplaquettes ROM constituaient des reproductions des programmes machine des appelants inscrits en langage d'assemblage. Le juge Mahoney a conclu comme suit à la p. 684 :

Je suis d'accord avec le juge de première instance pour dire que la conversion d'un texte en code morse ou en sténographie ne produit pas une oeuvre littéraire distincte et que le texte ainsi converti conserve le caractère de l'oeuvre originale. [...] J'estime qu'une telle conversion ne constitue pas une traduction au sens de la Loi sur le droit d'auteur. Il s'agit plutôt d'une reproduction de l'original, [...]

[...] Bien que je ne sois pas d'accord pour dire que les programmes inscrits sur les microplaquettes ROM peuvent être considérés comme des traductions au sens de la Loi sur le droit d'auteur, ils peuvent être considérés comme des reproductions des programmes originaux, et, s'il le sont, le résultat est le même: le droit exclusif de reproduire ces programmes, comme le droit de les traduire, appartenait aux intimées.


[97]            Le juge MacGuigan a toutefois fait l'observation suivante à la p. 712 :

Les appelants ont soutenu que les microplaquettes de mémoire ne peuvent être des traductions parce qu'au sens propre une traduction est toujours une interprétation plutôt qu'une copie de chacun des éléments alors que, selon la théorie présentée par les intimées à leur sujet, les ROM constituaient des répliques exactes. [...]

[98]            Il est certainement vrai que, compte tenu de l'ambiguïté normale du langage, les traductions ne sont ordinairement rien de plus que des interprétations des textes originaux. En ce sens, la traduction peut être considérée comme un art plutôt que comme une science.

[99]            À mon avis, il n'est pas nécessaire de déterminer si l'intégration des formulaires CTMSP de la demanderesse dans SIBPA constituait une reproduction ou une traduction. Il est clair que ces formulaires se trouvent mot pour mot dans le logiciel de la Régie de Québec et ceci constitue une contrefaçon dont elle est responsable selon l'alinéa 3(1)(a) et le paragraphe 27(1) de la Loi.

[100]        La Régie de Québec affirme que SIBPA est un système d'information créé pour faciliter un mécanisme d'admission et non un logiciel informatisant un outil d'évaluation, que ce soit le CTMSP ou un autre.


[101]        Mme Louise Montreuil, directrice de l'élaboration des politiques à la Régie de Québec en janvier 1985, a témoigné en ce sens. SIBPA a été créé comme outil de soutien informatique de PECA, le mécanisme d'évaluation et de coordination des admissions. Mme Montreuil maintient que le SIBPA et le CTMSP sont deux outils différents. Le CTMSP est un outil d'évaluation des besoins physiques d'un client dont les données étaient saisies dans SIBPA, le système d'information aidant au processus de gestion d'admission PECA utilisé à la Régie de Québec. En contre-interrogatoire, Mme Montreuil a toutefois admis que certains formulaires contenus dans SIBPA provenaient du CTMSP.

[102]        Celle-ci reconnaît aussi qu'elle avait été informée qu'une poursuite avait été intentée contre le MAS et la Régie de Québec pour l'informatisation du CTMSP mais qu'elle n'en connaissait pas les détails. Elle n'a pas jugé bon de cesser d'utiliser SIBPA à ce moment-là puisque le MAS ne l'avait pas exigé.

[103]        Bien que j'accepte que SIBPA était un système informatique plus large qu'un outil d'évaluation, il n'en demeure pas moins que lorsqu'il fonctionne sur ordinateur, il reproduit à l'écran des parties importantes des formulaires CTMSP. Le fait qu'un défendeur ait ajouté du contenu original à l'oeuvre contrefacteur n'est pas une défense (C.P. Koch Ltd. c. Continental Steel Ltd. (1984), 82 C.P.R. (2nd) 156 (C.S.C.-B.)).


[104]        La preuve démontre que la défenderesse Régie de Québec était le maître d'oeuvre pour la création du système SIBPA. Elle a mis à la disposition de Partagec et de ses successeurs les formulaires CTMSP qui ont servi à la conception de SIBPA et Partagec les a incorporés au logiciel. Les documents corporatifs de CGI révèlent que la défenderesse CGI possède les droits et obligations de Partagec et SIQ.

[105]        La Régie de Québec a donc autorisé les gestes de contrefaçon de la défenderesse CGI et de ses prédécesseurs.

[106]        La personne qui autorise une violation commet un acte de contrefaçon au même titre que l'entité qui accomplit l'acte (Apple Computer Inc. et al c. MacKintosh Computers et al (1986), 28 D.L.R. 4th 178 (C.F. 1ère inst.) à la p. 224). CGI et la Régie de Québec sont donc solidairement responsables de ces actes.

                        L'utilisation du logiciel SIBPA constitue-t-elle une contrefaçon?

[107]        Montérégie n'a pas participé à la conception de SIBPA. Elle reconnaît cependant avoir utilisé ce logiciel comme plusieurs autres régies régionales.

[108]        Montérégie a utilisé SIBPA de janvier 1988 à février 1992. L'utilisation du logiciel faisait suite à la demande du MAS et à la réglementation en matière d'organisation et d'admission des établissements. Elle n'a pas eu à payer de droit de licence à l'égard de cette utilisation, uniquement des frais d'installation et des frais de formation du personnel pour son utilisation.

[109]        Montérégie prétend que la simple utilisation du logiciel SIBPA ne constitue pas une violation du droit d'auteur.

[110]        La demanderesse prétend au contraire qu'en utilisant le logiciel SIBPA, les défenderesses la Régie de Québec et Montérégie ont violé son droit d'auteur dans les formulaires CTMSP.

[111]        M. Claude Roy, ancien chef du projet SIBPA chez Partagec, a témoigné que le logiciel SIBPA était livré sur ruban magnétique aux régies qui le demandaient. Le contenu de la cassette était alors enregistré sur le disque dur du serveur de la régie. Mme Guénette a expliqué que le simple démarrage de l'ordinateur fait en sorte qu'il y a reproduction de tout ce que l'on peut voir dans le code source.

[112]        Montérégie soutient qu'en droit canadien, l'affichage à l'écran de l'oeuvre CTMSP ne constitue pas une reproduction. Je ne suis pas du même avis pour les raisons suivantes.

[113]        Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre sous une forme matérielle quelconque (article 3 de la Loi). Or, il n'y a pas de définition de ce qu'est une forme matérielle. Il faut donc s'en tenir au sens ordinaire des mots. Une forme matérielle est une forme palpable, tangible, perceptible.


[114]        La preuve démontre que l'affichage à l'écran des parties importantes des formulaires CTMSP n'est pas éphémère. Il ne s'agit pas d'une image qui apparaît et disparaît. L'image apparaît à l'écran et l'utilisateur entre les renseignements requis; l'écran est donc interactif.

[115]        Bien que la jurisprudence canadienne soit silencieuse sur la question, la jurisprudence britannique a décidé que le simple affichage constitue une reproduction matérielle quelconque dans l'arrêt Bookmakers' Afternoon Greyhound Services Ltd. et al v. Wilf Gilbert (Stafforshire) Ltd. et al, [1994] F.S.R. 723 (H.C.J.-C.H.).

[116]        Dans cette affaire, le demandeur avait des formulaires pour les courses de chiens dans lesquels les handicaps, les victoires des chiens, les historiques etc., avaient été informatisés et transmis dans les « bookmaker's shops » . Le demandeur a poursuivi non seulement la personne qui avait informatisé et transmis les formulaires aux bookmakers, mais également un des bookmakers qui avait un écran où les renseignements s'affichaient.

[117]        À l'instar de la loi canadienne, la loi britannique ne précise pas ce que constitue une forme matérielle quelconque.

[118]        La Cour a conclu qu'il n'y avait aucun motif pour exclure du sens des mots la matérialisation sur un écran de télévision. Selon moi, la même conclusion doit prévaloir lorsqu'il s'agit de l'affichage sur un écran d'ordinateur.

[119]        La reproduction par la Régie de Québec et Montérégie de l'oeuvre sur leurs ordinateurs constitue, à mon avis, une violation du droit d'auteur de la demanderesse.

[120]        Mis à part la reproduction à l'écran, la preuve a révélé que SIBPA générait des rapports imprimés qui sont eux-mêmes des reproductions de parties importantes des formulaires CTMSP, ce qui constitue une autre violation du droit d'auteur d'Eros.

[121]        Sur ce point, les professeurs Melville B. Nimmer et David Nimmer affirment ce qui suit dans leur ouvrage Nimmer on Copyright, vol. 2, San Francisco, Matthew Bender, 2003, à la p. 8-122.3 :

Apart from the question of whether input of a work into a computer is infringing, subsequent retrieval of the work from the computer in a tangible form - a printout, for example - clearly would constitute an infringing "copy" [...]

[122]        Je conclus que l'utilisation du logiciel SIBPA constitue une contrefaçon et que Montérégie et la Régie de Québec ont ainsi violé le droit d'auteur de la demanderesse.


                        La mise en circulation de SIBPA par la Régie de Québec constitue-t-elle une violation du droit d'auteur d'Eros?

[123]        L'alinéa 27(2)(c) de la Loi prévoit qu'il y a contrefaçon lorsqu'une personne met en circulation l'oeuvre contrefaite de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur.

[124]        La preuve démontre clairement que les défenderesses Régie de Québec et que CGI ont « mis en circulation » le logiciel SIBPA et que plusieurs régies l'ont utilisé. Une lettre datée du 13 mai 1986 de la Régie de Québec et adressée aux directeurs généraux des régies annonce que SIBPA est prêt et qu'il faut communiquer avec M. Roy de Partagec pour se procurer le système.

CGI savait-elle que l'oeuvre qu'elle mettait en circulation contrevenait aux droits d'Eros?

[125]        CGI prétend pourvoir se prévaloir de l'ancien article 39 de la Loi, disposition qui était en vigueur en 1984 pendant que Partagec participait à la conception de SIBPA. Cet article prévoit que, sauf pour quelques exceptions, une personne qui porte atteinte au droit d'auteur d'un autre est tenue responsable de ses actes, nonobstant sa bonne foi.

[126]        La version de l'article 39 en vigueur avant les modifications de 1997, prévoit ce qui suit :



39. Lorsque, dans une action exercée pour violation du droit d'auteur sur une oeuvre, le défendeur allègue pour sa défense qu'il ignorait l'existence de ce droit, le demandeur ne peut obtenir qu'une injonction à l'égard de cette violation, si le défendeur prouve que, au moment de la commettre, il ne savait pas et n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l'oeuvre faisait encore l'objet d'un droit d'auteur; mais, si, lors de la violation, le droit d'auteur sur cette oeuvre était dûment enregistré sous le régime de la présente loi, le défendeur est réputé avoir eu un motif raisonnable de soupçonner que le droit d'auteur subsistait sur cette oeuvre.

39. Where proceedings are taken in respect of the infringement of the copyright in any work and the defendant in his defence alleges that he was not aware of the existence of the copyright in the work, the plaintiff is not entitled to any remedy other than an injunction in respect of the infringement if the defendant proves that at the date of the infringement he was not aware and had no reasonable ground for suspecting that copyright subsisted in the work, but if at the date of the infringement the copyright in the work was duly registered under this Act, the defendant shall be deemed to have had reasonable ground for suspecting that copyright substisted in the work.


[127]            Une des exceptions à ce principe veut qu'un défendeur puisse échapper à une condamnation de dommages s'il prouve qu'il ne savait pas ou qu'il n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l'oeuvre était protégée. Puisque les droits d'auteur liés au CTMSP étaient dûment enregistrés, CGI doit réfuter la présomption qu'elle avait un motif raisonnable de soupçonner que l'oeuvre était protégée. Le fardeau de preuve qui incombe à CGI est lourd.

[128]        M. Serge Potvin, chef du Projet SIBPA chez Partagec, a témoigné qu'il ne s'est jamais demandé s'il avait le droit de reproduire le document puisque celui-ci provenait du MAS et qu'il n'y avait jamais eu de problème auparavant. Il a également témoigné que Partagec était essentiellement l'employée de la Régie de Québec et que donc, selon lui, toute question de droit d'auteur était la responsabilité de celle-ci.

[129]        Dans l'arrêt C.P. Koch Ltd. c. Continental Steel Ltd., précité à la p. 169, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l'employé d'une compagnie qui avait copié les plans du demandeur n'était pas responsable :

With respect to all the incidents in question, Paulsen was, in effect, the employee of Continental Steel. He was acting entirely under the direction of Lloyd and simply following his instructions. I accept that he was not aware and that, given the course of dealings between Lloyd and Koch, he would not suspect that what he was being told by Lloyd to do was an infringment of Koch's right of copyright. The action against him is dismissed.

[130]        Or, dans le présent dossier, aucune preuve n'a été soumise à la Cour pour démontrer que Partagec était l'employée de la Régie de Québec lors de la conception de SIBPA. Le contrat de conception du logiciel indique que la Régie de Québec est le maître d'oeuvre du projet, mais ceci n'est pas suffisant pour conclure qu'une compagnie est l'employée d'une autre. D'ailleurs, le protocole entre les deux entités indique plutôt que Partagec est la mandataire de la Régie du Québec. La faute du mandataire dans l'exécution de son mandat n'exclut pas sa responsabilité (article 1054 al. 7 C.c.B.-C.).


[131]        De plus, il existait des indices quant à la propriété des droits d'auteur de ces formulaires. Le document à partir duquel Partagec avait intégré les données du CTMSP_85 dans le logiciel SIBPA ne contient pas d'indication de droits d'auteur sur la page couverture. Au contraire, cette première page comporte le nom et le sigle du gouvernement du Québec. Par contre, dans le bas de la deuxième page, bien qu'en très petits caractères, un avis de droit d'auteur indique que le document est la propriété d'Eros et qu'il est reproduit par le MAS avec son autorisation. Ce même avis est reproduit sur la première page du formulaire CTMSP ainsi que sur chaque page qui contient un tableau du formulaire. En plus, sur la troisième page du document, en caractères plus gros cette fois, il est indiqué que le document est protégé par un droit d'auteur appartenant à SSM-80 et que la correspondance peut être adressée à Eros ou au gouvernement du Québec.

[132]        Je ne doute pas de la bonne foi des employés de Partagec. En l'espèce, il est clair que les employés de Partagec ne savaient pas qu'Eros était la détentrice des droits d'auteur relatifs à l'informatisation du CTMSP. La plupart n'avaient jamais entendu parler d'Eros ou de M. Tilquin avant l'action. Les témoignages des employés à ce sujet sont crédibles. Toutefois, la simple absence de connaissance n'est pas suffisante en l'espèce, Eros ayant enregistré son droit d'auteur.

[133]        Je ne doute pas non plus des témoignages des employés de Partagec, selon lesquels le formulaire ressemblait à tous les autres formulaires qui leur étaient acheminés par le gouvernement, ni du fait qu'il n'y avait jamais eu de problème de la sorte auparavant. Mais cela n'est pas suffisant pour réfuter la présomption qui existe en raison de l'enregistrement du droit d'auteur d'Eros.


[134]        Le simple fait qu'il n'y avait jamais eu de problème de contrefaçon auparavant ne veut pas dire que la contrefaçon n'est pas un élément à considérer lorsqu'un formulaire est intégré mot pour mot dans un nouveau logiciel, surtout lorsque l'avis de droit d'auteur est reproduit à plusieurs endroits dans le document.

[135]        Ces faits me mènent à conclure qu'il existait un motif raisonnable de croire qu'un droit d'auteur existait relativement à l'oeuvre CTMSP. Je suis d'avis que CGI n'a pas réfuté la présomption énoncé à l'article 39 de la Loi et ne peut se prévaloir de l'exception qui y est prévue.

[136]        De plus, CGI ne peut se prévaloir de l'exception prévue à l'article_39 pour les gestes qu'elle a posés après que la demanderesse a intenté la présente poursuite. Il est présenté en preuve que M. Roy est le premier chez CGI à avoir eu connaissance de l'action et il l'a immédiatement transmise à son patron, M. Tousignant. Pourtant, CGI n'a pas cessé d'effectuer des modifications au logiciel SIBPA chaque fois que la Régie de Québec le lui demandait. CGI savait pertinemment qu'Eros possédait les droits d'auteur sur l'oeuvre CTMSP et aurait dû immédiatement cesser ses activités de contrefaçon.


[137]        Quant au préjudice subi, la preuve démontre qu'Eros était une entreprise en pleine expansion jusqu'en 1986. M. Tilquin affirme que de 1983 jusqu'en 1986-1987, son entreprise était en pleine croissance grâce à l'adoption du CTMSP par le MAS et à l'arrivée de PLAISIR sur le marché. Soudainement, en 1986, le chiffre d'affaires de l'entreprise a diminué de façon importante et ne s'est pas rétabli. Eros a survécu grâce aux régies qui ont continué à utiliser PLAISIR. En 1993, Eros a commencé à faire affaires en Suisse et en 2001, l'Allemagne a adopté PLAISIR. Depuis ce temps, le chiffre d'affaires d'Eros est remonté. M. Tilquin explique la chute de 1986 par l'arrivée de SIBPA.

[138]        Bien que la courbe de croissance n'aurait peut-être pas continué au même rythme, la preuve démontre que l'arrivée de SIBPA a eu un impact financier sur l'entreprise Eros.

[139]        J'en conclus que la Régie de Québec et CGI ont violé, au sens de l'alinéa 27(2)c) de la Loi, les droits d'auteur de la demanderesse en mettant en circulation l'oeuvre contrefaite de façon préjudiciable à Eros.

Les recours

[140]        L'article 34 de la Loi indique les recours dont l'auteur lésé peut se prévaloir :


34. (1) En cas de violation d'un droit d'auteur, le titulaire du droit est admis, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, à exercer tous les recours - en vue notamment d'une injonction, de dommages-intérêts, d'une reddition de compte ou d'une remise - que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit. [...]

34. (1) Where copyright has been infringed, the owner of the copyright is, subject to this Act, entitled to all remedies by way of injunction, damages, accounts, delivery up and otherwise that are or may be conferred by law for the infringement of a right. [...]


[141]        L'article 35 traite plus précisément des dommages-intérêts auxquels il a droit pour remédier à la contrefaçon :



35. (1)    Quiconque viole le droit d'auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages-intérêts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu'il a réalisés en commettant cette violation et qui n'ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérêts.

(2) Dans la détermination des profits, le demandeur n'est tenu d'établir que ceux provenant de la violation et le défendeur doit prouver chaque élément du coût qu'il allègue.

35. (1) Where a person infringes copyright, the person is liable to pay such damages to the owner of the copyright as the owner has suffered due to the infringement and, in addition to those damages, such part of the profits that the infringer has made from the infringement and that were not taken into account in calculating the damages as the court considers just.

(2) In proving profits,

(a) the plaintiff shall be required to prove only receipts or revenues derived from the infringement; and

(b) the defendant shall be required to prove every element of cost that the defendant claims.


[142]        Eros réclame des dommages-intérêts sous deux chefs distincts. Premièrement, Eros réclame les pertes de revenus liées directement à l'exploitation informatique de son oeuvre CTMSP, allégant que les défenderesses ont conçu et mis en marché le logiciel SIBPA fondé sur le CTMSP et que ce logiciel a coupé la part du marché d'Eros. Deuxièmement, Eros réclame les pertes de revenus liées au manque à gagner quant aux ventes du système PLAISIR dont le marché aurait été supplanté en partie par le logiciel contrefacteur SIBPA.

            Période visée par l'évaluation du préjudice financier


[143]        M. Paul Levine, expert-comptable mandaté par Eros pour évaluer le préjudice financier, a calculé les pertes de la demanderesse pour la période allant de janvier 1987 à juin 2001 pour les oeuvres CTMSP et PLAISIR. Je suis d'avis que cette période est trop longue puisque la preuve établit que le logiciel SIBPA a été abandonné par les défenderesses en 1992. Il n'est donc pas justifié, à mon avis, de calculer les dommages au-delà de cette période.

[144]        La méthodologie utilisée par M. Levine pour évaluer le préjudice financier, est différente pour le CTMSP et pour PLAISIR. Je vais donc étudier les deux chefs de dommages séparément.

1.         Pertes reliées à l'exploitation informatique de CTMSP

[145]        Pour évaluer le préjudice financier subi par Eros, M. Levine a utilisé une approche fondée sur le taux de royauté octroyé pour des licences dans l'industrie de la santé.

[146]        M. Levine a présumé qu'Eros n'aurait pas créé le logiciel à l'interne mais aurait donné une licence à un tiers pour la conception du logiciel. En échange, Eros aurait reçu des royautés sur les ventes du logiciel par le fournisseur. Cette méthode est fondée sur la méthode de facturation de logiciels comparables en Amérique du Nord, dont le MDS qui est utilisé en Ontario et aux États-Unis pour l'évaluation des personnes âgées dans les établissements de soins de longue durée.


[147]        M. Levine a communiqué avec une douzaine de fournisseurs des logiciels MDS et SICHELD, qui sont des logiciels comparables à ce qu'aurait été une version informatisée du CTMSP, et il a fait la moyenne des sommes facturées par ces fournisseurs.

Le chiffre d'affaires

[148]        M. Levine estime qu'il existe deux scénarios possibles pour le calcul des pertes fondé sur la facturation des services :

Scénario A : ce scénario prévoit un prix d'installation initial par établissement et par poste de travail, et ensuite un montant annuel d'entretien calculé selon un pourcentage du prix initial (17 %) qui couvrirait l'assistance technique et la mise à jour; ou

Scénario B : ce scénario prévoit un prix d'installation initial par établissement seulement, et ensuite un montant annuel d'entretien calculé par poste de travail.

Scénario A

[149]        Le prix d'installation initial dans ce scénario aurait été calculé selon le nombre d'établissements (hôpitaux, CLSC, CHSLD, etc.), de lits et de postes de travail dans lesquels le CTMSP informatisé aurait été installé.


Le chiffre d'affaires et taux de royauté

[150]        Le chiffre d'affaires est calculé selon le scénario choisi et est ensuite multiplié par le taux de royauté. Le taux de royauté a été calculé à partir de données fournies à M. Levine par le Licensing Economics Review (5,05 % est un taux moyen selon les recherches de M. Levine). Le résultat de cette opération représente ce qu'Eros aurait obtenu des ventes du CTMSP informatisé.

Taux profit/contribution marginale

[151]        Il faut aussi appliquer le taux de profits/contribution marginale qu'aurait réalisé Eros n'eut été de la contrefaçon du CTMSP. Ce taux représente le profit réalisé sur une vente. Il est calculé en prenant le chiffre d'affaires et en y retranchant l'ensemble des coûts variables associés directement à la réalisation du chiffre d'affaires. M. Levine a choisi d'utiliser les chiffres d'affaires des années 1991 et 1992 pour calculer le taux, car Eros n'avait que des profits de PLAISIR durant ces deux années. M. Levine a présumé que la structure des coûts aurait été semblable pour un logiciel CTMSP.

[152]        Selon les calculs de M. Levine, le taux de profits/contribution marginale qu'aurait réalisé Eros relativement au CTMSP informatisé est de 87,73 %. Ce taux est celui que M. Levine a choisi d'appliquer pour toute la période des pertes d'Eros.


Montant annuel d'entretien

[153]        La perte de profits relatifs aux frais d'entretien annuels fut calculée en appliquant aux chiffres de ventes un pourcentage de 17 % (calculé en faisant la moyenne des sommes facturées par les divers fournisseurs avec lesquels M. Levine a communiqué). Eros aurait également reçu des royautés sur ce montant. Ce dernier est donc multiplié par le taux de royauté de 5,05 % établi ci-dessus. M. Levine a de nouveau appliqué le taux de profits/contributions marginales de 87,73 % pour obtenir le montant représentant les pertes d'Eros pour l'entretien annuel.

Taux de conversion

[154]        Finalement, M. Levine a appliqué le facteur de conversion pour l'indice des prix à la consommation pour convertir les montants en dollars 2001.

Scénario B                                    

[155]        Le prix d'installation dans le Scénario B est calculé de la même manière que dans le Scénario A, sauf que le calcul ne tient compte que de l'établissement et non du nombre de postes de travail dans lesquels aurait été installé le CTMSP informatisé.


Montant annuel d'entretien

[156]        Le montant d'entretien annuel dans le Scénario B est calculé par poste de travail. M. Levine a utilisé la moyenne des montants facturés par les deux fournisseurs avec lesquels il a communiqué et qui utilisaient cette structure de prix pour en arriver à un prix applicable pour Eros (833 $). Ce montant fut ensuite multiplié par le nombre de postes de travail dans lesquels le logiciel aurait été installé. De plus, il faut ajouter le taux de royauté de 5,05 % qu'Eros aurait reçu et les taux de profits/contribution de 87,73 % au montant obtenu.

[157]        M. Levine applique le facteur de conversion pour l'indice des prix à la consommation comme dans le Scénario A.

Les conclusions de M. Levine


[158]        Les montants obtenus dans par les deux scénarios sont très semblables pour ce qui est du prix d'installation ainsi que du prix d'entretien annuel. M. Levine a fait une moyenne des montants des deux scénarios pour calculer une perte de profits/contributions marginales pour l'installation initiale pour Eros de 185 588 $ en 1987, plus une perte de profits/contributions marginales pour l'entretien annuel totalisant 627 175 $ (non actualisée) pour la période allant de janvier 1987 à juin 2001. Le total des pertes de Eros liées au CTMSP totaliserait donc 812 763 $ (non actualisé) selon les calculs de l'expert d'Eros.

[159]        L'expert-comptable des défenderesses, M. Bruno Fortin, a attaqué la méthodologie fondée sur un taux de redevances choisi par M. Levine. Bien qu'acceptable à première vue, cette approche n'est pas la plus probable selon M. Fortin. Étant donné l'entente entre Eros et le MAS quant à l'oeuvre littéraire CTMSP, M. Fortin est d'avis que le MAS aurait acheté les intérêts de la demanderesse liés à son adaptation informatique. L'approche « propriétaire » aurait été privilégiée puisque le MAS détenait tous les droits relatifs au CTMSP, sauf en ce qui concerne son informatisation, et que l'acquisition est beaucoup plus simple que la gestion d'une entente de redevances. Et cela, d'autant plus qu'un droit de premier refus avait été prévu dans le contrat entre Eros et le MAS.

[160]        Selon les montants calculés par M. Levine, il aurait coûté au MAS environ 7 000 000 $ pour l'installation initiale et 1 100 000 $ par année en frais d'entretien, soit un total d'environ 24 000 000 $ sur 15 ans, pour l'utilisation de la version informatique du CTMSP. Or, la preuve démontre que le MAS a payé des coûts de conception de l'ordre de 200 000 $ pour le système SIBPA.


[161]        Je suis d'accord avec M. Fortin qu'il s'agit du scénario le plus probable puisqu'historiquement, c'est l'approche que le MAS a adoptée lors de son entente avec Partagec relativement au logiciel contrefacteur SIBPA. Le protocole entre la Régie de Québec et Partagec pour la conception de SIBPA énonce que la Régie de Québec avait l'option d'acquérir une licence d'utilisation dans SIBPA ou de retenir tous les droits de propriété du logiciel. La Régie de Québec a choisi la deuxième option. Cette approche était beaucoup plus économique et permettait d'offrir le logiciel gratuitement aux régies.

[162]        De plus, la preuve confirme que le MAS n'était pas prêt à débourser des sommes importantes pour l'achat ou la conception d'un logiciel. Mme Bilodeau, qui travaillait au MAS à l'époque pertinente, a témoigné qu'en 1984-1985, le MAS a reçu 13 500 000 $, annualisés à 27 000 000 $ l'année suivante, pour les centres d'hébergement et les centres hospitaliers de soins prolongés. Ces montants devaient être utilisés pour rehausser le taux de satisfaction en besoins infirmiers, en ergothérapie et en physiothérapie. Aucun montant n'était prévu pour l'achat d'équipement ou de conception de logiciels. Pourtant, M. Tilquin a témoigné que s'il avait voulu vendre un logiciel CTMSP, il aurait aussi voulu vendre le PRN et PLAISIR au MAS pour environ 10 000 000 $. Je ne pense pas que le MAS aurait été prêt à payer ce montant pour les outils d'Eros. La lecture de la correspondance échangée entre le MAS et Eros lors de négociations en vue d'un règlement confirme que le MAS n'était pas prêt à payer un prix aussi élevé pour la création d'un outil informatique.


[163]        En conséquence, j'estime qu'un montant de 200 000 $, le coût de conception de SIBPA, est raisonnable. À ce montant, j'ajoute 70 000 $ pour tenir compte des sommes dépensées par la Régie de Québec pour apporter des modifications subséquentes au logiciel SIBPA. Ceci donne un montant total de 270 000 $.

[164]        Il faut ensuite appliquer la marge bénéficiaire d'Eros de 53,72 %, qui m'apparaît être raisonnable puisque c'est la marge historique d'Eros, pour obtenir le montant des bénéfices perdus, qui s'élèvent à 312 729 $.

[165]        J'accepte également qu'Eros aurait touché des frais pour l'entretien annuel de son logiciel CTMSP informatisé. Au taux incontesté de 17 %, cela représente un montant annuel de pertes de bénéfices de 53_164 $, montant qui devra être majoré selon l'indice du prix à la consommation à compter de 1986, date de la contrefaçon, jusqu'en 1992, date où SIBPA a cessé d'être utilisé par les défenderesses.

2.         Pertes liées au manque à gagner sur les ventes du logiciel PLAISIR

[166]        Ce chef de dommages est fondé sur l'hypothèse que le logiciel contrefacteur SIBPA aurait supplanté en partie le marché du logiciel PLAISIR.

[167]        Les défenderesses s'opposent à une telle réclamation au motif que si le logiciel SIBPA a coupé le marché des ventes de PLAISIR, la même chose serait survenue si Eros avait informatisé le CTMSP.

[168]        Selon, M. Fortin, expert des défenderesses, puisque SIBPA inclut intégralement le CTMSP dans son logiciel et qu'il est en concurrence avec PLAISIR, un CTMSP informatisé serait également en concurrence avec PLAISIR. Les réclamations d'Eros pour le CTMSP et pour PLAISIR seraient donc un dédoublement. Ainsi, l'attribution de dommages pour les pertes liées au CTMSP doit exclure l'attribution de dommages pour PLAISIR.

[169]        La Régie de Québec soumet que le CTMSP abrégé a été créé par M. Tilquin pour répondre aux besoins des régies qui ne voulaient pas utiliser PLAISIR. En créant le CTMSP abrégé pour calculer les heures/soins, M. Tilquin avait déjà mis sur le marché un outil qui faisait concurrence à PLAISIR. La Régie de Québec a choisi d'utiliser le CTMSP abrégé au lieu de PLAISIR, et elle soumet qu'il est illusoire de croire que le réseau aurait déboursé un montant quelconque pour l'utilisation du CTMSP abrégé.

[170]        M. Tilquin affirme qu'il n'aurait jamais créé un produit qui aurait « cannibaliser » un autre de ses propres produits. Il prétend que si une régie avait préféré utiliser le CTMSP abrégé de concert avec un logiciel CTMSP pour effectuer ses évaluations continues, il aurait facturé la régie pour chacune des évaluations continues effectuées de cette manière. Le prix aurait été calculé pour compenser Eros pour l'absence de profits découlant de l'utilisation de PLAISIR. Ainsi, une compensation pour ses pertes pour le CTMSP et PLAISIR ne serait pas un dédoublement.


[171]        Un logiciel informatisant le CTMSP aurait-il été un produit concurrentiel face à PLAISIR dans le domaine des évaluations continues?

[172]        Il est évident qu'un logiciel CTMSP aurait intégré tous les formulaires du CTMSP. Vraisemblablement, il aurait été possible de saisir les données compilées avec le Formulaire de détermination des services requis du CTMSP abrégé dans le logiciel pour effectuer les évaluations continues des bénéficiaires puisque le CTMSP abrégé n'est qu'une version réduite du CTMSP.

[173]        De plus, si une régie est capable d'effectuer une évaluation continue à l'aide du logiciel SIBPA, un logiciel qui incorpore les formulaires CTMSP mot pour mot, il n'est pas plausible, à mon avis, pour Eros de prétendre qu'un logiciel qu'elle aurait créé, incorporant mot pour mot ses formulaires CTMSP, n'aurait pas pu être utilisé pour en arriver à cette fin.

[174]        Si un CTMSP informatisé avec lequel on pouvait également effectuer des évaluations continues avait été mis sur le marché au lieu de SIBPA et avait été distribué gratuitement, les régies de Québec, Montérégie, Estrie et Bas St-Laurent qui ont utilisé SIBPA l'auraient probablement utilisé pour effectuer leurs évaluations continues. Eros aurait donc subi des pertes liées à PLAISIR de toute façon.

[175]        Je note également qu'il existait d'autres outils qui permettaient aux régies d'effectuer des évaluations continues, tels l'Info-Admission et IMAGES. Il fut mis en preuve que certaines régies utilisaient déjà ces outils, et il est plausible de penser que les régies qui ont utilisé SIBPA auraient utilisé ces concurrents de PLAISIR si SIBPA n'avait jamais été commercialisé.

[176]        Finalement, Eros admet que le CTMSP abrégé et PLAISIR étaient des systèmes interchangeables. Dès lors, comment nier que le logiciel CTMSP utilisé avec le CTMSP abrégé n'aurait pas bien desservi les régies pour effectuer les évaluations continues?

[177]        Il est difficile de croire qu'une organisation gouvernementale, telle une régie, aurait déboursé un montant pour des évaluations continues PLAISIR alors qu'elle aurait pu les faire à l'interne, gratuitement, avec les outils CTMSP abrégé et un logiciel CTMSP.


[178]        M. Tilquin a répliqué que si les régies voulaient utiliser son CTMSP informatisé pour effectuer des évaluations continues, il les aurait fait payer pour chacune de celles-ci. Il me semble toutefois irréaliste de la part de M. Tilquin de penser que le MAS aurait acheté son logiciel et aurait ensuite été disposé à payer des frais pour chaque évaluation qu'il effectuait avec son propre logiciel. La question se pose, comment M. Tilquin aurait-il obtenu les données nécessaires à la facturation? Comment peut-il prétendre qu'il pourrait vendre un produit et ensuite continuer à faire payer l'acheteur pour l'utilisation du produit?

[179]        Je conclus donc qu'il est inévitable qu'un logiciel CTMSP aurait fait concurrence au produit PLAISIR d'Eros.

[180]        Puisque le tribunal doit éviter les chevauchements et les dédoublements (Pro Arts Inc. v. Campus Crafts Holdings Ltd. et al (1980), 28 O.R. (2d) 422 H.C.J. Ont.), je suis d'avis qu'Eros ne peut réclamer à la fois des dommages liés à l'utilisation de PLAISIR et des dommages liés à l'informatisation du CTMSP.

3.         Recours contre Montérégie

[181]        La réclamation d'Eros contre la Montérégie est fondée sur son utilisation du logiciel SIBPA.

[182]        La preuve a clairement démontré que Montérégie a utilisé le logiciel contrefacteur SIBPA pour ses évaluations continues tout en sachant qu'Eros avait conservé ses droits d'informatisation relativement au CTMSP.

[183]        Comme je l'ai décidé ci-dessus, en utilisant le logiciel, Montérégie a reproduit le CTMSP contrefacteur à maintes reprises et ces actes constituent des violations des droits d'auteur d'Eros.

[184]        La jurisprudence a établi une présomption de dommages lorsqu'il est prouvé qu'un droit d'auteur a été violé(Netupsky et al v. Dominion Bridge Co. Ltd. (1969), 58 C.P.R._7 C.A.C.-B.).

[185]        Cependant, la demanderesse doit faire la preuve du quantum des dommages qui résultent de cette violation. Ces dommages doivent être directs et certains.

[186]        La preuve des dommages d'Eros repose sur l'informatisation du CTMSP. Or, il n'y a aucune preuve concluante que Montérégie aurait utilisé PLAISIR si SIBPA n'avait pas été mis en marché. Bien que le contrat entre Montérégie et Eros ait été suspendu et ensuite annulé presqu'au même moment où SIBPA a été mis en marché, plusieurs éléments de preuve au dossier indiquent qu'il existait des raisons autres que SIBPA pour lesquelles Montérégie a mis un moratoire sur les évaluations PLAISIR.


[187]        Mme Juneau, qui avait été directrice générale par intérim de Montérégie d'octobre 1986 à avril 1987, a témoigné qu'il y avait eu des problèmes avec l'exactitude des calculs effectués avec le formulaire FRAN, le prédécesseur de PLAISIR. Le comité administratif de Montérégie était inquiet, car les données d'évaluations continues devaient être exactes pour permettre l'allocation efficace des budgets. Mme Juneau a reconnu que le contrat de 1986 entre Montérégie et Eros pour PLAISIR a été signé malgré les doléances de certains individus, dont M. Desnoyers qui a témoigné en l'instance.

[188]        M. Desnoyers a témoigné qu'il avait eu des disparités entre la réalité au centre d'accueil et les résultats des évaluations PLAISIR, qu'il doutait de l'efficacité du système et qu'il en avait parlé au conseil administratif de Montérégie. En effet, Mme Bélisle, responsable des relations avec les centres d'accueil et d'hébergement, des programmes d'orientation et des allocations budgétaires chez Montérégie entre 1983 et 1986, a témoigné que M. Desnoyers n'était pas le seul directeur général d'établissement qui était insatisfait des résultats de PLAISIR dans la région.

[189]        Finalement, Mme Normandeau, qui était infirmière en chef au Centre d'accueil Champlain durant les années 80, a témoigné qu'il y avait souvent des disparités entre les besoins réels de personnel dans l'établissement et les résultats calculés par PLAISIR. Mme Normandeau a également témoigné qu'elle trouvait le processus de validation effectué chez Eros théorique.


[190]        De plus, le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de Montérégie du 21 janvier 1987 indique que 23 % des établissements de la région avait refusé de participer à l'évaluation du logiciel PLAISIR, qui faisait l'objet du contrat de 1986 entre les deux parties. J'accepte que Montérégie ne pouvait procéder à une évaluation qui était supposée être effectuée à la grandeur de la région alors que le quart de ses établissements ne voulait pas y participer. L'utilité de l'exercice était perdue.

[191]        Je conclus qu'Eros n'a pas démontré que la fin de l'utilisation de PLAISIR dans la Montérégie était directement liée à l'utilisation de SIBPA.

[192]        Dans les cas où le demandeur n'a pas prouvé de façon satisfaisante qu'il a subi des dommages causés par la violation, il est opportun d'accorder des dommages nominaux, qui ne sont pas nécessairement des montants modestes (Bouchet c. Kyriacopoulos (1964), 45 C.P.R. 265 (Ex.Ct.), Prism Hospital Software Inc. c. Hospital Medical Records Institute (1994), 57 C.P.R. (3d) 129 (C.S.C.-B.). L'arrêt de principe pour les dommages nominaux est Underwriters' Survey Bureau Ltd. v. Massie & Renwick Ltd. (1941), 1 C.P.R. 207 (Ex. Ct.), où il a été décidé ce qui suit à la p. 215 :

[...] I may say at once, that I found it impossible to find any proof of actual damage (loss) sustained by the plaintiffs as resulting from the infringement. I think, however, that the defendant must pay something for his tortious act and for the invasion of the plaintiffs' property. There can be no doubt that even in the absence of proof of specific damage or actual loss the plaintiffs are entitled to judgment for a sum to be fixed, under the head of damages at large, including nominal, as explained further, and exemplary damages. [...]


[193]        Dans l'arrêt Sotramex inc. c. Sorenviq inc., REJB 1998-07735 (C.S.Q.) ( « Sotramex » ), la Cour supérieure du Québec a accordé 10 000 $ en dommages nominaux à la demanderesse. Dans cette affaire, la défenderesse avait copié plusieurs passages d'un texte rédigé par la demanderesse sur son site Internet sans le consentement de la demanderesse et sans mettre de référence à celle-ci comme propriétaire des droits d'auteur sur le texte. La Cour a conclu qu'il y avait eu violation des droits de la demanderesse, mais qu'elle n'avait fait aucune preuve de dommages causés par la reproduction illicite de son oeuvre. La preuve avait révélé que seulement cent personnes avaient visité le site depuis la reproduction de l'oeuvre sur celui-ci et que la demanderesse n'avait pas perdu de clients à cause de cette violation de ses droits.

[194]        En l'espèce, bien que Montérégie ait utilisé le logiciel contrefacteur pendant des années, elle n'était pas l'agent contrefacteur et n'a pas participé activement à la reproduction de l'oeuvre de la demanderesse ni à sa mise en circulation. À mon avis, un montant supérieur à celui qui avait été accordé dans Sotramex, précité, ne serait pas approprié dans les circonstances.

[195]        J'accorde donc des dommages nominaux de l'ordre de 10 000 $ en faveur de la demanderesse.

4.         Les dommages punitifs

[196]        Eros réclame également les dommages punitifs, alléguant le comportement insouciant des défenderesses qui ont démontré un non-respect flagrant des droits d'Eros malgré la mise en demeure et la preuve d'action.


[197]        La jurisprudence reconnaît que, selon les circonstances et la conduite du contrefacteur, des dommages-intérêts punitifs peuvent être accordés.

[198]        La demanderesse n'y aura droit que si elle prouve un élément de fraude, une intention de nuire ou une conduite malveillante qui déroge nettement des normes ordinaires de bonne conduite. L'objectif est de punir le défendeur et de dissuader pécuniairement une telle conduite pour lui et les autres dans l'avenir. Dans l'affaire Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595 à la p. 645, la Cour suprême du Canada a établi les critères suivants :

(1) Les dommages-intérêts punitifs sont vraiment l'exception et non la règle. (2) Ils sont accordés seulement si le défendeur a eu une conduite malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible, qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite. (3) Lorsqu'ils sont accordés, leur quantum doit être raisonnablement proportionné, eu égard à des facteurs comme le préjudice causé, la gravité de la conduite répréhensible, la vulnérabilité relative du demandeur et les avantages ou bénéfices tirés par le défendeur, (4) ainsi qu'aux autres amendes ou sanctions infligées à ce dernier par suite de la conduite répréhensible en cause. (5) En règle générale, des dommages-intérêts punitifs sont accordés seulement lorsque la conduite répréhensible resterait autrement impunie ou lorsque les autres sanctions ne permettent pas ou ne permettraient probablement pas de réaliser les objectifs de châtiment, dissuasion et dénonciation. (6) L'objectif de ces dommages-intérêts n'est pas d'indemniser le demandeur, mais (7) de punir le défendeur comme il le mérite (châtiment), de le décourager - lui et autrui - d'agir ainsi à l'avenir (dissuasion) et d'exprimer la condamnation de l'ensemble de la collectivité à l'égard des événements (dénonciation). (8) Ils sont accordés seulement lorsque les dommages-intérêts compensatoires, qui ont dans une certaine mesure un caractère punitif, ne permettent pas de réaliser ces objectifs. (9) Leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser rationnellement leur objectif. (10) Bien que l'État soit généralement le bénéficiaire des amendes ou sanctions infligées pour cause de conduite répréhensible, les dommages-intérêts punitifs constituent pour le demandeur un « profit inattendu » qui s'ajoute aux dommages-intérêts compensatoires. (11) Dans notre système de justice, les juges et les jurys estiment que des dommages-intérêts punitifs modérés sont généralement suffisants, puisqu'ils entraînent inévitablement une stigmatisation sociale.


La Régie de Québec

[199]        La preuve révèle qu'Eros a bénéficié de l'appui du réseau québécois de la santé et surtout de la Régie de Québec pour la conception de ses outils. La Régie de Québec a été la première régie à utiliser le CTMSP papier dans l'ensemble de sa région. De plus, M. Tilquin a admis que le fait que plusieurs régies, dont Québec qui était la seconde en taille, avaient déjà mis en place le CTMSP, avait joué en sa faveur lorsque est venu le temps pour le MAS de choisir un outil d'évaluation pour la province en 1984. Le choix final du MAS a effectivement porté sur le CTMSP. À la lumière de cette relation entre les parties, je conclus que la Régie de Québec n'a pas cherché à nuire à la demanderesse.

[200]        De plus, la Régie de Québec considérait que le système SIBPA était beaucoup plus large que l'outil CTMSP. Mme Louise Montreuil, directrice de l'élaboration des politiques à la Régie de Québec de 1985 à 1992, a témoigné à l'effet que d'après elle, le CTMSP et SIBPA étaient des outils différents avec des objectifs différents. Le CTMSP était un outil d'évaluation alors que SIBPA était le système permettant d'appuyer le PECA.


[201]        Lorsque la présente action fut intentée, la Régie de Québec croyait qu'une entente interviendrait entre Eros et le MAS et qu'il n'était pas justifié, puisque le MAS ne l'avait pas exigé, de bloquer le mécanisme régional d'admission/orientation et de risquer de causer des préjudices aux personnes en attente d'hébergement. Malheureusement, c'est ce qui se serait produit si la Régie de Québec avait cessé d'utiliser SIBPA immédiatement, car ce n'était pas seulement un outil d'évaluation mais un logiciel qui appuyait le mécanisme d'admission de la région.

[202]        De plus, la preuve est concluante quant au fait que la Régie de Québec croyait honnêtement qu'un règlement interviendrait entre Eros et le MAS.

[203]        Dans de telles circonstances, en l'absence d'une preuve d'intention malveillante ou d'intention de nuire, je ne peux accorder de dommages punitifs.

Montérégie

[204]        Tout comme la Régie de Québec, Montérégie a été une des premières régies à utiliser le CTMSP. La preuve démontre qu'elle a donné l'accès à Eros à ses établissements et à sa clientèle à Eros, et qu'elle a servi de site-pilote à maintes reprises. L'historique révèle que les relations entre Eros et Montérégie ont été harmonieuses.


[205]        La preuve révèle qu'en janvier 1988, M. Tilquin a rencontré M. Hubert Gauthier, directeur général de la défenderesse Montérégie, pour l'informer du fait que le logiciel SIBPA contrevenait à ses droits d'auteur relativement au CTMSP. Montérégie a continué à utiliser le logiciel SIBPA malgré la visite de M. Tilquin et malgré l'introduction de la présente action au mois d'avril 1988. Cependant, dans les circonstances, je suis d'avis que le comportement de Montérégie ne justifie pas l'octroi de dommages punitifs puisque la preuve d'une intention malveillante ou d'une intention de nuire n'a pas été établie.

[206]        Mme Juneau a témoigné que Montérégie a communiqué avec le MAS après que l'action a été intentée. Celui-ci n'a jamais demandé à Montérégie de cesser d'utiliser le logiciel SIBPA. Au contraire, tout laissait croire qu'il y aurait un règlement hors cour dans cette affaire. Une lettre du MAS adressée à M. Gauthier démontre que Montérégie était fondée de croire que le MAS allait prendre responsabilité dans l'affaire. Bien que Montérégie se soit trompée à cet égard, ceci ne change rien au fait qu'elle a agi de bonne foi après le début de l'action, étant d'avis qu'Eros et le MAS trouveraient un terrain d'entente.

[207]        Je ne peux donc conclure qu'il s'agit d'une conduite si répréhensible qu'elle puisse donner lieu à des dommages punitifs.

CGI

[208]        Je suis d'avis qu'Eros n'a pas fait la preuve d'une intention de nuire ou d'une conduite malveillante de la part de CGI.


[209]        MM. Tousignant, Potvin et Roy ont témoigné au sujet des gestes posés par les prédécesseurs de CGI.

[210]        Je retiens de leurs témoignages qu'avant le début de l'action, les prédécesseurs de CGI ne savaient pas que la Régie de Québec n'avait pas le droit d'utiliser les formulaires CTMSP dans le cadre de la conception du logiciel SIBPA. La preuve révèle que la circulaire ministérielle d'octobre 1984, laquelle confirmait que le CTMSP est protégé par la Loi et que le MAS avait acquis les droits d'exploitation littéraire de l'oeuvre, n'a pas été adressée à Partagec et que personne chez Partagec n'en avait connaissance.

[211]        Ces témoins ont affirmé avoir participé à l'informatisation de formulaires émanant du MAS à maintes reprises auparavant sans que cela n'entraîne un problème face à un tiers. Il n'y avait donc aucune raison de douter de la bonne foi de la Régie de Québec lorsqu'elle a envoyé à Partagec les formulaires CTMSP pour les intégrer au logiciel. De plus, comme je l'expliquerai plus loin, je suis d'avis qu'en tant que maître d'oeuvre, la Régie de Québec n'a pas rempli son devoir de renseignements à l'égard de CGI (article 1024 C.c.B.-C.).


[212]        Quant aux gestes posés après le début de l'action, M. Tousignant a témoigné que les corrections, les mises à jour et le support relativement au logiciel SIBPA ont été maintenus à la demande de la Régie de Québec. Je retiens de l'ensemble de la preuve que les prédécesseurs de CGI avaient compris qu'il y avait des négociations entre Eros et le MAS dans le but d'en arriver à un règlement à l'amiable et que la Régie de Québec ou le MAS allait assumer la responsabilité dans le dossier.

[213]        Bien qu'ils se soient mépris sur ce point, je conclus qu'il n'y a aucun élément de preuve qui démontre qu'ils ont agi de façon frauduleuse ou dans l'intention de nuire à la demanderesse en effectuant les mises à jour au logiciel SIBPA à la demande de la Régie de Québec. Je n'accorde donc aucun dommage punitif à l'égard de la défenderesse CGI.

5.         Les intérêts

[214]        L'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, prévoit le calcul des intérêts avant jugement :


36. (1)    Intérêt avant jugement - Fait survenu dans une province - Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d'intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

36. (1)    Prejudgment interest, cause of action within province - Except as otherwise provided in any other Act of Parliament, and subject to subsection (2), the laws relating to prejudgment interest in proceedings between subject and subject that are in force in a province apply to any proceedings in the Court in respect of any cause of action arising in that province.


[215]        La cause d'action ayant pris naissance au Québec, il faut référer à l'article 1056c du C.c.B.C. en vigueur à l'époque :



Art. 1056c. Le montant accordé par jugement pour dommages résultant d'un délit ou d'un quasi-délit porte intérêt au taux légal depuis la date de l'institution de la demande en justice.

Il peut être ajouté au montant ainsi accordé une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de ladite date, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., chapitre M-31) sur le taux légal d'intérêt.

Art. 1056c. The amount awarded by judgment for damages resulting from an offence or a quasi-offence shall bear interest at the legal rate as from the date when the action at law was instituted.

There may be added to the amount so awarded an indemnity computed by applying to the amount, from such date, a precentage equal to the excess of the interest rate fixed according to section 29 of the Act respecting the Ministère du Revenu (R.S.Q., chapter M-31) over the legal interest rate.


[216]        Le taux légal en vertu de l'article 1056c du C.c.B.C. est de 5 % tel que prévu à l'article 3 de la Loi concernant l'intérêt, L.R.C. (1985), c. I-15. Eros a donc droit aux intérêts à un taux de 5 % à compter de l'assignation de l'action, soit en avril 1988.

[217]        Bien que l'octroi de l'indemnité additionnelle soit la règle, puisque dans la présente affaire les délais entre le début de l'action et l'audition sont grandement imputables à Eros et considérant les réclamations grossièrement exagérées qui excluaient pratiquement des possibilités réalistes de règlement, il n'y a pas lieu d'accorder l'indemnité additionnelle (Canadian Newspaper Co. c. Snyder, [1995] R.D.J. 392 (C.A.Q.).

6.         L'appel en garantie


[218]        L'appel en garantie de CGI est fondé sur le manquement de la Régie de Québec à son devoir de renseignement lors du contrat pour la conception de SIBPA. La Régie de Québec ne conteste pas l'appel en garantie pour les dommages causés par les actions des prédécesseurs de CGI ni avant l'institution de l'action ni suite à celle-ci.

[219]        M. Fortin, directeur informatique de la Régie de Québec pendant la conception de SIBPA, a admis avoir discuté du droit de la Régie de Québec d'utiliser et de reproduire les formulaires CTMSP papier avec M. Tilquin à plusieurs reprises en 1981 et 1982.

[220]        Il n'a jamais informé personne chez Partagec des questions concernant l'existence de droits d'auteur en faveur de M. Tilquin sur les formulaires CTMSP ni de l'existence des discussions entre M. Tilquin et le MAS à ce sujet.

[221]        CGI soumet qu'il appartenait à la Régie de Québec, en tant que maître d'oeuvre de SIBPA, d'informer Partagec des limites existant sur la cession de droits d'auteur d'Eros en faveur du MAS avant de lui donner les instructions d'introduire les formulaires CTMSP dans le logiciel SIBPA en 1985. Je suis également de cet avis.

[222]        L'article 1024 C.c.B.-C. impose un devoir implicite de bonne foi qui inclut une obligation implicite de renseignement de la part du maître d'oeuvre à l'égard de l'entrepreneur dans le cadre d'un contrat de service ou d'entreprise. L'article 1024 du C.c.B.-C. prévoit ce qui suit :



Art. 1024 Les obligations d'un contrat s'étendent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les conséquences qui en découlent, d'après sa nature, et suivant l'équité, l'usage ou la loi.

Art. 1024 The obligation of a contract extends not only to what is expressed in it, but also to all the consequences which, by equity, usage, or law, are incident to the contract, according to its nature.


[223]        Dans l'arrêt Banque de Montréal c. Bail, [1992] 2 R.C.S. 554 ( « Bail » ), le juge Gonthier a énoncé une théorie globale de l'obligation de renseignement en droit civil québécois. Citant Ghestin, il a énuméré les trois critères sur lesquels repose l'obligation de renseignement dans les relations contractuelles aux pp. 586-87 :

-              la connaissance, réelle ou présumée, de l'information par la partie débitrice de l'obligation de renseignement;

-             la nature déterminante de l'information en question;

-              l'impossibilité du créancier de l'obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur.

[224]        Cette obligation de renseignement est implicite dans toute relation contractuelle. La preuve a démontré que la Régie de Québec était en relation directe avec le MAS, qu'elle avait négocié l'entente de cession de droits d'auteur et avait eu des discussions avec le MAS au sujet des droits d'Eros. Elle savait aussi que le MAS avait eu des discussions avec Eros au sujet de l'étendue de ses droits. Partagec avait donc une bonne raison de présumer que la Régie de Québec aurait connaissance de toute limite aux droits d'auteur sur le CTMSP. Le premier critère du test de Bail, récité, est donc présent.

[225]        Quant au deuxième critère, il va sans dire que l'existence d'un droit d'auteur sur un formulaire qui doit être incorporé dans un logiciel est une information qui est déterminante pour l'entreprise chargée de créer ce logiciel.


[226]        Il faut donc déterminer si Partagec était dans l'impossibilité d'accéder à cette information elle-même ou si elle était justifiée de penser que la Régie de Québec lui fournirait tout renseignement déterminant.

[227]        La Régie de Québec était le maître d'oeuvre du projet SIBPA; elle a même insisté pour avoir cette responsabilité. De plus, elle avait reçu la circulaire ministérielle décrivant exactement l'étendue des droits acquis par le MAS. Par contre, Partagec n'était pas un des destinataires de cette circulaire.

[228]        La preuve révèle que Partagec avait déjà travaillé sur d'autres dossiers portant sur l'informatisation de formulaires fournis par le MAS et n'avait jamais eu de problèmes semblables à ceux qui ont généré la présente poursuite. Les formulaires CTMSP fournis à Partagec pour l'entrée dans le logiciel portaient le nom du MAS et le sigle du gouvernement du Québec sur la première page. Partagec n'avait aucune raison de croire que les formulaires utilisés lors de ce mandat allaient être de nature différente des mandats précédents.


[229]        Dans de telles circonstances, je suis d'avis que la Régie de Québec a manqué à son obligation de révéler à Partagec toute information déterminante dans le cadre de leur contrat. Partagec devait pouvoir se fier sur les renseignements fournis par son cocontractant lors de ce projet, surtout que la Régie de Québec en était le maître d'oeuvre. Dans l'arrêt Grandmont et Fils Ltée c. Québec (Procureur Général), [1996] 1 R.J.Q. 1290 (C.S.), une entreprise privée a poursuivi le ministère des Transports du Québec. Le juge Crête a affirmé ce qui suit à la p. 1295 :

Ainsi, un entrepreneur pourrait être justifié de considérer comme exacts et complets les renseignements que le ministère des Transports lui fournit sur un sujet particulier étant donné sa capacité d'obtenir toutes les informations utiles et l'objectivité qu'il doit entretenir dans ses rapports avec ses contractants.

[230]        Je suis d'accord avec cette proposition. Étant donné la capacité d'une entité gouvernementale d'obtenir tout renseignement utile et plus particulièrement l'objectivité que cette entité doit entretenir dans ses rapports avec ses co-contractants, Partagec était en droit de faire confiance aux renseignements fournis par la Régie de Québec.


[231]        CGI réclame également que la Régie de Québec soit appelée en garantie pour les dommages causés par CGI pour les gestes posés après le début de l'action. CGI se fonde à cet effet sur l'arrêt Ateliers Tango argentin Inc. c. Festival d'Espagne et d'Amérique latine Inc., [1997] 2 R.J.Q. 3030 (C.S.Q.). Dans cette affaire, la demanderesse a poursuivi plusieurs défendeurs pour violation de ses droits d'auteur relativement à une photographie. Le photographe qui avait pris la photo contrefactrice, M. McNeil, a appelé en garantie un des co-défendeurs, M. Bueno, alléguant que ce dernier l'avait induit en erreur quant à la propriété de la photo. Lorsque M. Bueno avait passé la commande pour la reproduction d'une photographie, il avait dit à M. McNeil que la photo qu'il voulait reproduire lui appartenait, mais qu'il ne possédait pas le négatif. La Cour a conclu que, bien que M. McNeil était de bonne foi, il avait violé les droits de la demanderesse. La Cour a également conclu à la p. 3044 que M. McNeil, étant un photographe d'expérience, avait « manqué sérieusement de diligence et presque fait montre d'aveuglement volontaire » . Malgré cette conclusion, le juge Crête a décidé à la p. 3047 que l'appel en garantie était bien fondé :

[c]ompte tenu des fausses représentations faites par M. Bueno à M. McNeil, ce dernier est fondé d'appeler en garantie pour demander d'être indemnisé des dommages-intérêts qu'il sera appelé à verser aux demandeurs, et ce, dans la proportion fixée par le tribunal ci-après.

[232]        Dans la présente affaire, la preuve démontre que SIQ savait qu'il y avait des négociations en cours en vue d'un règlement entre Eros et le MAS ou la Régie de Québec et que le MAS ou la Régie de Québec allait prendre fait et cause pour elle.

[233]        Bien que la bonne foi ne change en rien la responsabilité des prédécesseurs de CGI qui ont violé les droits d'auteur d'Eros, compte tenu de toutes les circonstances en l'espèce, j'accueille l'appel en garantie contre la Régie de Québec pour les dommages-intérêts auxquels CGI a été condamné dans le présent litige avec les dépens contre la Régie de Québec.

7.         Les autres recours

[234]        La demanderesse a demandé à la Cour d'émettre une injonction permanente enjoignant les défenderesses de cesser d'enfreindre les droits d'auteur de la demanderesse dans son oeuvre CTMSP.


[235]        Or, la preuve a démontré que les défenderesses ont cessé d'utiliser le logiciel contrefacteur depuis plus de dix ans. Une injonction dans un tel cas ne m'apparaît être d'aucune utilité.

[236]        De la même façon, bien que la demanderesse ait demandé la remise de tous les exemplaires du logiciel contrefait, la preuve a établi qu'il n'existe plus d'exemplaires du logiciel SIBPA. Une ordonnance à cet effet est donc sans objet.

[237]        Enfin, Eros a droit aux dépens, qui seront calculés conformément à la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.

                                        ORDONNANCE

Pour ces motifs, cette Cour :                                     

A.        ACCUEILLE l'action de la demanderesse;

B.         DÉCLARE inter partes que l'oeuvre originale littéraire CTMSP est une oeuvre protégée, que la demanderesse est seule propriétaire des droits d'auteur dans celle-ci et que les défenderesses ont contrefait, violé et usurpé les droits patrimoniaux et droits d'auteur de la demanderesse dans son oeuvre;


C.        CONDAMNE les défenderesses Régie de Québec et CGI, solidairement, à payer à la demanderesse la somme de 312 729 $, avec intérêts au taux légal de 5 % à compter d'avril 1988;

D.        CONDAMNE les défenderesses Régie de Québec et CGI, solidairement, à payer la somme de 53 164 $, montant qui devra être majoré selon l'indice du prix à la consommation à compter de 1986 jusqu'en 1992, avec intérêts au taux légal de 5 % à compter d'avril 1988;

E.         CONDAMNE la défenderesse Montérégie à payer la somme de 10 000 $ à titre de dommages nominaux, avec intérêts au taux légal de 5 % à compter d'avril 1988;

F.          ACCUEILLE l'appel en garantie de la défenderesse CGI contre la défenderesse Régie de Québec et CONDAMNE cette dernière à indemniser CGI de toute condamnation prononcée contre elle en vertu du présent jugement, avec les dépens contre la Régie de Québec;

G.         ORDONNE aux défenderesses de rendre compte à la demanderesse des profits, s'il y a lieu, relativement à la contrefaçon.


Le tout avec dépens à être calculés conformément à la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-687-88

INTITULÉ :               EROS-ÉQUIPE DE RECHERCHE

OPÉRATIONNELLE EN SANTÉ INC.

                                                                                    demanderesse

et

CONSEILLERS EN GESTION

ET INFORMATIQUE CGI INC.

et

RÉGIE RÉGIONALE DE LA SANTÉ ET

DES SERVICES SOCIAUX DE QUÉBEC

et

RÉGIE RÉGIONALE DE LA SANTÉ ET

DES SERVICES SOCIAUX DE LA MONTÉRÉGIE

                                                                                    défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 27 octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                        L'HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                   Le 3 février 2004

COMPARUTIONS:

Me Marek Nitoslawski

Me Karine Joizil                                                POUR LA DEMANDERESSE

Me Sophie Picard                                              POUR LA DÉFENDERESSE

CGI

Me Luc de la Sablonnière

Me Marie-Nancy Paquet                                               POUR LA DÉFENDERESSE

QUÉBEC


Me Marie-Josée Corriveau                                            POUR LA DÉFENDERESSE

MONTÉRÉGIE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Fasken Martineau DuMoulin                                          POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Desjardins Ducharme Stein Monast                    POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)                                            CGI

Pothier Delisle                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

Sainte-Foy (Québec)                                         QUÉBEC

Joli-Coeur, Lacasse, Geoffrion                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)                                            MONTÉRÉGIE


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