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     T-1941-93

OTTAWA (ONTARIO), le 29 juillet 1997.

EN PRÉSENCE DE : monsieur le juge McKeown

ENTRE :

     JAMES L. FERGUSON,

     demandeur,

     ET


ARCTIC TRANSPORTATION LTD. ET LES PROPRIÉTAIRES

ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LES NAVIRES" AMT TRANSPORTER ", " ARCTIC NUTSUKPOK ", " ARCTIC IMMERK KANOTIK ", " ARCTIC KIBRAYOK ", "ARCTIC KIGGIAK ", " ARCTIC TUKTA ", " ARCTIC TENDER ", " ARCTIC TENDER II "ET " J. MATTSON ",

     défendeurs,

     ET

     PANAMA CANAL COMMISSION,

     tierce partie.

     O R D O N N A N C E

     La Cour fédérale a la compétence pour régler les questions soulevées dans la demande d"indemnisation déposée dans le cadre de la présente affaire.


" W. P. McKeown "

                                     juge

Traduction certifiée conforme              ____________________

                             Bernard Olivier, LL.B.

     T-1941-93

ENTRE :

     JAMES L. FERGUSON,

     demandeur,

     ET


ARCTIC TRANSPORTATION LTD. ET LES PROPRIÉTAIRES

ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LES NAVIRES" AMT TRANSPORTER ", " ARCTIC NUTSUKPOK ", " ARCTIC IMMERK KANOTIK ", " ARCTIC KIBRAYOK ", "ARCTIC KIGGIAK ", " ARCTIC TUKTA ", " ARCTIC TENDER ", " ARCTIC TENDER II "ET " J. MATTSON ",

     défendeurs,

     ET

     PANAMA CANAL COMMISSION,

     tierce partie.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

     Le protonotaire demande à la Cour, par voie d"ordonnance, de répondre à la question suivante, en application de la Règle 474(1) des Règles de la Cour fédérale :

         La Cour a-t-elle la compétence pour régler les questions soulevées dans la demande d"indemnisation déposée dans le cadre de la présente affaire?         

     Il ressort essentiellement des actes de procédure de l"action principale que le demandeur a été blessé suite à la négligence d"Arctic Transportation Ltd. (ATL) ou de ses employés ou mandataires à l"égard desquels ATL est légalement responsable. ATL, dans un recours impliquant une tierce partie, prétend que le demandeur a plutôt été blessé suite à la négligence de la Panama Canal Commission (la Commission). Le demandeur a intenté une action en responsabilité civile délictuelle contre ATL, en raison des blessures qu"il a subies lors de la rupture d"un câble sur un navire appartenant à celle-ci. Le demandeur est l"employé de la tierce partie, mais il ne peut la poursuivre en raison d"une interdiction prévue à la loi. ATL demande à la Commission de l"indemniser. ATL, dans sa déclaration contre la Commission, soutient que les blessures du demandeur, le cas échéant, ont été causées par la négligence de la Commission ou de ses employés ou mandataires lors de l"inspection du navire qui a eu lieu avant que celui-ci ne franchisse le canal de Panama, alors qu"il était sous le contrôle et le commandement exclusifs de la Commission, de ses employés ou de ses mandataires. ATL a versé à la Commission la somme de 112 569,89 $ US pour que ses navires obtiennent la permission de franchir le canal. Cette somme couvrait l"inspection, le pilotage, les frais d"utilisation du canal et la manutention des câbles.

LES FAITS

     Les parties ont convenu de l"énoncé conjoint des faits que voici :

     [TRADUCTION]

         1.      Le demandeur, James L. Ferguson, est un résident de Newport News (Virginie), aux États-Unis, et était, pendant toute la période en question, l"employé, à titre de pilote, de la Panama Canal Commission (la Commission).         
         2.      La défenderesse, Arctic Transportation Limited (ATL) est une société canadienne et elle était propriétaire, pendant toute la période en question, du chaland AMT Transporter (anciennement l"Arctic Tarsuit) et du remorqueur Arctic Nutsukpok.         
         3.      La Commission fait partie du Gouvernement des États-Unis et elle a été établie aux termes du Panama Canal Treaty Between the United States of America and the Republic of Panama, 1977 et de la Panama Canal Act, 22 USCS, art. 3601 à 3872.         
         4.      Des extraits du Panama Canal Regulations, 35 CFR, Ch. 1, forment l"annexe " A " du présent énoncé conjoint des faits.         
         5.      La Commission exploitait, pendant toute la période en question, le canal de Panama. Le canal de Panama se trouve entièrement dans le territoire de la République du Panama.         
         6.      Dans le cadre de l"exploitation du canal de Panama, la Commission, entre autres :         
              a)      inspecte et approuve tout navire destiné à franchir le canal de Panama afin de s"assurer que son degré d"instabilité, son assiette, sa propension à donner de la bande, sa calaison, sa cargaison, sa coque, sa machinerie et son équipement ont été traités de manière à rendre sécuritaire le passage du navire dans le canal. Aucun navire ne peut franchir le canal de Panama à moins d"avoir été inspecté et approuvé par la Commission;         
              b)      fournit, au besoin, un ou plusieurs pilotes, employés de celle-ci, lesquels ont le commandement et le contrôle exclusifs de tout navire franchissant le canal de Panama; les décisions en matière de vitesse, de changement de cap, etc. pendant que le navire franchit le canal doivent être prises par un pilote de la Commission;         
              c)      fournit les manoeuvres de câbles, conducteurs de locomotive et matelots de pont, des employés de celle-ci qui exécutent les directives et les ordres de son pilote;         
              d)      fournit des remorqueurs de soutien et leur équipage lorsqu"elle juge leur intervention nécessaire; et         
              e)      fournit des locomotives roulant sur la berge et munies d"amarres servant à touer les navires pour les aider à franchir la série d"écluses que contient le canal de Panama.         
         7.      ATL a versé à la Commission la somme de 112 569,89 $ US pour que ses navires, dont l"Arctic Tarsuit et l"Arctic Nutsukpok, obtiennent la permission de franchir le canal, en février 1992. Cette somme couvrait les services énumérés au paragraphe 6, y compris, entre autres, le pilotage, les services de mesurage (l"inspection), les frais d"utilisation du canal et la manutention des câbles.         
         8.      Entre le 10 et le 12 février 1992, des inspecteurs de la Commission ont monté à bord du chaland Arctic Tarsuit pour déterminer s"il était prêt à franchir le canal de Panama. Suite à ces inspections, des représentants d"ATL ont été avisés par les inspecteurs que certains travaux devaient être accomplis avant que l"Arctic Tarsuit obtienne la permission de franchir le canal. Tous ces travaux ont été accomplis par des représentants ou mandataires d"ATL et aucun représentant ni employé de la Commission n"y a pris part.         
         9.      Le 12 février 1992, à 1 h 20, le capitaine Tassell, employé de la Commission, a fait l"inspection finale de l"Arctic Tarsuit et lui a accordé la permission de franchir le canal de Panama.         
         10.      Le 12 février 1992 au matin, le remorqueur Arctic Nutsukpok, touant le chaland Arctic Tarsuit, lequel était suivi du remorqueur Unidad de la Commission (la flotille), quittait Balboa (Panama) en vue de franchir le canal de Panama. À ce moment-là, la flotille était sous le commandement et le contrôle exclusifs du capitaine Boullosa, pilote de la Commission, qui se trouvait à bord de l"Arctic Tarsuit. Le capitaine Boullosa, en tant que pilote en charge de la flotille, a été désigné " pilote en charge ".         
         11.      Outre le capitaine Boullosa, les employés suivants de la Commission ont pris part aux opérations relatives à la traversée :         
              a)      le demandeur et le capitaine Cook, deux pilotes de la Commission, se trouvaient à bord de l"Arctic Tarsuit pour assister le capitaine Boullosa. Il avait été prévu que le " pilote en charge " serait le capitaine Boullosa, pour le premier tiers du parcours, le demandeur, pour le deuxième tiers et le capitaine Cook, pour le reste du parcours;         
              b)      environ 10 matelots de pont de la Commission se trouvaient à bord de l"Arctic Tarsuit pour, entre autres choses, manoeuvrer les câbles et exécuter les ordres du " pilote en charge ";         
              c)      un pilote de la Commission se trouvait sur le pont du remorqueur Arctic Nutsukpok, accompagné de quelques matelots de pont de la Commission. Ce pilote, qui travaillait sous les ordres du " pilote en charge ", contrôlait les mouvements de l"Arctic Nutsukpok;         
              d)      un pilote de la Commission se trouvait sur le pont du remorqueur Unidad et il travaillait sous les ordres du " pilote en charge "; et         
              e)      des employés de la Commission, qui s"occupaient des locomotives sur la berge et travaillaient sous les ordres du " pilote en charge ".         
         12.      Aucun employé d"ATL ne se trouvait sur l"Arctic Tarsuit, l"Unidad, ni sur la berge entre le début de la traversée et le moment où le demandeur a été blessé. Les employés d"ATL se trouvant sur le remorqueur Arctic Nutsukpok n"ont eu aucune incidence sur la navigation de la flotille ni sur ses mouvements.         
         13.      La flotille a franchi l"entrée du canal de Panama et s"est engagée dans les écluses Miraflores. En tout temps, le " pilote en charge " avait le commandement et le contrôle exclusifs de l"Arctic Tarsuit et le commandement de l"Arctic Nutsukpok et il était [entièrement] responsable des mouvements et de la navigation de la flotille dans les écluses Miraflores.         
         14.      Pendant qu"ils franchissaient les écluses Miraflores, l"Arctic Nutsukpok et l"Arctic Tarsuit étaient attachés, par câbles, à des locomotives roulant parallèlement aux écluses. Les locomotives appartenaient à la Commission, qui les exploitait et pourvoyait en personnel, les câbles rattachant celles-ci à la flotille provenaient de la Commission et les personnes manoeuvrant ces câbles étaient employées par la Commission et travaillaient sous les ordres du " pilote en charge ".         
         15.      Vers le moment où la flotille sortait du troisième sas des écluses Miraflores, à peu près au moment où l"on détachait les câbles liant les locomotives à l"Arctic Tarsuit, quelque chose est arrivé qui a fait que le câble de traction de sûreté (le câble de sûreté) se trouvant à tribord de l"Arctic Tarsuit est venu fouetter le demandeur, qui se trouvait à bord du navire, lui infligeant, prétend-il, des lésions corporelles.         
         16.      Avant l"accident, le câble de sûreté avait été attaché au pont de l"Arctic Tarsuit à l"aide d"attaches en forme de " U " et il n"a été utilisé à aucune fin pendant la traversée du canal. En particulier, à aucun moment pendant la traversée du canal de Panama le câble de sûreté n"a été attaché directement ou intentionnellement aux locomotives ni aux remorqueurs Arctic Nutsukpok et Unidad et n"a été utilisé à aucune autre fin dans le cadre du remorquage de l"Arctic Tarsuit.         
         17.      Le demandeur prétend qu"il a subi des lésions corporelles lorsque le câble de sûreté l"a frappé et qu"en raison de ces blessures, il a subi une perte de revenu, depuis l"accident et pour l"avenir, de 1 559 703 $.         
         18.      Aux termes de la Federal Employees Compensation Act, 5 U.S.C., art. 8131 et ss., le demandeur n"a pas le droit d"intenter une action contre la Commission en ce qui concerne les blessures qu"il a subies dans le cadre de son emploi.         
         19.      Le demandeur a intenté une poursuite contre ATL et les propriétaires et autres personnes ayant un intérêt dans plusieurs navires appartenant à ATL, dans laquelle il prétend, entre autres, que les lésions corporelles qu"il a subies ont été entièrement causées par la négligence d"ATL et des employés et mandataires de celle-ci, à l"égard desquels elle est légalement responsable.         
         20.      Le demandeur prétend que la Commission était un mandataire d"ATL et qu"à ce titre, celle-ci est légalement responsable en ce qui concerne toute négligence de la Commission.         
         21.      ATL a déposé une demande d"indemnisation contre la Commission, en juillet 1995. Aux termes de directives émanant de la Cour le 5 février 1996, ATL a déposé une déclaration dans le cadre de la demande d"indemnisation et la Commission a déposé une défense.         
         22.      La défenderesse, Arctic Transportation Ltd. (ATL) et la tierce partie, la Panama Canal Commission (la Commission) ont convenu des faits décrits ci-haut, mais pour les seules fins d"une demande, aux termes de la Règle 474, visant à faire déterminer si la Cour fédérale du Canada a la compétence pour traiter des questions soulevées dans la demande d"indemnisation déposée dans le cadre de la présente affaire. Les parties conviennent que, pour toute autre fin, les faits décrits ci-haut doivent être établis conformément aux Règles de la Cour fédérale et aux règles de preuve qui s"appliquent.         

ANALYSE

     Les observations que la Commission a faites pour étayer la demande portent principalement sur l"idée que la [TRADUCTION] " demande de paiement et d"indemnisation " n"existe pas en droit fédéral et n"est pas reconnue en droit maritime canadien. Pour sa part, ATL soutient que la demande, déposée suite à la prétendue survenance d"un délit civil à bord d"un navire alors sous le contrôle exclusif de la Commission, relevait de la compétence de la Cour fédérale.

     Je souscris à l"opinion de la tierce partie, la Commission, selon laquelle le seul fait que l"action principale puisse relever de la compétence de la Cour fédérale ne rend pas celle-ci automatiquement compétente pour entendre la demande d"indemnisation. La compétence de la Cour fédérale doit être établie non seulement en ce qui concerne l"action principale, mais également à l"égard de la demande d"indemnisation. Le juge Iacobucci, dans l"arrêt Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., (1991), 80 D.L.R. (4th) 58; [1991] 1 R.C.S. 739, a résumé les principes applicables à la question de savoir si les demandes déposées dans le cadre d"une affaire sont entièrement liées aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien relevant de la compétence législative fédérale. Il avait auparavant traité de la question de la compétence de la Cour fédérale prévue à l"article 22. Renvoyant aux principes énoncés par le juge McIntyre dans l"arrêt ITO Ltd. c. Miida Electronics Inc. et al. (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; [1986] 1 R.C.S. 752, il a dit, à la page 91 de l"arrêt Monk , précité :

         [...] le raisonnement et les conclusions du juge McIntyre sont les suivants [aux pp. 774 à 776] :         
              (1)    La seconde partie de la définition du droit maritime canadien à l'article 2 prévoit une compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, qu'une méthode historique ne saurait autoriser à limiter ni à figer; au contraire, les termes "maritime" et "amirauté" doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau.         
              (2)    Le droit maritime canadien n'est limité que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867, de sorte qu'en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté, on doit éviter d'empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière relevant de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle.         
              (3)    Le critère permettant d'établir si la question examinée relève du droit maritime exige de conclure que cette question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.         
              (4)    Les "facteurs de liaison" dont dépend la nature maritime de l'espèce sont la proximité du port de Montréal des activités d'acconage, le rapport qui existe entre les activités de l'acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime, et le fait que l'entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises à la destinataire, Miida.         

     Je dois déterminer si la demande relève de la compétence fédérale ou provinciale. Il ne s"agit pas d"un cas clair d"indemnisation, car il se peut que la responsabilité découle d"un lien de mandant à mandataire, comme l"ont prétendu les défendeurs. La compétence de la Cour en matière de droit maritime canadien est très large, comme il a été démontré dans l"arrêt La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher et al., [1973] C.F. 1356 (C.A.). Dans cet arrêt, le juge en chef Jackett a conclu, à la page 1363 :

         [...] le déchargement des marchandises après une traversée et leur livraison au consignataire, immédiatement ou dans les plus brefs délais, que ce soit le transporteur qui le fasse ou quelqu"un avec qui il s"est entendu, fait [TRADUCTION] " partie intégrante des activités essentielles au transport des marchandises par voie maritime " [...] et [TRADUCTION] " l"accomplissement des tâches qui constituent une partie essentielle du " transport à bord d"un navire " relève de l"expression " navigation et les bâtiments ou navires (shipping) " à l"article 91(10) [...].         
         [Les notes en bas de pages ont été omises.]         

     Je traiterai maintenant de la question de savoir s"il existait une loi du Parlement en matière de compétence afin de déterminer s"il a été satisfait au critère permettant de conclure que la Cour fédérale avait la compétence voulue. Il ressort d"un examen des articles 2, 22(1), 22(2)d ), e), g), i), k), l) et 43 de la Loi sur la Cour fédérale que la question en l"espèce relève de la compétence de la Cour fédérale. L"affaire Navigest Inc. c. Administration de pilotage des Laurentides (1986), 11 F.T.R. 183 (1re inst.) est très similaire à l"espèce, sauf qu"elle ne comprenait pas de demande d"indemnisation. Cependant, le juge Addy a conclu, aux pages 184 et 185 :

         Le pilotage constitue une partie intégrale de la navigation. Il est incontestable que la navigation et l"ensemble des règles d"amirauté sont de la compétence du gouvernement fédéral [...]. Les devoirs et responsabilités des pilotes sont aussi gouvernés par des principes reconnus de droit d"amirauté.         
         Il existe donc un ensemble de règles de droit fédérales qui, prima facie, paraissent essentielles à la solution du litige.         
         Il semble incontestable aussi que la Loi sur le pilotage comme d"ailleurs la Loi sur la marine marchande , constitue bel et bien une " Loi du Canada " dont il est question dans l"article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 accordant compétence au parlement canadien d"établir des tribunaux pour la bonne administration des lois relevant de sa juridiction.         
         L"article 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale accorde compétence à la Division de première instance entre sujets " dans tous les cas où une demande est faite en vertu du droit maritime canadien ou d"une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l"objet d"une attribution générale ". Puisqu"une telle attribution n"a pas été faite, la Division de première instance a compétence en la matière selon les faits allégués dans la déclaration. Je conclus donc que en l"occurrence dans cette action et la loi qui s"y rapporte rencontrent les trois conditions énumérées tout récemment par le juge McIntyre de la Cour suprême du Canada dans l"arrêt ITO - International Terminal Operators Ltd. v. Miida Electronics Ltd. and Mitsui et al. (1986), 68 N.R. 241 aux pages 256 et 257.         

     Voici le libellé complet du paragraphe 22(1) :

         La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas " opposant notamment des administrés " où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.         

     Le paragraphe 22(2) précise un certain nombre de questions qui relèvent du paragraphe 22(1), mais sa portée n"est pas limitée. L"arrêt Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et al. (1981), 121 D.L.R. (3d) 517; [1981] 1 R.C.S. 363, est intéressant en ce qui a trait à la compétence de la Cour fédérale aux termes des articles 21 et 22. Il s"agissait d"une affaire où, suite à un accident maritime, le propriétaire et l"affréteur d"un chaland ont poursuivi en justice le propriétaire du remorqueur qui touait le chaland lorsque celui-ci a été perdu en mer après que le câble de remorquage s"est rompu. La Cour a conclu que la Cour fédérale avait la compétence pour entendre les demandes du propriétaire et de l"affréteur du chaland et la demande d"indemnisation déposée par le propriétaire du remorqueur contre le réparateur qui a réparé le câble avant l"accident. Les propos du juge McIntyre, à la page 529, sont tout à fait pertinents en l"espèce. Il dit :

         Le paragraphe 22(1) donne un énoncé général de la compétence, et les al. 22(2)m) et n) ci-dessous suffisent à englober les réclamations dont il est question en l"espèce et sont, en partie, une reformulation de la compétence des cours d"amirauté anglaises prévue à l"art. 6 précité de la Loi de 1840 :         
              m)      toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire, où que ce soit, pour son exploitation ou son entretien, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à l"aconage ou gabarage;             
              n)      toute demande née d"un contrat relatif à la construction, à la réparation ou à l"équipement d"un navire;             
         Je suis par conséquent d"avis que les réclamations contre Wire Rope relèvent du droit maritime canadien défini à la Loi sur la Cour fédérale . Je suis convaincu que le droit positif concernant ces réclamations relève du pouvoir législatif fédéral aux termes du par. 91.10 de l"Acte de l"Amérique du Nord britannique puisqu"elles se rapportent à la navigation et aux bâtiments ou navires. Il existe par conséquent un droit canadien se rapportant aux questions soulevées en l"espèce sur lequel la Cour fédérale exerce sa compétence. À mon avis, il n"est pas important que la réclamation de Yorke soit un recours en garantie. En général, les recours en garantie et les actions contre un tiers ne sont pas de simples incidents de l"action principale. Ce sont des actions indépendantes et complètes en elles-mêmes.         

     À mon avis, cela s"applique à l"espèce, d"autant plus que la Commission fournissait les services de remorquage au canal de Panama.

     Le paragraphe 22(3) de la Loi sur la Cour fédérale, bien qu"il vise à limiter la compétence de la Cour fédérale, prévoit clairement à son alinéa c ) qu"aucune limite territoriale ne s"applique à cette compétence. Par souci de commodité, j"ai reproduit le texte de l"al. 22(3)c ) :

         (3)      Il est entendu que la compétence conférée à la Cour par le présent article s'étend_:         
              [...]         
              c)      à toutes les demandes, que les faits y donnant lieu se soient produits en haute mer ou dans les limites des eaux territoriales, intérieures ou autres du Canada ou ailleurs et que ces eaux soient naturellement ou artificiellement navigables, et notamment, dans le cas de sauvetage, aux demandes relatives aux cargaisons ou épaves trouvées sur les rives de ces eaux;         

     En conséquence, il existe, au sens de l"arrêt ITO , précité, un octroi législatif de compétence par le Parlement.

     Je traiterai maintenant de la deuxième exigence que pose l"arrêt ITO , précité, savoir qu"il doit exister un ensemble de droit fédéral essentiel au règlement de l"affaire et d"où provient l"octroi législatif de compétence. Voici comment l"article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit le droit maritime canadien :

         "droit maritime canadien" Droit " compte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale " dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, aux termes de la Loi sur l'Amirauté , chapitre A-1 des Statuts révisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté.         

     La Cour suprême du Canada, dans son arrêt ITO, précité, a examiné l"article 2 de la Loi sur la Cour fédérale , lequel identifie les deux catégories suivantes du droit maritime canadien :

     1.      Le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, aux termes de la Loi sur l'Amirauté ou de toute autre loi; et
     2.      Le droit qui aurait relevé de ce tribunal si celui-ci avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté.

     Le juge McIntyre dit, dans l"arrêt ITO , précité, à la page 656 :

         À son apogée, la compétence de la Cour d"amirauté d"Angleterre en matière de délits ne s"étendait qu"aux délits commis en haute mer, dans les eaux britanniques et dans les ports entre le flux et le reflux (De Lovio v. Boit et al. (1815), 2 Gall. 398 (U.S. Circuit Ct., Mass.), et MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Stevedoring Co. Ltd., précité.         

     Plus loin, il dit :

         [...] Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne saurait autoriser à limiter. À mon avis, la seconde partie de la définition que donne l"art. 2 du droit maritime canadien a été adoptée afin d"assurer que le droit maritime canadien comprenne une compétence illimitée en matière maritime et d"amirauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant sur toute demande en matière maritime et d"amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la Loi d"amirauté, 1934. Au contraire, les termes " maritime " et " amirauté " doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau. En réalité, l"étendue du droit maritime canadien n"est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Je n"ignore pas, en tirant cette conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d"amirauté, doit éviter d"empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d"une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l"art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 . Il est donc important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale.         

     E.C. Mayers, dans son ouvrage intitulé Admiralty Law and Practice in Canada, 1st ed. (Toronto: Carswell, 1916) fait remarquer, à la page 198, que le droit d"amirauté prévoit une déduction :

         [TRADUCTION] Le pilote à la barre d"un navire est responsable de la blessure causée par sa faute personnelle, même si un officier supérieur se trouve à bord, et le montant des dommages causés au navire suite à cette faute peut être déduit du traitement qu"il devait toucher (The Sophia , 1 Stuart, 96).         

     J"ai déjà renvoyé aux commentaires du juge McIntyre à la page 656 de l"arrêt ITO , précité, où il parle de l"importance de démontrer que l"objet de la demande est entièrement liée à une affaire maritime et n"empiète pas sur des matières locales. En l"espèce, il est clair que la demande a trait au pilotage. La Loi sur le pilotage régit la relation qui existe entre les pilotes et les propriétaires de navires en ce qui concerne le pilotage et elle permet aux pilotes de limiter leur responsabilité. La Loi sur le pilotage relève de la compétence exclusive du gouvernement fédéral en matière de navigation et de bâtiments ou navires. Les gouvernements provinciaux ne peuvent légiférer relativement à ce domaine. Une fois de plus, j"ai examiné les commentaires du juge McIntyre dans l"arrêt Wire Rope , précité, dans lequel la Cour a conclu que le dépôt d"une demande d"indemnisation ne signifiait pas que la Cour d"amirauté n"avait pas la compétence voulue. Le juge McIntyre a poursuivi en soulignant que la Cour fédérale n"était pas tenue d"appliquer seulement le droit fédéral dans les affaires dont elle était saisie. Il a dit, à la page 662 de l"arrêt ITO , précité :

         [...] Lorsqu"une affaire relève, de par son " caractère véritable ", de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties : voir Kellogg Co. v. Kellogg , [1941] 2 D.L.R. 545, [1941] R.C.S. 242, 1 C.P.R. 30, un litige concernant des droits de brevet où la Cour fédérale était appelée à examiner l"effet d"un contrat de travail, et voir aussi l"arrêt McNamara Construction (Western) c. La Reine , précité, où le juge en chef Laskin a proposé que le droit provincial de l"indemnité compensatoire soit appliqué par la Cour fédérale lorsque, par ailleurs, elle a compétence en vertu du droit fédéral.         

     En l"espèce, la cause d"action est née à l"extérieur du Canada et elle nécessitera l"application, en partie, de droit étranger, c.-à-d. le Panama Canal Regulations , 35 C.F.R., ch. 1, constituant l"annexe " A " jointe à l"énoncé conjoint des faits. Cependant, cela ne fait pas perdre à la Cour fédérale sa compétence pour entendre la demande d"indemnisation. Le juge en chef Laskin, dans l"arrêt Tropwood A.G. et les propriétaires du navire Tropwood c. Sivaco Wire & Nail Company , [1979] 2 R.C.S. 157, a traité de la question de savoir si le droit étranger pouvait être appliqué par la Cour fédérale du Canada. Il a dit, à la page 166 :

         En bref, la question soulevée par les appelants est de savoir si, dans l"exercice de sa compétence sur l"affaire dont elle est saisie, la Cour fédérale peut déterminer, en conformité des règles de conflit de lois du tribunal saisi, le droit régissant le procès. En l"espèce, la Cour fédérale a compétence sur les appelants et sur l"objet du litige et il existe un ensemble de droit applicable. À mon avis, cet ensemble comprend les règles de conflit et permet à la Cour fédérale de conclure à l"application du droit étranger à la réclamation qui lui a été soumise. Les règles de conflit sont en général celles du tribunal saisi. Il me semble clair que selon le par. 22(3) de la Loi sur la Cour fédérale , que j"ai déjà mentionné, la Cour fédérale peut, lorsqu"il est question d"un navire étranger ou de demandes dont les faits se sont produits en haute mer, juger nécessaire de considérer l"application du droit étranger relativement à l"action dont elle est saisie.         

     Par conséquent, la Cour peut appliquer le droit panaméen et elle a compétence pour entendre l"affaire. Même si Santa Maria Shipowning and Trading Company S.A. c. Hawker Industries Limited et al. , [1976] 2 C.F. 325 (C.A.) est une affaire de contrat, le juge en chef Jackett a conclu que la Cour n"avait pas à respecter de limites territoriales dans l"exercice de sa compétence. La Cour fédérale, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, entend des demandes qui ne sont pas fondées en droit maritime canadien, mais qui le sont en vertu du droit d"amirauté d"autres États. Voir Marlex Petroleum, Inc. c. Le navire "Har Rai" et al., [1984] 2 C.F. 345 (C.A.); conf. par [1987] 1 R.C.S. 57. Les principes de la common law en matière de responsabilité civile délictuelle et contractuelle et de baillement font partie du droit maritime canadien et peuvent être appliqués par la Cour fédérale. De la même façon, il a déjà été reconnu que la common law relative au mandat faisait partie du droit maritime canadien. (Voir ITO, précité, aux pages 658 et 660; voir également Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd. (1989), 62 D.L.R. (4th) 36 (C.S.C.)).

     Vu que le demandeur prétend, en l"espèce, avoir été blessé suite à la négligence d"ATL ou des [TRADUCTION] " mandataires à l"égard desquels ATL est légalement responsable ", le droit du mandat s"applique et il aura une incidence sur le règlement des questions litigieuses, précisément parce que le demandeur soutient que la Commission était le mandataire d"ATL. En vertu de la common law relative au mandat, le mandant peut demander au mandataire de l"indemniser, lorsque le mandant est responsable de la conduite du mandataire (Lister v. Romford Ice and Cold Storage Co. Ltd. , [1957] A.C. 555 (H.L.)). Je ne puis souscrire à la prétention de la Commission selon laquelle le droit maritime canadien ne traite pas de la responsabilité civile délictuelle. Il existe un ensemble de droit fédéral essentiel à l"espèce, qui étaye l"octroi législatif de compétence prévue dans la Loi sur la Cour fédérale .

     J"ai statué que la demande d"indemnisation satisfaisait aux premier et deuxième volets du critère de l"arrêt ITO . Je dois maintenant analyser le troisième volet du critère, qui consiste à se demander si le droit applicable est une [TRADUCTION] " loi du Canada " au sens de l"expression employé à l"article 101 de la Loi constitutionnelle . Il s"agit d"une affaire de responsabilité civile délictuelle maritime. Le demandeur a été blessé à bord d"un navire. La défenderesse fait intervenir la Commission en tant que tierce partie parce que c"est elle qui avait le contrôle du navire. Le caractère véritable de la demande est de nature maritime. La demande satisfait au critère du paragraphe 22(1). À mon avis, il s"agit d"une demande de réparation déposée en vertu du droit maritime canadien, tel que l"exige l"article 22, et le droit en question, soit le droit maritime canadien, lequel traite de la navigation et des bâtiments ou navires, relève par conséquent du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle . Je ne souscris pas à la prétention de la tierce partie selon laquelle la présente affaire porte principalement sur le droit de la responsabilité civile délictuelle et non sur le droit maritime. En conséquence, la Cour fédérale a la compétence pour régler les questions soulevées dans la demande d"indemnisation déposée dans le cadre de la présente affaire.


" W. P. McKeown "

                                     juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 juillet 1997.

Traduction certifiée conforme              ____________________

                             Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :              T-1941-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :          JAMES L. FERGUSON

                     - c. -
                     ARCTIC TRANSPORTATION LTD. (" AMT TRANSPORTER ") ET AL.
LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 9 mai 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :              29 juillet 1997

ONT COMPARU :

Nul n'a comparu                      POUR LE DEMANDEUR

Peter Swanson                      POUR LA DÉFENDERESSE

Grant Ritchie                          POUR LA TIERCE PARTIE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Roberts & Griffin

Avocats

Vancouver (C.-B.)                      POUR LE DEMANDEUR

Campney & Murphy

Avocats

Vancouver (C.-B.)                      POUR LA DÉFENDERESSE

Fraser, Quinlan & Abrioux

Avocats

Vancouver (C.-B.)                      POUR LA TIERCE PARTIE


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