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Date : 20000608


Dossier : IMM-3118-99



Entre :

     NELSON ANTONIO LINARES AGUILAR,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la "section du statut"), selon laquelle le demandeur doit être exclu de la définition de "réfugié au sens de la Convention" énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch.I-2, en raison de la conclusion du tribunal à l'effet qu'il avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis des crimes graves de droit commun.


[2]      Plus précisément, la section du statut s'est fondée sur l'alinéa b) de l'article 1F de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, [1969] R.T. Can. no. 6 (la "Convention") pour exclure le demandeur. Cet article se lit comme suit:

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. L.R.C. 1985, ch. 28 (4e suppl.), art. 34.

c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations. R.S.C. 1985 (4th Supp.), c.28, s.34.

[3]      Il appert de la preuve, telle que résumée par la section du statut dans sa décision, que le demandeur, un citoyen du Salvador, a été recruté de force par la guérilla, les Forces Populaires pour la Libération ("FLP"), et qu'il a participé à leurs activités de 1985 à 1992. Après la signature de l'accord de paix entre la guérilla et les autorités gouvernementales, le demandeur s'est joint en 1992 - fait contesté par le demandeur - à un groupe d'extrémistes et de bandits criminalisés (Los Maras Salvatruchas) ou (Los Maras), composé d'anciens membres de la guérilla et des forces militaires. Ce groupe vivait du crime, vol, harcèlement, persécution, taxation et séquestration. Le demandeur aurait été témoin de plusieurs agressions commises à l'endroit des citoyens par le groupe Los Maras et obligé, sous peine de mort, de participer à certaines de ces agressions. Il aurait refusé de se faire tatouer, en signe d'appartenance au groupe, malgré le fait qu'il soit demeuré parmi Los Maras de 1992 à 1996. Ce refus a entraîné à son égard des représailles, des actes de torture et des mauvais traitements de la part des membres du groupe.

[4]      Témoin de désordres dans les rues causés par les membres du groupe Los Maras, lors desquels il a assisté à l'assassinat d'un policier par un individu affilié à Los Maras, le demandeur aurait reçu des menaces de mort. Le demandeur a dès lors requis l'aide des policiers, mais sans succès. Plus tard, en octobre 1996, le demandeur fut enfermé et battu pendant un mois par Los Maras. Après sa libération, il tenta à nouveau mais sans succès d'obtenir l'aide des policiers.

[5]      Après avoir reçu de nouvelles menaces de mort du groupe Los Maras, le demandeur alla se cacher dans la famille de son père, à San Salvador. Il a fui son pays le 11 novembre 1996, et après avoir passé quatorze jours au Guatemala, dix jours au Mexique et quinze jours aux État-Unis, il atteignit finalement le Canada à la fin de décembre et revendiqua le statut de réfugié.

[6]      Après quatre séances, à la lumière de la preuve documentaire sur les groupes terroristes auxquels le demandeur avait appartenu et à la lumière de ses déclarations au port d'entrée, la section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas droit au statut de réfugié parce qu'il était visé par la clause d'exclusion énoncée à l'alinéa 1Fb) de la Convention.

[7]      Le demandeur, dans son mémoire au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, soulève plusieurs motifs qui, à son avis, justifient l'intervention de la Cour et l'annulation de cette décision de la section du statut. Lors de l'audition, il m'est apparu que l'un de ces motifs justifiait effectivement l'intervention de la Cour, sans préjudice à la valeur des autres arguments, à savoir le non respect d'une règle d'équité procédurale. Je m'en explique brièvement.

[8]      Lors de la première audience devant la section du statut, le représentant du ministre est intervenu pour déclarer son intention de faire valoir contre le demandeur une clause d'exclusion prévue à la Convention. Il importe de souligner qu'aucun avis d'intervention n'avait été donné par le représentant du ministre mais, reconnaissant ". . . que le protocole ou . . . la politesse demande que . . . toutes les parties soient avisées d'avance . . .", il a dès lors fait ". . . connaître les motifs de l'exclusion, des motifs pour lequel [sic] le ministre pourrait demander l'exclusion . . ." soit en raison des ". . . actes contraires aux droits humains et . . . des crimes de guerre ou des crimes contre la paix,"1 posés par le demandeur. Le représentant du ministre a aussi exprimé l'intention de ". . . reformuler ça formellement sur papier . . . dans les plus brefs délais et . . . à toutes les parties." Inutile de préciser que le représentant du ministre n'a jamais formulé par écrit les motifs d'exclusion qu'il entendait démontrer contre le demandeur. Tenant compte de ce que celui-ci avait déclaré à l'audience, le demandeur pouvait cependant raisonnablement croire que le représentant du ministre entendait démontrer que le tribunal devait l'exclure en raison des actes posés par lui qui constituaient des crimes de guerre ou des crimes contre la paix énoncés à l'alinéa 1Fa) de la Convention.

[9]      Comme l'a souligné à juste titre l'avocate de l'intimé, l'absence d'avis d'intervention du représentant du ministre, écrit ou non, ne saurait à lui seul justifier l'intervention de cette Cour. En effet, il est bien établi depuis l'arrêt Arica c. Canada2 que l'avis, s'il en est, est destiné seulement à la Commission et que le ministre n'est pas tenu de donner avis aux demandeurs de son intention de participer à l'audience. Il faut cependant bien voir les limites de la portée de l'arrêt Arica. J'entends, à cet égard, démontrer en quoi les faits de la présente affaire justifient l'intervention de la Cour en dépit de la règle énoncée dans ce jugement de la Cour d'appel.

[10]      Dans Arica, l'appelant plaidait l'insuffisance de l'avis du ministre qui ne précisait pas lequel des trois alinéas de l'article 1F serait invoqué. La Cour d'appel n'a pas retenu cet argument, statuant qu'aux termes du paragraphe 69.1(5) le ministre n'était pas tenu de donner un avis aux demandeurs de son intention de participer à l'audience. Selon la Cour, l'avis, destiné seulement à la Commission, avait pour but de permettre au ministre d'interroger un demandeur et d'autres témoins et de faire des observations. Mais la Cour a bien précisé que l'argument de l'appelant ne pouvait être retenu sur le fondement de l'insuffisance de l'avis du ministre, et que la véritable question en litige était vraiment de savoir si, lors de l'audience, l'appelant et son avocat avaient pris connaissance du fait que l'alinéa a) de l'article 1F était en cause et avaient agi en conséquence. L'appel a cependant été rejeté vu que d'après le dossier, les parties semblaient d'accord sur la question à trancher à savoir s'il y avait des raisons sérieuses de considérer que l'appelant avait commis des crimes contre l'humanité. Bref, les parties connaissaient fort bien les données du débat. Il faut toutefois préciser que dans Arica, l'appelant n'a jamais exprimé quelque inquiétude quant à savoir quel alinéa de l'article 1F était en cause, et qu'il ressortait du dossier que toutes les parties ont procédé sur la base que les crimes reprochés à l'appelant étaient ceux énoncés à l'alinéa a) de l'article 1F.

[11]      En l'espèce, le dossier révèle une situation fort différente. Dès la première audience tenue le 12 mars 1998, l'avocate du revendicateur, vu la présence du représentant du ministre et l'absence d'avis concernant la demande d'exclusion, s'est objectée3 à ce que le tribunal procède immédiatement et elle a demandé un ajournement qui lui fut accordé. Le tribunal et les procureurs ont dès lors convenu de l'avantage, lors de l'enquête, de traiter à la fois des éléments reliés à l'exclusion et à l'inclusion dans la mesure où ils étaient intimement liés4. Le représentant du ministre a aussi, dès ce moment, clairement indiqué que les motifs d'exclusion qu'il entendait démontrer contre le revendicateur étaient liés à des actes contraires ". . . à des crimes de guerre ou des crimes contre la paix . . ."5. De toute évidence, le représentant du ministre se référait à la clause d'exclusion énoncée à l'alinéa a) de l'article 1F de la Convention. D'ailleurs, même à la fin de l'enquête, lorsqu'il a formulé ses observations, le représentant du ministre a plaidé qu'en l'espèce, c'est l'article 1Fa) qui devait s'appliquer6.

[12]      Or, contrairement à toute attente, sans avoir jamais soulevé au cours de l'enquête qu'elle pourrait avoir des raisons sérieuses de penser que le revendicateur avait commis un crime grave de droit commun (1Fb)), et alors que le représentant du ministre avait annoncé pouvoir démontrer qu'il avait commis des crimes contre la paix ou des crimes de guerre (1Fa)), la section du statut a conclu ainsi:

Après avoir fait une étude approfondie de la preuve, en l'espèce, le tribunal a décidé d'aller directement sur l'exclusion et donc, d'exclure le demandeur suivant l'alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié . . .

La section du statut a dès lors retenu certaines activités des groupes révolutionnaires terroristes dont le demandeur avait admis avoir été membre à compter de 1985 jusqu'à la fin de la guerre civile en 1992 lorsque les accords de paix ont été signés, et sa participation postérieure à un groupe paramilitaire (Mara Salvatruchas) pour conclure à nouveau:

À la lumière de la preuve documentaire sur les groupes terroristes auxquels le demandeur a appartenu et à la lumière de ses déclarations au port d'entrée, le tribunal conclut que ce demandeur doit être exclu selon l'alinéa 1Fb) de la Convention.

Plus loin, en réponse à l'argument du revendicateur qui avait tenté de diluer sa participation à la commission des crimes commis par les différents groupes extrémistes auxquels il avait appartenu, la section du statut a aussi conclu, ayant estimé que le demandeur avait été "un participant constant, conscient, actif et impliqué dans la commission des crimes de droit commun dans son pays":

Le tribunal conclut que le demandeur est complice dans la commission des crimes de droit commun dans les groupes auxquels il a oeuvré et qu'il y a des "raisons sérieuses de penser" que le demandeur a commis des crimes de droit commun.

et la section du statut d'ajouter:

Le tribunal décide selon l'arrêt Gonzalez c. Canada M.E.I., (1994) 3 C.F. 646 C.A.F., qu'il n'est plus nécessaire de procéder à l'étude de l'inclusion.

[13]      Bref, la section du statut a traité tous les actes reprochés au demandeur comme des crimes graves de droit commun (1F b)) sans jamais s'interroger à savoir si certains ou tous ces actes pouvaient être qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre la paix (1F a)). De plus, ayant décidé de prononcer l'exclusion du demandeur en vertu de 1F b), le tribunal ne s'est pas demandé si une motivation politique pouvait avoir incité le demandeur à commettre ces actes. C'est pourtant un des critères qui, selon la Cour d'appel, devait être analysé dans cette clause d'exclusion.

[14]      En effet, dans Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508, la Cour d'appel était appelée à appliquer et donc à interpréter la clause d'exclusion visant un "crime grave de droit commun" prévue à l'alinéa b) de l'article 1F de la Convention. La Cour s'est penchée en particulier sur le caractère politique qui, accessoirement, se dégage de cette clause d'exclusion. Le résumé de l'arrêt énonce ainsi la position de la Cour:

Le premier volet de ce critère exige que les crimes reprochés aient été commis dans le cours de troubles politiques violents, comme une guerre, une révolution ou une rébellion, ou qu'ils leur soient accessoires. L'exception liée au "caractère politique" de l'infraction ne s'applique donc que lorsque la violence atteint un certain niveau et que ceux qui s'y livrent cherchent à atteindre un objectif précis comme réaliser un changement politique ou réprimer l'opposition politique violente. Le deuxième volet du critère est axé sur l'existence d'un lien entre le crime et l'objectif politique poursuivi. Il faut examiner la nature et le but de l'infraction, et notamment vérifier si elle a été commise pour des motifs véritablement politiques ou pour des raisons personnelles ou des considérations de profit, si elle visait une modification de l'organisation politique ou de la structure même de l'État et s'il existe un lien de causalité direct et étroit entre le crime commis et le but et l'objectif politique invoqué. L'élément politique doit en principe avoir prépondérance sur le caractère de droit commun de l'infraction, ce qui risque de ne pas être le cas lorsque les actes commis sont complètement disproportionnés par rapport à l'objectif visé, ou lorsqu'ils sont de nature atroce ou barbare.



[15]      En l'occurrence, est-il nécessaire de le rappeler, non seulement le tribunal ne s'est-il pas attardé à analyser si l'appelant avait commis des crimes de guerre ou des crimes contre la paix, comme le plaidait le représentant du ministre, mais il a conclu à la commission de crimes graves de droit commun sans se pencher sur le caractère politique qu'ils pouvaient contenir, tenant compte de leur période de survenance. Bien que la preuve au dossier, verbale ou documentaire, faisait état d'activités criminelles survenues tant avant qu'après les accords de paix survenus en 1992, la section du statut les a traitées également.

[16]      Par ailleurs, cette façon d'agir de la section du statut brimait le droit du demandeur à l'équité procédurale. Eut-il su avant ou au cours de l'audience que le tribunal entendait retenir contre lui cette clause d'exclusion, il aurait pu préparer adéquatement sa défense à une allégation différente que celle annoncée par le représentant du ministre, et y répondre7.

[17]      Un autre motif justifie l'intervention de cette Cour. Dès le début de l'audience devant la section du statut, il avait été convenu qu'on devait traiter à la fois des éléments reliés à l'exclusion et à l'inclusion, ceux-ci étant intimement liés8. Comme je l'ai précisé plus haut9, le tribunal a plutôt ". . . décidé d'aller directement sur l'exclusion . . .". Ce faisant, j'estime qu'il a commis une erreur de droit. Dans Canada c. Mehmet10, la Cour d'appel a décidé ". . . qu'une exclusion constitue un élément négatif de refus qui n'a rien à voir avec les éléments positifs de la définition même de réfugié et ne saurait être considérée que séparément et en un deuxième temps". La règle est on ne peut plus claire. Des considérations pratiques militent d'ailleurs en ce sens, comme l'a reconnu la Cour d'appel dans un autre arrêt, Moreno c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration)11.

[18]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[19]      À la toute fin de l'audience, après même que la cause eût été prise en délibéré, les procureurs des parties m'ont informé que le demandeur avait quitté le Canada depuis plusieurs mois, sous le coup d'une mesure de renvoi. Il aurait été refoulé aux États-Unis où il attendrait le résultat du présent recours. Vu les circonstances, l'avocate du défendeur plaide que la présente demande devrait être rejetée, n'ayant plus aucun intérêt pratique, et elle suggère, en conséquence, que la Cour certifie la question grave de portée générale suivante:

À supposer qu'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié appliquant la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés serait entachée d'une violation d'une règle de justice naturelle, la Cour, en contrôle judiciaire de cette décision de la section du statut, peut-elle refuser quand même d'intervenir en raison du fait qu'il serait de toute façon inutile de retourner l'affaire devant le tribunal, la décision étant, en tout état de cause, bien fondée en faits et en droit.



[20]      De toute évidence, le simple dépôt de cette demande démontre l'intérêt du demandeur. Qu'il ne soit pas actuellement en sol canadien ne relève pas de son choix mais résulte de l'exécution d'une mesure administrative, à savoir la mesure de renvoi. Rien ne démontre son désintérêt; au contraire, selon son avocate, advenant une décision en sa faveur sur la présente demande, le demandeur entend se présenter à la frontière canadienne pour faire valoir ses droits. J'estime en conséquence que l'affaire doit suivre son cours.

[21]      Quant à la question que l'avocate du défendeur voudrait faire certifier, vu la conclusion générale à laquelle j'en suis venu, il n'y a pas lieu de la certifier.

                             _________________________

                                     Juge



Ottawa (Ontario)

le 8 juin 2000

__________________

     1      Dossier du tribunal (D.T.), audience du 12 novembre 1998, p. 15.

     2      (1995) A.C.F. no 670 (A-153-92).

     3      D.T. (12/11/98) p. 7

     4      D.T. (12/11/98) p. 17 à 20

     5      D.T. (12/11/98) p. 15-16

     6      D.T. (24/11/98) p. 644

     7      Au même effet, voir Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1995] 1 C.F. 537, à la p. 558.

     8      Voir le paragr. 11.

     9      Voir le paragr. 12.

     10      [1992] 2 C.F. 598, à la p. 606.

     11      [1994] 1 C.F. 298, aux pages 326-327.

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