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Date : 20001121


Dossier : IMM-728-00



ENTRE :

     CHOW CHEUNG KAN

     demandeur

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE


[1]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.




« P. ROULEAU »

                                     JUGE





Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20001121


Dossier : IMM-728-00



ENTRE :

     CHOW CHEUNG KAN

     demandeur

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire contre la décision, datée du 15 janvier 2000, dans laquelle l'agent des visas Daniel Arthur Vaughan (l'agent des visas) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur avait présentée, au motif que celui-ci appartenait à la catégorie de personnes non admissibles au Canada prévue au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), étant donné qu'il avait déjà été reconnu coupable de certaines infractions à Hong Kong, soit celles d'agression causant des lésions corporelles et d'utilisation insouciante ou dangereuse d'une arme à feu. La demande de réhabilitation que le demandeur avait présentée au ministre a été rejetée.

[2]      Le 13 septembre 1995, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre de la catégorie des immigrants entrepreneurs. Cette demande a été rejetée le 3 avril 1997 par Mme Patricia Brown après qu'il a été conclu que le demandeur n'était pas admissible au Canada. Elle n'a pas apprécié l'admissibilité du demandeur à immigrer au pays en tant qu'entrepreneur. L'autorisation en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire contre cette décision a été accordée sur consentement des deux parties le 12 juin 1997.

[3]      Le 24 juillet 1997, la demande a été soumise à l'agent des visas pour qu'il statue à son tour sur celle-ci. Le demandeur a eu une entrevue avec l'agent des visas le 30 septembre 1997. L'agent des visas a jugé que le demandeur était visé par la définition d'entrepreneur que contient leRèglement sur l'immigration, mais il a conclu qu'en mars 1989, il avait été reconnu coupable, à Hong Kong, d'agression causant des lésions corporelles et d'utilisation dangereuse d'une arme à feu. Il a statué que ces condamnations rendaient le demandeur inadmissible en vertu du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi.

[4]      Étant donné que plus de cinq années s'étaient écoulées depuis ces condamnations, le demandeur était admissible à présenter une demande de réhabilitation. Compte tenu des renseignements dont il disposait et des réponses du demandeur aux questions concernant les condamnations, l'agent des visas a conclu qu'une réhabilitation n'était pas justifiée. L'agent des visas a maintenu sa conclusion que le demandeur n'était pas admissible en vertu de la Loi.

[5]      Le 8 décembre 1997, l'agent des visas a été avisé qu'il avait outrepassé sa compétence en examinant la question de la réhabilitation, étant donné que le ministre n'avait pas délégué sa compétence en cette matière. L'agent des visas a ensuite ouvert le dossier du demandeur pour informer ce dernier de la procédure applicable en matière de réhabilitation et lui donner l'occasion d'en faire la demande, ce que le demandeur a fait le 6 février 1998. Le 20 mai 1998, l'agent des visas a examiné la demande de réhabilitation et préparé ses recommandations selon lesquelles la réhabilitation devait être refusée au demandeur. Le 20 décembre 1999, le ministre a rejeté la demande de réhabilitation.

[6]      Le 15 janvier 2000, l'agent des visas a avisé le demandeur qu'il demeurait inadmissible en vertu de la Loi et que sa demande était donc rejetée. C'est cette dernière décision qui est contestée.

[7]      La question litigieuse que je dois trancher est de savoir si l'agent des visas devait, en déterminant l'admissibilité du demandeur, tenir compte de l'incidence de la réhabilitation que le demandeur avait obtenue en vertu du droit de Hong Kong.

[8]      Le demandeur soutient que l'Ordonnance relative à la réhabilitation des contrevenants (l'O.R.R.) de Hong Kong est équivalente et semblable à la Loi sur le casier judiciaire (la L.C.J.) du Canada. Il soutient que la loi de Hong Kong et la loi canadienne en matière de réhabilitation sont similaires, voire identiques. L'essence même des deux lois vise à éliminer le stigmate qui, souvent, accompagne l'existence d'un casier judiciaire, et ce afin de faciliter la réhabilitation. Il fait valoir que la distinction que le juge Rothstein a établie dans la décision Lui c. Canada, 39 Imm. L.R. (2d) 60, dans laquelle l'O.R.R. était réputée différente de la loi canadienne, ne rend pas l'O.R.R. différente de la Loi, bien qu'elle n'y soit pas identique. Les deux lois visent le même objectif. Le demandeur soutient qu'en vertu de l'O.R.R., sa condamnation avait été effacée et que, partant, l'agent des visas n'aurait pas dû en tenir compte en prenant sa décision aux termes du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi.

[9]      Le demandeur se fonde sur la décision Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Burgon, 13 Imm. L.R. (2d) 102, pour étayer son argument, et plus particulièrement à l'égard des renvois que contient la page 110, où l'attitude canadienne en matière de réhabilitation est résumée. Voici les paragraphes 19 et 20 de cette décision :

     J'estime qu'il faut supposer que lorsqu'il a adopté de nouveau la Loi sur l'immigration en 1976, le législateur fédéral connaissait ses propres textes de loi pénale antérieurs, qui permettaient d'effacer les déclarations de culpabilités criminelles du casier des personnes méritantes. En employant les termes « déclarées coupables » à l'alinéa 19(1)c), le législateur visait donc une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été effacée en vertu de toute autre loi édictée par lui. Si une « déclaration de culpabilité » était effacée par application des dispositions d'une autre loi du législateur fédéral, ce dernier ne voulait pas qu'elle soit traitée de la même manière qu'une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été supprimée du casier judiciaire d'une personne. S'il avait voulu que les termes « déclarées coupables » que l'on trouve dans la Loi sur l'immigration soient interprétés autrement, il aurait pu et aurait dû l'exprimer. Lorsqu'on interprète de cette manière l'alinéa 19(1)c), on réussit à concilier - et non à mettre en conflit - la Loi sur l'immigration et la législation criminelle canadienne. Les principes généraux du droit criminel sont intégrés dans la Loi sur l'immigration.
     Je suis conforté dans cette opinion par l'examen de l'historique législatif de l'alinéa 19(1)c), qui était très différent dans sa rédaction antérieure. L'alinéa 5d) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, interdisait à certaines catégories de « personnes qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis une tel crime ... » [soulignement ajouté] d'entrer au Canada. S'il avait été repris dans la loi de 1976, ce libellé aurait probablement visé Mme Burgon, qui aurait été légitimement frappée d'exclusion, parce qu'elle avait « admis avoir commis un crime » [soulignement ajouté]. Cependant, dans la nouvelle loi de 1976 sur l'immigration, on a laissé tomber les mots soulignés et on a laissé seulement les mots clés « déclarées coupables » . Cette disposition a maintenant un sens différent: il ne suffirait plus de plaider coupable pour tomber sous le coup de cet article. La réforme législative est intervenue après l'adoption des modifications qui ont été apportées au Code criminel et qui ont reçu la sanction royale le 15 juin 1972, prévoyant notamment l'absolution inconditionnelle ou sous condition à titre de mesure permise au Canada. Ainsi donc, on doit supposer que lorsqu'il a omis en 1976 les mots soulignés dans laLoi sur l'immigration et qu'il a laissé seulement les mots « déclarées coupables » , le législateur fédéral connaissait la fiction juridique par laquelle on présume qu'un contrevenant n'a pas été déclaré coupable et, par conséquent, on doit supposer que le législateur fédéral voulait soustraire ces personnes à l'application de l'alinéa 19(1)c) et rendre laLoi sur l'immigratione compatible avec le Code criminel du Canada.

[10]      Le défendeur soutient que le demandeur conteste à tort la décision du ministre dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire qui vise à contester la décision d'un agent des visas. Il ne revient pas à l'agent des visas de se demander si la décision distincte du ministre est raisonnable, décision par laquelle il est lié.

[11]      Le défendeur soutient que la prétention du demandeur selon laquelle la loi de Hong Kong et la loi canadienne en matière de réhabilitation sont similaires, voire identiques, a été clairement rejetée par la Cour dans la décision Lui, précitée. Il convient d'apprécier les dispositions législatives étrangères en fonction de chaque cas lorsqu'il s'agit de déterminer si ce qui constitue une réhabilitation dans un ressort donné est équivalent à une réhabilitation en vertu de la loi canadienne. Le défendeur fait valoir qu'avant de reconnaître la loi de Hong Kong, notre Cour doit être convaincue que la loi en question a un contenu et une incidence semblables à ceux de la L.C.J., la loi canadienne qui s'applique en matière de réhabilitation. Selon le défendeur, la Cour ne saurait être convaincue de cela. L'alinéa 3(1)c) de l'O.R.R. va à l'encontre de la deuxième caractéristique fondamentale de la réhabilitation canadienne. Elle n'accorde à la personne dont la condamnation a été « effacée » aucune protection contre toute disposition législative de Hong Kong qui le frappe d'incapacité en raison de ses condamnations, alors que si cette même personne était réhabilitée en application de la L.C.J., elle bénéficierait d'une protection contre une telle incapacité. En outre, le défendeur estime qu'il ressort d'un examen plus détaillé des articles 3 à 5 de l'O.R.R. qu'une condamnation « effacée » en vertu de l'article 2 de l'O.R.R. constitue toujours une condamnation aux termes de certaines exceptions, qui sont nombreuses et diverses, et qu'en conséquence, elle n'est pas effacée comme elle l'aurait été en droit canadien. Le défendeur estime donc que les deux caractéristiques fondamentales d'une réhabilitation en droit canadien ne font pas partie de l'O.R.R. Selon le défendeur, l'agent des visas n'a pas commis d'erreur en concluant que les condamnations du demandeur au criminel subsistaient, même si elles ont été « effacées » en vertu de la loi de Hong Kong.

[12]      La demande de contrôle judiciaire fait suite à la lettre datée du 15 janvier 2000 que l'agent des visas a envoyée. Il importe de souligner que la décision a, en fait, été prise avant que le ministre ne décide de refuser de déclarer la réhabilitation du demandeur. Il très ressort clairement de l'alinéa 19(1)c.1) de la Loi que l'agent des visas doit d'abord déterminer si le demandeur est inadmissible avant que le ministre ne détermine si le demandeur s'est réadapté. Interpréter la Loi de toute autre manière reviendrait à priver l'agent des visas de son pouvoir de déterminer l'admissibilité des demandeurs. Voici le libellé de l'alinéa 19(1)c.1) de la Loi :

     19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

     [...]

     c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger :
         (i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction,
         (ii) soit commis un fait -- acte ou omission -- qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;

[13]      En l'espèce, l'agent des visas a d'abord conclu que le demandeur faisait l'objet de condamnations antérieures à Hong Kong qui, si avaient été commises au Canada, constituerait une infraction punissable aux termes duCode criminel d'un emprisonnement maximal égal ou supérieure à dix ans. L'agent des visas ne semble pas avoir tenu compte du fait que les condamnations du demandeur avaient été « effacées » en vertu du droit de Hong Kong (c.-à-d. qu'il avait obtenu ce qui paraît être une réhabilitation). L'agent des visas devait ensuite examiner la question de savoir si l'exception concernant la réhabilitation s'appliquait. Le processus de décision du ministre a ensuite suivi son cours, et le ministre a conclu que le demandeur n'avait pas été réhabilité. Le défendeur a raison de dire que l'agent des visas était lié par l'avis du ministre et qu'il ne pouvait douter de son caractère raisonnable. L'agent des visas a ensuite envoyé sa lettre de refus au demandeur.

[14]      L'élément qui est contesté en l'espèce est le fait que l'agent des visas n'a pas tenu compte de la réhabilitation du demandeur aux termes de la loi de Hong Kong, et non la décision du ministre. Si la Cour conclut que l'agent des visas aurait dû tenir compte de la réhabilitation, il s'ensuit que la décision du ministre était injustifiée. Cela ne veut pas dire que la décision du ministre est contestée dans le cadre de la présente demande. Elle ne saurait l'être. À mon avis, on peut complètement distinguer la présente affaire d'avec l'affaire Chan Wing Tei c. M.C.I. (1998), 161 F.T.R. 51, dans laquelle le demandeur contestait la recommandation que l'agent des visas avait faite au ministre.

[15]      Il n'y a donc qu'une seule question litigieuse à trancher en l'espèce : l'agent des visas a-t-il eu raison de ne pas tenir compte de la réhabilitation que le demandeur avait obtenue en vertu de la loi de Hong Kong?

[16]      Notre Cour a récemment répondu à cette question dans la décision Lui c. Canada, IMM-2783, 29 juillet 1997 (le juge Rothstein) :

     La véritable question en litige est de savoir si le contenu et les effets de l'Ordonnance de Hong Kong sont similaires à ceux de la législation canadienne correspondante. Les effets de la Loi sur le casier judiciaire sont, hormis de rares exceptions relatives à certaines dispositions du Code criminel, d'effacer les conséquences d'une condamnation suite à l'octroi d'une réhabilitation par la Commission nationale des libérations conditionnelles et de faire cesser toute incapacité que la condamnation pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale.
     Bien que la réhabilitation soit susceptible d'être révoquée si la personne visée est condamnée pour une nouvelle infraction ou pour d'autres raisons [Voir Note 3 ci-dessous], il semble que, hormis les quelques exceptions prévues au Code criminel que j'ai mentionnées, la réhabilitation, pour reprendre les paroles du juge Linden dans l'arrêt Burgon, a pour effet de laver la personne visée de "toute souillure causée par la déclaration de culpabilité".
     L'Ordonnance de Hong Kong relative à la réhabilitation des contrevenants a, semble-t-il, un effet de nature semblable, sous réserve cependant de nombreuses exceptions . [...]
     Il appert que la portée du paragraphe 2(1) de l'Ordonnance est beaucoup moins grande que celle de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. Ce paragraphe ne s'applique qu'aux infractions les moins graves. Il n'a d'effet que tant et aussi longtemps que la personne n'est pas reconnue coupable d'une nouvelle infraction à Hong Kong. Au Canada, la réhabilitation n'est pas automatiquement révoquée suite à la commission d'une nouvelle infraction, mais elle peut l'être par la Commission nationale des libérations conditionnelles, pour ce motif.
     En outre, l'application du paragraphe 2(1) est soumise à de nombreuses exceptions. Par exemple, la preuve de la condamnation est admissible dans le cadre d'une instance relative à l'intérêt d'un enfant (alinéa 3(2)a)), d'une instance dans laquelle le tribunal considère nécessaire l'admission d'éléments de preuve de la condamnation afin que justice soit rendue (alinéa 3(2)c)), ou d'une instance portant sur l'admissibilité d'une personne à occuper une charge publique (alinéa 3(2)d)). L'exception qui revêt une pertinence particulière en l'espèce est prévue à l'alinéa 3(1)c) :
         [TRADUCTION]
         3. (1) L'article 2 n'a aucune incidence sur
             [...]
         c ) l'application de toute disposition législative aux termes de laquelle la personne est susceptible de faire l'objet d'une incapacité, interdiction, ou autre pénalité.
     À mon avis, l'alinéa 3(1)c) signifie que le paragraphe 2(1) ne s'applique pas à toute disposition législative aux termes de laquelle la personne est susceptible de faire l'objet d'une incapacité pour laquelle la condamnation est pertinente. Autrement dit, la condamnation ne doit pas être considérée comme ayant été effacée aux fins de l'application d'une disposition législative prévoyant l'exclusion d'une personne ayant été reconnue coupable d'une infraction. Cela diffère considérablement de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire, lequel fait cesser toute incapacité que la condamnation pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale, sous réserve des seules exceptions que j'ai déjà mentionnées.
     Je dois donc conclure que le contenu et les effets de l'Ordonnance relative à la réhabilitation des contrevenants ne sont pas similaires à ceux de la législation canadienne correspondante. En fait, en matière d'incapacités, les lois de Hong Kong et celles du Canada sont incompatibles. En conséquence, selon les principes du contenu et des effets similaires énoncés dans Burgon, l'Ordonnance de Hong Kong relative à la réhabilitation des contrevenants ne peut être reconnue au Canada. L'arbitre a donc considéré à bon droit que la déclaration de culpabilité du requérant prononcée en 1976 à Hong Kong relativement à des voies de faits causant des lésions corporelles n'a pas été effacée.
     Même si je me trompais parce que j'aurais dû conclure que le Canada devrait reconnaître l'Ordonnance de Hong Kong, le résultat serait le même. La reconnaissance de l'Ordonnance signifie certainement la reconnaissance de toute l'Ordonnance, et non seulement des parties de celle-ci qui ont les mêmes effets que la législation canadienne correspondante. Autrement dit, je ne vois pas comment le Canada pourrait reconnaître le paragraphe 2(1) de l'Ordonnance sans reconnaître les autres dispositions de celle-ci. Par conséquent, il faudrait aussi reconnaître l'alinéa 3(1)c), ce qui obligerait l'arbitre à considérer que la déclaration de culpabilité du requérant prononcée en 1976 n'a pas été effacée aux fins de l'application de toute disposition législative le rendant incapable. Le sous-alinéa 19(1)(c.1)(i) de la Loi sur l'immigration constitue une telle disposition législative, car il rend le requérant non admissible au Canada en raison de sa condamnation à Hong Kong. Aux termes d'une telle analyse, l'arbitre a eu raison de ne pas considérer que la condamnation du requérant avait été effacée.

[17]      Les différences entre les deux régimes auxquelles ce passage renvoie deviennent encore plus évidentes si on lit attentivement les dispositions pertinentes de chaque loi. Le sous-alinéa 5a)(ii) et l'alinéa 5b) de la L.C.J. délimitent l'effet d'une réhabilitation accordée aux termes de la loi canadienne :

     5. La réhabilitation a les effets suivants :
     a) d'une part, elle sert de preuve des faits suivants :
         (i) dans le cas d'une réhabilitation octroyée pour une infraction visée à l'alinéa 4a), la Commission, après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s'est bien conduit,
         (ii) dans le cas de toute réhabilitation, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur;
     b) d'autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle efface les conséquences de la condamnation et, notamment, fait cesser toute incapacité -- autre que celles imposées au titre des articles 109, 110, 161 et 259 du Code criminel ou du paragraphe 147.1(1) de la Loi sur la défense nationale -- que celle-ci pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale ou de ses règlements.

     Les sous-alinéas 2(1)(i) à (iii) de l'O.R.R. contiennent les dispositions de cette ordonnance en matière de protection :

     [TRADUCTION] (i) aucune preuve tendant à établir que la personne a été reconnue coupable d'une telle infraction à Hong Kong ne sera admissible dans le cadre de toute instance,
     (ii) toute question posée à la personne visée ou à toute autre personne en vue de révéler les condamnations, les infractions, la conduite ou la situation antérieures de la personne sera considérée comme ne renvoyant pas à cette condamnation; et
     (iii) cette condamnation, de même que toute omission de la révéler, ne peut constituer un motif légitime et valable de congédiement ni d'exclusion de tout poste, profession ou emploi, ni lui nuire de quelle que façon que ce soit relativement à ce poste, profession ou emploi.

     En outre, l'alinéa 3(1)c) de l'O.R.R. prévoit :

     [TRADUCTION] 3. (1) L'article 2 n'a aucune incidence sur
     [...]
     c) l'application de toute disposition législative aux termes de laquelle la personne est susceptible de faire l'objet d'une incapacité, interdiction, ou autre pénalité.

[18]      L'alinéa 3(1)c) de l'O.R.R. est donc contraire à la deuxième caractéristique fondamentale d'une réhabilitation canadienne telle que décrite dans la décision Lui, précitée. Il n'accorde à la personne dont la condamnation a été « effacée » aucune protection contre toute disposition législative de Hong Kong qui la frappe d'incapacité en raison de sa condamnation, alors que si cette même personne était réhabilitée aux termes de la loi canadienne, elle bénéficierait d'une protection contre une telle incapacité.

[19]      Pour ce qui est de la première de ces caractéristiques fondamentales, soit le fait que la réhabilitation a pour effet d'effacer la condamnation, les articles 3 à 5 de l'O.R.R. sont libellés de la façon suivante :

     [TRADUCTION]
     3.      Exceptions ayant trait aux procédures
         (1)      L'article 2 n'a aucune incidence sur
         a) le recouvrement de toute amende ou autre somme devant être versée;
         b) toute procédure relative à une violation d'une condition ou exigence imposée par suite d'une condamnation; ou
         c) l'application de toute disposition législative aux termes de laquelle la personne est susceptible de faire l'objet d'une incapacité, interdiction, ou autre pénalité.
         (2)      L'article 2 n'a aucune incidence sur la détermination de toute question litigieuse et il n'empêche pas l'admission ou l'exigence de toute preuve relative à la condamnation
         a) dans le cadre de toute procédure relative aux intérêts d'un enfant;
         b) dans le cadre de toute procédure dans laquelle l'individu consent expressément à l'admission de preuve concernant la condamnation; ou
         c) dans le cadre de toute procédure dans laquelle le tribunal est convaincu que justice ne peut être rendue que si la preuve concernant la condamnation est admise.
     4.      Autres exceptions
         (1)      L'article 2 ne s'applique pas dans les cas suivants:
         a) toute procédure concernant l'admission d'une personne à titre d'avocat ou comptable, ou toute procédure disciplinaire visant un avocat ou comptable;
         b) toute procédure disciplinaire concernant une personne occupant une charge publique prévue par la loi;
         c) toute procédure concernant l'admissibilité d'une personne à obtenir ou conserver tout permis ou dispense, ou à être enregistrée ou continuer à l'être en vertu de toute loi;
         d) toute procédure concernant l'admissibilité d'une personne à être nommée à une charge publique prévue par la loi ou à conserver une telle charge ; et
         e) toute procédure intentée en vertu de l'Ordonnance relative aux compagnies d'assurance (Cap. 41) -
         i) concernant l'admissibilité d'une personne à recevoir l'autorisation nécessaire en vue d'être assureur;
         ou
         ii) par les autorités exerçant les pouvoirs que leur confèrent les articles 27 à 35 de l'Ordonnance.
         (2) L'article 2 ne s'applique pas à toute question posée par une personne ou pour le compte de toute personne dans l'exercice de ses fonctions, ni à toute obligation de communiquer des renseignements à cette personne dans le cadre de telles fonctions, en vue d'apprécier l'admissibilité d'une autre personne
         a) à être admise en tant qu'avocate ou comptable; ou
         b) en vue de la délivrance ou du maintien de tout permis ou dispense, ou en vue de l'enregistrement ou du maintien de l'enregistrement en vertu de toute loi; ou
         c) à être nommée à une quelconque charge publique prévue par la loi; ou
         d) à obtenir l'autorisation nécessaire en vue d'être assureur en vertu de l'Ordonnance relative aux compagnies d'assurance (Cap. 41)
         (3) L'article 3 ne s'applique pas dans les cas suivants :
         a) toute interdiction ou exclusion d'un individu à agir en tant qu'avocat ou comptable ou à occuper une quelconque charge publique prévue par la loi; ou
         b) toute mesure prise en vue de maintenir la sécurité de Hong Kong.
     5.      Exceptions relatives aux actions en diffamation
     La présente ordonnance ne s'applique pas à toute action en diffamation intentée
         a) avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance; ou
         b) après l'entrée en vigueur de la présente ordonnance en ce qui concerne toute diffamation qui aurait été commise avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ou avant le délai prévu à l'alinéa 2(1)c).

[20]      Il ressort clairement des exceptions précitées que le régime de Hong Kong diffère de la loi canadienne en matière de réhabilitation. J'ajouterais également qu'au Canada, l'octroi de la réhabilitation n'est possible qu'après que le demandeur a fait l'objet d'un processus qui fait intervenir la Commission nationale des libérations conditionnelles, alors qu'à Hong Kong, la réhabilitation paraît automatique.

[21]      J'estime que le demandeur n'a pas fait valoir d'argument qui m'inciterait à ne pas tenir compte des remarques que le juge Rothstein a faites dans la décision Lui, précitée. Le demandeur rappelle les conclusions que la Cour d'appel fédérale a tirées dans l'arrêt Burgon, précité, dans lequel la Cour a faire les remarques suivantes au sujet de la législation du Royaume-Uni en matière de réhabilitation :

     L'autre question à examiner est celle de savoir si le texte de loi du Royaume-Uni, dont l'objet est semblable, mais non identique à celui de la loi canadienne, devrait être traité de la même façon. Dans les deux pays, certains contrevenants se voient accorder l'avantage d'éviter l'infamie causée par l'existence d'un casier judiciaire pour faciliter leur réadaptation. Il n'existe aucune raison valable pour que le droit canadien de l'immigration contrecarre l'objectif de ce texte de loi britannique, qui est compatible avec le droit canadien. Nos deux systèmes juridiques reposent sur des fondements analogues et partagent des valeurs semblables. (À la page 111)

[22]      Le juge Linden a ensuite conclu que cette loi, bien qu'elle ne soit pas identique à la loi canadienne, est certainement semblable à cette dernière sur le plan du contenu et de son effet. Compte tenu de ce qui précède, j'estime qu'on ne peut certainement pas en dire autant de la loi de Hong Kong.

[23]      J'ajouterais également que contrairement à ce que la Cour d'appel a dit dans l'arrêt Burgon, précité, il paraît effectivement y avoir un motif valable pour ne pas tenir compte de la loi étrangère : la Loi sur l'immigration ne laisse tout simplement pas entendre que les agents des visas peuvent tenir compte d'une réhabilitation obtenue à l'étranger. Le seul critère qu'il convient d'appliquer est de savoir si les demandeurs ont « été déclaré[s] coupables d'une infraction [à l'étranger] » ou ont « commis un fait -- acte ou omission -- qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis » . Si l'agent des visas conclut que le demandeur est visé par l'une ou l'autre de ces catégories, il incombe au ministre de déterminer si ce demandeur a été réhabilité ou non. L'obtention d'une réhabilitation pourrait, tout au plus, constituer l'une des considérations dont le ministre doive tenir compte pour faire cette détermination. On pourrait faire une analogie avec l'arrêt Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Robert Philip Brooks, [1974] R.C.S. 850, de la Cour suprême du Canada, dans lequel le juge Laskin a écrit, à la page 863 :

     J'ajoute ici que, même si le pardon accordé aux Philippines a effacé, en fait et en droit, la déclaration de culpabilité pour bigamie qui pesait sur Brooks dans ce pays, ce pardon n'es pas déterminant en ce qui concerne une question relative aux condamnations criminelles posée aux fins de déterminer si l'immigration au Canada devrait être permise.

[24]      L'agent des visas n'a donc pas commis d'erreur lorsqu'il a omis de tenir compte de la réhabilitation du demandeur aux termes de la loi de Hong Kong.

[25]      La demande est rejetée.


« P. ROULEAU »

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 21 novembre 2000




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              IMM-728-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CHOW CHEUNG KAN c. Le ministre de la                      Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 24 OCTOBRE 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              21 NOVEMBRE 2000



ONT COMPARU :


M. ANTONIO VESCO                      POUR LE DEMANDEUR

MME MARTINE VALOIS                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. ANTONIO VESCO                      POUR LE DEMANDAEUR

Tassé Themens

Montréal (Québec)


M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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