Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20020118

Dossier : IMM-5118-00

                                                                                                Référence neutre : 2002 CFPI 60

ENTRE :                                                                                                   

WILLIAM DARIO TAMAYO ESTRADA

demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

  • [1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 13 septembre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR, le tribunal ou les commissaires) a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur.
  • [2]                 Le demandeur William Dario Tamayo Estrada est un citoyen colombien âgé de 26 ans qui affirme avoir raison de craindre d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui sont imputées. Le demandeur affirme qu'il est perçu comme [TRADUCTION] « une personne qui dénonce des guérilleros à la police » .

Genèse de l'instance

  • [3]                 En septembre 1998, alors qu'il fréquentait l'université, le demandeur et sa mère ont été interceptés dans leur voiture par des hommes armés alors qu'ils venaient de quitter une banque. Les hommes armés ont braqué un pistolet sur la tempe du demandeur pendant qu'ils fouillaient le véhicule. Comme ils ne trouvaient pas d'argent, ils se sont emparés des cartes de crédit du demandeur et de certains documents avant de prendre la fuite. Le demandeur avait effectué des opérations bancaires pour sa voiture, ce qui explique pourquoi il avait sur lui des documents plutôt que de l'argent. En fait, le demandeur a identifié un des agresseurs comme étant un homme qui lui avait remis un numéro de service quelques minutes plus tôt dans la banque (l'attaque à main armée).
  • [4]                 Le demandeur a signalé l'incident à la police. Il a également identifié un des voleurs comme étant un des employés de la banque et il a donné son signalement à la police.
  

  • [5]                 Le demandeur a déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que, quelques jours plus tard, alors qu'il attendait sa fiancée dans une voiture sur la route 80, il a vu trois hommes armés s'enfuir d'un commerce en tirant des coups de feu en l'air. Il a reconnu un des hommes : c'était celui qui lui avait remis le numéro à la banque et qui lui avait ensuite réclamé de l'argent. Des policiers sont arrivés sur les lieux et l'ont interrogé. Il s'est rendu au poste de police, où il a donné le signalement de l'homme qu'il avait reconnu et il a confirmé l'identité de cet homme à l'aide de photos fournies par la police (le témoin du vol).
  • [6]                 Les policiers ont informé le demandeur que le voleur qu'il avait identifié était un guérillero urbain. Ils lui ont également dit qu'il pouvait être en danger étant donné que les guérilleros prennent en règle générale des mesures de représailles contre ceux qui les dénoncent à la police. Le demandeur s'est informé aux policiers au sujet des mesures qui pouvaient être prises pour assurer sa protection et ils lui ont conseillé d'aller s'installer ailleurs pour sa propre sécurité. Le demandeur n'a pas été en mesure de déménager sur-le-champ et il a par conséquent été menacé à quelques reprises.
  
  • [7]                 Plus précisément, en novembre 1998, le demandeur et sa soeur ont senti qu'ils étaient suivis alors qu'ils marchaient dans une galerie marchande. Le demandeur a alerté un agent de sécurité et l'homme s'est enfui. À la suite de cet incident, le demandeur, sa mère et sa soeur ont déménagé chez leur cousin à l'extérieur de la ville.

  • [8]                 En décembre 1998, une motocyclette transportant deux hommes a embouti l'arrière de la voiture de la soeur du demandeur que ce dernier conduisait. Un des motocyclistes les a menacés, a agressé le demandeur et s'est enfui au volant de la motocyclette. Le demandeur a témoigné que, bien qu'il n'en soit pas sûr, il pense que la personne qui conduisait la motocyclette était aussi présente lors de l'attaque à main armée (les menaces et l'agression des motocyclistes).
  • [9]                 En janvier 1999, alors que le demandeur se trouvait dans le véhicule de sa soeur, quelqu'un l'a reconnu et a crié : « Le voilà ! » . L'inconnu a tiré des coups de feu en direction de la voiture. Deux coups de feu ont atteint la voiture et le revendicateur s'est caché dans des buissons (coups de feu en direction de la voiture).
  
  • [10]            Trois jours plus tard, le demandeur a reçu une invitation à ses propres funérailles sous la forme d'une couronne et d'une note. Le demandeur a interprété ce geste comme un signe qu'il était sur le point d'être assassiné. Il a alors pris des dispositions pour s'enfuir du pays, ce qu'il a fait le 2 mars 1999 (réception d'une couronne funéraire).
  • [11]            Le demandeur a également témoigné que d'autres personnes qui avaient porté plainte à la police au sujet des guérilleros avaient été tuées. Il a notamment appelé l'attention des commissaires sur le cas d'un de ses amis. Le demandeur affirme que la police est impuissante à protéger les gens contre ces guérilleros.
  

Décision visée par le contrôle judiciaire


  • [12]            Les commissaires saisis de l'affaire ont accepté le témoignage du demandeur au sujet du premier incident. Ils ont cru que le demandeur et sa mère avaient fait l'objet d'une attaque à main armée par des guérilleros à la sortie d'une banque en septembre 1998. De plus, les commissaires ont accepté que le demandeur avait signalé cet incident à la police et qu'il avait donné le signalement des voleurs. Ils n'ont cependant pas cru le témoignage donné par le demandeur au sujet des incidents survenus par la suite. Ils ont en effet conclu qu'après sa première dénonciation à la police, le demandeur n'avait pas eu d'autre contact avec les guérilleros, et que rien ne permettait de penser qu'il avait fait l'objet d'extorsions, de mises en demeure ou de menaces de la part des guérilleros. À la lumière de ces conclusions, les commissaires ont estimé qu'il n'était pas nécessaire d'aborder les questions relatives aux opinions politiques imputées au demandeur ou à son appartenance à un groupe social.

Analyse

  • [13]            Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur de droit en ce qui concerne les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité de son témoignage. Le demandeur conteste huit des conclusions du tribunal.

Témoin du vol

1) Contradictions entre le FRP et le témoignage du demandeur


  • [14]            Le tribunal a relevé des contradictions entre le FRP et le témoignage donné par le demandeur au sujet du vol dont il avait été témoin. Dans son FRP, le demandeur affirme qu'il attendait sa fiancée dans une voiture lorsqu'il a vu trois hommes qui s'enfuyaient après avoir commis un vol dans un établissement commercial. À l'audience, le demandeur a affirmé qu'il se tenait debout dans la rue, près de la voiture qui avait permis aux voleurs de s'enfuir. Le tribunal a invité le demandeur à confirmer qu'il se tenait debout dans la rue, ce qu'il a fait. Le demandeur affirme que cette divergence a joué un rôle déterminant sur la conclusion que les commissaires ont tirée, mais il ajoute que les commissaires ne lui ont pas signalé cette contradiction et qu'ils ne lui ont pas demandé de l'expliquer.
  • [15]            Dans son témoignage, le demandeur fait constamment allusion au fait qu'il se tenait debout dans la rue près de sa voiture. Le seul endroit où il a parlé qu'il était « assis » est dans son FRP, où il écrit : [TRADUCTION] « J'attendais ma fiancée dans une voiture sur la route no 80 [...] » Le demandeur affirme que, si on l'avait questionné, il aurait pu expliquer qu'il avait pris sa voiture pour aller rencontrer sa fiancée et qu'il l'attendait debout près de sa voiture.
  
  • [16]            Le demandeur affirme qu'on devrait lui accorder la possibilité d'expliquer les contradictions relevées entre son FRP et son témoignage si le tribunal doit se fonder sur ces contradictions pour tirer une conclusion qui lui est défavorable (Bayrami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] F.C.J. no 1167 (C.F. 1re inst.). Si le revendicateur fournit une explication, le tribunal doit ensuite en tenir compte et invoquer des motifs raisonnables pour l'écarter.


  • [17]            Le défendeur maintient que la SSR n'est pas tenue de signaler ses contradictions au demandeur qui est représentée par un avocat, comme c'est le cas en l'espèce. Le défendeur se fonde sur le passage suivant de la décision du juge Gibson dans l'affaire Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. no 1833, au paragraphe 17 :
  • ... Je crois qu'on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l'avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j'estime être la position énoncée dans l'arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l'avocat d'interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu'il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.

  • [18]                         Dans le jugement Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] F.C.J. no 1627, le juge Tremblay-Lamer a statué que la question de savoir si le revendicateur est représenté par un avocat n'est qu'un parmi les nombreux facteurs qui entrent en jeu lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de signaler au revendicateur les contradictions que comporte son témoignage. Parmi les autres facteurs signalés par le juge Tremblay-Lamer, il y a lieu de mentionner la question de savoir si les contradictions étaient évidentes ou si elles ne pouvaient être décelées qu'à la suite d'un examen minutieux de la transcription, celle de savoir si le revendicateur avait communiqué par le truchement d'un interprète et, finalement, celle de savoir s'il existait effectivement une contradiction.


  • [19]            Pour que la SSR puisse faire reposer ses conclusions au sujet de la crédibilité sur les contradictions de la preuve, ces contradictions doivent être graves et concerner des questions se rapportant à la revendication du demandeur. À mon avis, la contradiction relevée en l'espèce n'est pas à ce point évidente pour qu'on puisse s'attendre à ce que l'avocat la signale à l'audience.
  • [20]            Pour conclure, en supposant que le tribunal avait l'intention de se fonder sur elle, cette contradiction aurait dû être signalée au demandeur, qui aurait fort bien pu l'expliquer aisément.
  

2) Invraisemblance de la déposition du demandeur

  • [21]            Le tribunal a jugé invraisemblable le témoignage du demandeur suivant lequel il avait identifié un des voleurs aux policiers. Comme le demandeur avait précisé à l'audience qu'il répugnait à aider la police, le tribunal a conclu qu'il était donc improbable qu'il lui ait accordé son aide. Le tribunal a également conclu qu'il était également improbable que la police approche le demandeur, vu qu'il était soit debout dans la rue, soit assis dans sa voiture. Le demandeur fait valoir que le fait que la police l'a interrogé est logique, étant donné qu'il avait été témoin de tout l'incident. Les policiers sont arrivés sur les lieux au moment où les voleurs prenaient la fuite. Interrogé par la police, le demandeur a répondu qu'il avait tout vu. Les policiers l'ont invité au poste de police pour identifier les voleurs.

  • [22]            Les commissaires ont jugé peu plausible que le demandeur communique de son plein gré des renseignements à la police et ils ont ajoutéqu'il était également peu plausible que la police demande l'aide du demandeur. Les commissaires ont estimé qu'il était peu probable que les policiers invitent le demandeur à leur dire ce qu'il avait vu. Le demandeur fait valoir que, lorsque des policiers arrivent sur les lieux d'un crime, une technique d'enquête courante consiste à interroger les personnes qui se trouvent sur place pour savoir ce qu'elles ont vu. Je suis du même avis. Même si le demandeur répugnait à aider les policiers, j'estime qu'il est vraisemblable qu'une fois interrogé par eux, il leur ait relatéce dont il avait été témoin.
  • [23]            Dans le cas qui nous occupe, il n'y a rien dan la preuve documentaire qui contredise ou rende invraisemblable le témoignage du demandeur au sujet de la façon dont il en est arrivé à être interrogé par la police après avoir été témoin du vol. Qui plus est, l'explication du demandeur suivant laquelle une des techniques d'enquête courantes de la police consiste à interroger les personnes qui se trouvent sur les lieux du crime et qui ont pu en être témoin est tout à fait vraisemblable.
  

  • [24]            Il est de jurisprudence constante que lorsqu'un revendicateur atteste la véracité de certains faits, une présomption de vérité est ainsi créée, à moins qu'il y ait une raison de douter de leur véracité (Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302, à la page 305). De plus, lorsqu'elle tire une conclusion au sujet de la crédibilité sur le fondement de l'invraisemblance de la version des faits du revendicateur en se servant de « [...] critères extrinsèques tels que la logique, le bon sens et les connaissances judiciaires, qui supposent tous qu'elle tire des inférences [...] » , la SSR n'est pas mieux placée que notre Cour (Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)). Je conclus qu'il n'y a rien d'invraisemblable dans le récit que le demandeur a donné au sujet du vol dont il a été témoin.

3) Inférence négative tirée du défaut de produire une preuve documentaire

  • [25]            Le tribunal a tiré une inférence négative du fait que le demandeur n'avait soumis aucune preuve documentaire à l'appui pour démontrer qu'il avait été au poste de police pour identifier les voleurs. Le demandeur a expliqué que, comme il n'était pas le plaignant, mais un simple témoin, il ne pouvait porter officiellement plainte. Il a en outre fait remarquer que les gens qui avaient été volés n'avaient pas déposé de plaintes officielles, de sorte qu'il n'existait aucun rapport écrit.
  • [26]            Le demandeur soutient qu'un tribunal ne peut légitimement tirer une inférence défavorable du défaut de produire une preuve documentaire. La Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.), que le défaut de produire des pièces à l'appui ne saurait avoir d'incidences négatives sur la crédibilité du demandeur en l'absence de preuve contredisant le témoignage du demandeur.
  

  • [27]            Le demandeur a affirmé qu'aucun rapport de police n'avait été dressé dans le cas du second incident parce que les victimes du vol n'avaient pas porté officiellement plainte. On constate à la lecture du procès-verbal de l'audience, à la page 29, que le demandeur a expliqué aux commissaires qu'aucun rapport n'avait été établi. Pourtant, à la page 5 de ses motifs, le tribunal a précisé qu'il avait tiré une inférence négative parce que le revendicateur n'avait pas produit [TRADUCTION] « [...] de preuve tendant à démontrer qu'il avait fait des efforts pour produire une preuve pour corroborer ses dires [...] » En tenant de tels propos, les commissaires ont totalement fait fi de l'explication du demandeur suivant laquelle il n'existait aucune preuve documentaire de ce genre.

Menaces et agression des motocyclistes

4) Contradictions entre le FRP et le témoignage

  • [28]            Le tribunal a conclu que le demandeur s'était contredit dans son témoignage au sujet de l'agression dont il avait été victime de la part de personnes qui étaient à motocyclette. Le demandeur avait déclaré dans son FRP :

[TRADUCTION]

[...] Il y avait deux hommes sur la moto. Un d'entre eux est descendu de la moto et m'a approché du côté gauche de la voiture [...]

  • [29]            À l'audience de la SSR, le demandeur a déclaré que le passager de la motocyclette était descendu et que le conducteur s'était approché en moto de la glace du conducteur de la voiture. Une fois de plus, le demandeur affirme que cette prétendue contradiction ne lui a pas été signalée lors de l'audience et qu'il ne pouvait donc pas y répondre. Le demandeur affirme aussi que ce type d'erreur est peut-être imputable à des difficultés de traduction : divers interprètes ont en effet traduit son FRP et le témoignage qu'il a donné à l'audience.

  • [30]            La contradiction entre le FRP du demandeur et son témoignage porte sur l'identité de l'homme (le passager ou le conducteur de la moto) qui l'a menacé. Dans son FRP, le demandeur a expliqué qu'un homme était descendu de la moto et l'avait approché à sa gauche. À l'audience, il a fourni certains éclaircissements. Il a confirmé, après avoir été interrogé à ce sujet, que l'homme qui se trouvait à l'arrière était descendu de la moto et que l'homme qui la conduisait était arrivé à sa hauteur, qu'il l'avait agressé et qu'il avait proféré des menaces verbalement.
  • [31]            Dans l'arrêt Attakora, précité, la Cour d'appel fédérale a exhorté la SSR à éviter de manifester une vigilance excessive dans son examen des témoignages, surtout lorsque le revendicateur témoigne avec l'aide d'un interprète. Il est reconnu que le tribunal doit faire preuve de prudence lorsqu'il compare les déclarations que le revendicateur a faites à divers moments et par le truchement de divers interprètes.
  
  • [32]            Le demandeur n'a jamais varié sur le fait que deux motocyclistes l'avaient abordé et qu'un d'entre eux l'avait agressé et l'avait menacé verbalement. Le point sur lequel le tribunal s'est attardé, à savoir si c'était le conducteur ou le passager de la moto qui l'avait menacé, est un détail négligeable et anecdotique que l'interprète a pu changer par erreur lors de la traduction du témoignage du demandeur.

5) Contradictions entre la formulation et la séquence des menaces

  • [33]            En ce qui concerne le même incident, le tribunal a conclu que le demandeur avait modifié l'ordre dans lequel s'étaient déroulés les menaces, l'agression et la formulation des menaces qui ont été proférées à son endroit. Le demandeur affirme que toute contradiction dans la formulation des menaces s'explique probablement par le travail des interprètes et il soutient que ces contradictions ne tirent pas à conséquence. Le demandeur fait également remarquer que les mots qu'il a employés dans son FRP étaient approximatifs.
  • [34]            La SSR a beaucoup insisté sur le fait que le demandeur avait donné des versions légèrement différentes des événements impliquant les motocyclistes. À l'audience, l'échange suivant a eu lieu :

[TRADUCTION]

ACR :                                        Lorsque vous parliez de votre incident de décembre 1998, vous nous avez dit que l'arrière de la voiture de votre soeur a été emboutie. Vous nous avez dit que vous avez été frappé de l'arrière et qu'un homme est descendu de sa motocyclette. Il vous a frappé au visage...

REVENDICATEUR :            Ce n'est pas le même que celui qui est descendu de la motocyclette.

ACR :                                        Bon. Vous avez été approché par un homme qui vous a frappé au nez avec un pistolet.

REVENDICATEUR :            C'était celui qui conduisait.

ACR :                                        Il vous a donc frappé le premier et il vous ensuite dit : « À la prochaine » . C'est bien votre déposition?

REVENDICATEUR :            Oui.

ACR :                                        Est-ce bien l'ordre dans lequel les choses se sont produites? Il vous a d'abord frappé, puis il vous a dit : « À la prochaine » ?

REVENDICATEUR :            Oui.


ACR :                                        Dans votre récit, vous affirmez qu'ils vous ont dit : « Voilà qu'on se retrouve. On t'a finalement retrouvé » et ils ont ajouté quelques propos désobligeants. Et vous dites qu'il vous a ensuite frappé au nez avec son pistolet, ce qui laisse entrevoir un déroulement différent des événements.

REVENDICATEUR :            C'est probablement attribuable à la traduction.

ACR :                                        Dans quel ordre les choses se sont-elles donc passées?

REVENDICATEUR :            Vous voulez que je reprenne le tout depuis le début?

ACR :                                        L'ordre des événements dont nous avons parlé.

REVENDICATEUR :            Ma voiture a été emboutie par quelque chose... Je ne sais pas, une motocyclette, je ne sais pas. L'homme s'est approché, s'est dirigé vers la glace, le gars qui était assis à l'arrière de la moto en est descendu. L'homme qui conduisait a immobilisé la motocyclette juste à côté de ma glace. Il m'a frappé au visage, comme je l'ai déjà dit, et il a ensuite dit : « À la prochaine » .

[transcription, aux pages 35 et 36].

  • [35]            Le tribunal est revenu sur la question plus loin et a longuement interrogé le demandeur pour savoir si l'homme armé avait dit : « Voilà qu'on se retrouve » comme le demandeur l'a déclaré dans son FRP ou « À la prochaine » , comme le demandeur l'a déclaré dans son témoignage. Le demandeur affirme que cette différence est imputable à des difficultés d'interprétation. À mon avis, cette explication est appuyée par le procès-verbal de l'audience, à la page 22 :

[TRADUCTION]

AVOCAT :                               J'aimerais savoir ce que veut dire « À la prochaine » , d'accord? Qu'est-ce que ça veut dire pour vous, « À la prochaine » ?

REVENDICATEUR :            Qu'ils me recherchaient et qu'ils m'avaient trouvé dans la voiture.


AVOCAT :                               Très bien. Bon. Pour ce qui est des mots employés dans la déclaration écrite, à savoir : « Voilà qu'on se retrouve. On t'a finalement retrouvé » . Cela semble compatible avec le sens que vous venez de donner, c'est-à-dire : on t'a recherché et on t'a retrouvé dans la voiture.

En anglais, pour expliquer ce qui a été traduit ici, l'expression « À la prochaine » serait à mon sens employée lorsque quelqu'un veut dire : « Au revoir, à la prochaine, à plus tard » , d'accord?

REVENDICATEUR :            Parce que c'est ce qu'ils voulait dire, qu'ils me cherchaient et qu'ils m'avaient retrouvé. Excusez-moi, je dois intervenir ici, parce que je...

WENUK :                                 Désolé. Je ne crois pas que nous ayons besoin de vos observations.

INTERPRÈTE :                       Non? D'accord.

WENUK :                                 Non. Contentez-vous de traduire.

INTERPRÈTE :                       C'est ce que je viens de faire.

WENUK :                                 Merci.

EUSTAQUIO :                        Je crois que ce qu'il essaie de dire, c'est qu'il complétait ce qu'il avait entendu.

WENUK :                                 C'est bien.

EUSTAQUIO :                        C'est bien.

INTERPRÈTE :                       Ouais, c'est ça; je ne faisais que traduire...

AVOCAT :                              D'accord. C'est bien. D'accord.

INTERPRÈTE :                       Aussi fidèlement que possible... Ce n'est pas une phrase facile à traduire, mais j'ai fait de mon mieux.


  • [36]            Il ressort donc à l'évidence de cet échange que la même idée est exprimée dans l'expression « Voilà qu'on se retrouve » , qui est employée dans le FRP, que celle que le demandeur a formulé verbalement en disant : « Ils me recherchaient et ils m'ont retrouvé » . À l'audience, l'interprète avait employé l'expression « À la prochaine » . Plus tard, lorsque le tribunal a appelé son attention sur ce point, l'interprète a reconnu que c'était un passage difficile à rendre. Je conclus qu'il n'existe aucune contradiction en ce qui concerne la façon dont les menaces ont été formulées.
  • [37]            Le tribunal a également fait observer que certaines des menaces ne respectaient pas l'ordre dans lequel les événements s'étaient déroulés. Le FRP ne précisait pas l'ordre dans lequel s'étaient produits les deux événements, à savoir l'agression et les menaces verbales. Il s'est contenté de signaler que les deux événements s'étaient produits. Là encore, il semble que le tribunal a fait preuve d'un zèle excessif dans son examen de la preuve du demandeur. Je conclus qu'il n'existe aucune contradiction en ce qui concerne le déroulement des menaces qui ont été proférées.

6) Contradiction interne sur l'identification du motocycliste

  • [38]            Suivant le demandeur, le tribunal a conclu a tort que son témoignage renfermait des contradictions au sujet de l'identification de l'individu qui pilotait la motocyclette. Le tribunal a fait remarquer ce qui suit : [TRADUCTION] « Il a également témoigné qu'il n'avait pas reconnu les hommes. Pourtant, il a ensuite témoigné que l'homme qui conduisait la motocyclette (c'est-à-dire pas celui qui s'était approché de sa glace) était impliqué dans le vol à main armée » .

  • [39]            Le tribunal a conclu que le témoignage du demandeur renfermait des contradictions sur la question de savoir s'il avait ou non reconnu le motocycliste qui l'avait agressé. Voici un extrait de la transcription à partir du début du témoignage du demandeur sur cet incident à la page 20 :

[TRADUCTION]

AVOCAT :                               Avez-vous reconnu l'un ou l'autre de ces hommes qui ont été impliqués dans cet incident?

REVENDICATEUR :            Non.

AVOCAT :                              À votre connaissance, ont-ils des liens avec ce qui vous était arrivé auparavant et dont nous avons parlé?

REVENDICATEUR :            Oui.

AVOCAT :                               Pouvez-vous expliquer pourquoi vous dites cela?

REVENDICATEUR :            Et bien. Je vais décrire l'incident...

  • [40]            Le demandeur s'est dit d'avis que l'incident lui-même, et plus précisément l'analyse des propos tenus par l'agresseur, « Voilà qu'on se retrouve » , constituait une preuve du lien entre l'incident et les incidents antérieurs. Le demandeur déclare également ce qui suit à la page 22 de la transcription : [TRADUCTION] « Je ne suis pas sûr, mais je crois que la personne qui pilotait la motocyclette, était, je crois, la même que celle qui conduisait la motocyclette lors du premier incident » . À l'audience de la SSR, son avocat a expliqué que, bien que le demandeur n'ait pas reconnu immédiatement les deux hommes, lorsque l'homme est arrivé à sa hauteur et lui a proféré les menaces en question, le demandeur s'est aperçu qu'il s'agissait du même homme que celui qui conduisait la motocyclette lors du premier incident. Là encore, le demandeur admet qu'il ne peut affirmer avec certitude s'il s'agissait du même homme les deux fois.

  • [41]            Je trouve particulièrement crédible le témoignage du revendicateur sur ce point. Il n'a pas tenté d'enjoliver ses réponses et il était prêt à donner des réponses qui ne lui étaient pas nécessairement favorables. L'erreur du tribunal sur le point précédent - en supposant que l'homme qui se trouvait à l'arrière de la motocyclette était bien celui a proféré les menaces - a influencé sa conclusion sur ce point. Une analyse attentive du témoignage du demandeur ne révèle pas de contradictions.

Coups de feu en direction du véhicule

7) Défaut de corroborer le témoignage par des preuves documentaires

  • [42]            Le tribunal n'a pas cru à l'incident de janvier 1999 parce qu'il n'était pas fait mention dans la preuve documentaire des raisons expliquant les dommages causés au véhicule du demandeur. Toutefois, dans une lettre en date du 12 novembre 1999 qui a été produite devant le tribunal, on trouve ce qui suit : [TRADUCTION] « Je confirme que le véhicule Chevrolet Sprint immatriculé AVL 293 appartenant à M. William Dario Tamayo Estrada a été reçu à notre atelier mécanique pour faire réparer les dommages subis en raison des coups de feu reçus le 18 janvier 1999 » . Le demandeur affirme qu'il s'agit là d'une erreur manifeste de la part du tribunal.
  • [43]            Le tribunal écrit ce qui suit, à la page 6 de ses motifs :

[TRADUCTION]


Le tribunal n'accepte pas le témoignage suivant lequel, en janvier 1999, une voiture a doublé le véhicule du revendicateur, qui était immobilisé, et que, parce qu'une des personnes qui se trouvaient à bord du véhicule a reconnu le revendicateur, celles-ci ont fait demi-tour et qu'une d'entre elles a tiré des coups de feu en direction du véhicule du revendicateur. Le revendicateur a produit un reçu provenant d'un atelier de réparation de voitures qui corroborerait selon lui son récit. Le tribunal constate cependant que le reçu en question vise des dommages causés au véhicule de sa soeur et qu'il ne contient aucune explication sur la façon dont les dommages se sont produits. Même s'il accepte que des coups de feu ont été tirés en direction du véhicule, le tribunal n'accorde aucun poids à ce reçu en tant que preuve de la cause du dommage.

  • [44]            À mon avis, le tribunal a mal interprété cet élément de preuve. Le tribunal affirme que le reçu concerne des dommages causés à la voiture tout en affirmant qu'il ne fournit aucune explication sur la façon dont les dommages se sont produits. Il ressort de l'affirmation suivante : « Le tribunal accepte que des coups de feu ont été tirés en direction du véhicule » , que le tribunal a commis une erreur en ce qui concerne cet élément de preuve. Il ressort à l'évidence de ce document que le véhicule a été réparé parce que des dommages y avaient été causés par des coups de feu.
  • [45]            Le tribunal voulait peut-être rappeler que le reçu ne constituait pas une preuve démontrant comment la voiture du demandeur s'était retrouvée criblée de balles. C'est peut-être le cas, mais le tribunal avait par ailleurs entendu le témoignage du demandeur au sujet des circonstances dans lesquelles son véhicule avait subi les dommages en question. Le reçu corrobore malgré tout le témoignage que le demandeur a donné au sujet du fait que son véhicule avait subi des dommages par suite de coups de feu tirés en janvier 1999.
  

  • [46]            Lorsqu'un revendicateur produit un document qui appuie son témoignage, le tribunal a l'obligation d'en tenir compte. En l'espèce, le tribunal n'a accordé au document aucune valeur, parce qu'il a conclu qu'il ne corroborait pas le témoignage du demandeur. Le tribunal a mal interprété ce document et n'a en conséquence pas ajouté foi au récit que le demandeur a donné de cet incident.

Réception d'une couronne funéraire

8) Le tribunal a conclu que l'incident de la couronne n'avait jamais eu lieu parce qu'il n'avait pas cru aux autres aspects de son récit

  • [47]            Le tribunal déclare ce qui suit, à la page 7 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[...] Compte tenu de ses conclusions au sujet des autres allégations, le tribunal conclut qu'il n'y a aucune raison pour laquelle quelqu'un aurait fait des menaces de mort au revendicateur, et le tribunal estime par conséquent que cet élément de preuve n'est ni crédible ni digne de foi [...]

  • [48]            Le demandeur fait valoir que, comme il existe de solides raisons de contester les conclusions du tribunal en ce qui concerne les autres incidents, cette conclusion est elle aussi mal fondée.

  • [49]            La thèse du défendeur est que, si l'on considère la décision et les motifs comme un tout, et si l'on tient également compte de la preuve administrée lors de l'audience du demandeur, la conclusion de la SSR suivant laquelle le demandeur n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir les éléments de sa revendication était raisonnable. Le défendeur soutient que les contradictions internes, les incohérences et les invraisemblances que comportent les aspects essentiels de la revendication du demandeur sont suffisantes pour justifier de refuser sa revendication. Suivant le défendeur, la conclusion de la SSR était raisonnable et elle reposait sur la preuve.

Dispositif

  • [50]            Bien que je sois conscient du degré élevé de retenue dont il y a lieu de faire preuve à l'égard de conclusions tirées au sujet de la crédibilité, j'estime qu'en l'espèce, le tribunal n'a pas fourni au demandeur l'occasion d'expliquer les contradictions qu'il percevait dans le témoignage de ce dernier. J'estime également que le tribunal a trouvé des contradictions là où il n'y en avait pas et qu'il a mal interprété la preuve. Qui plus est, le tribunal a tiré de la preuve des inférences qui, à mon avis, n'étaient pas raisonnables.
  • [51]            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 13 décembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à la SSR pour qu'un tribunal différemment constitué la réexamine.
  

                                                                              « Dolores M. Hansen »      

                                                                                                             Juge                    

OTTAWA ( ONTARIO)

Le 18 janvier 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  IMM-5118-00

  

INTITULÉ :                                            William Dario Tamayo Estrada c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 11 juillet 2001

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HANSEN

DATE DES MOTIFS :                        Le 18 janvier 2002

   

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Marissa Bielski                                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                                                                                       Date : 20020118

                                                                         Dossier : IMM-5118-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 JANVIER 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :                                                                                                   

WILLIAM DARIO TAMAYO ESTRADA

demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                           ORDONNANCE

  

LA COUR, STATUANT SUR une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 13 septembre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention;

LECTURE FAITE des pièces versées au dossier et APRÈS AUDITION des observations des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés ce jour :


1.          ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, ANNULE la décision du 13 décembre 2000 et RENVOIE l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il la réexamine;

2.       NE CERTIFIE aucune question.

  

                                                                              « Dolores M. Hansen »      

                                                                                                             Juge                     

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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