Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        


Date : 19990407


Dossier : T-2309-98

ENTRE :

     HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED,

     SYNTEX PHARMACEUTICALS

     INTERNATIONAL LIMITED,

     demanderesses,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et

     APOTEX INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      Introduction

[1]      Il s'agit en l'occurrence de la plus récente, mais sûrement pas de la dernière, escarmouche d'une bataille que se livrent Hoffmann-La Roche et Apotex depuis 1993. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93-1933 offre les principales munitions servant à l'affrontement. Cette bataille vise à obtenir un avantage concurrentiel lorsque le brevet de Hoffmann-La Roche ayant trait au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg, un analgésique populaire, expirera en 2003.

[2]      Pour être tout à fait exact, le brevet est la propriété de Syntex, société remplacée par Hoffmann-La Roche et une des parties demanderesses dans la présente instance. Toutefois, par souci de simplicité, je renverrai dans les présents motifs à Hoffmann-La Roche comme titulaire du brevet et demanderesse en l'instance.

[3]      En 1993, Hoffmann-La Roche a introduit la première instance dans le cadre de la présente affaire lorsqu'elle a tenté d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé, tant que le brevet de Hoffmann-La Roche n'aurait pas pris fin, de délivrer à Apotex une approbation, ou un avis de conformité, pour reprendre le terme technique utilisé dans la loi, relativement à la préparation de naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg d'Apotex.

[4]      Si Apotex avait obtenu un avis de conformité, elle aurait immédiatement pu commencer à fabriquer et à stocker ses comprimés de manière à pouvoir les commercialiser le jour même de l'expiration du brevet de Hoffmann-La Roche. La délivrance d'un avis de conformité n'empêche pas le titulaire d'un brevet d'intenter une action pour contrefaçon de brevet. Sans l'avis de conformité, Apotex ne serait toutefois pas en mesure de demander l'approbation touchant ses comprimés avant 2003, ce qui aurait pour effet d'étendre bien au-delà de la période de vingt années prévue par la loi la durée du monopole dont jouit Hoffmann-La Roche grâce à son brevet.

[5]      La demande d'interdiction a finalement été entendue en 1996. Le juge Reed a accordé la mesure de redressement demandée par Hoffmann-La Roche après avoir conclu que l'allégation d'Apotex selon laquelle elle ne porterait pas atteinte au brevet de la demanderesse n'était pas étayée par la preuve : Hoffmann-La Roche Limited c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 484 (C.F. 1re inst.). Apotex a interjeté appel de cette ordonnance auprès de la Cour d'appel fédérale. L'appel a été rejeté : Hoffmann-La Roche Limited c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

[6]      Toutefois, insatisfaite de cette issue, Apotex a déposé un second avis d'allégation plus tard en 1996. Dans les faits, elle tentait ainsi de fournir des éléments de preuve à l'appui de ses allégations antérieures de non-contrefaçon qui, selon le juge Reed, étaient sans fondement. Ce second avis d'allégation comportait en outre un paragraphe voulant que le brevet de Hoffmann-La Roche relatif au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg soit invalide.

[7]      Si Apotex était en mesure d'étayer ce dernier élément de l'allégation, elle aurait alors le droit d'obtenir un avis de conformité, malgré l'ordonnance prononcée par le juge Reed dans le cadre de la première instance. En effet, il a été conclu dans l'arrêt Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), qu'une ordonnance d'interdiction n'a effet qu'à l'égard du motif invoqué dans l'avis d'allégation qui, d'après la Cour, était sans fondement. L'existence d'une ordonnance d'interdiction n'aurait donc pas pour conséquence d'empêcher un concurrent de déposer un second avis d'allégation soulevant un motif différent.

[8]      Le juge MacKay a entendu la seconde demande de contrôle judiciaire présentée par Hoffmann-La Roche en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au Ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex. Dans ses motifs, le juge a conclu que la première et la seconde allégations étaient essentiellement analogues, puisqu'elles alléguaient toutes deux la non-contrefaçon du brevet, et que le second avis d'allégation constituait un recours abusif. Il a donc ordonné le sursis de toute autre instance introduite dans le dossier, mesure faisant en sorte que l'interdiction accordée par le juge Reed continue d'avoir effet : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 71 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.).

B.      La campagne actuelle

[9]      La troisième et présente étape de la bataille a commencé en octobre 1998 lorsqu'Apotex a avisé le Ministre que la période de trente mois ayant débuté lors de la présentation de la seconde demande d'interdiction expirerait le mois suivant. Or, selon le Règlement, le fait d'introduire une instance en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au Ministre de délivrer un avis de conformité entraîne un sursis légal de sorte qu'aucun avis de conformité ne peut être délivré pendant trente mois (délai subséquemment réduit à vingt-quatre mois par une modification apportée au Règlement) à moins que la période n'ait été prolongée parce qu'elle est visée par l'une des situations prévues dans le Règlement, ou à la suite d'une ordonnance d'interdiction rendue pendant la période en question.

[10]      Comme le juge MacKay n'a ni accordé une ordonnance d'interdiction relativement aux allégations d'invalidité formulées dans le second avis, ni prolongé le sursis de trente mois, Apotex a fait valoir qu'elle avait le droit d'obtenir un avis de conformité. S'autorisant de l'ordonnance rendue par le juge MacKay, le Ministre a donc délivré l'avis. Cependant, lorsque le Ministre a plus tard reçu de l'avocat de Hoffmann-La Roche une copie des motifs prononcés par le juge MacKay, il a décidé qu'il n'avait pas compétence pour délivrer cet avis de conformité, et il a informé les parties qu'il considérait l'avis nul.

[11]      Quelques jours avant cette communication du Ministre, Hoffmann-La Roche a déposé une demande de contrôle judiciaire dont je suis maintenant saisi. La demanderesse souhaite que la Cour annule l'avis de conformité délivré par le Ministre à l'égard du naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg, déclare l'avis invalide et ordonne au Ministre de retirer celui-ci.

[12]      Il n'est pas étonnant qu'après avoir fait précisément ce que demandait Hoffmann-La Roche dans son avis de demande le Ministre ne voit pas en quoi il serait utile que la Cour accorde une quelconque mesure de redressement à la demanderesse : le différend est sans intérêt pratique. Il faut ajouter que le seul intérêt du Ministre en ce qui concerne les questions soulevées par la présente instance consiste à agir conformément à la loi, aspiration qui s'est révélée plus facile à formuler qu'à concrétiser. Hoffmann-La Roche soutient toutefois que sa demande d'interdiction ne devrait pas être rejetée pour manque d'intérêt puisque, si elle constate l'invalidité de l'avis de conformité et accorde la réparation appropriée, la Cour pourra ainsi clarifier la question de manière définitive.

[13]      Comme il fallait s'y attendre, Apotex, la seconde intimée à la demande de contrôle judiciaire, ne voit pas du tout l'affaire sous cet angle. À son avis, la première décision du Ministre était correcte. De plus, comme le juge MacKay, dans son ordonnance, n'a ni accordé l'ordonnance d'interdiction demandée, ni prolongé le sursis légal de trente mois, le Ministre était, selon la loi, tenu de délivrer un avis de conformité pour autant qu'Apotex respecte les normes prévues par les dispositions législatives en matière d'innocuité et d'efficacité et établisse que ses comprimés constituent l'équivalent fonctionnel du naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg de Hoffmann-La Roche.

C.      Questions en litige et analyse

Question 1 : Manque d'intérêt pratique

[14]      Il faut tout d'abord trancher la question de savoir si je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire pour absence d'intérêt pratique, solution mise de l'avant avec insistance par le Ministre. Toutefois, comme je l'ai déjà signalé, Hoffmann-La Roche soutient qu'il existe quand même de bonnes raisons pratiques d'accorder la réparation qu'elle demande.

[15]      L'avocat d'Apotex fait également valoir que je ne dois pas rejeter la demande au motif qu'elle est dénuée d'intérêt pratique, et il présente deux arguments pour étayer cette thèse. Premièrement, il affirme que les questions en litige ne sont pas sans intérêt pratique puisque, selon Apotex, le Ministre a agi illégalement lorsqu'il a retiré l'avis de conformité qu'il était, en droit, tenu de délivrer à Apotex. La validité de l'avis de conformité demeure donc une question litigieuse opposant la demanderesse et la seconde intimée, qui a un intérêt financier direct dans la résolution de la présente affaire.

[16]      Cet argument ne me convainc pas. Sur le plan de la forme, la présente instance touche le droit public en ce sens qu'elle porte sur la validité de la mesure administrative prise par un ministre en application d'un ensemble de dispositions législatives. Il semblerait donc que, lorsque la demanderesse et le Ministre s'entendent sur la question, l'instance devrait être considérée comme dénuée d'intérêt pratique, au moins en ce qui concerne Apotex. Si cette dernière souhaite contester le retrait de l'avis de conformité par le Ministre, elle devrait introduire sa propre demande de contrôle judiciaire et tenter d'obtenir une ordonnance obligeant le Ministre à lui délivrer un avis.

[17]      Le second argument d'Apotex consiste à prétendre que, même si une instance est dénuée d'intérêt pratique, la Cour jouit d'un pouvoir discrétionnaire restreint d'entendre et de trancher l'affaire lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire : Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

[18]      À mon sens, il s'agit d'une de ces affaires relativement rares où, malgré les contraintes imposées par le système accusatoire en ce qui touche l'exercice du pouvoir judiciaire, contraintes que reflète la doctrine de l'absence d'intérêt pratique, il serait approprié que je tranche les questions en litige entre Hoffmann-La Roche et Apotex. Mes motifs sont les suivants.

[19]      En premier lieu, même si, à titre de demande de contrôle judiciaire, la présente instance prend la forme d'un différend régi par le droit public, la nature particulière de l'ensemble des dispositions législatives qui a donné lieu à ce différend est également conçue pour protéger les droits de propriété intellectuelle des titulaires de brevet, droits qui relèvent évidemment du droit privé. Il serait donc irréaliste de ma part de ne pas reconnaître que le présent litige a une incidence importante sur les droits d'origine législative dont jouissent les titulaires de brevet et leurs concurrents commerciaux. De plus, en ce qui concerne Hoffmann-La Roche et Apotex, les questions en litige revêtent en effet un très grand intérêt pratique.

[20]      En second lieu, comme toutes les parties ont comparu devant la Cour et que les avocats ont présenté des conclusions écrites et orales complètes sur toutes les questions en litige, rejeter l'instance au motif qu'elle est dénuée d'intérêt pratique équivaudrait à un gaspillage de temps et de ressources. Selon toute vraisemblance, Apotex déposerait promptement une demande de contrôle judiciaire afin d'obliger le Ministre à délivrer l'avis de conformité.

[21]      Il peut paraître étrange qu'en tentant d'obtenir réparation Hoffmann-La Roche risque de voir la question tranchée en faveur de la partie adverse, de sorte que la mesure administrative à l'égard de laquelle elle et le Ministre sont maintenant d'accord pour dire qu'elle est invalide pourrait après tout être jugée valide, et qu'Apotex aurait alors le droit de recevoir un avis de conformité. Toutefois, ayant introduit une demande de contrôle judiciaire en vue d'éclaircir la situation, Hoffmann-La Roche ne peut ensuite se plaindre si la situation est effectivement clarifiée, mais pas comme elle l'avait prévu.

Question 2 : L'étendue permise du contrôle

[22]      Il s'agit à cet égard de décider si, lorsqu'elle interprète l'ordonnance du juge MacKay par laquelle ce dernier a tranché la seconde demande d'interdiction présentée par Hoffmann-La Roche, la Cour est autorisée à aller au delà de l'ordonnance elle-même et à examiner les motifs donnés à l'appui de celle-ci.

[23]      Parce qu'elle n'avait pour effet ni d'accorder une interdiction, ni de prolonger le sursis légal de trente mois relativement à la question de l'avis de conformité, il semblerait manifestement découler des conditions énoncées dans l'ordonnance elle-même qu'Apotex est en droit de se voir délivrer un avis de conformité à l'expiration de ce délai. Apotex fait valoir que si une ordonnance de la Cour est sans équivoque à première vue, comme c'est le cas de l'ordonnance du juge MacKay, il est illégitime d'examiner les motifs pour lesquels le juge l'a rendue.

[24]      Compte tenu des faits de l'espèce, je ne trouve pas cet argument probant. L'examen des motifs et, le cas échéant, de l'ensemble du dossier présenté à la Cour ne vise pas tant à clarifier les ambiguïtés que pourrait comporter l'ordonnance du juge MacKay qui, selon chacune des parties, est " claire " qu'à permettre à la Cour de prendre en compte le contexte qui a donné lieu à l'ordonnance de manière à mieux comprendre sa portée et sa signification. J'aurais cru que le scepticisme des tribunaux judiciaires en ce qui concerne la notion du " sens clair " comme guide particulièrement sûr pour une interprétation appropriée des textes juridiques s'appliquait autant aux ordonnances judiciaires qu'aux textes législatifs.

[25]      Je suis toutefois d'accord avec les conclusions formulées par l'avocat d'Apotex voulant que, après avoir décidé de regarder au delà des conditions énoncées dans l'ordonnance, je doive également examiner les motifs donnés par le juge MacKay en fonction des actes de procédure et du dossier dont il était saisi. Le fait de ne tenir compte que de la moitié du contexte pourrait se révéler plus trompeur que de ne pas examiner celui-ci du tout.

Question 3 : Chose jugée

[26]      L'examen des motifs et du dossier sur lesquels se fonde l'ordonnance du juge MacKay soulève la difficulté suivante : même si l'avis d'allégation dont il était saisi comportait deux éléments, une allégation de non-contrefaçon et une allégation selon laquelle le brevet de Hoffmann-La Roche était invalide, le juge MacKay ne semble avoir considéré que le premier. De fait, il est inconcevable qu'il ait pu penser que l'allégation d'invalidité était essentiellement identique à l'allégation de non-contrefaçon qui avait fait l'objet de l'interdiction accordée par le juge Reed lorsque celle-ci s'est penchée sur le premier avis d'allégation.

[27]      L'avocat de Hoffmann-La Roche affirme qu'Apotex ne pouvait ni attaquer ni autrement battre en brèche le jugement du juge MacKay. Si Apotex avait souhaité contester l'apparente conclusion du juge voulant que l'allégation d'invalidité était essentiellement similaire à la première allégation de non-contrefaçon, elle aurait dû poursuivre son appel incident visant cette ordonnance. Fondée ou non, l'ordonnance du juge MacKay a fait en sorte que la question de la similarité entre le second et le premier avis d'allégation est maintenant chose jugée.

[28]      Par conséquent, l'ordonnance d'interdiction rendue par le juge Reed s'applique aux deux éléments que comporte le second avis d'allégation d'Apotex. Il était donc interdit au Ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l'expiration du brevet de Hoffmann-La Roche relatif au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg.

[29]      L'avocat d'Apotex prétend quant à lui qu'il est bien évident que le juge MacKay ne pouvait avoir cru que le second élément de l'avis d'allégation présenté devant lui, soit l'invalidité du brevet, était essentiellement identique au premier élément, soit l'allégation de non-contrefaçon. Selon toute vraisemblance, le juge MacKay n'aurait simplement pas tenu compte de l'allégation d'invalidité, qui occupait certainement une place moins importante dans l'avis d'allégation que l'allégation de non-contrefaçon.

[30]      Il importe de se rappeler qu'à la suite de la décision Eli Lilly, précitée, les ordonnances d'interdiction touchant ce domaine ne sont pas rendues en matière réelle. C'est-à-dire qu'elles ne visent pas à empêcher à jamais le Ministre de délivrer un avis de conformité à l'égard d'un produit donné. Leur portée se restreint au genre d'allégations que la Cour a jugé non étayées par la preuve présentée par l'intimé au moment où elle a rendu l'ordonnance d'interdiction. En conséquence, lorsqu'une différente sorte d'allégation est formulée relativement au même brevet, le titulaire de ce brevet doit tenter d'obtenir une autre ordonnance d'interdiction afin d'empêcher que le Ministre ne soit tenu de délivrer un avis de conformité. Il s'agit également de la conclusion à laquelle le juge MacKay est arrivé dans l'affaire AB Hassle, précitée, lorsqu'il s'est penché sur le second avis d'allégation déposé par Apotex.

[31]      L'interdiction prononcée par le juge Reed pouvait uniquement s'appliquer à l'allégation de non-contrefaçon dont elle était saisie, de même qu'à toute autre allégation jugée essentiellement similaire. Par conséquent, en l'absence d'une ordonnance d'interdiction délivrée par le juge MacKay relativement à l'allégation d'invalidité, ou d'une ordonnance prorogeant le sursis légal de trente mois, Apotex avait le droit d'obtenir un avis de conformité fondé sur son allégation voulant que le brevet de Hoffmann-La Roche ayant trait au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg soit invalide.

[32]      Si je devais trancher en faveur de Hoffmann-La Roche et donc, compte tenu des faits en l'espèce, accorder la priorité aux avantages offerts par le principe de la chose jugée, à savoir la certitude et, dans une certaine mesure, le règlement définitif du différend, je donnerais ainsi au jugement de la présente Cour un effet que cette dernière ne pouvait avoir eu l'intention de lui donner, et j'accorderais la préférence à la forme plutôt qu'au fond. À l'inverse, adhérer à l'argument avancé au nom d'Apotex aurait inévitablement pour effet de sacrifier l'important principe selon lequel, à moins d'être infirmées en appel, les ordonnances de la présente Cour sont définitives et doivent être appliquées conformément aux conditions claires dont elles sont assorties.

[33]      Ce choix n'a rien d'attrayant. Toutefois, j'ai décidé, à la lumière des faits de l'espèce, que le moindre mal consiste à conclure en faveur de la demanderesse, et donc de confirmer les valeurs qui sous-tendent la doctrine de la chose jugée. Voici mon raisonnement.

[34]      Il importe de signaler que les deux parties, et leurs avocats, sont des participants chevronnés et hautement expérimentés en ce qui concerne le processus judiciaire dans ce domaine du droit. Chacune des parties tente de tirer profit de la situation dans laquelle elle se trouve. Hoffmann-La Roche souhaite s'appuyer sur un jugement qui, elle doit le reconnaître, ne visait pas à décider si les allégations d'invalidité et de non-contrefaçon sont essentiellement les mêmes. De son côté, Apotex, confortée dans sa croyance que, si elle se tenait coite, l'ordonnance ne saurait justifier le refus, par le Ministre, de lui délivrer un avis de conformité, peut très bien avoir décidé, dans l'expectative de l'expiration imminente de la période de sursis de trente mois, de ne pas poursuivre l'appel incident qu'elle a interjeté à l'égard de l'ordonnance du juge MacKay.

[35]      Apotex avait déposé un appel incident visant le jugement rendu par le juge MacKay et, pour ses propres raisons stratégiques, a décidé de pas y donner suite. Elle aurait maintenant mauvaise grâce de se plaindre qu'elle est victime d'un procédé déloyal alors qu'elle doit faire face aux conséquences de cette décision. Même les parties aussi compétentes qu'Apotex et ses conseillers juridiques ne peuvent s'attendre à ce que tous les risques calculés qu'elles prennent se révèlent profitables.

[36]      Naturellement, il est difficile de ne pas être troublé par le fait que ma décision aura notamment pour conséquence de priver Apotex de la possibilité de faire valoir son allégation d'invalidité en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et d'empêcher la Cour de décider si cette allégation est suffisamment étayée par la preuve pour empêcher le tribunal d'interdire au Ministre de délivrer un avis de conformité. En outre, je suis évidemment conscient du fait que mon ordonnance pourrait très bien avoir pour effet de reporter l'introduction de la concurrence bien après l'expiration du brevet de Hoffmann-La Roche ayant trait au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg. Toutefois, la protection des droits en matière de brevet se fonde également sur des considérations relevant de l'intérêt public, et rien ne m'autorise en l'occurrence à décider comment les intérêts publics opposés devraient être conciliés dans la présente affaire.

[37]      Je sais par contre que le fait de m'appuyer fermement sur la doctrine de la chose jugée permettra de retarder, en regard d'une décision en faveur d'Apotex, le moment où il sera nécessaire de consacrer du temps et des ressources supplémentaires, tant publics que privés. Cependant, je doute fort que mes motifs et l'ordonnance tranchant la présente demande de contrôle judiciaire règlent la question de manière définitive.

D.      CONCLUSION

[38]      Même si l'opinion du Ministre selon laquelle il n'avait pas compétence pour délivrer un avis de conformité à Apotex prive la question de l'invalidité de l'avis de tout intérêt pratique entre lui et la demanderesse, le fait d'accorder au moins certaines des réparations demandées par Hoffmann-La Roche est néanmoins utile à certains égards.

[39]      Il y a donc lieu de rendre une ordonnance annulant la délivrance, par le Ministre, d'un avis de conformité à Apotex et déclarant que, comme elle outrepassait la compétence du Ministre, cette mesure était invalide. Cette ordonnance est nécessaire pour empêcher Apotex d'introduire une demande de contrôle judiciaire faisant valoir que le Ministre est tenu en droit de lui délivrer un avis de conformité en raison de l'allégation d'invalidité du brevet formulée dans son second avis d'allégation, ou dans une allégation sensiblement analogue.

     " John M. Evans "

TORONTO (ONTARIO)     

Le 7 avril 1999.      Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                      T-2309-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED,
                             SYNTEX PHARMACEUTICALS
                             INTERNATIONAL LIMITED,

     demanderesses,

                             - et -
                             LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et
                             APOTEX INC.,

     intimés.

DATE DE L'AUDIENCE :              LE LUNDI 8 MARS 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS LE MERCREDI 7 AVRIL 1999 PAR LE JUGE EVANS.

ONT COMPARU :                      S. Hamilton et

                             Shonagh L McVean

                            

                                 Pour les demanderesses

                            

                             F.B. (Rick) Woyiwada

                                 Pour l'intimé, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social
                             Harry B. Radomski et
                             David M. Scrimger
                                 Pour l'intimée, Apotex Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Smart & Biggar

                             Avocats     
                             Boîte 111, 1500-438, avenue University                              Toronto (Ontario)

                             M5G 2K8

                            

                                 Pour les demanderesses

                             Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 Pour l'intimé, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social

                             Goodman Phillips et Vineberg

                             Avocats
                             Boîte 24, 2400-250, rue Yonge
                             Toronto (Ontario)
                             M5B 2M6
                                 Pour l'intimée, Apotex Inc.

                    

                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990407

                        

         Dossier : T-2309-98

                             Entre :

                             HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED,
                             SYNTEX PHARMACEUTICALS
                             INTERNATIONAL LIMITED,

     demanderesses,

                             - et -
                             LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et
                             APOTEX INC.,

     intimés.

                    

                            

            

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE             

                            

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.