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Date : 20041022

Dossier : T-1828-03

Référence : 2004 CF 1457

ENTRE :

                                                    SUSAN MARIE SOPER

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du comité de sélection des visiteurs de l'établissement de Mission (le CSV) de Service correctionnel du Canada (SCC), datée du 9 juillet 2003, de suspendre le privilège de visite de la demanderesse pendant six mois. La demanderesse sollicite une ordonnance en vue d'annuler la décision et d'obliger le CSV, et plus précisément le président Rick Heriot, à renoncer et à mettre fin au harcèlement qu'a subi la demanderesse ainsi qu'aux tentatives de nuire à sa réputation et d'empêcher les détenus de jouir de leur droit à ce que la demanderesse leur rende visite.

[2]                La demanderesse, qui se représente elle-même, est une travailleuse d'approche du Carnegie Health Outreach Program à Vancouver (Colombie-Britannique). C'est à ce titre qu'elle s'est présentée à l'établissement Mission, le 14 juin 2003, lors d'une journée « portes ouvertes » pour y visiter un détenu. Plus de 100 visiteurs se sont présentés à l'établissement pendant la journée « portes ouvertes » .

[3]                Pendant que la demanderesse se trouvait à l'entrée principale de l'établissement, le coordonnateur de fouille et maître-chien de l'établissement effectuait une fouille de routine avec le chien détecteur de stupéfiants et d'armes à feu. Après avoir reniflé la demanderesse, le chien détecteur a signalé à l'agent que la demanderesse possédait peut-être des drogues illicites. C'est alors que la demanderesse a expliqué qu'elle avait probablement été en contact avec des drogues illicites dans le cadre de son travail, à cause d'une personne qui s'était sans doute assise à côté d'elle.


[4]                Le surveillant correctionnel a effectué une évaluation du risque et il a avisé la demanderesse que son privilège de visite était suspendu jusqu'à ce que le CSV puisse examiner la situation. Quand elle a été avisée de la décision, la demanderesse a commencé à enlever ses vêtements et à exiger une fouille à nu. Ses agissements ont perturbé la visite portes ouvertes et ont empêché les agents de s'occuper des autres visiteurs.

[5]                Plus tard le même jour, la demanderesse a été avisée par écrit que son privilège de visite était suspendu jusqu'à ce que le CSV tienne une audience; elle a également été avisée qu'elle pourrait présenter ses observations pendant la réunion du CSV.

[6]                Le CSV s'est réuni le 17 juin 2003. La discussion concernant la demanderesse a été reportée à la réunion suivante pour que la demanderesse et le détenu qu'elle avait tenté de visiter aient l'occasion de présenter leurs observations pendant la prochaine audience du CSV.

[7]                Le 2 juillet 2003, la demanderesse a envoyé ses observations écrites au CSV, par télécopieur, pour examen par le CSV.

[8]                Le 9 juillet 2003, le CSV s'est réuni et a décidé de suspendre le privilège de visite de la demanderesse pendant six mois.


[9]                Le 16 juillet 2003, la demanderesse a été avisée par écrit, par le président du CSV, que son privilège de visite était suspendu pour six mois et que la décision serait révisée au plus tard le 8 janvier 2004. Le 14 janvier 2004, la demanderesse a été avisée que son privilège avait été complètement rétabli.

[10]            Les articles suivants de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, s'appliquent dans la présente demande de contrôle judiciaire :

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines [...]

4. Le Service est guidé, dans l'exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

[...]

c) il accroît son efficacité et sa transparence par l'échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les autres éléments du système de justice pénale ainsi que par la communication de ses directives d'orientation générale et programmes correctionnels tant aux délinquants et aux victimes qu'au grand public;

[...]

71.(1)1. Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d'entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d'autres personnes de l'extérieur du pénitencier.


[11]            En outre, les paragraphes suivants de la Directive du commissaire 770 : Visites (2001-12-17) s'appliquent :

17. Le directeur peut autoriser le refus ou la suspension d'une visite à un détenu par un membre de la collectivité lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire :

a. que, au courant de la visite, le détenu ou le membre de la collectivité risque :

(1) de compromettre la sécurité de l'établissement ou de quiconque; ou

(2) de planifier ou de commettre un acte criminel;

b. que le fait d'apporter des restrictions aux modalités relatives à la visite ne permettrait pas de réduire le risque.

18. Lorsqu'une interdiction ou une suspension de visite est autorisée en vertu du paragraphe 17 :

a. elle reste en vigueur tant que le risque visé demeure;

b. le directeur doit rapidement informer par écrit le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet (le titre de la personne à qui adresser ces observations devrait être indiqué);

c. les informations fournies doivent respecter les restrictions imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels, notamment pour éviter que des renseignements personnels soient communiqués à l'une ou l'autre des parties, à moins que la personne touchée ait consenti par écrit à la divulgation de l'information.

19. Chaque visite doit faire l'objet d'une évaluation distincte. L'interdiction ou la suspension des droits de visite d'un individu en particulier à un détenu ne peut se faire que dans le respect du devoir d'agir équitablement et ne reste en vigueur que tant que subsiste le risque ayant justifié l'interdiction ou la suspension de ce droit. Une réévaluation du risque devra être effectuée au moins tous les six (6) mois. Le résultat ainsi que la décision devront être communiqués au dé tenu par écrit dans les quatorze (14) jours.


[12]            La Cour n'est pas régulièrement saisie de plusieurs autres questions soulevées par la demanderesse qui débordent la portée du contrôle judiciaire en l'espèce. Par conséquent, dans la mesure où, en sus d'autres questions, l'affidavit de la demanderesse soulève des arguments ou tente de produire des preuves dont le décideur n'était pas saisi, ces arguments et preuves ne seront pas tenus en compte. La Cour ne s'intéresse qu'à la décision de suspendre le privilège de visite de la demanderesse.

[13]            La procédure applicable lors de la suspension d'un droit de visite est expliquée dans Lord c. La Reine, 2001 CFPI 397, par le juge Blais, aux paragraphes 82 à 84 :

L'article 91 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confère au directeur du pénitencier ou à un agent le pouvoir de suspendre une visite au détenu lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire que le visiteur risque, au cours de la visite, de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque.

Il n'est pas nécessaire de tenir une audience avant de décider de suspendre la visite. Il faut cependant que le directeur du pénitencier informe promptement le détenu et le visiteur des motifs de l'interdiction ou de la suspension et leur fournisse la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

Le paragraphe 18b) de la directive du Commissaire prévoit également que le directeur du pénitencier doit rapidement informer par écrit le dé tenu et le visiteur des motifs de l'interdiction ou de la suspension et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet. Le titre de la personne à qui adresser ces observations devrait être indiqué.

[14]            Compte tenu du comportement de la demanderesse pendant la journée portes ouvertes, il n'était pas déraisonnable que le CSV suspende la visite de la demanderesse pendant la journée en cause. Le superviseur correctionnel a effectué une évaluation des risques et il a décidé qu'il fallait demander à la demanderesse de partir. L'agent du CSV n'est pas obligé d'effectuer une fouille à nu de la personne qui en fait la demande; au contraire, selon la loi et la Directive du commissaire 770, le CSV n'est tenu que d'informer la demanderesse des motifs du refus et lui donner l'occasion de présenter ses observations à ce sujet.


[15]            Le défendeur a raison de dire qu'en appliquant le paragraphe 17 de la Directive du commissaire 770 en l'espèce, une fois que le chien détecteur a signalé la personne, il est raisonnable que le CSV décide, conformément à son pouvoir discrétionnaire, de suspendre la visite de la demanderesse. Les drogues sont de la contrebande dans un milieu carcéral et à cause de la nature « ouverte » de la visite prévue, le CSV a agi d'une manière raisonnable.

[16]            Le privilège de visite de la demanderesse a été rétabli en janvier 2004 et la question est maintenant sans objet. L'avocat du défendeur a insisté pour que je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire d'examiner le fond de la demande. Ce qui me préoccupe, c'est de savoir si, en juillet 2003, le défendeur a fait preuve d'équité à l'égard de la demanderesse.

[17]            L'aspect le plus préoccupant du présent contrôle judiciaire, c'est la manière dont le CSV a traité la demanderesse. Son privilège a été suspendu le jour de sa visite et elle a été avisée, par écrit, qu'un visiteur qui souhaite présenter ses observations peut téléphoner pour se renseigner au sujet de la date et de l'heure de la prochaine réunion. Cette réunion devait avoir lieu peu après, mais elle a été reportée.


[18]            Entre-temps, la demanderesse a déposé un document dans lequel elle a défendu longuement ses actions et activités et elle a demandé une copie des rapports des agents avec qui elle avait eu affaire le 14 juin en prenant pour acquis que ce document serait remis au comité et qu'elle pourrait présenter ses observations ou sa réplique.

[19]            Il n'y a eu aucune réponse immédiate à sa demande. La date de la réunion du CSV a été fixée au 2 juillet et, le 2 juillet, après en avoir été avisée, la demanderesse a fait parvenir, par télécopieur, d'autres observations et une défense de son comportement. Elle a également demandé, puisqu'elle ne pouvait pas être présente, si l'audience pouvait avoir lieu par téléconférence. Elle n'a reçu aucune réponse à sa demande. Néanmoins, la question a été reportée au 9 juillet sans qu'elle en soit avisée.

[20]            Le 16 juillet, la demanderesse a reçu la décision, par écrit, du président du CSV. Il a accusé réception de la réponse de la demanderesse à l'incident qui s'était produit le 14 juin et il a simplement confirmé que son privilège de visite était suspendu pour six mois.


[21]            Il n'y a aucun doute que pendant l'audience devant le comité, les déclarations de l'agent qui était présent ont été déposées et examinées. Une copie de ces déclarations est annexée à l'affidavit de Rick Heriot, président du conseil. Ces déclarations contiennent quelque 12 pages d'observations qui n'ont jamais été communiquées à la demanderesse et qu'elle n'a jamais eu l'occasion de contester; elle n'a pas non plus pu soumettre ses observations sur les déclarations ou rapports d'observation des agents dont le président du conseil était saisi.

[22]            Dans sa quête de renseignements supplémentaires et ayant été informée de la suspension de son privilège, la demanderesse a écrit, le 21 juillet 2003 à « Accès à l'information et à la vie privée - Service correctionnel Canada » pour demander une copie des rapports ou des communications écrites signées par les agents qui étaient présents pendant l'incident du 14 juin. Elle n'a reçu aucune réponse de sorte que, le 21 avril 2003, la demanderesse a écrit au Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada pour demander une réponse à sa demande.

[23]            Enfin, le 29 septembre 2003, le CSV a écrit à la demanderesse. Le comité a confirmé que les audiences du CSV n'étaient pas enregistrées sur bande sonore ni sur bande vidéo et il a tout simplement avisé la demanderesse qu'elle pouvait déposer une demande et exiger que les erreurs ou omissions contenues dans son dossier soient corrigées. Aucun dossier ne lui a été transmis. Elle n'a reçu que la décision prise par le comité lors de sa réunion du 9 juillet 2004.


[24]            Dans une lettre datée du 24 février 2004, le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada a écrit à la demanderesse pour confirmer que Service correctionnel du Canada avait reçu sa lettre du mois de juillet confirmant qu'il n'avait pas eu de réponse avant le 24 octobre, soit 98 jours plus tard.

[25]            Dans sa lettre, le Commissaire à la vie privée ajoutait : [traduction] « l'article 14 de la Loi sur la vie privée accorde 30 jours à une institution gouvernementale pour répondre à une demande d'accès à des renseignements personnels. Pour ce qui vous concerne, le délai prescrit par l'article 14 n'a pas été respecté. Votre plainte est donc bien fondée » .


[26]            Je ne saurais admettre le comportement de la demanderesse, mais celui du CSV relativement à l'examen me préoccupe. Les établissements carcéraux connaissent très bien les activités du tribunal qui se produisent entre leurs murs. Ils sont tout à fait au courant du principe d'équité; ils savent très bien que les parties qui font l'objet d'une mesure disciplinaire dans un établissement ont le droit de connaître les arguments présentés contre elles. La procédure qu'a suivie le CSV est contraire au devoir d'agir équitablement. Je ne puis donner entièrement satisfaction à la demanderesse puisque la question n'a plus d'objet, mais je pense qu'il est de mon devoir de souligner au comité qu'il doit suivre une procédure équitable et prendre des moyens de tenir compte des besoins du public. L'indifférence totale que le conseil a manifestée pendant quelque 98 jours à l'égard de la demande concernant les rapports internes, sans oublier que le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada a lui-même mentionné ces lacunes, n'a pas pour effet, selon moi, de lui attirer les faveurs du public.

[27]            La demanderesse a demandé une somme considérable en guise de dépens, mais puisqu'elle n'est pas avocate, je ne puis que faire une estimation des dépenses engagées et j'accorde donc à la demanderesse les dépens, y compris les débours, qui seront établis à 500 $.

                                                                                                                          _ P. Rouleau _              

                                                                                                                                         Juge                     

Ottawa (Ontario)

le 22 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1828-03

INTITULÉ :                                              SUSAN MARIE SOPER

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 7 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 22 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Susan Soper                                                                  POUR SON PROPRE COMPTE

Edward Burnet                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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