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     T-1959-97

TORONTO (ONTARIO), LE 15 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la concurrence,         
     L.R.C. (1985), ch. C-34, modifiée
     ET une enquête menée en vertu de l'alinéa         
     10(1)b) de la Loi sur la concurrence au sujet         
     du refus de Warner Music Group Inc. et de ses         
     filiales, WEA International Inc. et Warner Music         
     Canada Ltd. de vendre à BMG Direct Ltd.         
     ET une demande présentée par le directeur adjoint         
     des enquêtes et recherches (affaires civiles) en         
     vertu de la Loi sur la concurrence en vue d'obtenir         
     une ordonnance forçant The Columbia House Company         
     ou l'une de ses filiales au sens du paragraphe 2(2)         
     de la Loi sur la concurrence à produire certains         
     documents et à préparer et à remettre au directeur adjoint         
     certaines déclarations conformément aux alinéas 11(1)b) et         
     11(1)c) et au paragraphe 11(2) de la Loi sur la concurrence.         

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR l'avis de requête daté du 7 octobre 1997 présenté par The Columbia House Company en vue d'obtenir une ordonnance :

1.      Annulant l'ordonnance ex parte prononcée le 9 septembre 1997 par le juge Lutfy (l'ordonnance fondée sur l'article 11) ou suspendant l'exécution de celle-ci de façon permanente;
2.      À titre subsidiaire, modifiant l'ordonnance fondée sur l'article 11 :
     a)      en supprimant de l'ordonnance fondée sur l'article 11 toute mention de " The Columbia House Company des États-Unis ", " CH-U.S. " et des " filiales " de CHC;
     b)      condamnant le directeur adjoint des enquêtes et recherches (affaires civiles) (le directeur adjoint) à payer les frais raisonnables engagés par CHC pour se conformer à l'ordonnance fondée sur l'article 11 (y compris les débours et honoraires effectivement versés à des tiers conseillers, notamment à des avocats);
3.      Adjugeant les frais de la présente requête à The Columbia House Company;
4.      Accordant toute autre réparation que la Cour peut juger bon d'accorder :
     PAR LES PRÉSENTES, LA COUR :

1.      REFUSE d'accorder la réparation sollicitée au paragraphe 1 et à l'alinéa 2b) de l'avis de requête et REJETTE, dans cette mesure, la requête;

2.      AUTORISE les avocats des parties à soumettre un projet d'ordonnance modifiée en vue de la production des documents pour tenir compte de leur consentement en ce qui concerne la réparation sollicitée à l'alinéa 2a) de l'avis de requête;

3.      N'ADJUGE aucun dépens en ce qui concerne la présente requête.

     " Allan Lutfy "

                                         Juge

Traduction certifiée conforme     

                                 Martine Guay, LL. L.

     T-1959-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la concurrence,         
     L.R.C. (1985), ch. C-34, modifiée
     ET une enquête menée en vertu de l'alinéa         
     10(1)b) de la Loi sur la concurrence au sujet         
     du refus de Warner Music Group Inc. et de ses         
     filiales, WEA International Inc. et Warner Music         
     Canada Ltd., de vendre à BMG Direct Ltd.         
     ET une demande présentée par le directeur adjoint         
     des enquêtes et recherches (affaires civiles) en         
     vertu de la Loi sur la concurrence en vue d'obtenir         
     une ordonnance forçant The Columbia House Company         
     ou l'une de ses filiales au sens du paragraphe 2(2)         
     de la Loi sur la concurrence à produire certains         
     documents et à préparer et à remettre au directeur adjoint         
     certaines déclarations conformément aux alinéas 11(1)b) et         
     11(1)c) et au paragraphe 11(2) de la Loi sur la concurrence.         

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

     La Columbia House Company cherche à obtenir l'annulation d'une ordonnance ex parte par laquelle notre Cour lui a ordonné de produire par l'entremise d'un de ses représentants autorisés ses documents ainsi qu'une déclaration écrite énonçant les renseignements exigés par l'ordonnance. L'ordonnance a été rendue dans le cadre d'une enquête menée par le directeur des enquêtes et recherches1 au sujet de la plainte déposée par BMG Direct Ltd. concernant le refus de Warner Music Canada Ltd., de Warner Music Group Inc. et de WEA International Inc. de vendre certaines licences portant sur la reproduction d'enregistrements et les droits de vente sur ces enregistrements.

     L'enquête a été ouverte par le directeur le 19 décembre 1996 en vertu du sous-alinéa 10(1)b)(ii) de la Loi sur la concurrence2. Une enquête fondée sur l'article 10 qui est ouverte en vertu de ce sous-alinéa peut se solder par la présentation, par le Tribunal de la concurrence, d'une demande d'ordonnance en vue d'obtenir l'une des réparations civiles prévues à la partie VIII de la Loi. L'ordonnance ex parte a été prononcée le 9 septembre 1997 en vertu des alinéas 11(1)b) et c) de la Loi. La Columbia House Company devait s'y conformer au plus tard le 21 octobre 1997.

     Le 30 septembre 1997, le directeur a déposé devant le Tribunal de la concurrence un avis de demande en vue d'obtenir contre les compagnies Warner une ordonnance fondée sur l'article 75, qui est la disposition de la partie VIII de la Loi qui porte sur le " refus de vendre ". Warner Music Canada Ltd. est une des deux sociétés qui font partie de la Columbia House Company, une société en nom collectif ontarienne. Pour l'instant, Columbia House n'a pas été constituée partie à l'instance fondée sur l'article 75 qui a été introduite devant le Tribunal de la concurrence et elle ne s'est pas encore conformée à l'ordonnance fondée sur l'article 11 qui a été rendue le 9 septembre 1997.

     La Columbia House a présenté une demande en vue de faire annuler l'ordonnance fondée sur l'article 11 au motif que le dépôt par le directeur de l'avis de demande devant le Tribunal de la concurrence marque la fin de l'enquête menée en vertu de l'article 10. Si l'enquête est terminée, l'ordonnance fondée sur l'article 11 ne tient plus. À titre subsidiaire, la Columbia House demande à la Cour de condamner le directeur à lui rembourser les frais raisonnables engagés pour se conformer à l'ordonnance.

     Suivant l'avocat, il n'existe que deux décisions qui portent sur la question de savoir quand une enquête menée en vertu de l'article 10 se termine. Dans la première décision, le jugement TNT Canada Inc. c. Canada (directeur des enquêtes et recherches)3, il a été jugé que, lorsque la tenue d'une enquête ouverte en vertu de l'article 10 donne lieu à des accusations criminelles, le but de l'enquête est atteint et l'enquête se termine au moment du dépôt des accusations. En conséquence, la Cour a annulé les ordonnances fondées sur l'article 11 qui avaient été prononcées ex parte peu de temps avant la tenue du procès criminel et quatre ans après le dépôt des accusations. L'article 23 dispose que le directeur peut " [...] à toute étape d'une enquête menée en application de l'article 10, au lieu ou en plus de cette enquête [...] ", transmettre des renseignements au procureur général du Canada pour qu'il détermine si une infraction criminelle à la Loi a été perpétrée.

     Dans la deuxième décision, le jugement Canadian Pacific Ltd. v. Canada (Director of Investigation and Research)4, il a été jugé que le dépôt par le directeur d'une demande devant le Tribunal de la concurrence en vertu des dispositions de la partie VIII relatives aux fusions n'entraîne pas la fin de l'enquête menée en vertu de l'article 10. Pour en venir à cette conclusion, le juge Farley a peut-être établi une distinction entre les instances criminelles qui avaient été introduites dans l'affaire TNT Canada Inc. et le recours civil exercé dans l'affaire Canadian Pacific Ltd. Il a jugé que les interrogatoires menés en vertu de l'article 11, qui avaient été ajournés sine die, pouvaient être repris même après le dépôt de l'avis de demande.

     Dans une troisième décision, le jugement Canada (directeur des enquêtes et recherches) c. Washington5, le Tribunal de la concurrence avait examiné plusieurs questions procédurales qui découlaient des interrogatoires qui avaient été tenus en vertu de l'article 11 et dont la tenue de trois avait été ordonnée presque sept mois après le dépôt d'un avis de demande en vertu des dispositions de l'article 92 relatives aux fusionnements. Les questions procédurales ont été résolues sans qu'aucune des parties, ni même le Tribunal lui-même, ne remette vraisemblablement en question la légalité des trois interrogatoires dont la tenue avait été ordonnée en vertu de l'article 11 après l'introduction de l'instance dont le Tribunal était saisi.

     L'article 10 oblige le directeur à faire enquête " en vue de déterminer les faits ". En déposant un avis de demande devant le Tribunal, le directeur conclut qu'il y a suffisamment de renseignements pour introduire une instance en vertu de la partie VIII. Cela ne signifie pas nécessairement que le directeur a déjà " déterminé les faits ". Comme dans tout autre procès, toutes les parties à la demande peuvent continuer à recueillir des renseignements à l'appui de leur thèse avant l'audition.

     L'avocat de la Columbia House affirme que le directeur peut obtenir les renseignements de son client en assignant celui-ci à comparaître à l'audience se déroulant devant le Tribunal. Cette réponse est incomplète. Les renseignements que le directeur cherche présentement à obtenir de la Columbia House peuvent être utiles au cours de l'enquête préalable qui se déroulera devant le Tribunal de la concurrence. Ils peuvent être utiles pour exercer un recours civil. Il n'y a, selon moi, aucune raison d'obliger le directeur à attendre jusqu'à l'audience du Tribunal de la concurrence avant de produire les renseignements qui font l'objet de l'ordonnance de notre Cour. J'en suis venu à cette conclusion malgré le fait qu'il n'existe pas de disposition semblable à l'article 23 dans le cas où un recours civil est exercé. Aucune n'est nécessaire lorsque le directeur agit seul, sans l'intervention du procureur général du Canada, ce qui constitue l'une des principales caractéristiques des instances criminelles et des demandes prévues à la partie VIII. La Loi ne renferme aucune disposition qui permet de penser que les outils d'enquête qui sont mis à la disposition du directeur par le biais de l'article 11 lui sont retirés parce qu'une instance a été introduite en vertu de la partie VIII. Il se peut que le directeur n'ait pas encore déterminé les faits, pour reprendre l'expression employée à l'article 10, au moment où la demande est déposée.

     Le directeur n'est pas tenu de révéler aux parties les raisons pour lesquelles un avis de demande a été envoyé avant l'expiration du délai imparti à la Columbia House pour se conformer à l'ordonnance fondée sur l'article 116. On peut spéculer que le respect des délais constitue une condition essentielle, particulièrement dans une affaire portant sur un refus de vendre. Les ordonnances fondées sur l'article 11 se prêtent bien à des requêtes très longues lorsque les renseignements réclamés sont présumément protégés par le secret professionnel de l'avocat. Il se peut que le directeur ait besoin de demander une réparation provisoire au Tribunal de la concurrence, même avant que les ordonnances fondées sur l'article 11 ne soient entièrement respectées. À mon avis, il serait contraire à l'esprit de la Loi d'obliger le directeur à attendre que l'ordonnance fondée sur l'article 11 soit entièrement respectée avant d'exercer un recours civil devant le Tribunal de la concurrence.

     L'avocat de la Columbia House fait remarquer à juste titre que les ordonnances fondées sur l'article 11 constituent des mesures extraordinaires. Ces mesures sont toutefois rendues obligatoires par le législateur et elles relèvent de la compétence et du pouvoir de contrôle des tribunaux supérieurs. En outre, le président du Tribunal de la concurrence a déclaré que [TRADUCTION] " [...] je suis convaincu que, lorsqu'il allègue de façon légitime que la façon dont le directeur a mené son enquête a conduit à un recours abusif au Tribunal, celui-ci est compétent pour statuer sur ces allégations, par le biais du paragraphe 8(1) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence "7.

     En résumé, je conclus que le dépôt fait le 30 septembre 1997 par le directeur d'un avis de demande en vue d'obtenir, en vertu de l'article 75, une ordonnance contre les compagnies Warner, n'a aucune incidence sur l'ordonnance en date du 9 septembre 1997 par laquelle notre Cour a enjoint à la Columbia House de produire des documents et une déclaration écrite au plus tard le 21 octobre 1997. À mon avis, l'enquête du directeur n'est pas encore terminée, du moins pas en ce qui concerne l'ordonnance prononcée contre la Columbia House en vertu de l'article 11.

     Il n'est pas nécessaire de répondre en l'espèce à la question de savoir quand une enquête qui est menée en vertu de l'article 10 et qui vise un recours civil fondé sur la partie VIII se termine définitivement ou quand son but est atteint. Je suis toutefois convaincu que le dépôt d'un avis de demande devant le Tribunal de la concurrence ne met pas fin en lui-même à une enquête menée en vertu de l'article 10.

     En ce qui concerne la réparation subsidiaire réclamée par la Columbia House, il peut y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une ordonnance fondée sur l'article 11 pourrait être modifiée pour prévoir le remboursement de frais, notamment lorsque le respect d'une ordonnance condamnant quelqu'un à produire des documents volumineux pourrait être compromis par un grave manque de ressources. Ce n'est toutefois pas le cas lorsque l'ordonnance fondée sur l'article 11 exige une modification en ce qui concerne le remboursement des frais engagés par la Columbia House pour recueillir les renseignements et les transmettre au directeur.

     Par ces motifs, la réparation sollicitée par la Columbia House est refusée. De consentement, l'ordonnance fondée sur l'article 11 sera modifiée au sujet des autres questions qui ont été soulevées dans l'avis de requête mais qui n'ont pas été débattues devant moi. Il n'y a pas d'adjudication de dépens en qui concerne la présente requête.

     " Allan Lutfy "

                                         Juge

Toronto (Ontario)

Le 15 octobre 1997

Traduction certifiée conforme     

                                 Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1959-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, modifiée
                     ET une enquête menée en vertu de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la concurrence au sujet du refus de Warner Music Group Inc. et de ses filiales, WEA International Inc. et Warner Music Canada Ltd., de vendre à BMG Direct Ltd.
                     ET une demande présentée par le directeur adjoint des enquêtes et recherches (affaires civiles) en vertu de la Loi sur la concurrence en vue d'obtenir une ordonnance forçant The Columbia House Company ou l'une de ses filiales au sens du paragraphe 2(2) de la Loi sur la concurrence à produire certains documents et à préparer et à remettre au directeur adjoint certaines déclarations conformément aux alinéas 11(1)b) et 11(1)c) et au paragraphe 11(2) de la Loi sur la concurrence.
DATE DE L'AUDIENCE :      9 octobre 1997
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Lutfy le 15 octobre 1997

ONT COMPARU :

     Me David W. Kent          pour la Columbia House Company
                     (société en nom collectif ontarienne)
     Me D. Martin Low          pour le directeur-adjoint des enquêtes et recherches (affaires civiles)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     McMillan Binch
     avocats et procureurs
     C.P. 38, Tour Sud
     Royal Bank Plaza
     Toronto (Ontario)
     M5J 2J7
         pour la Columbia House Company
         (société en nom collectif ontarienne)
     Me George Thomson
     Sous-procureur général du Canada
     Ministère de la Justice
     Services juridiques d'Industrie Canada
     (Division de la concurrence et de la consommation)
     Place du Portage, Phase I
     50, rue Victoria, bureau 2200
     Hull (Québec)
     K1A 0C9
         pour le directeur adjoint des enquêtes
         et recherches (affaires civiles)
__________________

1      Dans les présents motifs, il sera question du directeur même si d'autres personnes ont agi en son nom.

2      L.R.C. (1985), ch. C-34 (la Loi).

3      (1995), 60 C.P.R. (3d) 303 (C.F. 1re inst.).

4      (1997), 74 C.P.R. (3d) 65 (C. Ont., Div. gén.). Le 19 septembre 1997, la Cour d'appel de l'Ontario (dossiers nos C24933, C26918 et C26939) a rejeté l'appel au motif que la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, R.S.O. 1990, ch. C-43, n'accordait aucun droit d'appel de cette décision.

5      (1996), 71 C.P.R. (3d) 13. L'ordonnance ex parte fondée sur l'article 11 a été prononcée dans le dossier no T-2308-96 de la Cour fédérale. L'ordonnance a été rendue le 21 octobre 1996 sur la foi de pièces qui révélaient que le Tribunal de la concurrence avait fixé au 30 octobre 1996 la date à laquelle l'enquête préalable devait être terminée, et au 13 janvier 1997, la date de l'audience.

6      Il est essentiel, évidemment, qu'il y ait une divulgation complète et franche dans le cas d'une demande ex parte. Dans le cas de la présente requête, l'auteur de l'affidavit qui a été déposé pour le compte du directeur déclare : [TRADUCTION] " Par suite du prononcé de l'ordonnance fondée sur l'art. 11, le Bureau de la concurrence a été mis au courant de faits relatifs à l'entreprise du plaignant qui l'ont amené à conclure qu'il était urgent de présenter la demande, même si l'ordonnance fondée sur l'art. 11 n'avait pas encore été respectée. "

7      Canada (Director of Investigation and Research) v. Canadian Pacific Ltd., (1997), 74 C.P.R. (3d) 55, à la page 60.

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