Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 199809 1


Dossier : IMM-5091-97

E N T R E :


VAIRAMUTHU RAMANATHAN,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE JUGEMENT

(Prononcés à l"audience, à Toronto (Ontario),

le mercredi 19 août 1998.)

LE JUGE HUGESSEN

     [1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a déterminé que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention. La seule question litigieuse soumise à la Cour, celle dont la Commission était saisie, est de savoir si une possibilité de refuge intérieur (PRI) s"offrait au demandeur, à Colombo. Aucune question n"a été soulevée en ce qui concerne le bien-fondé de sa crainte d"être persécuté dans le nord du Sri Lanka, d"où il est originaire.

     [2]      Le demandeur a 75 ans. Il a été séparé de son épouse et de trois de leurs enfants pendant le conflit qui sévissait dans la partie du Sri Lanka qu"ils habitaient. Au cours de leur fuite vers Colombo, il a perdu le contact avec ces enfants et son épouse. Depuis lors, il est sans nouvelles d"eux, bien que des indices portent à croire qu"ils sont toujours vivants. Le demandeur vit présentement avec son fils, sa belle-fille et leurs cinq enfants, au Canada. Il est devenu très dépendant de son fils et de ses petits-enfants en raison des expériences très traumatisantes qu"il a vécues et de son âge avancé, et il est très proche d"eux.

     [3]      La Commission, dans ses motifs, a reconnu que le demandeur ne serait probablement pas capable d"accomplir ses activités quotidiennes sans l"aide de son fils, de sa belle-fille et de ses petits-enfants. La Commission a conclu, cependant, qu"une PRI s"offrait à lui à Colombo.

     [4]      La question n"est pas de savoir si le demandeur pourrait vivre à Colombo sans craindre d"y être persécuté. La question doit plutôt être tranchée en fonction du deuxième volet du critère applicable à la PRI, savoir s"il est raisonnable de demander au demandeur de vivre à Colombo ou, comme on le formule parfois, si cela serait indûment pénible pour lui. La Commission a conclu qu"une telle demande était raisonnable, ou que cela ne serait pas indûment pénible pour le demandeur. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission a conclu que le demandeur pouvait déposer une demande d"admission dans l"un ou l"autre d"un certain nombre de foyers pour personnes âgées gérés par l"État pour le compte de Tamouls comme lui, et que ces foyers hébergeaient, nourrissaient et dispensaient des soins médicaux aux personnes dont la situation était semblable à celle du demandeur.

     [5]      La Commission a reconnu que le fait de vivre dans un tel foyer ne serait peut-être pas la meilleure chose pour le demandeur. Elle a dit :

                      [TRADUCTION] Il ne s"agira pas de la situation parfaite pour le demandeur. Il aimerait vivre de façon permanente avec la famille de son fils, au Canada. Cependant, vu que les motifs d"ordre humanitaire relèvent d"Immigration Canada et non de la Section du statut de réfugié, la formation est d"avis qu"elle ne peut conclure que la situation du revendicateur à l"égard de la PRI soit indûment pénible pour lui ou déraisonnable dans les circonstances.                 

     [6]      Je ne peux interpréter ce passage que d"une seule façon, soit que la formation a refusé de tenir compte des considérations humanitaires en appliquant le deuxième volet du critère applicable à la PRI.

     [7]      Il ressort d"une jurisprudence que la Commission de l"immigration et du statut de réfugié ne doit pas, dans des circonstances ordinaires, tenir compte de considérations humanitaires. En fait, le mandat de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié consiste à appliquer la définition de " réfugié au sens de la Convention " et de déterminer si les revendicateurs qui se présentent devant elle satisfont à cette définition.

     [8]      Dans l"affaire Kanagaratnam1, le juge Rothstein a dit :

     L"avocat de la requérante fait également valoir que le tribunal a eu tort de ne pas tenir compte de facteurs humanitaires dans sa décision en matière de statut de réfugié au sens de la Convention. Bien que, dans le sens le plus général, la politique canadienne en matière de statut de réfugié se fonde peut-être sur des considérations humanitaires, cette terminologie dans la Loi sur l"immigration et les procédures suivies par les agents sous le régime de cette loi a pris une connotation particulière. La question des considérations humanitaires est normalement soulevée après qu"il a été déclaré qu"un requérant n"est pas un réfugié au sens de la Convention. L"omission par le tribunal d"examiner des considérations humanitaires dans sa décision en matière de statut de réfugié au sens de la Convention n"était pas une erreur.

[à la page 48.]

     [9]      Je souscris à cet exposé du droit du juge Rothstein. Cet exposé doit cependant être lu dans son contexte. L"affaire Kanagaratnam portait sur la PRI mais, dans le paragraphe que je viens de lire, le juge Rothstein ne renvoyait pas au critère applicable à la PRI. En fait, il avait expressément traité de ce critère deux pages auparavant. Il avait alors renvoyé à l"arrêt Thirunavukkarasu2 de la Cour d"appel qu"il avait paraphrasé, et en particulier au passage suivant des motifs que le juge Linden a exposés au nom de la Cour :

                      La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.                 

[aux pages 236 et 237.]

     [10]      Après avoir renvoyé à ce passage des motifs du juge Linden et l"avoir paraphrasé, le juge Rothstein poursuit :

                      J"interprète les commentaires du juge Linden comme n"excluant pas l"absence d"amis ou de parents ou l"impossibilité de trouver du travail comme facteurs dans l"examen du caractère raisonnable, sauf que ces facteurs seuls ne rendent pas déraisonnable l"idée de possibilité d"un refuge dans une autre partie du même pays.                 

[à la page 46.]

     [11]      Il me semble donc très clairement que le juge Rothstein, dans le passage où il renvoyait aux considérations humanitaires, n"excluait pas complètement celles-ci du deuxième volet du critère applicable à la PRI. En fait, il me semble que cela serait logiquement impossible. Le critère applicable pour trancher la question de savoir si une PRI est déraisonnable ou indûment pénible compte tenu de l"ensemble des circonstances implique certainement l"examen de quelques facteurs à tout le moins, lesquels constitueront sans aucun doute des considérations du même type que celles dont on tient compte en déterminant si une réparation fondée sur des motifs d"ordre humanitaire doit être accordée. J"irais même jusqu"à dire que si l"on excluait du deuxième volet du critère applicable à la PRI chaque considération susceptible d"être qualifiée d"humanitaire, il ne resterait plus rien. J"ai soumis cette question à l"avocate du défendeur lors des plaidoiries, et elle a hasardé une réponse suggérant que ce qu"il resterait serait des considérations de sécurité. Cependant, bien entendu, les considérations de sécurité sont largement, voire entièrement subsumées sous le premier volet du critère.

     [12]      Je suis donc d"avis que la Commission a adopté un point de vue trop étroit en ce qui concerne le deuxième volet du critère applicable à la PRI. J"estime qu"il ressort du passage des motifs de la Commission que j"ai lu que, bien qu"elle fût parfaitement consciente des considérations humanitaires importantes qui militaient contre le renvoi du demandeur à Colombo, elle a choisi délibérément de ne pas en tenir compte. Je ne dis pas que si elle avait tenu compte de ces questions, elle aurait nécessairement tiré une conclusion différente. Cependant, il me semble que l"on doit considérer le facteur qui exige qu"une personne âgée, dépendante, et qui ne se sent pas très bien vive seule dans un foyer étatique ou subventionné par l"État, où elle obtiendrait des services de santé et autres types de services sociaux étatiques ou subventionnés par l"État, alors qu"une solution de rechange s"offre déjà à cette personne à l"endroit où elle vit et où elle bénéficie du soutien affectif et familial de membres de sa famille proches, en déterminant si le fait de forcer la personne à quitter ce dernier milieu pour s"installer dans un foyer décrit précédemment serait indûment pénible pour celle-ci.

     [13]      Je conclus donc que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu"elle a adopté un point de vue trop absolu des limites de son examen du facteur humanitaire et, en conséquence, j"accueillerai la demande de contrôle judiciaire et j"ordonnerai que l"affaire soit renvoyée pour qu"elle soit entendue et tranchée de nouveau. Avant de déposer l"ordonnance, j"inviterais les avocats à faire leurs observations, le cas échéant, sur la question de savoir si la présente affaire soulève une question de portée générale que je devrais certifier.


" James K. Hugessen "

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-5091-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      VAIRAMUTHU RAMANATHAN c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 19 août 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

EN DATE DU :              1 er septembre 1998

ONT COMPARU :

M. Max Berger                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Susan Nucci                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Berger and Associates

Toronto (Ontario)                              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                      POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      Kanagaratnam c. M.E.I. (1994), 28 Imm. L.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.).

2      Thirunavukkarasu c. M.E.I. (1993), 163 N.R. 232 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.