Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990223


Dossier : T-1696-97

Ottawa (Ontario), le 23 février 1999.

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE DENAULT

ENTRE :

     KIMBERLY YOUNG,

     demanderesse,

     et

     LA BANDE DE WOLF LAKE,

     défenderesse,

     et

     LA CAISSE POPULAIRE DE TÉMISCAMING,

     tierce-saisie.

     ORDONNANCE

     La présente requête sollicitée par la défenderesse est accueillie.

     L'ordonnance constituant une charge définitive du juge Hugessen, en date du 18 juin 1998, est annulée et il est ordonné que les fonds gelés par la Caisse populaire de Témiscaming soient débloqués.

     Il n'y a pas d'adjudication de dépens.

                         " Pierre Denault "

                             Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     Date : 19990223

     Dossier : T-1696-97

ENTRE :

     KIMBERLY YOUNG,

     demanderesse,

     et

     LA BANDE DE WOLF LAKE,

     défenderesse,

     et

     LA CAISSE POPULAIRE DE TÉMISCAMING,

     tierce-saisie.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Un arbitre a accordé 18 539,48 $ à la créancière judiciaire, Kimberly Young, une ancienne employée de la débitrice judiciaire, la Bande de Wolf Lake, en vertu du Code canadien du travail1, pour avoir été injustement congédiée. Dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour a confirmé la décision et maintenu le montant des dommages-intérêts2. Le montant de la sentence arbitrale étant demeuré impayé pendant plus d'un an, l'exécution forcée a été demandée et, le 18 juin 1998, le juge Hugessen a rendu une ordonnance constituant une charge sur les fonds se trouvant dans le compte de la débitrice judiciaire à la Caisse populaire de Témiscaming. La Caisse populaire s'est conformée à cette ordonnance et a gelé les fonds pour un montant correspondant à la sentence. La débitrice judiciaire cherche à présent à faire annuler l'ordonnance constituant une charge au motif que les fonds se trouvant dans le compte sont protégés de l'exécution en raison de l'application des paragraphes 89(1) et 90(1) de la Loi sur les Indiens3.

[2]      En vertu du paragraphe 89(1), sont exemptés de privilège, réquisition, saisie ou exécution les biens d'une bande (qui comprennent les fonds gardés dans un compte bancaire) situés sur une réserve :

89.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

89.(1) Subject to this Act, the real and personal property of an Indian or a band situated on a reserve is not subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress or execution in favour or at the instance of any person other than an Indian or a band.

[3]      Les biens situés à l'extérieur d'une réserve peuvent être réputés dans certains cas particuliers prévus par le paragraphe 90(1) situés sur une réserve et ils ne peuvent, en conséquence, faire l'objet d'une exécution :

90.(1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été

a) [...]

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

90.(1) For the purposes of sections 87 and 89, personal property that was

(a) . . .

(b) given to Indians or to a band under a treaty or agreement between a band and Her Majesty,

shall be deemed always to be situated on a reserve.

[4]      En l'espèce, la débitrice judiciaire soutient que les fonds proviennent d'une entente conclue entre le gouvernement fédéral et la bande indienne et sont, par conséquent, réputés situés sur une réserve. L'affidavit de Harry Saint-Denis, chef de la Bande de Wolf Lake, témoigne dans ce sens. Au paragraphe 9, M. Saint-Denis dit que les fonds dans le compte [TRADUCTION] " se composent entièrement de sommes d'argent que le gouvernement du Canada a versées à la bande aux termes d'une entente entre la bande et Sa Majesté ". Il ajoute au paragraphe 10 qu'[TRADUCTION] " il n'y a pas d'autres fonds ou revenu qui sont déposés [...] dans le compte ". Une copie de l'"Entente de financement global" est annexée à l'affidavit. C'est le seul document qui a été produit.

[5]      L'avocat de la débitrice judiciaire fait également référence à d'autres affaires dans lesquelles des fonds versés à une bande indienne par les gouvernements provinciaux ou fédéral n'étaient pas assujettis à une ordonnance constituant une charge en raison du paragraphe 90(1) de la Loi sur les Indiens4.

[6]      La partie adverse n'a soulevé qu'une objection à cet argument. Se fondant sur les articles 2860 et 2862 du Code civil du Québec5, la créancière judiciaire soutient qu'une preuve par affidavit n'est pas admissible pour prouver d'où viennent les fonds qui se trouvent dans le compte. Des relevés bancaires ou d'autres documents auraient plutôt dû être produits.

[7]      Les règles de preuve provinciales s'appliquent dans la présente instance en raison de l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada6, à condition qu'elles ne soient pas en conflit avec la Loi ou d'autres dispositions fédérales :

40. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

40. In all proceedings over which Parliament has legislative authority, the laws of evidence in force in the province in which those proceedings are taken, including the laws of proof of service of any warrant, summons, subpoena or other document, subject to this Act and other Acts of Parliament apply to those proceedings.

[8]      Toutefois, la créancière judiciaire s'est à tort fondée sur les articles 2860 et 2862. Ces articles portent sur l'admissibilité des moyens permettant de prouver des actes juridiques. La preuve de tels actes se fait en général par écrit et non par témoignage, sauf certaines exceptions. L'acte juridique est défini comme une manifestation de la volonté de créer, de modifier ou d'éteindre un droit7. Les contrats, les testaments, les renonciations à des droits en sont tous des exemples.

[9]      Dans la présente affaire, la débitrice judiciaire est tenue de prouver que les fonds dans le compte proviennent exclusivement d'une entente entre Sa Majesté et la bande indienne. Il ne s'agit pas d'un acte juridique, mais plutôt d'un fait qui, conformément à l'article 2811 du Code civil, peut être prouvé par n'importe quels moyens, y compris par une preuve testimoniale :

Art.2811. La preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile ou par quelque autre loi.

Art.2811. Proof of a fact or juridical act may be made by a writing, by testimony, by presumption, by admission or by the production of material things, according to the rules set forth in this Book and in the manner provided in the Code of Civil Procedure or in any other Act.

[10]      Par conséquent, la preuve du souscripteur d'affidavit est admissible. Cependant, la Cour doit quand même décider quel poids accordé à une telle preuve en l'absence de documents corroborants. La corroboration d'une preuve testimoniale n'est pas obligatoire, sauf dans des circonstances très particulières quand la loi ou la jurisprudence l'exige. Il n'existe pas de telles circonstances en l'espèce. Toutefois, comme le juge Thurlow l'a indiqué dans Weinberger v. Minister of National Revenue8, en l'absence de corroboration, la preuve doit être soigneusement évaluée :

                 [TRADUCTION] Bien que l'appelant ne soit pas tenu dans une instance comme la présente de prouver les faits desquels son droit à un redressement dépend et que la preuve d'un appelant quand elle n'est pas étayée doive être, je crois, évaluée avec soin, à cause de la tentation qu'éprouvent quelque fois les contribuables de modeler les faits pour qu'ils correspondent à leurs propres objectifs, on ne doit pas oublier qu'il n'y a pas de règle de droit exigeant la corroboration du témoignage d'un appelant pour étayer une conclusion et que la norme de preuve exigée est celle qui est applicable dans les affaires civiles, ce qui signifie, la prépondérance de preuve9.                 

[11]      Compte tenu du fait que la débitrice judiciaire n'a pas produit de relevé bancaire ou d'autres documents en sa possession pour étayer une allégation aussi importante pour sa requête, peu d'importance peut être accordée au témoignage du souscripteur d'affidavit. Toutefois, la Cour fait également face à un manque d'éléments de preuve. La créancière judiciaire n'en a présenté aucun. Son avocate a simplement soulevé la possibilité que le compte pouvait contenir des fonds autres que ceux reçus aux termes de l'entente. Par conséquent, en l'absence de preuve contraire, la Cour n'a pas d'autres choix que de se fonder sur le témoignage du chef de la Bande de Wolf Lake et de reconnaître que le compte à la Caisse populaire contient exclusivement des fonds provenant d'une entente conclue entre le gouvernement fédéral et la bande indienne.

[12]      Il s'ensuit qu'en vertu du paragraphe 90(1) de la Loi sur les Indiens ces fonds sont réputés être situés sur une réserve et qu'en raison du paragraphe 89(1) ils ne peuvent faire l'objet d'une réquisition, d'une exécution ou d'une saisie-arrêt en faveur d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

[13]      La requête est accueillie. L'ordonnance constituant une charge définitive du juge Hugessen est annulée et il est ordonné que les fonds gelés par la Caisse populaire de Témiscaming soient débloqués. Il n'y a pas d'adjudication de dépens.

                         " Pierre Denault "

                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 février 1999.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-1696-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          KIMBERLEY YOUNG c. LA BANDE DE WOLF LAKE ET AUTRES

                            

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 11 FÉVRIER 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE DENAULT

EN DATE DU :                  23 FÉVRIER 1999

ONT COMPARU :                 

            

MARIE-CLAUDE HÉBERT                      POUR LA DEMANDERESSE

PATRICK NADJIWAN                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GAGNÉ & ASSOCIÉS                      POUR LA DEMANDERESSE

ROUYN-NORANDA (QUÉBEC)

NAWEGAHBOW, NADJIWAN                  POUR LA DÉFENDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. L-2.

     2      Voir Wolf Lake First Nation v. Young (1998), 130 F.T.R. 115 (1re inst.), le juge Nadon.

     3      L.R.C. (1985), ch. I-5.

     4      Fayerman Bros. Ltd. v. Peter Ballantyne Indian Band et al. (1986), 1 C.N.L.R. 6 (B.R. Sask.); Fricke and Seaton Timber Ltd. v. Moricetown Indian Band et al. (1986), 1 C.N.L.R. 11 (C.S.C.-B.); Webtech Controls Inc. v. Cross Lake Band of Indians and Peace Hill Trust Co., (1991), 3 C.N.L.R. 182 (B.R. Man.); Westbank Indian Band v. Robertson et al. (1990), 36 F.T.R. 286 (1re inst.).

     5      Art.2860. L'acte juridique constaté dans un écrit ou le contenu d'un écrit doit être prouvé par la production de l'original ou d'une copie qui légalement en tient lieu.              Toutefois, lorsqu'une partie ne peut, malgré sa bonne foi et sa diligence, produire l'original de l'écrit ou la copie qui légalement en tient lieu, la preuve peut être faite par tous moyens.          Art.2860. A juridical act set forth in a writing or the content of a writing shall be proved by the production of the original or a copy which legally replaces it.              However, where a party acting in good faith and with dispatch is unable to produce the original of a writing or a copy which legally replaces it, proof may be made by any other means.     
         Art.2862. La preuve d'un acte juridique ne peut, entre les parties, se faire par témoignage lorsque la valeur du litige excède 1 500 $.              Néanmoins, en l'absence d'une preuve écrite et quelle que soit la valeur du litige, on peut prouver par témoignage tout acte juridique dès lors qu'il y a commencement de preuve; on peut aussi prouver par témoignage, contre une personne, tout acte juridique passé par elle dans le cours des activités d'une entreprise.          Art.2862. Proof of a juridical act may not be made, between the parties, by testimony where the value in dispute exceeds $1,500.              However, failing proof in writing and regardless of the value in dispute, proof may be made by testimony of any juridical act where there is a commencement of proof; proof may also be made by testimony, against a person, of a juridical act carried out by him in the ordinary course of business of an enterprise.     

     6      L.R.C. (1985), ch. C-5.

     7      La définition paraphrase celle donnée par Jean-Claude Royer, La preuve civile (Cowansville: Yvon Blais, 1987) à la page 464: " L'acte juridique est une manifestation de la volonté individuelle, bilatérale ou unilatérale, dans le but direct et immédiat de créer, modifier, éteindre, transférer, confirmer ou reconnaître un droit. "

     8      (1965), 43 C.P.R. 10 (Ex.Ct.).

     9      Ibid. at p. 14.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.