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                                                                                                                                  Date : 19990519

                                                                                                                               Dossier : T-291-91

ENTRE :

                                                             BRONSON SHORT

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.         Introduction

[1]         La récession qui a frappé l'industrie de la construction à Terre-Neuve au cours des années 80 a fait de nombreuses victimes. L'une d'elles est la firme B. & R. Short Construction Limited, qui a cessé ses activités à la fin de 1986 non sans devoir environ 40 000 $ en retenues à la source sur les salaires de ses employés qu'elle avait omis de verser à Revenu Canada cette année-là. Ces retenues se rapportaient à l'impôt sur le revenu fédéral et provincial, aux cotisations d'assurance-chômage et aux cotisations au Régime de pensions du Canada.


[2]         Comme il était clair que ce montant ne serait pas payé par la personne morale, Revenu Canada a cherché à se faire payer par Bronson Short, qui était le président de la personne morale et un administrateur avec sa femme. Le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu tient les administrateurs d'une personne morale responsables du paiement des sommes que la personne morale a retenues sur les salaires de ses employés mais a omis de verser à Revenu Canada ainsi que le prescrit la Loi.

[3]         Selon l'avis de cotisation que Revenu Canada a établi en 1989 relativement à l'année d'imposition 1986, M. Short devait 52 589,49 $ relativement à des retenues non versées, à des frais d'intérêt et à des pénalités pour paiement tardif. L'appel que M. Short a formé contre cet avis de cotisation devant la Cour de l'impôt a été rejeté et M. Short a interjeté appel de cette décision devant la Cour.

[4]         Le paragraphe 227.1(3) permet à l'administrateur que Revenu Canada cherche à tenir responsable en vertu du paragraphe (1) d'invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence. La seule question litigieuse que soulève le présent appel est de savoir si le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur en statuant que M. Short n'avait pas respecté la norme de diligence étant donné qu'il avait continué d'exploiter l'entreprise pendant toute l'année 1986 malgré la dégradation de la situation financière de B. & R. Short Construction Limited, et qu'il n'avait pris aucune mesure concrète pour empêcher la personne morale de contracter envers Revenu Canada une dette supplémentaire qu'elle serait vraisemblablement incapable de payer.


[5]         Les parties s'entendent sur les principes juridiques applicables au présent appel, qui a été formé par voie de déclaration, et, dans l'ensemble, sur les principaux faits. Elles ne s'entendent toutefois pas sur l'application de la loi à ces faits.

[6]         J'ai entendu deux témoins : M. Short, qui a comparu en son nom personnel, et M. O'Brien, l'agent des recouvrements de Revenu Canada à St. John's qui s'est occupé du fichier d'impôt de la personne morale du 21 août au 21 novembre 1986.

[7]         La période qui s'est écoulée depuis le prononcé de la décision du juge Rip, vers la fin de 1990, est excessivement longue. Ce délai est attribuable à plusieurs facteurs : des négociations sporadiques entre les parties en vue d'une transaction, la décision d'attendre l'issue d'un procès potentiellement pertinent et le remplacement des avocats qui représentaient M. Short.

[8]         Dans les circonstances, il n'est pas étonnant que M. Short n'ait pas conservé un souvenir précis de ce qui s'est passé il y a treize ans. Sur certains points, il a reconnu qu'il n'était plus sûr de rien et, sur un autre point, il est ressorti d'une lettre mise en preuve par la Couronne qu'il s'était trompé dans son témoignage. Par contre, M. O'Brien avait pris des notes des conversations qu'il a eues avec M. Short et sa banque en 1986. Il a pu consulter ces notes durant son témoignage, qui a été direct et réfléchi. Par conséquent, j'ai préféré la preuve de M. O'Brien dans la mesure où elle divergeait de celle de M. Short.


[9]         Aucune des parties n'a assigné comme témoin un représentant de la Banque de Montréal, qui est l'institution avec laquelle M. Short faisait affaire. Nul doute que plusieurs directeurs se sont succédé à cette banque en l'espace de treize ans, et plus personne à cette banque n'a une connaissance directe de la situation financière de B. & R. Short Construction à l'époque pertinente.

B.         Les faits

[10]       Depuis qu'il a quitté l'école en 1970 après avoir terminé sa onzième année, M. Short a travaillé pratiquement tout le temps dans le secteur de la construction à Terre-Neuve. Il a d'abord travaillé comme manoeuvre pour un entrepreneur qui était également l'employeur de son père. Vers la fin des années 70, M. Short et son père ont démarré leur propre entreprise de passation de contrats, qu'ils ont constituée en personne morale en 1980.

[11]       Pour mieux assumer ses nouvelles responsabilités, M. Short a suivi des cours du soir en comptabilité d'entreprise qui étaient offerts par le programme d'éducation permanente de l'Université Memorial. M. Short et sa femme effectuaient la tenue des livres de l'entreprise qui, à ce moment-là, acceptait de petits contrats de réparation et d'entretien, et faisait un peu de construction domiciliaire. De la fin des années 70 au début des années 80, le revenu annuel de la personne morale est passé de 40 000 $ à 150 000 $.


[12]       Au début des années 80, le père de M. Short a décidé de se retirer de l'entreprise : sa « rémunération de départ » a notamment consisté en l'avoir en espèces de la personne morale. Les seuls autres éléments d'actif de la personne morale étaient un camion léger et quelques outils. Par contre, elle n'avait pas de dettes et elle était en mesure de financer les frais de démarrage au début de chaque nouvelle saison de construction avec l'excédent provenant de l'année précédente.

[13]       C'est après le départ du père de M. Short que l'entreprise a commencé à prendre une nouvelle orientation : elle a fourni de la main-d'oeuvre en sous-traitance dans le cadre de travaux plus importants. En 1984, son revenu annuel est passé à 500 000 $ après qu'elle eut obtenu un contrat de fourniture de main-d'oeuvre à l'entrepreneur général L. D. Fahey Construction Co. Ltd., qui avait été chargé de construire des foyers pour personnes âgées. B. & R. Short était encore exploitée avec des éléments d'actif peu nombreux et sans aucune source de financement extérieure.

[14]       Vers le milieu de 1985, l'entreprise est devenue un sous-traitant de Fahey pour la construction d'un centre de services pour pêcheurs dans la localité isolée de Punch Bowl, au Labrador. Le terrain était la propriété de l'État et son aménagement avait été confié au ministère des Travaux publics.

[15]       À ce moment-là, l'entreprise employait environ huit personnes durant la saison de construction, qui durait habituellement de mai à décembre. L'entreprise était toujours en mesure de payer les salaires nets, mais dépendait des acomptes qu'elle recevait en vertu de ses contrats pour le versement des sommes dues à Revenu Canada le quinzième jour du mois à l'égard des retenues à la source du mois précédent. En d'autres termes, l'entreprise ne transférait pas le montant des retenues de son compte général à un compte distinct pour la simple raison qu'elle ne disposait généralement pas des sommes voulues pour le faire.


[16]       Ce système a bien fonctionné aussi longtemps que l'entreprise a reçu les montants payables en vertu des contrats à la date d'échéance. En 1985, toutefois, l'entreprise a pris du retard dans plusieurs versements à Revenu Canada, mais elle a payé tous les arriérés au début de 1986. La principale cause du problème semble avoir été l'incapacité de Fahey à verser certains acomptes vers la fin de 1985 à cause de difficultés financières.

[17]       Pour régler le problème d'encaisse de B. & R. Short, M. Short a négocié avec la Banque de Montréal, en 1985, une ligne de crédit de 15 000 $ qu'il avait complètement utilisée au début de 1986. Par suite du défaut de Fahey de verser les acomptes qui avaient été prévus pour les travaux effectués par l'entreprise à Punch Bowl, M. Short a tenté de grever le bien-fonds d'un privilège de 12 000 $, mais il s'est fait dire que la propriété de l'État ne pouvait être grevée d'un privilège. Il a déclaré dans son témoignage qu'un fonctionnaire de Travaux Publics lui avait dit à ce moment-là qu'il serait payé. Lorsque M. Short a communiqué avec la société de cautionnement de Fahey, il s'est fait dire qu'il devait terminer les travaux s'il voulait être payé.

[18]       Sur la foi de ce qu'il a considéré comme des garanties de paiement données par Travaux publics et la société de cautionnement, M. Short a décidé de terminer les travaux. Sa conviction qu'il serait payé, malgré les difficultés financières évidentes de Fahey Construction, reposait en outre sur le fait que M. Fahey était propriétaire d'une cimenterie à St. John's, et d'une entreprise d'arrimage et d'un hôtel à Goose Bay.


[19]       Par conséquent, M. Short a fait passer sa ligne de crédit à 30 000 $ et s'est servi de cet argent pour financer l'achèvement des travaux de construction à Punch Bowl. Il a notamment dû affréter un avion pour le transport des employés, du matériel et des fournitures requis pendant les trois semaines environ qu'ont duré les travaux. Les travaux ont pris fin au début de juin et, dans l'intervalle, M. Short avait obtenu un autre contrat dans le cadre de l'aménagement d'un terrain par le gouvernement provincial.

[20]       Cependant, comme le paiement des travaux effectués à Punch Bowl tardait, M. Short a engagé une poursuite contre Fahey, qu'il a finalement dû abandonner faute de moyens. Il est allé voir M. Fahey à quelques reprises, mais n'a pu obtenir que des promesses de paiement. Quand M. Short s'est adressé à Travaux publics, il s'est fait dire, ce qui n'a rien d'étonnant, que le ministère avait une obligation envers l'entrepreneur, Fahey, et non envers le sous-traitant, B. & R. Short. Comme le ministère des Travaux publics semblait satisfait des travaux qui avaient été réalisés, la société de cautionnement s'est désintéressée de la situation fâcheuse dans laquelle se trouvait M. Short.

[21]       À la mi-juin 1986, la situation financière de M. Short était assez inconfortable. Il avait un découvert de 34 000 $ à la Banque de Montréal et devait environ 6 000 $ à des fournisseurs. Il n'avait fait aucun versement à Revenu Canada au titre des retenues à la source du mois de mai. En outre, comme M. Short l'a déclaré dans son témoignage, la récession continuait de rendre les perspectives d'avenir dans le secteur de la construction à Terre-Neuve vraiment sombres. Qui plus est, à mesure que les mois passaient, il était de moins en moins probable que Fahey lui verse quoi que ce soit.


[22]       Pourtant, M. Short a déclaré qu'il continuait de croire que Fahey réglerait son dû, et qu'il devait simplement baisser la tête et [traduction] « aller de l'avant » . En réalité, B. & R. Short avait deux contrats à ce moment-là. Toutefois, comme dix semaines se sont écoulées avant que le gouvernement provincial, qui était le propriétaire du terrain visé par l'un des contrats, verse le premier acompte, ce contrat n'a guère contribué à remédier au problème immédiat d'encaisse de M. Short.

[23]       Comme on pouvait s'y attendre, la Banque de Montréal était moins optimiste quant à la situation que M. Short prétendait l'être, et elle a pris des mesures pour se protéger. Premièrement, elle a demandé la liste des comptes débiteurs et des comptes créditeurs de l'entreprise, puis, plus tard en juin, elle a repris les comptes débiteurs et les a utilisés pour diminuer le découvert bancaire. M. Short a déclaré qu'il devait aviser la banque chaque semaine de tout changement dans les comptes débiteurs et les comptes créditeurs de l'entreprise, et qu'il était autorisé à faire des chèques uniquement pour payer les salaires nets et faire les paiements exigés sur les dettes des fournisseurs de manière à ce que l'entreprise ait l'équipement voulu pour achever les travaux en cours.

[24]       En août, l'entreprise a reçu un acompte d'environ 30 000 $ dans le cadre de l'un des deux contrats et, en septembre, elle a versé plus de 11 000 $ à Revenu Canada au titre des retenues du mois d'août. Dans l'intervalle, M. O'Brien avait pris la charge du dossier de l'entreprise pour Revenu Canada et s'était fait promettre par M. Short, à la fin du mois d'août, que l'entreprise utiliserait l'argent provenant du gouvernement provincial pour verser les retenues de mai, juin et juillet.


[25]       M. Short a déclaré dans son témoignage qu'il avait déjà essayé de communiquer avec Revenu Canada pour discuter de ses arriérés, mais qu'il avait été incapable de parler à une personne bien au fait de la situation parce que son dossier passait sans cesse d'un fonctionnaire à un autre. Selon moi, il est peu probable que M. Short ait fait des pieds et des mains à cet égard.

[26]       Le 22 septembre 1986, M. O'Brien a proposé un plan en vue du remboursement de tous les arriérés de versement de l'entreprise. Premièrement, il a téléphoné à la Banque de Montréal et s'est fait dire qu'aucune somme ne serait déboursée en réponse à la demande de paiement que Revenu Canada avait envoyée à la banque relativement aux arriérés payables par B. & R. Short. Deuxièmement, il a eu avec M. Short une conversation au cours de laquelle il a proposé que l'entreprise fasse un chèque de 6 900 $ et trois chèques postdatés de 8 000 $, ce qui allait permettre à M. Short de s'acquitter de son obligation envers Revenu Canada vers la fin de l'année si l'entreprise faisait également les versements pour les retenues des mois de septembre et suivants. M. Short a accepté cette proposition. Troisièmement, M. O'Brien a de nouveau parlé au directeur de la succursale de la Banque de Montréal, qui a approuvé l'entente et a dit que la banque honorerait les chèques faits à l'ordre de Revenu Canada.


[27]       Il convient de faire remarquer que M. Short a déclaré dans son témoignage qu'il n'avait pas fait de versements à Revenu Canada plus tôt parce qu'après la prise en charge des comptes débiteurs par la banque vers la fin de juin, les seuls chèques que la banque avait permis à M. Short de faire se rapportaient au paiement des salaires nets de l'entreprise et aux paiements exigés par les dettes de ses fournisseurs. Toutefois, M. Short n'a pas expressément discuté avec la banque de la possibilité de payer à Revenu Canada les arriérés, et le consentement que la banque a donné à la fin de septembre pour ce qui est d'honorer les chèques émis pour payer la dette de l'entreprise envers Revenu Canada donne à penser que la banque aurait honoré avant cela des chèques faits à l'ordre de Revenu Canada si M. Short le lui avait demandé. M. Short n'en a rien fait.

[28]       Le 20 octobre 1986, le chèque de 6 900 $ que l'entreprise a fait au nom de Revenu Canada a été compensé, de même que le chèque de 8 000 $ en date du 20 novembre. Toutefois, malgré la promesse de M. Short, l'entreprise n'a pas fait de versements au titre des retenues des mois de septembre et octobre. En conséquence, Revenu Canada a avisé M. Short par lettre en date du 23 décembre 1986 qu'en raison de son défaut de respecter cet aspect de l'entente, les deux autres chèques postdatés lui étaient renvoyés. Dans son témoignage, M. Short a déclaré que les chèques avaient été renvoyés par Revenu Canada parce que la banque ne les avait pas honorés. Il ressort toutefois clairement de la lettre qu'il était dans l'erreur sur ce point.

[29]       Quoi qu'il en soit, lorsque Fahey Construction a été mise sous séquestre en décembre, ce qui a éteint la faible lueur d'espoir que pouvait encore avoir l'entreprise de recevoir ce que M. Short affirmait être son dû, la banque a « fermé » définitivement B. & R. Short Construction en annulant sa ligne de crédit. M. Short est quant même parvenu à rembourser l'argent qu'il devait à ses fournisseurs et à la banque.


[30]       Je tiens également à ajouter que M. Short a témoigné que sa femme et lui s'étaient souvent privés de salaire pendant les mois au cours desquels le problème d'encaisse avait été particulièrement aigu, alors même que les livres de l'entreprise indiquaient que les salaires étaient payables. La banque a exercé les droits que lui conférait la garantie personnelle que M. Short avait dû donner relativement au découvert de l'entreprise et a débité du compte personnel de M. Short la somme de 10 000 $, qu'elle a affectée au remboursement du découvert. Par surcroît, M. Short a été contraint d'hypothéquer des biens dont il était propriétaire pour payer ses dettes et faire vivre sa famille.

[31]       À l'exception des paiements dont il vient d'être question, M. Short n'a pas fait d'autres versements à Revenu Canada relativement à l'année d'imposition 1986 parce que, ainsi qu'il l'a déclaré dans son témoignage, il ne se sentait pas personnellement responsable de cette dette. Il semble avoir considéré que la somme réclamée par Revenu Canada avait, dans un sens, été annulée par le montant qu'un autre ministère fédéral, en l'occurrence le ministère des Travaux publics, aurait dû lui verser, selon lui, après l'achèvement du projet Punch Bowl.

[32]       Enfin, je tiens à mentionner que la cotisation de 52 589,42 $ dont M. Short a fait l'objet en 1989 pour l'année d'imposition 1986 représente actuellement plus du double en raison de l'intérêt couru et des pénalités pour paiement tardif.

C.         La décision de la Cour de l'impôt

[33]       S'appuyant sur des faits qui sont essentiellement ceux que j'ai exposés, le juge Rip a conclu que M. Short n'avait pas réussi à prouver qu'il pouvait invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence que prévoit la loi. Il a insisté sur deux aspects des faits pour parvenir à cette conclusion.


[34]       Premièrement, le juge Rip a déclaré que M. Short avait « joué avec le feu » en finançant comme il l'avait fait les versements faits à Revenu Canada au titre des retenues du mois précédent, c'est-à-dire en comptant sur le paiement des montants exigibles le mois suivant dans le cadre des contrats exécutés par l'entreprise. Il a fait remarquer que le problème avec cette façon de faire, c'est qu'il existait toujours une « probabilité raisonnable » de défaut de paiement d'un acompte ou du solde, d'où l'incapacité de l'entreprise de faire ses versements à temps. Puisqu'il avait pris ce risque, M. Short ne pouvait plus par la suite affirmer, lorsque l'inévitable est arrivé, qu'il avait agi avec diligence pour empêcher son entreprise de manquer à ses engagements étant donné qu'il n'avait pas prévu de système pour faire face à cette éventualité.

[35]       Deuxièmement, l'entreprise était sous-capitalisée et, partant, très vulnérable si l'un des entrepreneurs auxquels elle fournissait de la main-d'oeuvre était en difficulté. Lorsque c'est arrivé à Fahey, rien ne permettait de conclure à l'été 1986 que B. & R. Short Construction était financièrement viable. En continuant malgré tout d'accumuler une dette envers Revenu Canada, M. Short n'a pas fait preuve de diligence.

D.         Les dispositions législatives

[36]       La seule disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui est directement applicable est le paragraphe 227.1(3) :


A director is not liable for a failure [to remit deductions] under subsection (1) where he exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.


Un administrateur n'est pas responsable de l'omission [de remettre une somme] visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.


[37]       Bien que les décisions publiées qui portent sur cette disposition ne manquent pas, la plupart d'entre elles se bornent à illustrer l'application de cette disposition à des situations particulières. Comme ces décisions sont immanquablement fonction des faits, elles ne contribuent guère à établir des précédents, et je n'ai pas l'intention de les examiner une à une. Par contre, certaines affaires qui ont été portées à ma connaissance se rapportent à des situations qui, sur le fond, s'apparentent à celle dont je suis saisi, et je les ai trouvées utiles pour cerner les faits auxquels je devrais accorder une attention particulière pour décider si M. Short a prouvé le moyen fondé sur la diligence.

[38]       On trouve toutefois des conseils plus généraux dans le jugement très utile que le juge Robertson de la Cour d'appel a rendu dans ce qui est devenu l'arrêt de principe Soper c. R., [1998] 1 C.F. 124 (C.A.F.), dans lequel la norme établie par le paragraphe 227.1(3) a été qualifiée de norme « objective subjective » . Cela veut dire que pour décider si l'administrateur a fait preuve du soin, de la diligence et de l'habileté d'une personne prudente, il faut tenir compte au moins de quelques-unes des qualités personnelles de la personne en question.


[39]       Par conséquent, le comparateur législatif est la personne prudente qui est dans des « circonstances comparables » à celles de l'administrateur en question. À cette fin, la Cour doit tenir compte de facteurs comme la connaissance, l'expérience et le savoir-faire commercial général de l'administrateur et, j'aurais pensé, du contexte commercial dans lequel l'administrateur s'acquittait de ses fonctions. Il faut donc faire preuve de souplesse dans l'application de la norme, sans pour autant la ramener à une défense consistant à affirmer « j'ai fait de mon mieux » .

E.          Application du droit

[40]       Pour appliquer la norme législative qui a été énoncée dans l'arrêt Soper aux faits de l'espèce, j'ai tenu compte du fait que M. Short n'a pas terminé ses études secondaires et n'avait que des connaissances sommaires en tenue de livres, qu'il avait acquises en suivant des cours du soir. En revanche, il avait une grande connaissance pratique de l'industrie de la construction à Terre-Neuve et était évidemment bien au fait de la situation de sa propre entreprise, qu'il avait exploitée seul ou avec son père pendant huit ou neuf ans avant 1986. J'ai eu l'avantage de voir et d'entendre M. Short témoigner, et il m'a donné l'impression d'être un homme intelligent qui connaissait bien son entreprise.

[41]       L'avocat de M. Short s'est abondamment appuyé sur le fait que dès l'instant où la Banque de Montréal est intervenue vers la fin de juin pour prendre la « direction » de l'entreprise, M. Short a cessé d'être autonome. En particulier, lorsque la banque a pris la charge des comptes débiteurs pour diminuer le montant du découvert de l'entreprise, et a permis que des chèques soient faits uniquement pour faire face aux salaires nets et payer aux fournisseurs les montants qui étaient nécessaires pour que l'entreprise puisse poursuivre ses activités, M. Short a cessé d'être responsable du défaut de l'entreprise de verser les retenues à la source.


[42]       Par contre, l'avocat a virtuellement reconnu que M. Short était responsable des retenues non versées de mai et de juin parce qu'il avait fait défaut de paiement à un moment où il était libre de décider non seulement de l'opportunité de poursuivre l'exploitation de son entreprise, mais aussi des dettes que l'entreprise paierait et du moment auquel elle le ferait.

[43]       Après avoir soigneusement examiné la preuve et lu les décisions fournies par les avocats, je suis arrivé à la conclusion que M. Short n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté requis par le paragraphe 227.1(3) les autres mois non plus.

[44]       Premièrement, il n'y a pas eu de cession officielle à la Banque de Montréal, et la preuve relative au degré de contrôle qui était exercé dans les faits n'est pas claire du tout. En particulier, M. Short n'a pas expressément discuté avec le directeur de la succursale de la question de savoir si la banque honorerait les chèques faits à l'ordre de Revenu Canada pour payer les retenues à la source. De plus, je ne suis pas convaincu que M. Short a fait les efforts voulus pour discuter de la situation avec Revenu Canada en temps opportun. Si la banque, Revenu Canada et M. Short sont arrivés à s'entendre sur des modalités de remboursement à la fin de septembre, je ne vois pas pourquoi une entente similaire n'aurait pas pu être conclue plus tôt si M. Short avait pris les mesures nécessaires.


[45]       Deuxièmement, la sous-capitalisation de l'entreprise et l'absence d'une méthode suffisamment fiable pour garantir le versement des retenues à la source, malgré les vents froids qui soufflaient alors sur le secteur de la construction à Terre-Neuve, indiquent que M. Short n'a pas pris les mesures concrètes que se devait de prendre un administrateur pour empêcher le défaut de paiement. En effet, même si B. & R. Short avait fonctionné pendant plusieurs années en utilisant les comptes débiteurs du mois suivant pour payer les retenues, elle avait été incapable d'effectuer les versements à temps pendant plusieurs mois en 1985. M. Short aurait dû tirer la leçon de cette expérience et stabiliser la situation financière de l'entreprise en vue de la saison de construction 1986.

[46]       Troisièmement, M. Short n'a pas respecté des aspects importants des arrangements pris avec Revenu Canada en septembre 1986, en ce sens qu'il n'a pas respecté l'engagement qu'il avait pris de verser les retenues à la source pour les mois courants.

[47]       Par contre, je ne doute pas que M. Short a dit la vérité lorsqu'il a déclaré dans son témoignage que sa femme et lui s'étaient privés de salaire et avaient subi des épreuves sur le plan personnel du fait de la débâcle de B. & R. Short. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle l'administrateur a agi dans son propre intérêt au détriment de Revenu Canada.

F.          Conclusion

[48]       Il est impossible de ne pas avoir de compassion pour M. Short, qui a travaillé dur et a été dépassé par des événements sur lesquels il n'avait pas la moindre prise. Malgré tout, les attributions de l'administrateur d'une personne morale requièrent quelque chose de plus qu'un effort honnête pour faire de son mieux et que le consentement à huiler les essieux grinçants en se pliant aux volontés des créanciers qui se montrent les plus pressants et en ne tenant aucun compte des obligations envers le public, représenté par Revenu Canada.


[49]       Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

           « John M. Evans »           

       J.C.F.C.

TORONTO (ONTARIO)

Le 19 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                     Date : 19990519

                                                                 Dossier : T-291-91

ENTRE :

BRONSON SHORT

                                                                              demandeur

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                          défenderesse

                                                                       

                         MOTIFS DU JUGEMENT

                                                                       


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                                 T-291-91

INTITULÉ :                                                      BRONSON SHORT

                                                                                                                                           demandeur

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE LUNDI 10 MAI 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE EVANS

EN DATE DU :                                                 JEUDI 19 MAI 1999

COMPARUTIONS :                          M. Nicholas Avis

Pour le demandeur

M. John Bodurtha

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Avis and King

Avocats

Bureau 312, Millbrook Base Mall

Corner Brook (Terre-Neuve)

A2H 4B5

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour la défenderesse

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