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                                                                                                                              Date : 20020213

                                                                                                                        Dossier : T-2078-00

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 161

Ottawa (Ontario), le 13 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                     BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY et

                                             BRISTOL-MYERS CANADA INC.

                                                                                                                               demanderesses

                                                              (défenderesses dans la demande reconventionnelle)

                                                                            et

                                                                APOTEX INC.

                                                                                                                                  défenderesse

                                                              (demanderesse dans la demande reconventionnelle)

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La requête que les demanderesses ont présentée conformément à l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, vise l'annulation des ordonnances de Madame le protonotaire Aronovitch en date des 8 et 28 novembre 2001, autorisant la défenderesse à modifier de nouveau sa défense et sa demande reconventionnelle et enjoignant aux demanderesses de signifier un affidavit supplémentaire de documents.


[2]         Les demanderesses affirment que le protonotaire a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. En premier lieu, le protonotaire a commis une erreur en autorisant la défenderesse à inclure une défense fondée sur le caractère évident aux paragraphes 25 et 41 de la défense fondée sur l' « antériorité » , alors qu'il est admis qu'il n'y a pas d'invention antérieure. Les demanderesses affirment qu'il est clair que ces modifications ne sont donc pas pertinentes, qu'elles sont frivoles et vexatoires et qu'elles ne devraient pas être autorisées. En second lieu, en ce qui concerne la demande de dommages-intérêts des demanderesses, le protonotaire a commis une erreur en ordonnant aux demanderesses de produire tous leurs documents sur les prix de revient sur la base d'un compte rendu comptable intégral plutôt que selon la méthode reconnue du coût marginal. Les demanderesses affirment que cette ordonnance a pour effet de retarder l'audition de la présente affaire et d'accroître considérablement les frais associés à la préparation de l'instruction.

(1)         Modifications apportées aux paragraphes 25 et 41 de la défense :


[3]         Aux paragraphes 25 et 41 du projet de défense modifiée, la défenderesse allègue que les revendications 7 et 8 ne sont pas valides, en invoquant le caractère évident. Cette plaidoirie est fondée sur le fait que la transformation de la base de néfazodone en un sel de néfazodone (le chlorhydrate de néfazodone) est évidente pour une personne versée dans l'art. Les demanderesses affirment que pareille plaidoirie doit être fondée sur des mentions d'invention antérieure accessibles au public, lesquelles étaient connues à la date de l'invention. Selon les demanderesses, la seule invention antérieure mentionnée dans les paragraphes contestés est la base de néfazodone, qui n'était pas publiquement connue avant la date de dépôt prioritaire, ou même à la date du dépôt du brevet 436 au Canada. Les demanderesses maintiennent donc que la base de néfazodone ne constitue pas une invention antérieure.

[4]         Les demanderesses soutiennent en outre que, pendant l'interrogatoire préalable, la défenderesse a admis que la première communication publique de la néfazodone ou du chlorhydrate de néfazodone a eu lieu après le dépôt du brevet, le 5 juillet 1982. Cela étant, les demanderesses affirment que la défenderesse a admis que la base de néfazodone ne constitue pas une invention antérieure par rapport au chlorhydrate de néfazodone.

[5]         Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a admis que le fondement de sa plaidoirie n'est pas corroboré et que la Cour ne devrait pas autoriser une partie à inclure pareille plaidoirie dans sa défense étant donné qu'il est certain que pareille plaidoirie ne sera pas retenue à l'instruction. Selon les demanderesses, le protonotaire a donc commis une erreur en accueillant la requête visant la modification, en particulier en considérant comme établis les faits allégués dans la plaidoirie, malgré l'aveu que la défenderesse avait déjà fait lors de l'interrogatoire préalable. La demanderesse affirme que le protonotaire n'a pas tenu compte des dispositions des alinéas 221(1)b) et c) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, et qu'elle estimait à tort que l'alinéa 221(1)a) des Règles lui imposait des restrictions.


[6]         Les demanderesses soutiennent fondamentalement que les allégations relatives au caractère évident figurant aux paragraphes 25 et 41 ne sont pas pertinentes, qu'elles sont frivoles et vexatoires, qu'elles constituent un abus de la procédure, que l'autorisation de présenter ces plaidoiries, qui n'ont presque aucune chance d'être retenues à l'instruction, n'aurait pas dû être accordée et que les plaidoiries devraient être radiées conformément à l'alinéa 221(1)b) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[7]         La défenderesse adopte le point de vue contraire en soutenant que les objections des demanderesses sont erronées sur le plan de la procédure et qu'elles sont essentiellement dénuées de fondement.

[8]         En autorisant les modifications proposées en ce qui concerne le caractère évident, le protonotaire a dit ce qui suit :

[TRADUCTION] La modification, au paragraphe 25, est maintenue étant donné qu'il n'est pas clair et évident qu'elle ne révèle aucune cause d'action. À cette fin, les faits qui ont été allégués doivent être considérés comme ayant été établis. La preuve, comme la déclaration que M. Rodomski [sic] a faite à l'interrogatoire préalable, ne peut pas être présentée à cet égard.

[9]         Certains arrêts étayent la décision que le protonotaire a rendue sur ce point. Dans l'arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), page 10, Monsieur le juge Décary a dit ce qui suit :

[...] la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.


[10]       En outre, la Cour d'appel a fait les remarques suivantes dans l'arrêt Nidek Co., Ltd. et al. c. Visx Inc. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19, page 24 (C.A.F.) :

[...] Sur le plan de la procédure, la Cour ne recevra aucune preuve lorsque le motif invoqué pour radier des paragraphes dans une défense est que ces paragraphes ne révèlent aucune cause raisonnable de défense [règle 419(1)a)]. La règle 419(2) interdit expressément l'utilisation d'éléments de preuve dans le cadre d'une requête fondée sur la règle 419(1)a). De la même façon, la Cour ne devrait pas accepter une preuve au soutien d'une demande d'autorisation de modifier un acte de procédure en vertu de la règle 420, à moins que cette preuve ne soit nécessaire pour clarifier la nature des modifications proposées. La Cour doit plutôt présumer la véracité des faits allégués dans les modifications pour ce qui est de déterminer s'il convient d'accorder l'autorisation de modifier.

[11]       La Cour refuse une modification uniquement lorsqu'il est clair et évident que l'affaire ne soulève aucun doute. J'estime que le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit en autorisant les modifications contestées et qu'elle n'a clairement pas commis d'erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire comme elle l'a fait.


[12]       La défenderesse affirme que, même s'il était tenu compte de la preuve, cela n'aiderait pas les demanderesses puisque leur preuve est fondée sur l'hypothèse erronée selon laquelle l'invention antérieure invoquée se rapporte à la base de néfazodone. La défenderesse soutient que l'invention antérieure invoquée dans la plaidoirie relative au caractère évident se rapporte à la connaissance générale commune dans le domaine plutôt qu'à la base de néfazodone elle-même. À mon avis, il est préférable de laisser le juge qui présidera l'audience examiner la preuve et trancher ces questions. Puisque j'ai conclu que le protonotaire n'a pas commis d'erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en autorisant les modifications, je n'ai pas à examiner cette question plus à fond.

(2)         Production de la preuve relative aux prix de revient

[13]       En ce qui concerne le deuxième motif d'appel invoqué par les demanderesses, à savoir que le protonotaire a commis une erreur en ordonnant aux demanderesses de produire tous leurs documents sur les prix de revient sur la base d'un compte rendu comptable intégral plutôt que selon la méthode reconnue du coût marginal, j'estime que le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit en tirant la conclusion qu'elle a tirée. J'ai minutieusement examiné les arguments et les arrêts que les deux parties m'ont soumis sur ce point et je conclus que les arrêts n'imposent pas en droit la méthode du coût marginal comme seule approche qu'un tribunal peut adopter aux fins du calcul du montant des dommages-intérêts. Chaque cas doit être examiné selon les faits et les circonstances qui lui sont propres. [Domco Industries Ltd. c. Armstrong Cork Canada Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 53, page 65 (C.F. 1re inst.)]

[14]       Aux fins du présent appel, puisque j'ai conclu que le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit sur ce point, je dois déterminer si elle a clairement commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ordonnant aux demanderesses de produire les documents qu'elle leur a ordonné de produire; or, je conclus qu'elle n'a pas commis d'erreur. Il appartient au juge qui présidera l'audience ou à l'arbitre de décider de la méthode comptable qui sera finalement adoptée.


[15]       Pour les motifs susmentionnés, la requête est rejetée.

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête par laquelle un appel est interjeté contre les ordonnances que le protonotaire Aronovitch a rendues les 8 et 28 novembre 2001 est rejetée.

2.         La défenderesse a droit à ses dépens.

                                                                                                                « Edmond P. Blanchard »                     

                                                                                                                                                    Juge                                       

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-2078-00

INTITULÉ :                                              Bristol-Myers Squibb Company et al.

c. Apotex Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 15 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                               le 13 février 2002

COMPARUTIONS :

M. Anthony Creber                                                           POUR LES DEMANDERESSES

M. Jay Zakaib

(613) 786-0140

M. Nando DeLuca                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

(416) 979-2211

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Anthony Creber                                                           POUR LES DEMANDERESSES

Gowling Lafleur Henderson LLP

(613) 233-1781

M. H.B. Radomski                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Goodmans LLP

(416) 597-6262

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