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Date : 19980917

Dossier

T-2131-97

AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 38 et 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13

ET l'appel interjeté contre la décision rendue au nom du registraire des marques de commerce en date du 31 juillet 1997 sur la demande n' 700 883, au sujet de la marque de commerce DURAPLUSH

ENTRE

LES SOUS-TAPIS DURA LTÉE,

demanderesse (opposante),

-et­BASF CORPORATION,

défenderesse (requérante).

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE CULLEN

[1] Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision du registraire des marques de commerce (le registraire), datée du 31 juillet 1997, rejetant l'opposition des sous-tapis Dura Ltée (Dura) à l'enregistrement de la marque DURAPLUSH, n' de demande 700 883 (la marque), pour l'emploi en liaison avec de la thibaude.

Page 2 [2] La défenderesse, BASF Corporation (BASF), ne cherche plus à obtenir l'enregistrement de la marque. Elle a avisé le registraire par lettre datée du ler décembre 1997 qu'elle abandonnait sa demande. Le 21 janvier 1998, le registraire a confirmé que la demande était considérée comme retirée ou abandonnée. Dans ces circonstances, BASF a avisé la Cour, le 30 juillet 1998, qu'elle ne serait pas représentée à l'audience.

[3] Dura poursuit néanmoins l'appel interjeté contre la décision du registraire datée du 31 juillet 1997, sur le fondement que le registraire a commis des erreurs de fait et de droit dans sa décision de rejet de l'opposition à la demande de BASF, qui ne devraient pas subsister. Dura a déposé une demande unilatérale, datée du 23 décembre 1997, en vue d'obtenir une ordonnance fixant les heure, date et lieu de l'audience, demande qui a été accueillie par le juge Hugessen le 13 mars 1998.

QUESTIONS EN LITIGE

[4] 1. La Cour devrait-elle entendre l'appel?

2. Dura s'est-elle acquittée du fardeau de démontrer que le registraire

a)    a commis une erreur dans l'appréciation des faits ou dans l'interprétation du droit;

b)    a jugé à tort que BASF avait établi que la marque ne créait pas de confusion?

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LES FAITS ET LE CARACTÈRE THÉORIQUE

[5] Les faits, tels qu'ils sont allégués par Dura dans

l'avis d'appel, sont les suivants:

[TRADUCTION]

1. Le 13 mars 1992, la défenderesse (la requérante) a fait une demande d'enregistrement, sous le n' 700 883, de la marque DURAPLUSH à employer en liaison avec de la thibaude.

2. La demande revendiquait la priorité fondée sur la date de dépôt de la demande déposée aux États-Unis, soit le 27 novembre 1991.

3. La demande est fondée sur l'emploi projeté au Canada.

4. La demande de la défenderesse a été publiée dans le Journal des marques de commerce selon le paragraphe 37(1) de la Loi sur les marques de commerce le 30 septembre 1992.

5. Par déclaration d'opposition datée du 29 mars 1993 et modifiée le 7 avril 1993, l'appelante a fait opposition à la demande d'enregistrement de la défenderesse en invoquant les moyens suivants

a)     L'opposante est titulaire des enregistrements canadiens des marques suivantes

N' d' enr. Marctue

Marchandises

TMA134 075 DURA TMA119 362 DURACUSHION

Thibaude.

Moquette, tapis, tapis-brosses et paillassons, linoléums et autres revêtements de sol.

TMA100 853 DURALAY

Moquette, tapis, tapis-brosses et paillassons, linoléums et autres revêtements de sol,

revêtements muraux (non textiles), à l'exclusion de la toile cirée.

l'exclusion de la toile cirée.

TMA135 087 DURALUX       Thibaude en caoutchouc.

TMA169 500 DURATREAD Thibaude.

Les marques énumérées ci-dessus sont appelées dans la suite « les marques DURA de l'opposante » .

b)     La marque projetée de la requérante n'est pas enregistrable parce qu'elle crée de la confusion avec les marques DURA de l'opposante, et avec chacune d'entre elles.

c)     La requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque projetée DURAPLUSH parce que, à la date du dépôt de la demande, cette marque créait de la confusion avec toutes les marques DURA de l'opposante, lesquelles avaient été utilisées antérieurement au Canada, et également avec sa dénomination sociale et son nom commercial, LES SOUS-TAPIS DURA LTÉE, et avec son nom commercial LES SOUS­TAPIS DURA, également employés par l'opposante en relation avec la vente de thibaude et de produits connexes.

d)     La marque n'est pas distinctive, en ce qu'elle ne permet pas d'établir une distinction, et n'en établit pas, entre les marchandises en liaison avec lesquelles il est projeté de l'employer et les marchandises en liaison avec lesquelles l'opposante a employé et annoncé ses marques DURA, ainsi que sa dénomination sociale et ses noms commerciaux susmentionnés.

e)     La requérante originale, BASF CORPORATION, n'avait pas en fait l'intention d'employer la marque au Canada, à l'encontre de ce

qui était déclaré au paragraphe 2 de la demande déposée. En conséquence,

BASF CORPORATION n'était pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque lorsque la demande a été déposée;

(ii) la demande n'était pas conforme aux exigences de l'alinéa 30e) de la Loi sur les marques de commerce.

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l'alinéa 30e) de la Loi sur les marques de commerce.

[6] Dans le présent appel, Dura invoque les moyens a), b), c) et d) de la déclaration d'opposition.

[7] Par contre-déclaration datée du 8 juillet 1993, BASF a nié chacune des allégations formulées par Dura dans sa déclaration d'opposition. Les deux parties ont déposé des observations écrites et ont participé à l'audience devant la Commission d'opposition des marques de commerce. Par décision du 31 juillet 1997, le registraire a rejeté chacun des moyens d'opposition invoqués par Dura.

[8] Comme elle l'indique dans son avis d'appel, Dura

soulève les points suivants à l'égard de la décision du

registraire

[TRADUCTION]

a)     il n'a pas reconnu la preuve produite par l'opposante sur l'utilisation et la publicité de sa famille de marques et de noms commerciaux DURA ou ne lui a pas accordé le poids voulu;

b)     il a fait à tort une distinction entre les marques SUPER DURA et DURA; en fait et en droit, la marque SUPER DURA n'est qu'une variation, et une utilisation, de la marque de base DURA;

c)     il a jugé à tort que « l'enregistrement de la marque de l'opposante DURACUSHION ne comprend pas la thibaude; en fait, l'enregistrement comprend les « autres revêtements de sol » , ce qui comprend la thibaude;

d)     il a donné du poids, à tort, à la conclusion que « la réputation acquise par les noms commerciaux de l'opposante sous-

tapis Dura et Dura en tant que telle est limitée aux architectes et aux entrepreneurs commerciaux en revêtements de sol » , étant donné que les enregistrements de l'appelante ne sont pas limités à ces applications et que la demande de la défenderesse n'exclut pas non plus ces applications;

e)     il a donné du poids, à tort, à la conclusion que « les marchandises de la demanderesse sont d'abord destinées aux usages résidentiels et sont vendues au public par environ 250 magasins de vente au détail de tapis au Canada » , étant donné que la demande de la défenderesse n'est pas limitée à ces applications;

f)     il a énuméré à tort DURAVZNYL comme une marque de tiers pour les carrelages, alors qu'en fait il s'agit d'une marque

enregistrée appartenant à l'appelante; voir l'affidavit de Reischer, pièce B, enregistrement n' TMA271 636;

g)

il a donné du poids, à tort, à la preuve sur l'état du registre et sur la situation du marché concernant les marques et noms DURA appartenant à des tiers, alors qu'aucun ne se rapporte à la thibaude;

h)     il a considéré à tort la question de la confusion du point de vue de l'acheteur au détail moyen, plutôt que du point de vue

de l'acheteur commercial ou de l'architecte moyen; en fait, les deux points de vue doivent être considérés;

i)     il n'a pas donné de poids, à tort, à la preuve de l'opposante établissant qu'elle a pris des mesures pour préserver son exclusivité sur les marques DURA dans le domaine de la thibaude, et qu'en fait elle possède les seules marques DURA dans ce domaine au Canada;

j)

il a rejeté à tort le second affidavit de Nickerson au motif qu'il ne constituait pas une contre-preuve recevable;

k)     il a jugé à tort que « l'opposante ne peut revendiquer un droit de propriété sur le préfixe DURA » , alors qu'en fait DURA est une marque enregistrée de l'appelante pour la « thibaude » , ce qui signifie qu'elle a le droit exclusif d'utilisation de la marque dans tout le canada, droit qui ne peut être attaqué ou contesté dans la procédure d'opposition;

1)     il a jugé à tort qu' « il y a un seul membre de la « famille » de marques de

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l'opposante (abstraction faite de ses noms commerciaux) qui a acquis un degré significatif de réputation, à savoir la marque DURACUSHION » , et il n'a pas tenu compte, à tort, de la réputation dont jouissent les noms commerciaux Sous-tapis Dura et Les Sous-tapis Dura Ltée;

m)     il a jugé à tort que « la prétention que l'acheteur moyen supposerait que DURAPLUSH fait partie d'une famille de marques appartenant à l'opposante est dépourvue de fondement en fait » et, en tirant cette conclusion, il a négligé à tort le point de vue de l'acheteur commercial ou architecte moyen;

n)     pour arriver à sa conclusion, il a tenu compte, à tort, du fait que « la réputation acquise par les marques et les noms commerciaux de l'opposante est limitée aux architectes et aux professionnels commerciaux du revêtement de sol » , étant donné que la demande d'enregistrement de la défenderesse n'exclut pas cette catégorie d'acheteurs, et qu'il aurait dû considérer la question de la confusion du point de vue de cette catégorie d'acheteurs;

o)     pour arriver à sa conclusion, il a également donné du poids, à tort, à sa conclusion que « le préfixe DURA est courant chez les fabricants de revêtements de sol » ;

P)

compte tenu de toutes les erreurs susmentionnées, il a jugé à tort que la requérante s'était acquittée de son fardeau d'établir qu'à aucun moment de la période pertinente, la marque demandée DURAPLUSH n'a créé de confusion avec une des marques ou un des noms commerciaux de l'opposante.

NOTE SPÉCIALE

[9] La partie qui précède est présentée pour donner l'allure générale ou le contexte de l'argumentation sur le caractère théorique et, compte tenu de la décision à laquelle j'en arrive, elle est peut-être superflue.

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LE CARACTÈRE THÉORIQUE

[l0] La première question consiste à déterminer si, compte tenu de l'abandon par BASF de la marque en cause et de la reconnaissance de l'abandon par le registraire, l'appel a un caractère théorique. Avant d'en venir à l'argumentation au fond, j'ai posé à l'avocat de la demanderesse la question du caractère théorique, compte tenu de l'abandon de la demande d'enregistrement faisant l'objet de l'opposition. J'ai entendu quelques arguments préliminaires de l'avocat de la demanderesse, qui a ensuite demandé la permission de déposer des observations écrites pour établir qu'il n'y a pas lieu de rejeter la demande en raison de son caractère théorique. L'affaire a été ajournée indéfiniment et, le 8 septembre 1998 , la Cour a reçu les observations écrites de l'appelante.

[11] Bien que BASF ne poursuive plus sa demande, l'appelante prétend qu'il y a encore des questions que la Cour devrait trancher en appel.

[12] La question du caractère théorique a été traitée par le

juge Sopinka dans l'affaire Borowski c. Canada (Procureur

général), [1989] 1 R.C.S. 342 à la page 353

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou

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peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique.

[13] Le juge Sopinka a exposé la démarche que devraient

suivre les tribunaux dans l'analyse du caractère théorique,

aux pages 353 et 354:

En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire... Dans l'arrêt The King ex rel. Tolfree v. Clark, (1944] R.C.S. 69 .•. le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dit à la p. 72:

[TRADUCTION]      Il s'agit d'une de ces affaires où les circonstances auxquelles les procédures des tribunaux d'instance inférieure se rapportent et sur lesquelles elles sont fondées n'existent plus, le substratum du litige a disparu. Selon les principes reconnus, il n'est plus possible de connaître du pourvoi.

[14] Dans le présent appel, la demande d'enregistrement de la marque de commerce, qui constitue le fondement du litige, a été abandonnée. Il n'y a plus aucune source de litige et le résultat de l'appel ne peut avoir de conséquences sur les droits de Dura ou de BASF. Bref, il n'y a plus de demande ou de marque en litige.

Page 10 [15] Dans une lettre du 22 décembre 1997, Dura fait valoir que la décision frappée d'appel sera maintenue comme un précédent qui causera un préjudice à Dura dans l'avenir. Cela ne constitue pas une raison suffisante pour amener la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel. Le mode d'exercice du pouvoir discrétionnaire à cet égard a été exposé par le juge Sopinka dans l'arrêt Borowski, précité, à compter de la page 358. Il a exposé trois facteurs qui pourraient amener la Cour à continuer d'entendre une affaire; le premier de ces facteurs est que, notre système juridique étant conçu en fonction d'un modèle contradictoire, les parties doivent avoir des intérêts opposés de sorte qu'elles débattent complètement toutes les questions et tous les arguments.

[16] En l'espèce, avant l'abandon de la demande d'enregistrement, les parties avaient des intérêts opposés. Devant le registraire, elles ont toutes les deux présenté une argumentation écrite et, selon ce qu'indique le registraire à la page 2 de sa décision, [TRADUCTION]

« étaient représentées de façon experte par leurs avocats lors de l'audience » . Toutefois, j'ai quelque crainte que le fond de l'appel, qui constitue jusqu'à un certain point un appel de novo, ne soit pas débattu complètement, du fait que BASF a décidé de ne pas présenter d'observations. Bien que la Cour puisse entendre des appels où l'intimé n'est pas

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représenté, elle ne le fait qu'avec une grande réticence,

précisément pour cette raison : Bally Schuhfabriken AG c.

Big Blue Jeans (1992), 41 C.P.R. (3d) 205 (C.F. Ire inst.)

aux pages 214 et 215. Dans l'affaire Bally, le juge Rouleau

a tenu compte des observations du juge Cattanach dans

Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba

Distillery Ltd. (1976), 25 C.P.R. (2d) 1, aux pages 4 et 5

Il incombe à l'appelante de démontrer que la décision du registraire n'est pas fondée. Cela place le juge dans un rôle odieux car il doit veiller à ce que l'avocat de l'appelante s'acquitte de cette charge mais il est privé du concours de l'avocat de l'intimée. Cela oblige le juge à soulever les points favorables à l'intimée et défavorables à l'appelante et à demander à l'avocat de l'appelante d'éclairer la Cour à ce sujet, comme il appartient au juge de le faire. En mettant le juge dans l'obligation de procéder de la sorte, on en fait presque l'avocat de l'intimée. C'est pourquoi j'ai dit que la décision de l'intimée de ne pas être représentée m'avait obligé à assumer une tâche « odieuse » .

[17] Les autres motifs qui peuvent amener la Cour à entendre une affaire malgré l'absence de litige ont été exposés par le juge Sopinka dans l'arrêt Borowski, précité, à la

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La saine économie des ressources judiciaires n'empêche pas l'utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles, à la solution d'un litige théorique, lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient.

L'économie des ressources judiciaires n'empêche pas non plus d'entendre des affaires devenues théoriques dans les cas où la décision de la cour aura des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l'action.

[18] L'appelante fait valoir que la question du caractère

théorique ne se pose pas, puisque ni BASF ni le registraire

Page 12 des marques de commerce ne l'ont soulevée. En second lieu, l'appelante soutient que l'affaire n'est pas théorique parce qu'il subsiste un litige entre les parties du fait que la licenciée de BASF continue d'employer la marque faisant l'objet de la demande d'enregistrement abandonnée. Enfin, l'appelante prétend que, si l'affaire est théorique, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de l'entendre.

ANALYSE ET APPLICATION À L'ESPÈCE

[19] À l'appui de sa prétention que la question du caractère théorique ne se pose pas, l'appelante cite l'affaire Société canadienne des postes c. Mail Boxes Etc. USA, Inc. ( ° Société canadienne des postes"), (1997) 78 C.P.R. (3d) 82 (C.F. 1re inst.), soutenant que les circonstances étaient [TRADUCTION] « ... exactement les mêmes ... » et que [TRADUCTION]

« ... Madame le juge Reed a considéré que l'ordonnance mettant l'affaire au rôle l'obligeait à entendre l'appel » .

[20] Je ne vois pas de circonstances spéciales en l'espèce qui justifient d'entendre l'appel, compte tenu du fait qu'il ne subsiste pas de litige entre les parties. Dura n'a pas fait valoir d'argument satisfaisant à cet égard. Bien que, dans son premier moyen, Dura allègue que le registraire « a, en fait, invalidé » ses marques de commerce, il n'y a pas de déclaration en ce sens, et cela n'aurait pas été un recours viable dans les circonstances. En effet, l'idée que la

Page 13 décision du registraire causera un préjudice à Dura à l'égard de ses marques DURA dans l'avenir est très douteuse. Dura présume que la décision portée en appel, de quelque manière, définit ses droits futurs ou lui porte préjudice en tant que précédent dans des demandes ou des oppositions à venir, alors que je pense qu'il convient de présumer que le registraire examinera toute demande ou opposition à venir en fonction de ses propres circonstances et conformément à la Loi. L'appel n'a donc pas d'effet pratique sur les droits de Dura ou de BASF.

[21] Je n'accepte pas l'argument que l'affaire société canadienne des postes, précitée, à la page 84, présente des circonstances analogues en tout point à la présente affaire. À mon humble avis, cette affaire se distingue de la présente espèce. En effet, dans cette affaire, il y avait d'autres procédures en cours entre les parties, auxquelles la procédure en cause avait directement rapport. Dans l'arrêt Borowski, précité, à la page 353, la Cour a jugé que la doctrine relative au caractère théorique s'applique « ... quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties » . Le juge Reed a probablement reconnu que le fait de trancher les questions en litige dans l'affaire société canadienne des postes, précitée, était susceptible, au moins, de régler les autres conflits entre les parties. En

Page 14 l'espèce, il n'y a pas d'autres procédures entre les parties, de sorte que l'argument de l'appelante que le caractère théorique n'est pas une question en litige et que l'affaire n'est pas théorique, tombe.

[22] L'appelante plaide également que l'affaire n'est pas théorique parce que la licenciée de BASF, Woodbridge Foam Corporation (Woodbridge), continue d'employer la marque en question et que la décision du registraire portant que cette marque ne crée pas de confusion avec celle de la demanderesse a force de chose jugée. À mon humble avis, il y a deux questions à examiner à cet égard. D'abord, est-ce qu'une décision de la Cour annulant le refus du registraire d'accepter l'opposition de l'appelante à l'enregistrement par BASF de la marque empêcherait Woodbridge d'employer celle-ci? Dans la demande initiale d'enregistrement de la marque en question, c'est BASF, et non Woodbridge, qui figure comme requérante. Donc, Woodbridge n'est pas partie à la présente action et la poursuite de l'emploi de la marque n'est pas en cause. Le raisonnement de l'appelante ne serait logique que si un éventuel jugement de la Cour empêchait BASF et tous ses licenciés d'employer la marque. Pour empêcher Woodbridge d'employer la marque, l'appelante peut intenter contre Woodbridge une action pour usurpation de marque, dans laquelle les deux parties seraient représentées par avocat, ce qui déchargerait le juge d'un rôle odieux.

Page 15 [23] En outre, les faits relatifs à l'emploi de la marque par Woodbridge, tels que la date du premier emploi et les produits et services en liaison avec lesquels la marque est employée, présentent vraisemblablement des différences par rapport aux faits faisant l'objet de la décision du registraire. Donc, une décision concernant BASF ne s'appliquera pas nécessairement à Woodbridge.

[24] Enfin, l'appelante fait valoir que, même si l'affaire est théorique, la Cour devrait l'entendre parce que des tiers vont citer la décision de la Commission des oppositions dans d'autres procédures contre elle. Encore ici, elle invoque l'affaire Société canadienne des postes, précitée, en relevant que, dans cette affaire, on avait invoqué contre la demanderesse, dans d'autres procédures, la décision défavorable de la Commission des oppositions. La demanderesse s'inquiète de la possibilité que des tiers s'appuient sur la décision de la commission des oppositions [TRADUCTION] « pour justifier des incursions dans son domaine exclusif » .

[25] Encore ici, l'affaire Société canadienne des postes, précitée, doit être distinguée, parce que le juge Reed tenait compte de procédures réelles qui étaient en cours; en l'espèce, la demanderesse ne fait référence qu'à des procédures futures qu'elle prévoit, lesquelles seront

Page 16 décidées sur la base des faits s'y rapportant et en fonction de leur bien-fondé, chaque partie étant représentée par son avocat.

[26] En conséquence, je juge que l'affaire est théorique.

B. Cullen

Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 17 septembre 1998.

Traduction ce     fiée conforme Ghislaine Poitras LL. L.­

COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N' DU GREFFE : T-2131-97

INTITULÉ DE LA CAUSE : LES SOUS-TAPIS DURA LTÉE ET BASF CORPORATION

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario) DATE DE L'AUDIENCE : le 2 septembre 1998 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CULLEN EN DATE du 17 septembre 1998

ONT COMPARU

M. A. David Morrow        Pour la demanderesse/opposante Aucune comparution                          Pour la défenderesse/requérante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Smart & Biggar            Pour la demanderesse/opposante Ottawa (Ontario)

Aucune comparution        Pour la défenderesse/requérante

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