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Date : 20021119

Dossier : T-2120-01

Référence neutre : 2002 CFPI 2009

ENTRE :

                                                             JOHN R. PINKNEY

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Les présents motifs font suite à la requête présentée par le demandeur afin d'interroger au préalable plus d'une personne, nul représentant de la défenderesse n'ayant à lui seul une connaissance directe des faits survenus trois jours différents.

[2]                 L'avocat de la défenderesse a informé le demandeur qu'un représentant de la Couronne serait désigné aux fins de l'interrogatoire préalable. Il s'agira d'un employé du Service correctionnel du Canada ayant une connaissance directe des faits en cause ou qui se sera renseigné à leur sujet.


EXAMEN

[3]                 Selon la règle 237(2), lorsque la Couronne doit faire l'objet d'un interrogatoire préalable, il appartient au procureur général du Canada de désigner un représentant pour répondre en son nom.

[4]                 Suivant la règle 235, sauf autorisation de la Cour, l'interrogatoire au préalable d'une partie adverse ne peut avoir lieu qu'une seule fois. La règle 237(3) prévoit que la Cour peut, sur requête de la partie qui procède à l'interrogatoire, ordonner qu'un autre représentant de la Couronne soit interrogé à la place de celui qui a été désigné. Voici les extraits pertinents des règles.

Interrogatoire unique

235. Sauf autorisation contraire de la Cour, une partie ne peut interroger au préalable une partie adverse qu'une seule fois.

...

Interrogatoire d'une personne morale

237. (1) ...

Interrogatoire de la Couronne

(2) Lorsque la Couronne est soumise à un interrogatoire préalable, le procureur général du Canada désigne un représentant pour répondre en son nom.

Substitution ordonnée

(3) La Cour peut, sur requête d'une partie ayant le droit d'interroger une personne désignée conformément aux paragraphes (1) ou (2), ordonner qu'une autre personne soit interrogée à sa place.

Single examination

235. Except with leave of the Court, a party may examine for discovery any adverse party only once.

...

Representative selected

237. (1) ...

Examination of Crown

(2) Where the Crown is to be examined for discovery, the Attorney General of Canada shall select a representative to be examined on its behalf.

Order for substitution

(3) The Court may, on the motion of a party entitled to examine a person selected under subsection (1), or (2) order that some other person be examined.


Je reproduis également, à des fins de comparaison, le libellé de la disposition qu'a remplacée la règle 235, en 1990, soit l'ancienne règle 465(19) :

La Cour pourra, pour des raisons spéciales, mais exceptionnellement, et dans sa discrétion, ordonner un autre examen préalable en vertu de la présente Règle. [Non souligné dans l'original.]

The Court may, for special reason in an exceptional case, in its discretion, order a further examination for discovery after a party or assignor has been examined for discovery under this Rule.

[5]                 La règle 465(19) exigeait, pour qu'un deuxième interrogatoire préalable puisse avoir lieu, qu'il s'agisse d'un cas exceptionnel et que des raisons spéciales le justifient. Ces exigences ont été abandonnées en 1990 lors de la modification des règles applicables. Les règles issues de la réforme de 1990 s'apparentent à celles de 1998, qui s'appliquent actuellement. Ainsi, la prudence s'impose vis-à-vis des décisions rendues par la Cour fédérale avant 1990. Cela étant dit, je renvoie tout d'abord, comme je l'ai fait dans Liebmann c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1996), 110 F.T.R. 284, à ce qui demeure le principe général applicable en matière d'interrogatoire préalable. Ce principe a été énoncé par le juge Strayer, (maintenant juge à la Section d'appel) dans Dillingham Construction Ltd. c. Standard Telefon OG Kabelfabrik A/S (1987), 11 F.T.R. 223, à la page 224 :


[4]       En premier lieu, le principe général en matière d'interrogatoire préalable est que celui-ci doit être aussi large que possible, sous réserve uniquement des questions de pertinence et d'équilibre entre les coûts et l'utilité qu'il y a à obtenir des renseignements très peu pertinents. Ce principe général reflète les avantages que comportent la délimitation et la restriction des questions en litige et l'accomplissement avec diligence de l'instruction de l'action. En deuxième lieu, la partie qui procède à l'interrogatoire préalable a normalement le droit d'obtenir des réponses orales à ses questions et de poser des questions supplémentaires pour clarifier les réponses ainsi obtenues. En troisième lieu, conformément au paragraphe 465(19) des Règles, la Cour a le droit d'ordonner que le représentant de la partie adverse qui a déjà été interrogé au préalable soit à nouveau interrogé ou qu'un autre représentant de cette partie soit interrogé.

J'examinerai la question de l'interrogatoire d'un autre représentant en renvoyant à des décisions de la Cour fédérale et de tribunaux de la Colombie-Britannique.

[6]                 Tout d'abord, le juge Hugessen (maintenant juge à la Section de première instance) a fait observer, dans Lubrizol Corporation c. Imperial Oil Ltd. (2000), 184 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.), que dans une affaire compliquée, une seule personne ne peut avoir connaissance de tous les faits pertinents : « On ne peut s'attendre à ce qu'un témoin quelconque soit pleinement informé sur chacun [des] aspects [de l'affaire]... » ; mais il a ajouté que le témoin en cause était informé d'au moins un aspect de l'affaire et qu'il était en mesure d'obtenir un complément d'information et de le communiquer à la partie adverse (à la page 103).


[7]                 Suivant la règle 241, la personne soumise à un interrogatoire préalable doit se renseigner, avant celui­-ci, auprès des dirigeants, des fonctionnaires, des agents ou des employés actuels ou antérieurs de la partie en cause. Même si elle n'est pas tenue de se renseigner lorsque l'effort, le temps requis, les frais et les difficultés l'emportent sur l'utilité d'une réponse (voir Hayden Manufacturing Co. Ltd. c. Canplas Industries Ltd. (1998), 173 F.T.R. 229, p. 234 -235), elle doit faire de son mieux pour obtenir les renseignements d'un tiers (Crestbrook Forest Industries Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1993] 3 C.F. 251, p. 265-266 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée dans (1993), 163 N.R. 320). Je me penche maintenant sur certaines décisions pertinentes rendues en Colombie-Britannique relativement à la règle 27(5)c) prévoyant l'interrogatoire préalable d'une deuxième personne, moyennant l'autorisation de la cour.

[8]                 Dans Morrison-Knudsen Company Inc. c. B.C. Hydro and Power Authority (1970), 75 W.W.R.757, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique s'est demandée si l'on devait enjoindre à un dirigeant d'entreprise d'obtenir des renseignements plus complets ou s'il était plus pratique et opportun d'interroger une autre personne. Elle a établi une analogie avec une affaire d'accident de la route (à la page 760) :

[Traduction] Il arrive qu'il soit préférable d'interroger un autre dirigeant de la société au lieu d'enjoindre à celui qui est interrogé initialement d'obtenir auprès d'autres mandataires ou dirigeants de la société des renseignements complets sur l'objet de l'interrogatoire. Je crois qu'il est souhaitable de le faire lorsque, dans le contexte d'un accident de la route, un conducteur d'autobus est accusé de négligence et qu'il est proposé que l'administrateur délégué de la société aille voir le conducteur d'autobus et obtienne sa version des faits, puis en fasse état dans le cadre de l'interrogatoire préalable. Je crois que le plus simple serait d'interroger le conducteur d'autobus directement.

Il peut arriver qu'il soit plus pratique d'enjoindre au dirigeant soumis à l'interrogatoire préalable de se renseigner davantage sur l'objet de l'interrogatoire.


Dans Morrison-Knudsen, le Juge en chef a préconisé une solution de rechange pragmatique au témoignage indirect, soit l'interrogatoire préalable de la personne en cause. Bien qu'il soit prématuré de trancher à cet égard, le témoin de la Couronne n'ayant pas encore été interrogé, les deux parties devraient garder cette solution de rechange présente à l'esprit.

[9]                 Dans les motifs qu'il invoque dans son avis de requête, M. Pinkney demande que d'autres personnes soient soumises à l'interrogatoire préalable dans le but, du moins en partie, d'établir comment il y aurait eu entrave à la justice. M. Pinkney devra se rappeler que l'interrogatoire préalable n'est pas une recherche à l'aveuglette. Je renvoie à la décision de M. le juge Bouck, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui, dans Aintree Investments Ltd. c. West Vancouver (1977), 5 B.C.L.R. 216, s'est penché sur divers arrêts de jurisprudence portant sur l'interrogatoire préalable d'une deuxième personne. Au nombre des facteurs qu'il a pris en considération à cet égard, mentionnons le coût et la question de savoir si la portée du deuxième interrogatoire préalable devrait être limitée lorsqu'il semble s'agir essentiellement d'une recherche à l'aveuglette.

[10]            Dans Newfoundland Processing Ltd. c. The "South Angela" (1988), 24 F.T.R. 116, à la page 120, le juge Teitelbaum a rappelé que l'interrogatoire préalable visait l'obtention de faits pertinents aux actes de procédure et qu'il ne devait pas sombrer dans la recherche à l'aveuglette par la multiplication des témoins.


[11]            Dans Bland c. International Sealand Shipping Service Ltd. (1979), 18 B.C.L.R. 40 (C.S.C.-B.), M. le juge Bouck a rejeté la demande visant l'interrogatoire préalable d'un deuxième dirigeant de la société défenderesse. S'appuyant sur Ball c. B.C. Electric Co. Ltd. (1951), 4 W.W.R. (N.S.) 478 (C.S.C.-B.), il a signalé que la partie voulant interroger une deuxième personne devait établir que le témoin initial n'était pas en mesure de témoigner dans le sens voulu, ni à partir de sa connaissance personnelle ni s'il se renseignait.

[12]            Dans Lord c. Royal Columbian Hospital (1981), 43 B.C.L.R. 147 (C.A.C.-B.), la Cour a signalé que la raison d'être de l'interrogatoire préalable n'était pas que tous les témoins susceptibles de connaître des faits pertinents puissent être interrogés, et qu'il incombait plutôt [Traduction] « ...à l'avocat qui demande la tenue d'un interrogatoire supplémentaire de convaincre le juge siégeant en chambre que la personne soumise à l'interrogatoire préalable pour répondre au nom de la partie adverse ne peut se renseigner convenablement sur l'objet de cet interrogatoire » (à la page 150).

[13]            Ce principe voulant qu'un deuxième témoin ne puisse être interrogé que si le premier établit qu'il ne peut se renseigner convenablement est l'un de ceux qui ont été examinés dans Richter Gedeon Vegyészeti Gyar Rt c. Merck & Co., [1995] 3 C.F. 330, à la page 335; (1995), 185 N.R. 88, à la page 91. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a dit que tant que la première personne n'a pas établi, pendant l'interrogatoire préalable, qu'elle n'est pas une personne bien renseignée, la partie qui procède à l'interrogatoire ne peut se prévaloir de la règle de la Cour fédérale qui permet d'interroger une autre personne au préalable. Elle a apporté une précision qui est pertinente en l'espèce (à la page 335) :


Comme en l'espèce les interrogatoires préalables n'avaient pas encore eu lieu, le juge des requêtes a rejeté cette partie de la requête, mais sous réserve du droit pour les appelantes de présenter de nouveau leur demande dans des circonstances appropriées. Cette partie de l'ordonnance n'a fait l'objet d'aucun appel.

La Cour d'appel fédérale renvoie dans ce cas à ce qui constituait, selon elle, une requête prématurée en vue de soumettre certaines autres personnes nommément désignées à l'interrogatoire préalable, celui-ci n'ayant pas encore débuté.

[14]            Afin de guider les parties et en prévision de ce qui pourrait bien ressortir de l'interrogatoire préalable, j'énoncerai les facteurs à prendre en considération avant d'ordonner qu'une deuxième personne soit soumise à un interrogatoire préalable et je me pencherai sur la question de savoir si l'interrogatoire préalable doit se dérouler en entier avant que la partie qui y procède puisse demander à entendre une autre personne.

[15]            Dans Rogers c. Bank of Montreal (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 132, M. le juge Macdonald, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a été saisi d'une demande visant l'interrogatoire préalable d'un deuxième représentant de la banque défenderesse. Il a signalé que les tribunaux ne s'entendaient pas quant à savoir si, à titre de condition préalable, le premier interrogatoire doit avoir été mené à terme.


[16]            À mon avis, étant donné le coût élevé d'une instance en justice, la partie qui procède à l'interrogatoire doit pouvoir demander la tenue d'un deuxième interrogatoire, soit en fait le remplacement du témoin, dès qu'elle estime pouvoir le justifier. Je crois pouvoir invoquer à l'appui la remarque du Juge en chef dans Richter Gedeon :

Tant que les personnes désignées par l'intimée n'avaient pas montré durant l'interrogatoire préalable qu'elles n'étaient pas des personnes bien renseignées au sens du paragraphe 456(2), les appelantes ne pouvaient pas invoquer à leur avantage les dispositions du paragraphe 456(4). (loc. cit.)

Je remarque qu'il emploie l'expression « ... durant l'interrogatoire préalable » , et j'en conclus que l'interrogatoire ne doit pas être terminé pour que l'on puisse demander à interroger une deuxième personne.

CONCLUSION

[17]            La requête visant la tenue de plus d'un interrogatoire préalable est prématurée, personne n'ayant encore été interrogé au préalable. M. Pinkney ne peut donc pas établir que le témoin de la Couronne n'est pas en mesure de témoigner dans le sens voulu. Il devra donc interroger la personne désignée par la Couronne et se satisfaire, du moins initialement, de ce que le témoin appelé à être interrogé au préalable a l'obligation de faire de son mieux pour se renseigner sur les faits en cause. Ce n'est que dans l'éventualité où il estimerait pouvoir justifier l'interrogatoire préalable d'une deuxième personne qu'il pourra présenter une demande en ce sens.


[18]            Des dépens d'un montant forfaitaire de 200 $ sont adjugés à la défenderesse, quelle que soit l'issue de la cause.

(s) « John A. Hargrave »

                                                                                          Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

19 novembre 2002

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE EXAMINÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                       T-2120-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :           John R. Pinkney c. Sa Majesté la Reine

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                     19 novembre 2002

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

John R. Pinkney                                                                     DEMANDEUR

Malcolm Palmer                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John R. Pinkney                                                                     POUR SON PROPRE COMPTE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris A. Rosenberg                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)


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