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Date : 20011206

Dossier : IMM-1316-97

Référence neutre : 2001 CFPI 1374

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 DÉCEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :

                                                         ANGELA CHESTERS                                                         

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                              SA MAJESTÉ LA REINE EN CHEF DU CANADA,

                                                         REPRÉSENTÉE PAR

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT


        Dans la lettre qu'elle a déposée le 30 novembre 2001 conformément au paragraphe 35(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), l'avocate de la défenderesse a demandé qu'une séance spéciale soit tenue le 20 ou le 21 décembre 2001 en vue de l'audition d'une requête en jugement sommaire. Les documents relatifs à la requête de la défenderesse ont été déposés avec la correspondance des avocats. L'avocate a indiqué que l'audition de la requête durerait plus de deux heures.

        Dans cette action, la demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant que la disposition relative à la non-admissibilité fondée sur des raisons d'ordre médical, compte tenu des fardeaux excessifs qui en résulteraient pour les services sociaux ou de santé, laquelle figure au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, n'est pas compatible avec les articles 7 et 15 de la Charte. La demanderesse sollicite également des dommages-intérêts généraux de 100 000 $ par suite de la violation de ses droits ainsi que de la souffrance morale et du trouble émotionnel et psychologique qui lui sont causés, conformément à l'article 24 de la Charte.

        Par une ordonnance en date du 24 février 2000, la date d'instruction de la présente action a d'abord été fixée au 11 décembre 2000. La défenderesse ayant présenté une requête en ajournement et puisque l'avocat de la demanderesse a reconnu que l'instruction ne serait pas terminée dans le délai de cinq jours qu'il avait initialement mentionné, l'audience a été ajournée pour une période indéfinie. Le 18 décembre 2000, la nouvelle date de l'instruction a été fixée au 7 janvier 2002.


        La requête en jugement sommaire de la défenderesse est fondée sur la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001, mais qui n'est pas encore entrée en vigueur. Selon la défenderesse, la demande de la demanderesse n'a plus qu'un intérêt théorique puisque la demanderesse ne serait plus inadmissible pour des raisons d'ordre médical en vertu du paragraphe 38(2) de la nouvelle loi. Tel semble être le principal motif à l'appui de la requête en jugement sommaire, mais la défenderesse soutient également qu'il est impossible d'obtenir des dommages-intérêts pour une action intentée conformément à une loi inconstitutionnelle parce qu'un recours rétroactif ne devrait pas pouvoir être exercé à la suite d'une décision portant sur l'invalidité.

        Après avoir entendu les parties hier au moyen d'une conférence téléphonique, j'ai refusé d'accorder une séance spéciale aux fins de l'audition de la requête en jugement sommaire. À mon avis, fixer la date de l'audition de la requête en jugement sommaire environ deux semaines avant l'instruction nuirait d'une façon indue à la préparation de l'instruction. Voici les motifs pour lesquels je refuse la demande de la défenderesse.


        En vertu du paragraphe 213(2) des Règles, le défendeur peut demander un jugement sommaire avant que la date de l'instruction soit fixée. Voir : British Columbia Ferry Corp. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1999] A.C.F. 1705 (1re inst.) (QL). Je n'ai pas à trancher et je ne tranche pas la question en ce moment, mais je ne suis pas convaincu qu'il doive être renoncé à l'application du paragraphe 213(2) des Règles eu égard aux circonstances de la présente espèce, la date initiale de l'instruction ayant été fixée il y a près de deux ans.

        Après avoir présenté une offre d'octroi du droit d'établissement à la demanderesse dans le cadre du règlement proposé, au mois d'août 2000, la défenderesse a demandé la délivrance d'une ordonnance portant que la présente action n'a pas à être entendue puisqu'elle n'a plus qu'un intérêt théorique. Cette requête a été rejetée par Monsieur le protonotaire Lafrenière, qui a énoncé comme suit les motifs de la réparation demandée par la défenderesse :

[TRADUCTION] La défenderesse demande maintenant, en invoquant deux moyens, une ordonnance déclarant que la présente action est théorique. D'abord, elle affirme que le fondement sur lequel la procédure a été introduite a cessé d'exister parce qu'une offre a été faite par écrit le 30 août 2000 qui conférait le droit d'établissement à la demanderesse. Deuxièmement, la défenderesse affirme que l'action de la demanderesse ne peut réussir parce que l'octroi de dommages-intérêts ne peut accompagner une déclaration d'inconstitutionnalité si la demanderesse fonde sa réclamation en dommages-intérêts uniquement sur les présumées mesures inconstitutionnelles du gouvernement.

        Le protonotaire Lafrenière a statué sur le premier motif comme suit :


[TRADUCTION] S'agissant du premier moyen, malgré l'excellente argumentation de l'avocat de la défenderesse, je ne suis pas persuadé que l'offre de droit d'établissement faite par la défenderesse à la demanderesse a rendu théorique la présente action. En passant, le fait que l'offre était conditionnelle n'a pas d'incidence sur ma décision. Par suite de la décision du protonotaire principal adjoint, la réclamation de la demanderesse a été modifiée par suppression de l'attribution du droit d'établissement en tant que recours. La demanderesse sollicite plutôt une déclaration selon laquelle le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration est incompatible avec les articles 7 et 15 de la Charte et qu'il est invalide, et elle sollicite aussi des dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle aurait subi par suite de l'application de la disposition inconstitutionnelle. À mon avis, la question de savoir si la demanderesse a droit à des dommages-intérêts parce que ses droits selon la Charte ont été niés reste une controverse actuelle entre les parties.

[Non souligné dans l'original.]

        Quant au deuxième argument de la défenderesse, à savoir que l'action en dommages-intérêts de la demanderesse ne saurait être accueillie, le protonotaire Lafrenière a fait remarquer ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] La Cour suprême du Canada a établi la règle générale selon laquelle un recours selon l'art. 24 de la Charte sera rarement possible en même temps qu'une déclaration d'inconstitutionnalité, même si elle a laissé la porte ouverte à de telles réclamations en dommages-intérêts, encore que dans des circonstances exceptionnelles (voir Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, page 360). Je ne puis conclure, au vu du dossier, que les faits de la présente espèce ne justifient pas une entorse à la règle générale. C'est là une matière qui se prête à un procès.

[Non souligné dans l'original.]

      Par la suite, Madame le juge Dawson a rejeté l'appel que la défenderesse avait interjeté contre la décision du protonotaire Lafrenière; en adjugeant les dépens à l'encontre de la défenderesse, le juge a fait remarquer qu'elle n'était pas convaincue que l'ordonnance du protonotaire Lafrenière aurait dû être portée en appel. La défenderesse n'a pas contesté l'ordonnance du juge Dawson devant la Cour d'appel.


      Lors de la première tentative que la défenderesse a faite en vue de faire rejeter l'action pour le motif qu'elle n'avait plus qu'un intérêt théorique, le fondement factuel était que la défenderesse avait offert à la demanderesse le statut d'immigrant admis. Dans la requête en jugement sommaire proposée, le fondement factuel est l'adoption de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés en vertu de laquelle les époux de citoyens canadiens, et la demanderesse est l'épouse d'un citoyen canadien, bénéficieraient d'une dispense, en ce qui concerne la non-admissibilité fondée sur des raisons d'ordre médical découlant du fardeau excessif qui serait imposé. En ce qui concerne la défenderesse, [TRADUCTION] « [...] il n'y a plus de controverse actuelle ou de différend concret parce que la loi a été modifiée et que le motif sur lequel le litige est fondé a disparu » .

      La première requête que la défenderesse a présentée en vue du rejet était fondée sur un projet de règlement en vertu duquel le droit d'établissement était accordé à la demanderesse, lequel se rattachait au document portant sur la politique du ministère intitulé « Dispenses relatives à l'interdiction pour fardeau excessif » . Si je comprends bien, la présente requête en jugement sommaire est fondée sur le texte législatif donnant suite à la politique proposée.


      À mon avis, le fondement factuel de la requête en rejet de l'action peut avoir changé, mais les motifs sont toujours les mêmes. Cela ne veut pas pour autant dire que le principe de la chose jugée fait obstacle à la requête en jugement sommaire de la défenderesse. Je ne prétends pas non plus statuer sur la requête en jugement sommaire dans les présents motifs. Toutefois, je ne comprends pas de quelle façon l'adoption de la nouvelle loi influe sur la conclusion tirée par le protonotaire Lafrenière, confirmée en appel par le juge Dawson, à savoir que [TRADUCTION] « [...] la question de savoir si la demanderesse a droit à des dommages-intérêts parce que ses droits selon la Charte ont été niés reste une controverse actuelle entre les parties » . L'action de la demanderesse est fondée sur la législation actuelle plutôt que sur la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui n'est pas encore entrée en vigueur. Dans la lettre qu'il a envoyée à la Cour le 4 décembre 2001, l'avocat de la demanderesse a affirmé que la nouvelle loi n'influait pas sur le présent litige.

      En résumé, le fait qu'il ne reste qu'un mois avant l'instruction, que des inconvénients seraient causés à la demanderesse et qu'il n'est pas équitable que la demanderesse doive interrompre la préparation de l'instruction en vue de se défendre contre deuxième tentative qui est faite en vue de faire rejeter l'action pour le motif qu'elle n'a plus qu'un intérêt théorique l'emporte, eu égard aux circonstances de la présente espèce, sur la demande que la défenderesse a faite pour qu'une séance spéciale ait lieu le 20 ou le 21 décembre aux fins de l'audition de la requête en jugement sommaire.


                                                              ORDONNANCE

Par conséquent, la demande visant la tenue d'une séance spéciale, le 20 ou le 21 décembre 2001, aux fins de l'audition de la requête en jugement sommaire de la défenderesse est rejetée.

« Allan Lutfy »

Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-1316-97

INTITULÉ :                                                                     Angela Chesters

c.

le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 5 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge en chef adjoint Lutfy

DATE DES MOTIFS :                                                  le 6 décembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Ronald Poulton                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Mme Edna Chadha

Mme Debra McAllister                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

M. Kevin Lunney                                                              

M. David Baker                                                                POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann et associés                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Shell Jacobs                                                                       POUR L'INTERVENANTE

Toronto (Ontario)

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