Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010423

Dossier : IMM-1241-00

Référence neutre : 2001 CFPI 373

ENTRE :

                                             CHRISTOPHER DENNIS MCLAREN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -                                                              

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]         Le demandeur sollicite, en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), le contrôle judiciaire d'une décision (la deuxième décision) par laquelle un représentant du ministre, le directeur général, gestion des cas (le représentant du ministre) a refusé, le 21 février 2000, de réexaminer une décision antérieure rendue le 29 juin 1998 (la première décision). La première décision portait, en vertu des paragraphes 70(5) et 46.01(1)(e) de la Loi, que le demandeur constituait un danger pour le public.


Les faits

[2]         Le demandeur, âgé de 30 ans, est né en Grenade. il est arrivé au Canada pour la première fois à l'âge de 12 ans et, hormis un séjour de deux ans en Grenade entre 1976 et 1978, il a vécu ici toute sa vie. Il est devenu résident permanent en 1988 à l'âge de 18 ans.

[3]         En 1996, le demandeur a été accusé de possession de stupéfiant dans le but d'en faire le trafic et il a été détenu cinq mois avant son procès. Il a reconnu sa culpabilité, puis il a été libéré après s'être engagé à comparaître au prononcé de sa sentence. Parmi les conditions rattachées à sa libération, il s'est engagé à résider dans un centre de thérapie pour toxicomanes.

[4]         Le demandeur a commencé à vivre en union de fait avec Shiva Ghogolsadeh en février 1997. Le même mois, il a comparu à l'audience relative au prononcé de sa sentence. Toutefois, l'audience a été reportée parce que le rapport du centre de thérapie pour toxicomanes n'avait pas été préparé. Peu après sa comparution en cour, il a quitté le centre de thérapie pour toxicomanes et ne s'est pas présenté à la reprise de l'audience relative au prononcé de sa sentence, le 10 avril 1997.

[5]         Le demandeur a été arrêté le 19 octobre 1997 et accusé de défaut de comparaître. Il a aussi donné un faux nom aux policiers lors de son arrestation, ce pourquoi il a été accusé d'entrave au travail d'un policier. Le 27 octobre 1997, le demandeur a reconnu sa culpabilité à ces deux accusations et il a été condamné à un an de prison pour ces infractions ainsi que pour sa déclaration de culpabilité antérieure.


[6]         Le fils du demandeur est né le 14 mai 1998, pendant le séjour en prison du demandeur. Le mois suivant, le représentant du ministre a rendu la première décision. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la première décision et a obtenu l'autorisation de la Cour; sa demande a toutefois été rejetée le 19 février 1999, au motif que la première décision était raisonnable.

[7]         Parce qu'il a été tenu pour constituer un danger pour le public, le demandeur est demeuré en prison plus d'un an. Il n'a été relâché qu'en septembre 1999.

[8]         Environ trois mois après sa libération, le demandeur a été interrogé par le Dr Randy Atkinson. Celui-ci a préparé un rapport psychologique en date du 20 janvier 2000 (le rapport Atkinson) dans lequel il a évalué le risque de récidive du demandeur. Le demandeur a retenu les services d'un nouvel avocat qui a écrit au représentant du ministre le 2 février 2000 pour lui demander de réexaminer la première décision à la lumière d'une « nouvelle » preuve, comprenant le rapport Atkinson. Toutefois, dans sa deuxième décision, le représentant du ministre a refusé de réexaminer la première décision.

La deuxième décision

[9]         La deuxième décision est une lettre d'une page en date du 21 février 2000. Le passage pertinent est reproduit ci-dessous :

[Traduction] J'ai examiné votre demande et, à la suite de cet examen, je désire vous informer que je crois pas que votre demande fait valoir des motifs suffisants pour justifier la révision de ma décision existante.


Les questions en litige

[10]       La première question en litige consiste à déterminer si le représentant du ministre a manqué aux règles de l'équité procédurale en ne fournissant pas de motifs ou pas de motifs écrits suffisants à l'appui de la deuxième décision. La deuxième question en litige est celle de savoir si la deuxième décision était raisonnable et la troisième question consiste à déterminer si le défaut de divulguer un courriel interne du ministère constituait un manquement aux principes de justice naturelle.

Débat sur les questions en litige

[11]       La première décision, qui affirme que le demandeur constitue un danger pour le public, a été rendue sous le régime du paragraphe 70(5) de la Loi (avis de danger). Il est évident que la première décision revêtait une importance capitale pour le demandeur et, pour cette raison et parce que le processus était de nature contradictoire, des normes élevées d'équité procédurale s'appliquaient[1]. De même, le demandeur possédait et a exercé son droit de demander le contrôle judiciaire de cette décision. Toutefois, le juge Evans ( maintenant à la Cour d'appel) a confirmé la première décision. Après cette demande de contrôle judiciaire, les droits conférés au demandeur par la Loi relativement à la première décision étaient épuisés.

[12]       Aucune disposition législative ne prévoit le réexamen d'un avis de danger. Sur le plan strictement juridique, l'intimé avait le droit de ne pas tenir compte de la demande de réexamen présentée par le demandeur. Toutefois, l'intimé a décidé d'examiner les demandes de réexamen d'avis de danger. Dans l'affaire Nouranidoust c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (C.F. 1re inst. Dossier IMM-3873-98 en date du 30 juin 1999), madame le juge Reed s'est prononcée sur la question de savoir si un agent des visas pouvait réexaminer une décision de refuser le droit d'établissement à un demandeur à la suite d'une demande présentée en vertu des règlements sur les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée[DORS/94-681] en l'absence de toute disposition législative prévoyant pareil réexamen. Elle a conclu que, même si la Loi sur l'immigrationest muette, l'agent des visas ntait pas functus officio et avait compétence pour procéder à un réexamen, plus particulièrement si de nouveaux renseignements étaient mis au jour. Voici ce qu'elle a dit, au paragraphe 14 :

Appliquer aux décisions administratives des agents des visas les mêmes règles de perte subséquente de compétence qui régissent les décisions judiciaires ne serait pas, à mon sens, en accord avec le rôle et les fonctions des agents des visas.

Selon moi, ce raisonnement s'applique tout autant au représentant du ministre en l'espèce et l'intimé n'a pas laissé entendre le contraire.


[13]       Par conséquent, la question à résoudre consiste à déterminer quelle norme dquités'applique lorsque le représentant du ministre décide s'il réexaminera un avis de danger. Le demandeur soutient que les normes les plus élevées s'appliquent, tout comme au moment du prononcéde la première décision, parce que le représentant procède en fait à une nouvelle évaluation du risque que présente le demandeur. Le demandeur souligne que, selon lui, les enjeux demeurent très élevés étant donnéqu'il sera expulséet séparéde sa conjointe de fait et de son fils si le réexamen lui est refusé.

[14]       Par contre, l'intiméfait valoir que le réexamen ne comporte aucun nouvel enjeu. Le demandeur est exposéà être expulséà la suite de la première décision et, au moment oùcelle-ci a étérendue, son fils était déjà né. L'intiméaffirme que ce qui importe, c'est que la situation du demandeur ne peut que s'améliorer à la suite du réexamen et que le demandeur ne court donc aucun risque.

[15]       Dans l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration(1999) 174 D.L.R. (4th) 193 (R.C.S.), La Cour suprême du Canada a fait la remarque suivante, au paragraphe 22 :

...quel'obligation d'équité soit souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés...

[16]       La Cour suprême a ensuite dresséune liste non exhaustive des facteurs pertinents en ce qui a trait à la détermination du contenu de l'obligation dquitéprocédurale dans des circonstances données. Il s'agissait des facteurs suivants :

           la nature de la décision;

           la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire;

           le régime législatif en cause;

           l'importance de la décision pour la vie des personnes visées;

           le fait que le demandeur s'attend légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie;

           le fait que les choix de procédure faits par l'organisme appellent ou non un degré dquité particulier.

[17]       La Cour a conclu ses remarques générales dans les termes suivants, au paragraphe 28 :

Les valeurs qui sous-tendent l'obligation d'équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[18]       En l'espèce, une évaluation de ces facteurs m'a menée à la conclusion que l'obligation dquitéest extrêmement peu élevée ou « minimale » . Le demandeur a étéévaluéen vertu de la Loi et une norme élevée dquités'appliquait à la première décision. De même, sa demande de contrôle judiciaire a étéentendue et rejetée. Aucune loi ne l'applique maintenant et rien ne justifie qu'il s'attende légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie. Le seul facteur en faveur de l'existence d'une obligation quelconque est l'importance de la décision. Il ne fait aucun doute que la deuxième décision revêt une importance énorme pour le demandeur, non pas parce qu'il courrait un nouveau risque, mais parce qu'une décision favorable lui permettrait dviter l'expulsion et d'envisager une vie familiale heureuse, en toute sécurité, au Canada.


[19]       Compte tenu de l'existence d'une obligation minimale, il faut maintenant déterminer ce que signifie cette obligation en l'espèce. Selon moi, le contenu de cette obligation dépend de la mesure dans laquelle la demande de réexamen comporte des faits nouveaux. Sur ce point, le demandeur a fait valoir que les faits avaient changéradicalement du fait qu'il vivait une union de fait sûre et stable, qu'il avait un enfant, qu'il occupait un emploi et qu'il subvenait aux besoins de sa famille. De plus, il n'avait pas recommencéà consommer des drogues et avait amorcéune réconciliation avec son père. Enfin, selon le rapport Atkinson, le risque qu'il recommence à consommer des drogues était [Traduction] « très faible » et son risque de récidive était [Traduction] « faible » .

[20]       L'intimén'a pas contestéces faits, mais a affirméque le rapport Atkinson indiquait que les unions antérieures du demandeur avaient duréenviron huit mois et que, sans la stabilitéd'une union, il était retournéà plusieurs reprises à la consommation de drogues et à des activités criminelles connexes. L'intiméa fait valoir que, dans ces circonstances, trop peu de temps stait écouléen janvier 2000 depuis la libération du demandeur pour que le Dr Atkinson puisse procéder à une évaluation significative et pour que le représentant du ministre puisse être raisonnablement convaincu de la stabilitéde sa nouvelle situation. Je juge cet argument convaincant. En janvier 2000, les faits nouveaux étaient à ce point nouveaux que les motifs de la deuxième décision auraient dûêtre paraître évidents au demandeur.

[21]       Compte tenu de l'importance de l'affaire pour le demandeur et de l'existence d'une nouvelle preuve, j'ai néanmoins conclu que l'obligation dquitéminimale exigeait qu'une explication minimale soit fournie à l'appui de la deuxième décision. Ainsi, le représentant du ministre aurait rempli son obligation dquités'il avait inclus une brève phrase dans sa lettre du 21 février 2000, pour expliquer qu'il a conclu (si c'est bien le cas) que la preuve présentée était trop fraîche pour qu'il puisse s'y fier comme justification d'un réexamen.


[22]       En ce qui concerne la deuxième question en litige, j'ai conclu que la deuxième décision était raisonnable, si elle s'appuyait sur le caractère prématuréde la demande de réexamen du demandeur. De même, j'ai conclu, en ce qui a trait à la troisième question, que l'obligation dquitéminimale ne stendait pas à la divulgation de la correspondance échangée entre les ministères relativement à la demande de réexamen.

Conclusion

[23]       Je ne vois pas à quoi servirait le renvoi de l'affaire pour réexamen étant donnéque la preuve est maintenant vieille d'un an. En conséquence, la Cour prononcera une ordonnance annulant la deuxième décision et accordant au demandeur la possibilitéde présenter une nouvelle demande de réexamen de la première décision.

(Signature) « Sandra J. Simpson »

Juge

Vancouver (C.-B.)

le 23 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉDE LA CAUSE :                                    CHRISTOPHER DENNIS MCLAREN

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

DOSSIER :                                                                IMM-1241-00

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       le 12 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                 MADAME LE JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                              le 23 avril 2001

ONT COMPARU

Me Shane Molyneaux                                 pour le demandeur

Me Helen Park                                               pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Elgin, Cannon & Associates                    pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                       pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



     [1]       Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et Sunie Bhagwandass, par. 31, arrêt non publié, C.A.F. Dossier A-850-99, prononcé le 7 mars 2001.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.