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     Date : 19980603

     Dossier : T-1945-97

Entre :


GORDON ALCORN, de l'établissement William Head,

DARRELL BATES, de l'établissement de Kent,

DANNY BOLAN, de l'établissement d'Elbow Lake,

JON BROWN, de l'établissement de Matsqui,

SHAWN BUTTLE, du Centre régional de la santé,

GARY FITZGERALD, de l'établissement de Ferndale,

ANGUS MacKENZIE, de l'établissement Mountain, et

FABIAN PICCO, de l'établissement de Mission,

     requérants,

     - et -

     LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL

     et LE SOUS-COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL,

     RÉGION DU PACIFIQUE,

     SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Cette affaire, ayant trait à l'installation d'un nouveau système téléphonique à l'intention des détenus dans les centres correctionnels fédéraux, appelé le système téléphonique Millennium, a été mise au rôle pour une audience d'une journée et demie devant commencer le 24 septembre 1998.

[2]      La présente requête a pour but d'ajouter au nombre des requérants le nom de sept autres détenus que je désignerai comme étant les requérants éventuels, et d'ajouter un nouveau motif à l'avis de requête introductif d'instance faisant valoir que la mise en service du système téléphonique Millennium dans les prisons de la région du Pacifique, dont l'installation a été terminée vers décembre 1997, a porté atteinte aux droits des requérants ayant trait à la liberté de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, contrairement aux alinéas 2a) et 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

CONTEXTE

[3]      Les requérants dans la présente instance sont détenus dans les huit pénitenciers de la Colombie-Britannique. Ils se préoccupent du fait que l'accès à leur famille, à leurs amis et à la collectivité, ainsi qu'à leur avocat, sera enfreint du fait de la mise en service du système téléphonique Millennium. La procédure actuelle a donc été intentée en septembre 1997. La requête déposée par les requérants en vue d'obtenir une injonction interlocutoire a été rejetée le 22 septembre 1997.

[4]      Ayant été avisée par les requérants le 4 décembre 1997 que les parties étaient prêtes pour l'audition complète de la cause, la Cour a fixé la date de l'audition au 5 février 1998. Le 21 janvier 1998, les requérants ont demandé un ajournement et une prolongation de délai jusqu'au 30 avril 1998, afin de pouvoir déposer cinq nouveaux affidavits et un dossier supplémentaire de la demande. Le juge Muldoon a ajourné l'audience le 5 février 1998, accordant aux requérants une prolongation de délai pour leur permettre de déposer des documents, mais uniquement jusqu'au 16 février 1998.

[5]      Sept détenus, qui ne sont pas parties à la présente instance, ont déposé des affidavits comme le prévoyait l'ordonnance du juge Muldoon. Ces personnes souhaitent maintenant figurer au nombre des parties. L'avocat, qui agit à la fois pour les requérants et pour les requérants éventuels, fait valoir que l'ajout de ces requérants au nombre des parties est nécessaire pour que la requête puisse être réglée complètement.

ANALYSE

[6]      Pour ce qui concerne tout d'abord l'ajout des requérants éventuels, que l'on accepte l'opinion de l'avocat des requérants et des requérants éventuels selon laquelle la décision faisant l'objet du contrôle est celle que les autorités pénitentiaires ont prise le 15 août 1997 (ou ultérieurement comme j'en discuterai ci-dessous), ou l'argument de l'avocat des intimés faisant valoir que la décision a été prise le 9 avril 1996, il semble que les requérants éventuels soient hors délai pour intenter une procédure ayant pour but d'examiner la décision d'installer le système téléphonique Millennium. En fait, les requérants éventuels souhaitent se joindre à une procédure de contrôle judiciaire en cours, plutôt que d'entamer leur propre procédure qui ferait double emploi, et qui pourrait fort bien être en dehors des délais prescrits.

[7]      L'avocat des requérants éventuels a présenté un long argument, dans un mémoire déposé le 23 avril 1998, dans lequel il soutient que la décision d'installer le système téléphonique Millennium n'a pas été une décision écrite concrète, mais plutôt un processus décisionnel fluide qui s'est échelonné sur une certaine période. L'avocat cite la décision du juge Lutfy dans Hunter c. Commissaire du service correctionnel (1998), 134 F.T.R. 81, à la page 83, à l'appui du concept selon lequel une décision soumise à un contrôle judiciaire peut être une décision modifiée ou continue, et même une décision qui peut être postérieure au début de la procédure de contrôle judiciaire. De cette façon, selon l'avocat des requérants, on peut contester une décision en vigueur et donc pertinente. En l'espèce, l'avocat fait également valoir que la décision faisant l'objet du contrôle est une modification de la décision originale, modification qui a été apportée le 5 septembre 1997, soit le lendemain de l'introduction de la présente requête. Il n'en reste pas moins que les requérants éventuels ont besoin d'une prolongation de délai pour que leur nom soit ajouté aux parties.

[8]      Pour obtenir une prolongation de délai, certains facteurs doivent être respectés, probablement même une liste indéterminée de facteurs, que la Cour examine de temps à autre quand elle est saisie d'une demande de prolongation de délai : voir par exemple Karon Resources Inc. c. Ministre du Revenu national (1994), 71 F.T.R. 232, aux pages 235 et 236 (C.F. 1re inst.). Toutefois, fondamentalement, pour obtenir une prolongation de délai, il faut fournir une raison justifiant le retard, avoir une cause défendable et déterminer si la prolongation de délai est essentielle pour assurer que justice est faite entre les parties : voir par exemple Grewal c. Canada, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.).

[9]      L'avocat fait valoir que les griefs continus déposés par certains des requérants et des comités de détenus établissent que ceux-ci avaient l'intention continue de contester la décision d'installer le système téléphonique Millennium. Cette intention, de la part de ceux qui souhaitent se joindre aux parties, ne ressort pas très clairement des affidavits. Toutefois, ce qui me préoccupe, c'est l'existence d'une cause défendable.

[10]      Les requérants éventuels peuvent chacun avoir une cause défendable au niveau de leurs propres droits ; toutefois, un examen des affidavits sur lesquels ils ont l'intention de s'appuyer révèle manifestement que tous les incidents qui sont relatés dans les affidavits se sont produits après l'introduction de la présente procédure de contrôle judiciaire. Certains des problèmes mineurs associés au système téléphonique Millennium, qui sont énumérés dans ces affidavits, se sont produits en novembre et en décembre 1997. Toutefois, la très grande partie des affidavits traite d'incidents et de problèmes associés au système téléphonique Millennium qui se sont produits en 1998. Ces incidents, qui, comme je l'ai dit, se sont tous produits après que la décision d'installer le système téléphonique Millennium eut été prise, ne sont pas essentiels et en fait ce sont des incidents non pertinents dont la Cour n'a pas à être saisie pour s'assurer que justice est faite, concernant les questions soulevées dans l'avis de requête introductif d'instance, entre les requérants actuels et les intimés. L'ajout des requérants éventuels, dont l'intervention portera entièrement sur les difficultés opérationnelles du système, difficultés qui se sont posées après que la décision d'installer le système téléphonique Millennium eut été prise, n'ajoutera rien à la présente instance.

[11]      Quant au nouveau motif que les requérants souhaitent ajouter à leur requête, c'est-à-dire le fait qu'on porte atteinte à leurs droits concernant la liberté de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, contrairement aux alinéas 2a) et b) de la Charte canadienne des droits et libertés, ils n'ont fourni aucune raison indiquant pourquoi ce nouveau motif n'a pas été inclus dans l'avis de requête introductif d'instance tel qu'il a été déposé, sauf pour dire que ce motif est soulevé par la nouvelle preuve que les requérants éventuels ont l'intention de fournir. La preuve énoncée dans les affidavits des requérants éventuels porte sur des incidents dont quelques-uns se sont produits en novembre et en décembre 1997, mais la plupart en 1998. Ces incidents sont des problèmes opérationnels. Manifestement, la preuve qui appuie ce nouveau motif, et que les requérants souhaitent ajouter, ne pouvait pas être prise en compte au moment où la décision qui fait l'objet du contrôle a été prise.

CONCLUSION

[12]      Les requérants éventuels ont peut-être de nouveaux griefs concernant les difficultés que posent les règles et les procédures régissant l'usage et le fonctionnement du système téléphonique Millennium. Toutefois, ces griefs qui ont pris naissance après le fait, et qui concernent des difficultés que posent l'utilisation et l'opération du système tel qu'il a été installé, ne sont pas pertinents au contrôle de la décision initiale d'installer le système téléphonique Millennium. Ces nouveaux griefs et difficultés, s'ils ne sont pas résolus dans le cadre du système de règlement des griefs en place dans les pénitenciers, pourront fort bien donner lieu à des procédures distinctes de contrôle judiciaire portant sur des décisions distinctes prises ultérieurement. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'ajouter le nom des requérants éventuels dans cette procédure de contrôle judiciaire. Leur présence n'est pas non plus nécessaire pour assurer que justice sera faite entre les parties.

[13]      Ajouter à la présente instance un nouveau motif appuyé par la preuve d'événements qui se sont produits bien après que la décision faisant l'objet du contrôle a été prise serait improductif. La requête des requérants est rejetée.

                             (Signé) " Max M. Teitelbaum "

                                     Juge

Vancouver (C.-B.)

le 3 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-1945-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      GORDON ALCORN, de l'établissement de William Head et al.

                     c.                     

                     LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL et al.

REQUÊTE EXAMINÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION

DES AVOCATS

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

en date du 3 juin 1998

OBSERVATIONS ÉCRITES DÉPOSÉES PAR :

     Sasha Pawliuk                      pour les requérants

     Donnaree Nygard                      pour les intimés

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Sasha Pawliuk                      pour les requérants

     George Thomson                      pour les intimés

     Sous-procureur général

     du Canada


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