Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010716

Dossier : T-35-00

Référence neutre : 2001 CFPI 798

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 16 JUILLET 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

NICHOLAS BONAMY

demandeur

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]    La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le ministre de la Justice (le ministre) peut déléguer à des avocats du Groupe responsable de la révision des demandes de clémence du ministère de la Justice (le Groupe) le pouvoir de décider si une demande de clémence faite en vertu de l'article 690 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, mérite d'être examinée par le ministre.


Les faits

[2]    Le 15 février 1996, Nicholas Bonamy a été reconnu coupable par la Cour provinciale de l'Alberta du vol d'une somme d'argent de plus de 5 000 $. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de sept ans et demi. Il a été débouté de son appel devant la Cour d'appel de l'Alberta et de sa demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

[3]    Le 25 août 1998, M. Bonamy a demandé au ministre d'ordonner la tenue d'un nouveau procès en vertu de l'article 690 du Code criminel. Le principal moyen invoqué au soutien de la demande adressée au ministre était que le tribunal albertain n'était pas compétent pour juger M. Bonamy pour une infraction qui, selon ce que ce dernier soutenait, avait été commise en Colombie-Britannique.

[4]    Par lettre datée du 3 décembre 1999, M. Bonamy a été avisé que sa demande de clémence ne satisfaisait pas aux critères qui auraient permis au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Des motifs relativement détaillés ont été fournis pour justifier cette décision, qui émanait d'un avocat du Groupe.

[5]    Voici l'essentiel de la décision qui a été communiquée dans la lettre du 3 décembre 1999 :


[TRADUCTION]

Comme nous vous l'avons déjà expliqué, le rôle du ministre saisi d'une demande de clémence présentée en vertu de l'article 690 ne consiste pas à juger l'affaire de nouveau ou à agir comme un autre palier d'appel. Habituellement, le requérant ne peut se contenter de reprendre les mêmes éléments de preuve et les mêmes arguments que ceux qu'il avait soumis aux juridictions d'appel. Celui qui présente une demande en vertu de l'article 690 et qui invoque uniquement des vices de forme qui entacheraient la preuve ou des moyens de droit qui ont été soumis au tribunal et examinés par celui-ci peut s'attendre à voir sa demande refusée. Pour ces raisons, je suis au regret de vous informer que votre demande ne comporte aucun « élément nouveau » qui justifierait l'examen du ministre ou une vérification plus poussée en vue d'obtenir la réparation prévue à l'article 690.

[6]                 La lettre se terminait comme suit :

[TRADUCTION]

Si vous disposez de nouveaux éléments d'information qui n'ont pas été examinés par les tribunaux, vous pouvez nous les transmettre avec pièces justificatives à l'appui. Ces nouveaux éléments d'information seront examinés pour déterminer s'ils sont susceptibles de soulever une question qui justifierait le ministre de la Justice d'accorder une des réparations prévues à l'article 690.

Question en litige

[7]                 Bien que M. Bonamy évoque plusieurs questions dans les observations écrites qu'il a soumises à notre Cour, les parties ont reconnu, lors des débats, que la seule question que notre Cour est compétente pour examiner est celle de savoir si la décision défavorable du 3 décembre 1999 devrait être annulée au motif que le ministre n'a aucunement participé à l'examen de la demande de M. Bonamy.


[8]                 M. Bonamy soutient qu'en raison du fait que le ministre n'a pas examiné personnellement sa demande, le droit à la liberté de sa personne qui lui est garanti par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U., 1982, ch. 11) (la Charte), droit auquel il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale, a été violé.

Dispositions législatives applicables

[9]                 Voici le libellé de l'article 690 du Code criminel :


690. Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la partie XXIV, le ministre de la Justice peut_ :

a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d'une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant tout tribunal qu'il juge approprié si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devrait être prescrit ;           

b) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d'appel pour audition et décision comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas ;

c) à tout moment, renvoyer devant la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire son assistance, et la cour d'appel donne son opinion en conséquence.

690. The Minister of Justice may, on an application for the mercy of the Crown by or on behalf of a person who has been convicted in proceedings by indictment or who has been sentenced to preventive detention under Part XXIV,

(a) direct, by order in writing, a new trial or, in the case of a person under sentence of preventive detention, a new hearing, before any court that he thinks proper, if after inquiry he is satisfied that in the circumstances a new trial or hearing, as the case may be, should be directed;

(b) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person under sentence of preventive detention, as the case may be; or

(c) refer to the court of appeal at any time, for its opinion, any question on which he desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.


Analyse


[10]            Suivant les éléments de preuve non contredits, depuis 1995, une pratique courante a été instaurée au ministère de la Justice en ce qui concerne l'examen des demandes présentées en vertu de l'article 690. Cette pratique implique un examen en quatre étapes, à savoir une évaluation initiale, une enquête, la préparation d'un dossier d'enquête et la décision du ministre.

[11]            En ce qui concerne la première étape, lorsqu'une demande dûment remplie est reçue, un avocat du Groupe doit examiner les renseignements qu'elle renferme et les comparer avec les dossiers de première instance et d'appel. Si l'examen de la demande révèle l'existence de nouveaux éléments d'information importants dont on ne disposait pas au procès ou en appel et qui auraient pu avoir une incidence sur l'issue de l'affaire, on passe à l'étape suivante.

[12]            En l'espèce, la demande de M. Bonamy a été rejetée par un avocat du Groupe à la première étape. M. Bonamy conservait le droit de présenter une nouvelle demande en vertu de l'article 690 en soumettant de nouveaux éléments d'information.


[13]            M. Bonamy a soutenu devant notre Cour qu'il n'existe aucune disposition législative qui permette au ministre d'élaborer des règles au sujet des demandes présentées en vertu de l'article 690 et que la permission de solliciter l'examen du ministre ne doit pas être « accordée au compte-gouttes » et de façon arbitraire par des employés du ministère de la Justice. M. Bonamy cite à cet égard les propos suivants que le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel) a tenus dans le jugement Thatcher c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 289 (C.F. 1re inst.) à la page 298 : « Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 690, le ministre doit agir de bonne foi et procéder à un examen sérieux pourvu que la demande ne soit ni futile ni vexatoire » .

[14]            M. Bonamy invoque également l'arrêt Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 742, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré que, bien qu'il soit loisible à un organisme à qui la loi confère des pouvoirs d'adopter sa propre procédure et d'employer du personnel pour accomplir tout travail préliminaire, au bout du compte, cet organisme doit prendre sa propre décision.

[15]            À mon avis, la réponse aux arguments de M. Bonamy se trouve dans la nature de la prérogative royale de clémence et du recours en grâce prévu à l'article 690 du Code criminel.

[16]            La nature de ce recours a été examinée dans l'affaire Thatcher, précitée. Dans ce jugement, à la page 297, le juge Rothstein a commencé par citer les propos suivants tenus par lord Diplock dans l'arrêt de Freitas v. Benny, [1976] A.C. 239 (C.P.) à la page 247 :


[TRADUCTION]

Sauf dans la mesure où elle peut avoir été modifiée par la Constitution, la nature juridique de l'exercice de la prérogative royale de clémence à Trinité et Tobago demeure la même qu'en Angleterre sous le régime de la common law. Et, en common law, cette prérogative a toujours uniquement relevé du pouvoir discrétionnaire du souverain qui, par convention constitutionnelle, l'exerce en Angleterre sur avis du secrétaire de l'Intérieur à qui Sa Majesté délègue son pouvoir discrétionnaire. La procédure de clémence ne fait pas l'objet de droits. Elle commence là où prennent fin ces droits. Une personne déclarée coupable n'a même pas sur le plan juridique le droit de faire examiner son dossier par le secrétaire de l'Intérieur dans le cadre de l'exercice de la prérogative de clémence. Lorsqu'il donne son avis au souverain, le secrétaire de l'Intérieur fait quelque chose que l'on qualifie souvent d'archétype d'acte purement discrétionnaire par opposition à l'exercice d'une fonction quasi judiciaire. [Je souligne.]

[17]            Le juge Rothstein poursuit en déclarant ce qui suit, à partir du paragraphe 9 :

Bien que les observations de lord Diplock doivent maintenant être examinées au Canada dans le contexte de la Charte, elles offrent certaines directives relativement à la nature de la procédure. Sauf dans la mesure exigée par la Charte, les procédures en vertu de l'article 690 ne sont pas l'objet de droits. Une demande de clémence est présentée lorsqu'une personne déclarée coupable a épuisé ses recours pour faire valoir ses droits. En conséquence, bien que le ministre ait une obligation d'agir équitablement en vertu de la Charte, cette obligation doit être examinée en fonction du fait qu'il n'existe pas de litige en instance entre le ministère public et le requérant.

                                  Le fait que la fonction du ministre de la Justice en vertu de l'article 690 constitue un « archétype d'acte de nature purement discrétionnaire » se manifeste dans la grande latitude accordée au ministre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Aucune disposition législative ne prévoit la façon dont le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire. Il n'y a pas d'exigence quant au type d'enquête auquel il doit procéder en vertu de l'article 690.

Par ailleurs, aucune règle de procédure n'a été établie. Il ne paraît pas exister de restriction quant au nombre de demandes qu'une personne déclarée coupable peut faire en vertu de l'article 690 ni quant au moment où elle doit le faire. De plus, il n'existe aucun appel contre la décision du ministre en vertu de cette disposition.

                

Conséquences de la décision sur le requérant

                                  Une décision défavorable prise par le ministre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 690 peut avoir pour résultat l'incarcération continue, voire perpétuelle, d'une personne déclarée coupable. C'est cette atteinte à la liberté qui engage les droits du requérant en vertu de l'article 7 de la Charte, et exige que le ministre agisse équitablement dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, il importe de se rappeler, même dans le contexte de la Charte, que le requérant fait une demande de clémence. À cet égard, il n'existe pas de litige entre le requérant et le ministre, et le requérant a déjà bénéficié pleinement de la Charte dans les procédures judiciaires antérieures ayant abouti à la déclaration de culpabilité.


[18]            Il ressort à l'évidence de ces extraits que, dès lors que les exigences de la Charte sont respectées, le recours prévu à l'article 690 n'est protégé par aucune garantie juridique. La Charte oblige le ministre à agir de manière à ne porter atteinte au droit de l'intéressé à la liberté de sa personne qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Hormis cet impératif, il n'existe aucune directive quant à la façon dont le ministre est tenu d'examiner les demandes de clémence dont il est saisi.

[19]            L'avocat qui a reçu la demande de M. Bonamy a déclaré ce qui suit sous serment. Il n'a pas été contre-interrogé au sujet de son témoignage :

1.          En avril 1994, le ministre de la Justice de l'époque a exposé officiellement les principes devant guider l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 690. Mentionnons les principes suivants :

i.           La procédure prévue à l'article 690 n'est pas censée créer un quatrième palier d'appel. Habituellement, le requérant ne peut se contenter de répéter les éléments de preuve et les arguments qu'il a présentés devant le tribunal de première instance et devant les tribunaux d'appel.


ii.           Les demandes présentées en vertu de l'article 690 devraient normalement être fondées sur des éléments nouveaux et importants qui n'ont pas été examinés par les tribunaux ou qui se sont produits après que les voies de recours habituelles sont épuisées.

iii.          Lorsqu'un requérant est en mesure d'invoquer des « éléments nouveaux » , le ministre examine ces éléments pour en vérifier la fiabilité.

[20]            L'avocat a également déclaré sous serment que, depuis 1995, les demandes présentées en vertu de l'article 690 sont examinées conformément à la procédure en quatre étapes susmentionnée.

[21]            Le ministre a, par le biais des principes articulés en 1994, reconnu que les demandes fondées sur l'existence vraisemblable d'une erreur judiciaire font habituellement suite à la découverte de nouveaux éléments importants. En vertu de la procédure instaurée en 1995, le ministre a décidé de vérifier la fiabilité des nouveaux éléments portés à sa connaissance.


[22]            La première étape de la procédure exige qu'un avocat du Groupe vérifie d'abord si la demande révèle l'existence d'éléments nouveaux et importants qui auraient pu avoir une incidence sur l'issue de l'affaire. Lorsque cette vérification se solde par un verdict négatif, la décision de l'avocat peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire, comme en l'espèce. Par ailleurs, l'intéressé peut en tout temps présenter une nouvelle demande en vertu de l'article 690 en invoquant de nouveaux éléments d'information.

[23]            Il m'est impossible de conclure que cette procédure est incompatible avec les droits que la Charte garantit à M. Bonamy ou qu'elle porte atteinte aux droits en question. Cette procédure, qui est assortie de droits de recours et du droit de présenter une nouvelle demande, satisfait aux exigences de l'équité et est conforme aux principes de justice fondamentale. Parce que le recours prévu à l'article 690 ne fait par ailleurs pas l'objet de garanties juridiques et que le législateur fédéral n'oblige pas le ministre à participer personnellement à l'examen préalable, la conclusion que les droits de M. Bonamy n'ont pas été violés suffit pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.


[24]            M. Bonamy n'affirme pas que l'avocat qui a examiné sa demande n'a pas tenu compte d'éléments d'information ou d'observations pertinents ou qu'il a tenu compte d'éléments non pertinents. Pour les motifs déjà exposés, malgré les solides arguments de M. Bonamy, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Compte tenu de l'absence relative de jurisprudence sur la question, j'estime qu'il ne convient pas en l'espèce d'adjuger de dépens.

[25]            Il y a un dernier point qui nécessite quelques observations. Le défendeur a soutenu qu'en tout état de cause, les pouvoirs conférés au ministre par l'article 690 du Code criminel peuvent être délégués en vertu du paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch.1-21, modifiée.

[26]            En droit, l'existence du pouvoir de déléguer dépend de l'intention du législateur, laquelle intention se dégage du libellé du texte de loi, de l'objet du pouvoir discrétionnaire, ainsi que d'autres facteurs pertinents (Ramawad c. Canada (ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1978] 2 R.C.S. 375). Il n'est pas nécessaire, dans le cas qui nous occupe, que j'examine la mesure dans laquelle le ministre peut déléguer tous les pouvoirs que lui confère l'article 690. Je tiens toutefois à souligner, sans trancher la question, qu'il se peut qu'après l'évaluation initiale, les pouvoirs que le ministre possède en vertu de l'article 690 ne puissent être délégués en raison de leur nature extraordinaire et unique.


                                                    ORDONNANCE

[27]            LA COUR REJETTE sans frais la demande de contrôle judiciaire.

    « Eleanor R. Dawson »   

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., Trad. a.


                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  T-35-00

INTITULÉ DE LA CAUSE : NICHOLAS BONAMY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   SASKATOON

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 24 MAI 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                     17 JUILLET 2001

ONT COMPARU :

M. NICHOLAS BONAMY                                                         POUR LE DEMANDEUR

M. BRUCE GIBSON                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. NICHOLAS BONAMY                                                         POUR LE DEMANDEUR

Saskatoon (Saskatchewan)                                                            (pour son propre compte)

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.