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Date : 20020326

Dossier : T-673-00

                                       Référence neutre : 2002 CFPI 344

ENTRE :

                                                          PAUL MICHAEL CHARLIE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                          LA VUNTUT GWITCHIN DEVELOPMENT CORPORATION

                                  et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                              défenderesses

                                                                              - et -

                                  LA PREMIÈRE NATION DES GWITCHIN VUNTUT

                                                                                                                    défenderesse et tierce partie

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

        Il s'agit d'une demande intentée par M. Charlie, autochtone handicapé habitant à Victoria, qui allègue avoir fait l'objet de discrimination de la part des défenderesses parce qu'elles lui ont refusé toute participation ou tout renseignement relatifs à un règlement important intervenu entre sa Première nation et la Couronne.


        Les défenderesses, la Première nation des Gwitchin Vuntut et la Vuntut Gwitchin Development Corporation, collectivement les défenderesses Gwitchin Vuntut, présentent une requête en vue de faire radier pour défaut de compétence la déclaration modifiée de nouveau à l'encontre des défenderesses Gwitchin Vuntut.

        L'action intentée par le demandeur présente des difficultés au point de vue de la compétence de la Cour fédérale. Toutefois, je ne suis pas en mesure d'affirmer de manière claire, évidente et indubitable qu'elle est vouée à l'échec, étant donné qu'on peut soutenir la compétence de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale, qui traite des obligations de la Couronne et des demandes contradictoires dont ces obligations peuvent faire l'objet.

LE CONTEXTE

        Pour résumer la longue déclaration du demandeur, M. Charlie est membre de la Première nation des Gwitchin Vuntut, étant né en 1959 à Old Crow, au Yukon, au sein d'une famille qui avait été active dans les affaires de cette Première nation. À 18 mois, il a été hospitalisé à Edmonton souffrant d'arthrite rhumatoïde. Au cours des 16 années qui ont suivi, il s'est déplacé entre l'hôpital et diverses familles d'accueil. À partir de 18 ans, moment où il a décidé de vivre avec le plus d'autonomie possible, il a gardé le contact avec sa famille et sa collectivité et il a tenté de maintenir le contact avec sa Première nation. Mais en raison de son invalidité, de ses besoins de services médicaux et de la nécessité pour lui d'habiter sous un climat tempéré, il a vécu en Alberta et en Colombie-Britannique et, plus récemment, dans une situation de minimum vital, à Victoria, C.-B.


        Pendant son séjour à Victoria, M. Charlie a grandement haussé son niveau de formation, mais il n'a pas parachevé son initiative faute d'argent.

        En 1993, la Première nation des Gwitchin Vuntut, qui compte entre 460 et 770 membres, a conclu avec la Couronne une entente portant règlement d'une valeur de 36 millions de dollars, visant 2 990 milles carrés de terres et les droits afférents d'exploitation du sous-sol ainsi que divers autres avantages dont des emplois, en contrepartie de la renonciation à toute réclamation contre l'État : le demandeur désigne l'entente portant règlement comme « l'entente définitive » , terme que j'adopterai. À la même époque, la Première nation des Gwitchin Vuntut s'est engagée à négocier une entente sur l'autonomie gouvernementale. M. Charlie n'a pas été consulté à l'époque ni depuis et n'a donc pu présenter d'observations sur sa situation et ses besoins à titre de personne autochtone handicapée.

        L'entente définitive de 1993 assure à la Première nation des Gwitchin Vuntut des fonds visés par le règlement pour soutenir les personnes à faibles revenus et financer l'enseignement. À l'exception de la fourniture d'un ordinateur à M. Charlie en 1998, la Première nation des Gwitchin Vuntut n'a pas donné suite aux nombreuses lettres de M. Charlie ni à une bande vidéo où il sollicitait de l'aide. Malgré ses demandes, M. Charlie n'a pu obtenir de renseignements sur l'emploi du produit du règlement, sur la Constitution de la Première nation des Gwitchin Vuntut et sur les règlements de bande visant diverses questions, notamment les soins de santé, les services sociaux et la distribution du produit du règlement.


        M. Charlie affirme que la Première nation des Gwitchin Vuntut doit non seulement s'acquitter envers lui de diverses obligations fiduciaires, mais qu'elle ne devrait pas être autorisée à conserver la partie des avantages du règlement qui devrait lui revenir de droit. Il cherche ensuite à obtenir, outre des dommages-intérêts, des réparations en vertu de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, pour atteinte aux droits à l'égalité garantis par l'article 15 de la Charte.

QUESTIONS À EXAMINER

        Les défenderesses Gwitchin Vuntut font état de divers autres points litigieux, qu'elles entendent contester, mais à l'étape actuelle, elles souhaitent aborder exclusivement la question liminaire de la compétence de la Cour fédérale du Canada pour trancher les demandes et accorder le redressement recherché par le demandeur contre elles. Considération fondamentale pour ce point, la Cour fédérale est une cour créée par la loi, dont la compétence est restreinte en grande partie par les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale. Cependant, avant d'examiner le fond de la requête, se pose un point de procédure soulevé par les défenderesses Gwitchin Vuntut, soit le critère applicable à la radiation pour défaut de compétence et la question de savoir à qui il incombe de satisfaire à ce critère, éléments que je traiterai en premier lieu.


ANALYSE

La radiation pour défaut de compétence

      Le critère applicable à la radiation pour absence de cause d'action, qu'il soit clair, évident et indubitable que la demande ou la défense est vouée à l'échec, discuté dans la trilogie célèbre des arrêts Hunt c. Carey Canada Inc. [1990] 2 R.C.S. 959, Operation Dismantle Inc. c. La Reine [1985] 1 R.C.S. 441 et Canada c. Inuit Tapirisat of Canada [1980] 2 R.C.S. 735, est si fermement établi qu'il n'est plus besoin en général de s'y attarder. Toutefois, en l'espèce, les défenderesses Gwitchin Vuntut disent que le critère relatif à la radiation pour défaut de compétence est moins rigoureux, faisant valoir que la procédure de radiation est analogue en réalité à la décision d'un point de droit et, en outre, qu'il incombe au demandeur de démontrer, de manière affirmative, la compétence de la Cour. Les défenderesses Gwitchin Vuntut renvoient ici à divers exemples qui, selon elles, appuient leur position que le critère de radiation pour défaut de compétence est la prépondérance de la preuve.


      Dans l'arrêt Varnam c. Canada [1988] 2 C.F. 454, la Cour d'appel s'est penchée sur le refus opposé par la Section de première instance, dont la décision est publiée à [1987] 3 C.F. 185, à la radiation de la déclaration parce qu'il « ressort hors de tout doute qu'aucune cause d'action n'existe ... » (page 199). Je ferai ici observer que le juge de première instance dans l'affaire Varnam ne s'est référé ni à l'arrêt Operation Dismantle ni à l'arrêt Inuit Tapirisat, qui établissent la norme classique de la radiation pour absence de cause d'action; il a toutefois clairement fait appel à une variante appropriée de la norme établie par la Cour suprême du Canada dans ces arrêts.

      Dans l'arrêt Varnam rendu par la Cour d'appel, le juge Hugessen ne s'est pas rallié à l'interprétation donnée par le juge de première instance de la compétence en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, soulignant que le paragraphe 17(1) n'accordait pas de réparations à l'encontre de personnes autres que la Couronne fédérale et qu'aucun degré d'interrelation, théorie plutôt vague et discutable à l'époque, ne pouvait créer de compétence (pages 461 et 462). Cela étant admis, le juge Hugessen n'a pas renvoyé au critère de la chose claire, évidente et indubitable, mais sa décision constitue une déclaration assez absolue poussant à conclure que « la Cour n'a pas compétence » (page 464).


      Les défenderesses Gwitchin Vuntut ont ensuite fait référence à l'arrêt Pacific Western Airlines Ltd. c. La Reine (1980) 105 D.L.R. (3d) 44, dans laquelle les décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale et de la Cour d'appel sont toutes les deux publiées. Dans sa décision à l'égard d'une requête en radiation, le juge Collier, après avoir cité un grand nombre de décisions, a rejeté l'action pour défaut de compétence sans faire allusion à aucun critère spécifique pour la radiation selon la disposition aujourd'hui remplacée par l'alinéa 221(1)a) des Règles. La Cour d'appel a souscrit à la décision du juge Collier, concluant à l'absence de compétence, de nouveau sans faire allusion au critère de la chose claire, évidente et indubitable. Les décisions Pacific Western Airlines précèdent le plus ancien des trois arrêts classiques de la Cour suprême concernant le critère de radiation, soit l'arrêt Inuit Tapirisat (précité), mais le critère de la chose claire, évidente et indubitable a été appliqué beaucoup plus tôt au Canada. Il semble en effet que ce critère était si bien connu que la Cour d'appel de l'Ontario s'y est référée spontanément dans l'arrêt Ross c. Scottish Union and National Insurance Co. (1920) 53 D.L.R. 415 à la page 420.


      Enfin, les défenderesses Gwitchin Vuntut s'appuient sur la décision Westerlee Development Ltd. c. Canada (1997) 116 F.T.R. 57, dans laquelle j'ai examiné une requête fondée sur le défaut de compétence. Comme l'action ne relevait pas de la Loi sur la Cour fédérale, j'ai accordé la réparation demandée, une suspension d'instance à l'encontre de l'une des défenderesses plutôt qu'une radiation de l'action. J'aborderai maintenant la prétention des défenderesses Gwitchin Vuntut à l'égard du déplacement de la charge de la preuve, qui ferait qu'il incombe au demandeur d'établir la compétence. La décision Westerlee Development Ltd. c. Canada mentionne à deux endroits que le demandeur n'a pu satisfaire au critère de compétence défini dans les arrêts Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Limitée [1997] 2 R.C.S. 1054 et Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada [1979] 2 C.F. 575 (C.A.F.), le point débattu étant de savoir si la demande tombait sous le coup de l'article 23 de la Loi sur l'aéronautique. La défenderesse à l'origine de la requête, l'Administration de l'Aéroport international de Vancouver, avait plaidé de façon très étoffée l'absence de compétence, entraînant la suspension de l'instance. La demanderesse n'est pas parvenue à me persuader du contraire en établissant comment elle pourrait satisfaire aux critères exigés pour fonder sa demande sur la Loi sur l'aéronautique. C'est en grande partie un processus identique à celui qui est utilisé pour examiner la radiation d'une action pour défaut de compétence, le défendeur faisant valoir ses arguments les meilleurs, dont on reconnaîtra le bien-fondé ou dont le demandeur établira qu'ils sont faibles ou douteux. En l'espèce, les défenderesses Gwitchin Vuntut ont trop misé sur le déplacement du fardeau de la preuve et elles ont tout à fait tort lorsqu'elles font valoir qu'il incombe au demandeur d'établir, de manière affirmative, la compétence de la Cour.

      Pour en revenir aux arrêts Varnam et Pacific Western Airlines, comme exemples de décisions antérieures, les tribunaux qui ont examiné les requêtes fondées sur le défaut de compétence peuvent, dans une certaine mesure, avoir écarté le critère de la chose claire, évidente et indubitable faute d'une certitude totale à l'égard de la règle procédurale applicable aux requêtes pour défaut de compétence en vertu des règles antérieures aux Règles de la Cour fédérale (1998), soit l'article 401 ou l'alinéa 419(1)a) des règles. Je prends ici pour preuve de cette incertitude la décision Cairns c. Farm Credit Corp. [1992] 2 C.F. 115 aux pages 128 et 129; la discussion élaborée de la façon de procéder qui se trouve dans la décision Banerdc. Canada (1995) 88 F.T.R. 14; et la décision MIL Davie Inc. c. Hibernia Management and Development Co. (1998) 226 N.R. 369 aux pages 373 et 374.


      Heureusement, ce débat de procédure assez vain et ces normes apparemment contradictoires en matière de requêtes en radiation pour défaut de compétence ont été abandonnés dans la décision Hodgson c. La Reine. Dans les motifs de ma décision du 10 septembre 1999, au sujet de l'action T-2553-91, j'expose au paragraphe 28 que je ne conclus au défaut de compétence que lorsque la chose est claire, évidente et certaine, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

      En appel à la Section de première instance (2001) 180 F.T.R. 285, Madame le juge Reed a dû examiner directement ce critère comme fondement d'appel. Elle a rejeté l'appel en concluant que le critère de la chose claire et évidente s'appliquait :

... Le critère de savoir si la chose est claire et évidente s'applique à la radiation d'actes de procédure pour absence de compétence de la même façon qu'il s'applique à la radiation de tout acte de procédure au motif qu'il ne fait état d'aucune cause raisonnable d'action. L'absence de compétence doit être « claire et évidente » pour justifier la radiation d'actes de procédure à ce stade préliminaire. (page 289)

Cette conclusion n'a pas été modifiée par le juge Rothstein en appel (2001) 267 N.R. 143. Tout en notant que l'avocat des défendeurs a admis le critère, la Cour d'appel a effectivement appliqué ce critère en autorisant la poursuite de l'action. La Cour suprême du Canada a rejeté, le 6 septembre 2001, une demande d'autorisation d'appel de l'arrêt Hodgson.


      Certaines questions de compétence doivent être tranchées à l'instruction seulement, au moment où tous les faits concernant la question ont été présentés au tribunal, mais dans d'autres cas, la question de la compétence peut être décidée par voie sommaire. Dans ces cas, le critère de la chose claire, évidente et indubitable s'applique à la radiation pour défaut de compétence. Il va de soi que pour aboutir à cette conclusion, il faut d'abord examiner la compétence à la lumière de l'arrêt Miida Electronics Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. and ITO-International Terminal Operators Ltd. [1986] 1 R.C.S. 752.

La compétence

      Dans leur plaidoirie écrite, les défenderesses Gwitchin Vuntut ont soulevé un certain nombre de possibilités quant au fondement de la compétence et ont ensuite exposé les raisons militant contre ces possibilités. S'agissant de ces possibilités, le demandeur déclare qu'il s'appuie sur deux chefs de compétence seulement, soit le paragraphe 17(4) et l'alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale, qui disposent :

(4)            Demandes contradictoires contre de la Couronne - La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d'une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l'objet de demandes contradictoires.

(5)            Actions en réparation - La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits - actes ou omissions - survenus dans le cadre de ses fonctions.

      L'élément crucial pour le demandeur est sa capacité d'établir si au moins une de ces attributions de compétence conférées par la loi remplit la première condition du critère à trois volets formulé dans l'arrêt de la Cour suprême ITO-International Terminal Operators Ltd., ces trois conditions étant les suivantes :


1.          Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2.          Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3.          La loi invoquée dans l'affaire doit être une « loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

La présente requête ne concerne pas le deuxième et le troisième volet du critère.

La compétence en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale

      La référence aux « demandes contradictoires contre de la Couronne » au paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale se situe dans le contexte de la Couronne fédérale. Dans son examen de cette disposition, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Roberts c. Canada [1989] 1 R.C.S. 322, a approuvé l'approche du juge Hugessen, dans l'arrêt Roberts rendu en appel [1987] 2 C.F. 535 à la page 544, qui a établi que le paragraphe 17(4) comporte quatre conditions : 1) une procédure 2) aux fins de juger une contestation 3) dans laquelle la Couronne a ou peut avoir une obligation 4) qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires (voir l'arrêt Roberts de la Cour suprême à la page 335).


      La règle énoncée au paragraphe 17(4) est généralement caractérisée comme une règle applicable à l'interplaidoirie. Toutefois, comme l'a fait remarquer la Cour suprême dans l'arrêt Roberts, à la page 335, en ce qui concerne la version antérieure du paragraphe 17(4), « la description des procédures visées par la disposition comprendrait clairement l'interpleader, mais n'y est pas limitée. » Dans cet arrêt, la Cour suprême a estimé que le cas habituel auquel la règle s'appliquait était celui de l'interplaidoirie, mais que la règle pouvait parfois s'appliquer dans d'autres cas, notamment lorsque la Couronne détient des terres à l'usage et au profit d'une de deux bandes indiennes, la question étant alors de savoir pour quelle bande les terres sont détenues en fiducie. L'application de la règle dans l'arrêt Roberts présentait effectivement une analogie avec l'interplaidoirie. Cependant, la Cour suprême n'a pas limité les applications, de sorte que le paragraphe 17(4) actuel pourrait s'appliquer à toute demande satisfaisant au critère à quatre volets exposé par le juge d'appel Hugessen.

      Les défenderesses Gwitchin Vuntut disent que la déclaration modifiée de nouveau ne contient aucune allégation susceptible de placer la demande du demandeur dans le champ d'application du paragraphe 17(4). Le demandeur répond qu'il est seulement tenu d'établir à l'encontre de la Couronne une prétention ou l'existence d'une obligation et une réponse de la Couronne que cette obligation vise un tiers. Sur ce point, le demandeur invoque la décision Bande Montana c. Canada [1991] 2 C.F. 273, où le juge Strayer, tel était alors son titre, a déclaré :


Une déclaration selon laquelle la Couronne a une obligation fiduciaire envers la bande demanderesse, en ce qui concerne la réserve n ° 139 ou le produit de sa vente, constitue en fait une déclaration selon laquelle la Couronne n'avait aucun droit fiduciaire envers les bandes Samson et Ermineskin à cet égard. Ceci donne sûrement lieu à une « demande conflictuelle » quant au bénéficiaire d'une obligation fiduciaire. À mon sens, le paragraphe 17(4) n'est pas limité à des cas où deux parties ou plus ont formulé de façon indépendante des demandes conflictuelles; il doit aussi couvrir des cas où la Couronne prétend ne pas avoir ou ne pas avoir eu, par le passé, d'obligation envers les deux parties lorsque ces deux obligations sont mutuellement exclusives. (page 283)

La décision du juge Strayer a été confirmée par la Cour d'appel dans Bande indienne Montana c. Canada [1993] 2 C.N.L.R. 134, autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada refusée dans une note publiée à [1993] 3 C.N.L.R. v. Toutefois, il existe également d'autres applications du paragraphe 17(4). Il est certain que l'arrêt Roberts (précité) et la décision Jones Estate c. Louis (1996) 108 F.T.R. 81 établissent clairement que le paragraphe 17(4) élargit la compétence de la Cour aux droits sur les terres. Le juge Lutfy, tel était alors son titre, dans la décision Paul c. Kingsclear Indian Band (1998) 132 F.T.R. 145, a élargi l'effet du paragraphe 17(4) au-delà des terres, à l'indemnisation pour les améliorations apportées aux terres.


      La compétence potentielle conférée par le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale a été encore élargie dans la décision Hodgson c. Ermineskin Indian Band (précitée) où Madame le juge Reed a refusé d'annuler le rejet d'une requête en radiation, au motif que la demande des demandeurs, reliée au statut de membre d'une bande et aux avantages que confère un tel statut, pouvait faire l'objet de la compétence prévue au paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Dans l'affaire Hodgson, il était plaidé que la Couronne avait violé son obligation fiduciaire en permettant la radiation des noms de certains des demandeurs de la liste des membres de la bande, en omettant de respecter une résolution ultérieure du conseil de bande concernant la liste des membres et, ce qui est pertinent en l'espèce, en omettant d'informer les demandeurs des avantages et de protéger les intérêts des demandeurs en prenant des mesures qui ont privé les demandeurs d'avantages financiers ou d'autre nature (voir les pages 287 et 288). Dans l'affaire Hodgson, la Couronne a soutenu en défense qu'à partir du moment où la bande d'Ermineskin a obtenu le contrôle du statut de membre, la Couronne était dégagée de sa responsabilité. Madame le juge Reed a souligné que ce litige à l'égard du maintien de l'autorité ou d'une éventuelle responsabilité fiduciaire entraînait également des obligations potentiellement contradictoires aux termes du paragraphe 17(4). Comme je l'ai noté précédemment, la Cour d'appel a également convenu qu'il n'était pas clair ni évident que la déclaration doive être radiée à l'étape préliminaire.


      Dans sa plaidoirie, la Couronne affirme clairement, en se fondant sur l'entente définitive du 29 mai 1993 entre la Première nation et la Couronne, n'avoir d'obligations qu'à l'égard de la Première nation des Gwitchin Vuntut. Les défenderesses Gwitchin Vuntut déclarent que les obligations légales de la Couronne concernent la défenderesse, la Première nation des Gwitchin Vuntut, et non le demandeur. Toutes les défenderesses affirment en effet que le demandeur devrait s'adresser aux défenderesses Gwitchin Vuntut et que la Couronne n'a aucune obligation à son endroit : la Couronne n'a d'obligation ou de devoir qu'à l'endroit de la Première nation des Gwitchin Vuntut. Pourtant le demandeur prétend, dans sa déclaration modifiée de nouveau, que la Couronne est tenue envers lui d'une obligation fiduciaire, notamment une compensation pour l'extinction de ses droits d'une manière qui ne lui assure aucune contrepartie ni aucun avantage. Le demandeur prétend donc, et ce point fait aussi l'objet de sa quatrième demande de redressement, qu'il doit obtenir des dommages-intérêts de toutes les défenderesses. L'une des façons de présenter la demande est de dire que si la Couronne a manqué à ses obligations à l'égard du demandeur, l'une des réparations serait une déclaration portant que les versements ultérieurs au titre de l'entente définitive, exigibles pendant 15 ans à compter de 1993, fassent l'objet d'un prélèvement correspondant à la demande que le demandeur parviendrait à établir dans le présent litige.

      Tout cela est peut-être ténu, mais sans donner au paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale une portée qui excède la jurisprudence, l'ombre d'une possibilité de succès demeure. La position que doit faire valoir M. Charlie à l'encontre de la Couronne est difficile, mais je ne puis pas dire qu'il est clair, évident et indubitable qu'il n'aura pas gain de cause. Je note ici que je n'accorde aucun poids à l'affirmation du demandeur portant que la radiation de l'instance à la présente étape le priverait de sa capacité de rechercher des faits additionnels par la procédure de communication de la preuve. Il s'agirait là d'une recherche à l'aveuglette. Toutefois, telle n'est pas la situation. La demande du demandeur ne doit pas être arrêtée à l'étape actuelle mais, d'après les actes de procédure, renseignements et arguments produits devant la Cour, doit suivre son cours sur le fondement de la compétence en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale.


La compétence en vertu de l'alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale

      Le demandeur s'appuie également sur la compétence éventuelle prévue à l'alinéa 17(5)b). Pour l'essentiel, les défenderesses Gwitchin Vuntut fondent leur argumentation en sens opposé sur le fait que l'alinéa 17(5)b) exige que la réparation recherchée concerne le fait ou l'omission d'une personne agissant à titre de fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne. Sans prendre en compte l'article 15 de la Charte et le traitement discriminatoire, y compris le traitement discriminatoire par la voie d'un pouvoir administratif discrétionnaire, arguments qu'a présentés le demandeur et qui, à mon avis, ne sont pas vraiment pertinents dans la présente requête en radiation, la demande du demandeur en vertu de l'alinéa 17(5)b) apparaît non fondée, du fait que les défenderesses Gwitchin Vuntut n'ont jamais agi comme préposées ou mandataires de la Couronne.

      Le demandeur se réfère aux considérations du juge Heald dans la décision Powderface c. Baptiste (1997) 118 F.T.R. 258, qui, faisant la recension d'une partie de la jurisprudence, a conclu qu'un conseil de bande n'agit pas en général comme préposé ou mandataire de la Couronne, mais qu'il peut se trouver des circonstances particulières, qui ne sont pas définies, dans lesquelles un conseil de bande pourrait agir en cette qualité.


      Dans la décision Powderface, le juge Heald s'est largement fondé sur la décision du Banc de la Reine de la Saskatchewan Bear c. John Smith Indian Band [1983] 5 W.W.R. 21. Dans la décision Bear, le juge Noble a renvoyé à une proposition fondamentale de la décision Union Packing Co. c. The Queen [1946] R.C. de l'É. 49, à la page 54, où le président Thorson a déclaré :

[traduction] Il est clair, me semble-t-il, dans cette jurisprudence, que la question de savoir si un organisme remplissant des fonctions de nature publique est un préposé ou un mandataire de la Couronne ou s'il est une entité distincte indépendante repose principalement sur le fait qu'il détient ou ne détient pas de pouvoirs discrétionnaires qui lui sont propres et qu'il peut exercer avec indépendance, sans consulter aucun représentant de la Couronne. (page 54)

Dans ce cas, l'accent est mis sur les pouvoirs discrétionnaires indépendants. J'aimerais faire observer que le critère courant du mandat est celui du contrôle, et non de la fonction : voir, par exemple, l'arrêt Northern Pipeline Agency c. Perehinec [1983] 2 R.C.S. 513 aux pages 517 à 521. Cette position est conforme à l'approche adoptée dans la décision Union Packing. Je note également qu'un gouvernement autochtone peut être un mandataire de la Couronne pour certaines fins, mais non pour toutes. Je ne vois rien dans l'entente définitive, sur laquelle s'appuie le demandeur, qui donne à la Couronne le contrôle nécessaire ou à vrai dire un contrôle quelconque sur les défenderesses Gwitchin Vuntut, en ce qui concerne les fonds fournis aux termes de l'entente, et on n'a porté à mon attention aucun élément de contrôle dans l'entente. Incidemment, je note que la décision Union Packing a été infirmée en appel par la Cour suprême du Canada, [1946] R.C.S. 456, mais non en ce qui concerne la conclusion que la Commission du bacon était un préposé de la Couronne. Dans l'affaire Union Packing, le juge Thorson s'est penché sur le critère de savoir si l'entité dont on prétendait qu'elle était un préposé ou mandataire, avait des pouvoirs discrétionnaires susceptibles d'être exercés indépendamment, sans consultation de la Couronne. Selon ce critère, de contrôle essentiellement, elle détenait ces pouvoirs indépendants de sorte qu'elle n'était ni un préposé ni un mandataire.


      En l'espèce, la difficulté que rencontre le demandeur est que la Première nation des Gwitchin Vuntut, et par extension les deux défenderesses Gwitchin Vuntut, paraissent avoir reçu des pouvoirs discrétionnaires larges, dans le cadre de directives générales. À cet égard, je renvoie, par exemple, à l'annexe A du chapitre 20 de l'entente définitive, qui expose un grand nombre d'activités que peut exercer une société de gestion des indemnités, comme la Vuntut Gwitchin Development Corporation. Sans avoir lu l'ensemble de l'entente définitive entre la Couronne et les diverses parties, dont la Première nation des Gwitchin Vuntut, je n'y vois pas de dispositions prévoyant que les défenderesses Gwitchin Vuntut renoncent à leurs pouvoirs discrétionnaires ou cessent d'être une entité indépendante distincte. L'entente définitive semble plutôt, d'une part, assurer la protection des droits autochtones et de la distinction culturelle de la nation des Gwitchin Vuntut et, d'autre part, viser à renforcer la capacité des Gwitchin Vuntut de participer pleinement à tous les aspects de l'économie du Yukon. J'estime que l'entente définitive laisse aux défenderesses Gwitchin Vuntut la faculté d'administrer des programmes spécifiques mais non définis, encore que ces programmes ne soient pas exposés dans l'entente définitive. Ces programmes non définis sont un élément distinct et indépendant et, à mon avis, sans rapport avec le débat sur la compétence. Dans l'ensemble, aucun fait n'appuie la prétention que les défenderesses Gwitchin Vuntut sont des préposés ou des mandataires de la Couronne : en outre, je pense que si cette suggestion avait été mentionnée pendant la période de négociation de l'entente définitive, les négociations se seraient retrouvées dans l'impasse. Cependant, l'argument du demandeur ne se limite pas à l'entente définitive de la Première nation.


      Le demandeur renvoie également à une partie d'une thèse de 1998 de Kerry Wilkins, qui est devenue l'article intitulé « The Royal Commission, the Charter of Rights and the Inherent Right of Aboriginal Self-Government » (1999) 49 University of Toronto Law Journal 53. Le demandeur fait valoir que le rôle et les obligations des défenderesses Gwitchin Vuntut, soit l'administration des avantages payables à M. Charlie par le gouvernement canadien, militent en faveur d'une relation de mandat entre le Canada et les défenderesses Gwitchin Vuntut. Cette position implique naturellement qu'il existe des avantages payables par le Canada à M. Charlie, plutôt que des fonds et des terres attribués à la Première nation des Gwitchin Vuntut en contrepartie de sa renonciation aux droits et intérêts autochtones collectifs. L'extrait auquel fait allusion le demandeur figure à la page 62 :

[traduction] Par conséquent, il semble maintenant clair que le gouvernement fédéral lui-même demeurera responsable à l'égard de toute conséquence afférente à la Charte qui résulte de l'exercice des pouvoirs d'autonomie gouvernementale qu'il confère aux corps ou organismes autochtones qui ne sont pas eux-mêmes assujettis à la Charte. Ce principe s'appliquera, répétons-le, que ces pouvoirs soient conférés par une loi, un contrat, un traité ou une entente, et même dans les cas où il confère ces pouvoirs exclusivement à la demande de la partie autochtone.

En bref, la Charte s'applique donc en général aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et à certaines entités créées par la loi auxquelles les gouvernements confèrent certains pouvoirs. D'autres entités peuvent également faire l'objet d'un examen en fonction de la Charte, mais seulement dans la mesure où elles interviennent dans la mise en oeuvre d'une politique gouvernementale. Ces arrangements signifient vraisemblablement que la Charte régira l'exercice par les gouvernements autochtones de la plupart, voire de tous les pouvoirs d'autonomie gouvernementale qui proviennent des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux.


      À la lecture de l'ensemble de l'article et des notes de bas de page relatives à l'extrait ci-dessus, on constate que l'extrait en question n'est pas particulièrement utile au demandeur. Il se peut, et je n'en suis pas convaincu à la lecture de l'article de Wilkins, que le gouvernement fédéral soit responsable, dans certaines situations, manifestement assez limitées, où une bande autochtone à laquelle le gouvernement a conféré l'autonomie gouvernementale n'est pas assujettie à la Charte. À cet égard, le demandeur n'a pas expliqué de quelle manière sa situation tombe sous le coup de l'exception prévue semble-t-il par Wilkins, quand il fait observer que [traduction] « ... la Charte régira l'exercice par les gouvernements autochtones de la plupart, voire de tous les pouvoirs d'autonomie gouvernementale qui proviennent des gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux » . Toutefois, même si l'on présumait à la fois que les défenderesses ne sont pas liées par la Charte et que le gouvernement fédéral est responsable à l'égard de toute conséquence afférente à la Charte,cela n'en fait pas une situation visée par l'alinéa 17(5)b) de la Loi sur la Cour fédérale. En effet, on reste toujours en face d'une simple affirmation non étayée de la compétence de la Cour du fait que les défenderesses sont des préposés ou des mandataires de la Couronne.

      Il se peut que la Couronne fédérale ait, dans certains cas, comme l'article de Wilkins le suggère, une responsabilité à l'égard des conséquences afférentes à la Charte issues de l'exercice des pouvoirs d'autonomie gouvernementale conférés. Mais, faute d'autres éléments que cette simple assertion de la compétence de la Cour, et mis à part l'argument de la compétence fondé sur le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale, le demandeur devrait s'adresser à une Cour qui ne tient pas sa compétence d'une loi.

      Il est clair, évident et indubitable que l'argument selon lequel la Cour a compétence en ce qui concerne les défenderesses Gwitchin Vuntut en vertu de l'alinéa 17(5)b) est voué à l'échec.


CONCLUSION

      Il n'est pas clair, évident et indubitable que l'argument du demandeur fondant la compétence de la Cour sur le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale est voué à l'échec. Cela ne signifie d'aucune façon que ce motif de compétence soit facile à établir. Au contraire, si le critère de radiation reposait seulement sur la prépondérance de la preuve, comme le soutiennent les défenderesses Gwitchin Vuntut, le demandeur pourrait se trouver en difficulté sur ce point.

      La requête est rejetée et les dépens, taxés au milieu de la colonne III, sont immédiatement adjugés au demandeur.

                                                                        « John A. Hargrave »    

                                                                                                Protonotaire       

Vancouver (Colombie-Britannique)

26 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-673-00

INTITULÉ :                                          Paul Michael Charlie c. Première nation des Gwitchin Vuntut et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                30 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le protonotaire Hargrave

DATE DE L'ORDONNANCE :        26 mars 2002

COMPARUTIONS :

M. Craig Dennis                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. Robin Junger

M. Arthur Pape                                                    POUR LES DÉFENDERESSES

Première nation des Gwitchin Vuntut

et Vuntut Gwitchin Development Corporation

M. Jason Herbert                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sugden, McFee & Roos                                      POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Pape & Salter                                                        POUR LES DÉFENDERESSES

Vancouver (C.-B.)                                               Première nation des Gwitchin Vuntut

et Vuntut Gwitchin Development Corporation

Davis & Company                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver (C.-B.)                                               Sa Majesté la Reine du chef du Canada

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