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Date : 19990428


Dossier : T-686-99

ENTRE :


WIC PREMIUM TELEVISION,


demanderesse,


- et -


ROY LEVIN, alias ROY LEVINE, M. UNTEL,

Mme UNETELLE et TOUTE AUTRE PERSONNE OU TOUTES AUTRES PERSONNES TROUVÉES SUR LES LIEUX OU INDIQUÉES COMME TRAVAILLANT SUR LES LIEUX, AU 1830 AVENUE DUBLIN, WINNIPEG (MANITOBA), QUI EXERCENT DES FONCTIONS OU TRAVAILLENT POUR DES ENTREPRISES EXERÇANT LEUR ACTIVITÉ SOUS LE NOM ET LA DÉNOMINATION DE "STARLINK", "STARLINK INC.", "STARLINK CANADA" OU "STARLINK MANITOBA", OU SOUS PLUSIEURS DE CES NOMS ET DÉNOMINATIONS,


défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      La demanderesse affirme qu"elle est préjudiciée par certains actes illégaux de la défenderesse et voudrait que la défenderesse fasse l"objet d"une ordonnance restrictive.

[2]      La première démarche de la demanderesse a été de demander ex parte une ordonnance selon la Règle 377, c"est-à-dire une ordonnance Anton Piller. La demande a été accueillie ce jour-là, c"est-à-dire le 19 avril 1999, par le juge des requêtes, et elle devait être étudiée pour confirmation le 26 avril 1999. Je suis saisie de cette requête. L"ordonnance a été exécutée le 21 avril 1999. La défenderesse a présenté une requête pour que l"ordonnance Anton Piller soit annulée et que tous les objets saisis soient restitués à la défenderesse, aux frais de l"appelante.

[3]      Dans ces deux requêtes, je dois réexaminer de novo, quant aux faits et quant au droit, la demande concernant l"ordonnance Anton Piller : Pulse Microsystems Ltd. c. SafeSoft Systems Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 202 (C.A. Man.).

[4]      Une ordonnance Anton Piller est délivrée pour garantir la conservation de documents qui font l"objet d"une cause d"action. Elle tire son nom de l"arrêt Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd. , [1976] 1 All E.R. 779 (C.A.). Dans cette affaire, la demanderesse croyait que les défenderesses portaient atteinte aux droits d"auteur de la demanderesse et que, si les défenderesses recevaient préavis de sa requête, elles détruiraient les documents pertinents et les sortiraient du territoire de telle sorte qu"ils n"existeraient pas lorsque l"action atteindrait le stade de l"interrogatoire préalable. La Cour d"appel a jugé que le tribunal avait compétence pour rendre, sur demande ex parte des demanderesses, une ordonnance forçant la défenderesse à permettre à la demanderesse d"inspecter ses locaux et d"y prendre des documents, ou copies de tels documents. À la page 784, lord Ormrud énonce les conditions qui doivent être remplies par la demanderesse :

     [TRADUCTION] Tour d"abord, il faut un commencement de preuve très solide. Deuxièmement, le préjudice réel ou possible doit être très grave pour le requérant. Troisièmement, il faut la preuve manifeste que les défendeurs ont en leur possession des documents ou des objets pouvant servir de pièces à conviction et qu"il est réellement possible que les défendeurs détruisent ces pièces avant que puisse être introduite une demande inter partes.         

[5]      En l"espèce, l"avocat de la défenderesse admet que la première condition est remplie, mais il soutient que la preuve ne permet d"établir ni la deuxième condition ni la troisième condition, et donc que l"ordonnance devrait être annulée.

La première condition -- le commencement de preuve

[6]      Même si l"existence d"un commencement de preuve est admise, il est utile de revoir la preuve afin de considérer les aspects du problème dans leur contexte.

[7]      À l"appui de la demande initiale de la demanderesse, a été déposé l"affidavit de Luther Haafe, rédigé sous serment le 15 avril 1999. L"affidavit décrit l"entreprise de la demanderesse et le fondement de son allégation selon laquelle les activités de la défenderesse causent un préjudice à la demanderesse.

[8]      Selon l"affidavit de M. Haafe, la demanderesse exploite au Canada une entreprise décrite comme une "entreprise de distribution de programmes", pour laquelle elle détient un permis du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Parmi les services de programmation offerts par la demanderesse, il y a Superchannel, décrit comme un service supérieur exempt de messages publicitaires, qui se compose de films et d"événements spéciaux. De façon générale, la demanderesse est soit le licencié exclusif soit le seul licencié de cette programmation dans l"Ouest canadien. Cette programmation est distribuée aux fournisseurs de télévision par câble et aux deux seules entreprises de "radiodiffusion directe à domicile" (RDD) autorisées par le CRTC, à savoir Star Choice et ExpressVu. D"après ce que je crois comprendre, les entreprises RDD sont en concurrence avec les entreprises de câblodistribution. Les programmes sont transmis sous la forme de signaux chiffrés, à partir d"un satellite vers les clients qui ont leurs propres antennes paraboliques et leurs propres dispositifs de décodage.

[9]      M. Haafe dit aussi que certaines sociétés sont autorisées par des organismes des États-Unis à exploiter aux États-Unis des activités RDD. Par exemple, la United States Satellite Broadcasting Company (USSB) et la Echostar Communications Corporation (Echostar) sont des diffuseurs RDD. Elles transmettent des signaux chiffrés pour les canaux appelés HBO et Showtime qui, selon M. Haafe, offrent une programmation qui est pratiquement la même que la programmation offerte par Superchannel. Ni USSB ni Echostar ne détiennent une licence canadienne de radiodiffusion.

[10]      Il n"existe aucune preuve du degré de similitude entre le contenu effectif de la programmation de HBO et Showtime aux États-Unis et celui de la programmation de Superchannel au Canada. J"imagine que, lorsque M. Haafe dit que la programmation de HBO et de Showtime est "pratiquement la même" que celle de Superchannel, il ne veut pas dire que HBO et Showtime diffusent nécessairement les mêmes films que Superchannel, mais plutôt que HBO et Showtime offrent ce que l"on pourrait décrire comme "une programmation sans publicité consistant en films et en événements spéciaux".

[11]      Sur cette toile de fond, il est nécessaire de considérer certaines lois. Il est maintenant établi que quiconque au Canada décode des signaux chiffrés provenant d"un radiodiffuseur qui n"a pas le droit légitime de transmettre ces signaux au Canada contrevient à l"alinéa 9(1)c ) de la Loi sur la radiocommunication. Cette proposition était, semble-t-il, mise en doute avant la décision du juge Gibson dans l"affaire Expressvu Inc. et al c. NII Norsat International Inc. , [1998] 1 C.F. 245 (décision confirmée par (1997), 222 N.R. 213 (C.A.F.)).

[12]      Selon l"alinéa 10(1)b ) de la Loi sur la radiocommunication, commet une infraction quiconque, sans excuse légitime, met en vente ou possède tout matériel dans des circonstances donnant à penser que l"équipement est utilisé en vue d"enfreindre l"article 9, l"a été ou est destiné à l"être.

[13]      Le paragraphe 18(1) de la Loi sur la radiocommunication prévoit une cause d"action pour le radiodiffuseur autorisé qui subit une perte ou des dommages en raison d"une contravention aux alinéas 9(1)c ) ou 10(1)b). Il s"ensuit que, si la demanderesse a subi une perte ou des dommages en raison des actes de la défenderesse qui contreviennent à ces dispositions, et si la défenderesse n"a pas d"excuse ou de défense légitime, la demanderesse peut exercer tous recours, "notamment par voie de dommages-intérêts, d"injonction ou de reddition de compte, selon ce que le tribunal estime indiqué".

[14]      Il est prouvé que la défenderesse vend des équipements dont le seul objet est de décoder les signaux chiffrés provenant de radiodiffuseurs des États-Unis tels que USSB et Echostar. Cette activité s"accorde avec l"alinéa 10(1)b ) de la Loi sur la radiocommunication, abstraction faite de l"excuse légitime. Par conséquent, il apparaît à première vue que la défenderesse se livre ou s"est livrée aux actes décrits à l"alinéa 10(1)b ). Cela suffit, avec le paragraphe 18(1), à établir le commencement de preuve dont l"existence est concédée par l"avocat de la défenderesse.

Préjudice grave pour la demanderesse

[15]      S"agissant de la deuxième condition, savoir le préjudice grave pour la demanderesse, il est nécessaire de se reporter au paragraphe 24 de l"affidavit de M. Haafe, rédigé ainsi :

     [traduction] Étant donné que la demanderesse détient une licence de radiodiffusion à titre d"entreprise de distribution de programmes dans l"Ouest canadien, et les licences commerciales de titulaires de droits d"auteur indiquées ci-dessus, la poursuite des activités des défenderesses causera un préjudice irréparable qui ne pourra être pleinement compensé par les dommages-intérêts que la Cour pourrait accorder. S"il en est ainsi, c"est parce que certains des dommages subis par la demanderesse concernent l"atteinte à sa réputation et à son image de marque, éléments difficiles à quantifier avec exactitude.         

[16]      C"est la seule preuve qui concerne directement la deuxième condition. Pour dire qu"elle remplit la deuxième condition, il est nécessaire d"inférer deux choses. D"abord, la licence de radiodiffusion et les licences de droits d"auteur de la demanderesse supposent que la demanderesse doit nécessairement être préjudiciée par une personne dont les activités consistent à faciliter l"accès à des signaux chiffrés provenant de radiodiffuseurs étrangers qui n"ont pas de licence canadienne. Deuxièmement, les activités de la défenderesse sont d"une certaine nature et sont exercées à une certaine échelle, au point de causer un préjudice que l"on peut avec raison qualifier de "préjudice grave". La question est de savoir si de telles inférences sont justifiées.

[17]      À l"appui de sa position selon laquelle cette preuve établit le degré requis de préjudice, la demanderesse allègue la décision rendue par la Section de première instance dans l"affaire Expressvu. Dans cette affaire, l"une des demanderesses était une société qui avait reçu une licence pour des activités RDD (le même type de licence que celle de la demanderesse dans la présente affaire), mais qui n"avait pas encore commencé ses opérations. Les autres demanderesses étaient des distributeurs d"abonnements télévisés, apparemment au moyen du câble, et elles détenaient des licences de droits d"auteur qui, je le présume, ressemblaient à celles de la demanderesse dans la présente affaire. L"entreprise des défenderesses consistait à vendre des satellites et des décodeurs pour les signaux chiffrés provenant de radiodiffuseurs des États-Unis, une entreprise semblable à celle qu"exerce censément la défenderesse dans la présente espèce. Les demanderesses ont engagé une action afin d"obtenir une injonction et des dommages-intérêts. Les défenderesses ont demandé le rejet sommaire de l"action en alléguant que les demanderesses n"avaient pas montré une cause d"action. Les défenderesses ont échoué et l"injonction a été accordée aux demanderesses.

[18]      En l"espèce, la demanderesse soutient que, si une injonction était justifiée dans l"affaire Expressvu , il doit s"ensuivre qu"une ordonnance Anton Piller est justifiée ici. Je ne partage pas cet avis.

[19]      Dans l"affaire Expressvu , les défenderesses avaient soutenu, entre autres choses, que les demanderesses ne pouvaient exciper de l"article 18 de la Loi sur la radiocommunication parce qu"elles n"avaient pas établi qu"elles avaient subi une perte ou un préjudice en raison de la conduite des défenderesses. Le juge Gibson rejeta cet argument. S"agissant du radiodiffuseur licencié qui n"avait pas encore démarré son entreprise, il tient les propos suivants, aux pages 271 et 272 :

     Selon la preuve présentée, rien n"indique qu"ExpressVu n"ait pas encore l"intention de profiter de la licence qui lui a été octroyée. Pendant qu"elle se prépare à le faire, les activités de Norsat, les détaillants à qui elle vend des marchandises, les personnes qui achètent auprès de ces détaillants et celles qui aident ces acheteurs à activer leurs décodeurs continuent à occuper une part croissante du marché canadien des services de SRD. Même si certains de ceux qui s"abonnent aux services en provenance des États-Unis par l"intermédiaire des activités de Norsat et d"autres entreprises pourraient aussi souscrire au service offert par Express Vu ou même changer pour ce service lorsqu"il sera offert, je suis disposé à présumer que la totalité d"entre eux ne le feront pas tant qu"ils pourront continuer à recevoir les services émanant des États-Unis. Même s"il pourrait s"avérer très difficile de quantifier la perte ou les dommages qu"a subis Express Vu, ce n"est pas pertinent. Je suis disposé à conclure qu"Express Vu a subi une perte ou des dommages et continuera à le faire tant que les pratiques actuelles ne seront pas radicalement modifiées.         

[20]      S"agissant des autres demanderesses, il s"exprime ainsi, à la page 272 :

     ... la preuve qui m"a été soumise indique qu"elles ont subi certaines pertes ou certains dommages du fait que les émissions sur lesquelles elles disposent de droits exclusifs dans la totalité ou une partie du Canada, en vertu de licences obtenues auprès de titulaires de droits d"auteur, sont reçues et regardées au Canada sans leur autorisation.         

[21]      Je crois que ces conclusions ne viennent pas en aide à la demanderesse dans la présente espèce. Le juge Gibson examinait si les demanderesses avaient subi une perte ou un préjudice, ce qui est le critère énoncé dans l"article 18 de la Loi sur la radiocommunication , et il considérait cette question dans un contexte où les défenderesses avaient admis les faits essentiels afin de soulever un point de droit. En revanche, dans la présente affaire, la demanderesse ne sollicite pas simplement une ordonnance fondée sur des faits admis, afin que la défenderesse cesse d"exercer une activité jugée illicite. La demanderesse veut une ordonnance qui lui accorde un recours préventif dans le contexte de faits contestés, recours qui est susceptible de perturber complètement les affaires de la défenderesse. C"est la nature de ce recours extraordinaire qui entraîne l"obligation de prouver un "préjudice très grave", et pas seulement "un certain préjudice".

[22]      Il vaut la peine de noter aussi que, dans l"affaire ExpressVu , s"agissant de la demanderesse qui n"avait pas encore commencé d"exploiter son entreprise de radiodiffusion, il y avait apparemment lieu de croire que sa part de marché était absorbée par les activités illégales. S"agissant des demanderesses qui exploitaient déjà leur entreprise de radiodiffusion, il y avait, semble-t-il, lieu de croire que la programmation qui avait été conférée par licence aux demanderesses exclusivement était reçue et télévisée au Canada sans leur autorisation, ce qui les privait des droits qu"elles auraient pu gagner en diffusant elles-mêmes cette programmation.

[23]      En l"espèce, aucune preuve n"a été faite de la parte de marché de la défenderesse, pas même du volume estimatif de ses activités. Aucune preuve n"a été faite non plus du moindre film ou événement spécial accordé par licence à la demanderesse qui aurait pu circuler au moyen d"un dispositif vendu par la défenderesse et qui aurait pu être regardé par un téléspectateur sur le marché de la demanderesse dans l"Ouest canadien. En fin de compte, la demanderesse peut prouver son droit à un recours selon l"article 18 de la Loi sur la radiocommunication . Mais, pour qu"une ordonnance Anton Piller soit accordée, il ne suffit pas de prouver l"existence d"une cause d"action et un certain préjudice. Il faut faire la preuve d"un préjudice grave .

[24]      Je suis d"accord avec l"avocat de la défenderesse pour dire qu"il n"a pas été prouvé que les actes de la défenderesse ont fait subir ou pourraient faire subir à la demanderesse un préjudice grave. La deuxième condition n"est donc pas remplie. Cela suffit à entraîner le rejet de la demande pour que soit rendue une ordonnance prorogeant l"ordonnance Anton Piller.

La troisième condition -- probabilité de destruction de documents

[25]      J"examinerai aussi l"argument de la défenderesse selon lequel il n"a pas été prouvé que la troisième condition est remplie. Selon cette condition, la demanderesse doit prouver que la défenderesse détient des documents qui aideront la demanderesse à établir son droit, et qu"il est réellement possible que la défenderesse détruise les documents en question avant que ne puisse être introduite une demande inter partes .

[26]      À mon avis, la preuve qui constitue le commencement de preuve des activités illicites de la défenderesse est aussi la preuve que la défenderesse est en possession de documents qui pourraient servir de pièces à conviction.

[27]      Cependant, la preuve que la défenderesse pourrait détruire les documents, si elle en a la possibilité, est une toute autre affaire. L"avocat de la défenderesse soutient que la preuve de la demanderesse se rapportant à la troisième condition se fonde presque entièrement sur les opinions exprimées dans des affidavits et ne constitue pas une preuve positive que la défenderesse détruira probablement les documents. Il invoque le jugement Chin-Can Communication Corp. c. Chinese Video Centre Ltd. (1983), 70 C.P.R. (2d) 184 (C.F., 1re inst.), dans lequel, selon le juge Addy, il ne suffit pas à un demandeur de dire simplement sa conviction que le seul moyen de recouvrer les documents est une ordonnance Anton Piller. C"est à cela que l"avocat de la défenderesse compare la preuve produite par la demanderesse.

[28]      Je ne vois pas la question tout à fait sous le même jour. Voici comment je résume la position de la demanderesse. La défenderesse vend des décodeurs pour les signaux chiffrés transmis par des radiodiffuseurs des États-Unis qui ne sont pas autorisés à transmettre au Canada. Les décodeurs doivent être obtenus auprès des radiodiffuseurs américains, et il faut pour cela s"abonner d"abord à leurs services. L"entreprise de la défenderesse comprend donc également la vente de tels abonnements. Cependant, les radiodiffuseurs américains n"acceptent pas sciemment les abonnements de clients canadiens. Pour tromper les radiodiffuseurs américains, les personnes qui vendent des abonnements canadiens les présentent sous des noms fictifs, avec de fausses adresses aux États-Unis. Si la défenderesse vend des décodeurs, elle vend probablement aussi des abonnements comme celui-ci. Si c"est le cas, le seul moyen pratique pour la défenderesse de conserver la trace de tels abonnements et de faire concorder les noms réels et les noms fictifs avec toute l"information apparentée provenant des radiodiffuseurs américains, c"est de conserver des documents commerciaux sur des ordinateurs. La défenderesse utilise des ordinateurs dans ses opérations. Les documents informatiques peuvent être détruits facilement et rapidement. On doit présumer que la défenderesse sait que ses activités sont illégales et pourraient entraîner des pénalités. Si la défenderesse reçoit un préavis de la revendication de la demanderesse, elle s"empressera alors de détruire, et elle aura les moyens de détruire, ses documents commerciaux, assez rapidement pour que la demanderesse ne puisse s"en emparer. On devrait donc en déduire que c"est ce que fera probablement la défenderesse si l"ordonnance Anton Piller n"est pas accordée ou prorogée.

[29]      La preuve des faits indiqués dans ce sommaire se trouve dans l"affidavit de M. Haafe. Les autres affidavits renferment quelques éléments de preuve qui effleurent ces points, mais ils ne renforcent pas ni n"affaiblissent la position de la demanderesse quant à la troisième condition, et je n'en ai pas tenu compte. Les inférences contenues dans ce sommaire se résument à cela et elles doivent naturellement être évaluées.

[30]      À mon avis, la preuve factuelle est suffisante et le raisonnement résiste à un examen minutieux. Par conséquent, j"estime que la troisième condition est remplie.

Autres preuves présentées par la demanderesse

[31]      L"avocat de la défenderesse a critiqué les preuves de la demanderesse qui donnaient à entendre que la défenderesse exploitait une entreprise éphémère et clandestine, et donc une entreprise illégale. Il a expliqué que ces preuves étaient volontairement péjoratives et qu"elles avaient été produites uniquement pour donner un portrait injuste de la défenderesse et de ses activités. Il a aussi indiqué que, si la demanderesse voulait une ordonnance Anton Piller, c"était pour détruire l"entreprise de la défenderesse, et non pour étayer une revendication de bonne foi, mais il n"existe aucune preuve de cela.

[32]      Les affidavits des enquêteurs retenus par la demanderesse donnaient à entendre que les personnes exerçant des activités illicites occupent en général des locaux provisoires, dissimulent l"identité des gens qui travaillent pour elles, utilisent une diversité de raisons sociales et n"apparaissent pas dans les registres gouvernementaux des entreprises ou des compagnies. Ces enquêteurs ont affirmé avoir décelé de tels indices dans les activités de la défenderesse. Certains de leurs éléments de preuve avaient, semble-t-il, pour objet de nuire à la cote de solvabilité de la défenderesse, et l"on a indiqué que ces éléments de preuve ne pouvaient être obtenus qu"en contravention de la loi manitobaine1.

[33]      La demanderesse a également produit la preuve d"une recherche de noms qui faisait état de certaines variantes du mot "starlink". Cette preuve visait à démontrer que la défenderesse n"avait aucune présence permanente ou qu"elle changeait souvent de raison sociale. Cependant, la défenderesse a produit la preuve de sa propre recherche de noms, une preuve qui semble établir le contraire. La contradiction n"a jamais été expliquée de façon à me convaincre.

[34]      Dans les argumentations que j"ai entendues, l"avocat de la demanderesse a confirmé s"être fondé sur le contenu des affidavits des enquêteurs. Il a évoqué à ce propos l""épreuve olfactive" que les enquêteurs expérimentés ont coutume d"employer dans les affaires de ce genre. Il a dit que les enquêteurs ont commencé l"enquête en sachant que la défenderesse exploitait une entreprise illégale, et ils voulaient en obtenir confirmation. Répondant aux affidavits des enquêteurs, la défenderesse a produit une preuve dont une bonne part visait à montrer que les enquêteurs faisaient tout simplement fausse route pour certains des faits qu"ils invoquaient à l"appui de leur conclusion, et que leurs déductions et leurs investigations étaient notablement viciées.

[35]      À mon avis, les affidavits des enquêteurs de la demanderesse n"offrent pas le degré d"objectivité qui aurait pu les rendre crédibles, et à certains égards, ils tirent des conclusions excessives. Par exemple, l"un des enquêteurs a jugé révélateur le fait que, lorsqu"il s"est rendu aux locaux de la défenderesse en se faisant passer pour un client, les employés de la défenderesse ne lui ont pas dit leurs noms, bien que lui leur eût donné le sien. Je ne vois rien là de rationnel. Un enquêteur a trouvé révélateur, semble-t-il, le fait qu"il n"y ait eu aucun tableau sur les murs de l"établissement de la défenderesse, uniquement des affiches, que les meubles aient paru de mauvaise qualité et que les locaux aient été en désordre. Ces constatations étaient censées prouver le caractère éphémère de l"entreprise, mais elles pouvaient aussi signaler une entreprise modeste. Le caractère peu fiable de ces affidavits est confirmé par l"explication de l"avocat de la demanderesse à propos de l"approche utilisée par les enquêteurs pour effectuer leur tâche.

[36]      Cette preuve a, paraît-il, été présentée pour établir la troisième condition, c"est-à-dire pour attester la tendance de la défenderesse à détruire des documents. Je ne crois pas que cette preuve soit en mesure de prouver cela. Cependant, d"autres éléments de preuve établissent cette condition, même si l"on écarte les opinions et autres témoignages discutables des enquêteurs.

Conduite de l"avocat de la demanderesse

[37]      L"avocat de la défenderesse est allé jusqu"à soutenir que, durant l"audience initiale du 19 avril 1999, l"avocat de la demanderesse a manqué à son obligation de présenter au juge des requêtes un tableau équilibré et impartial de la preuve et qu"à lui seul ce manquement justifierait l"annulation de l"ordonnance Anton Piller. L"avocat de la défenderesse fait remarquer que les affirmations selon lesquelles la défenderesse n"avait aucune permanence et ses activités aucune transparence sont démenties par le contenu du propre dossier de la demanderesse, soit un extrait du site Web de la défenderesse, dossier selon lequel la défenderesse était active depuis au moins deux ans et publiait sa raison sociale ainsi que l"adresse où elle exploitait son entreprise. L"affirmation selon laquelle il était courant pour la défenderesse de dissimuler l'identité de ses dirigeants est elle aussi démentie par le contenu du propre dossier de la demanderesse, dossier d"après lequel M. Levin, le dirigeant, signe personnellement de son propre nom les factures de la défenderesse.

[38]      Je ne sais pas si l"avocat de la demanderesse a ou non présenté ces faits d"une manière équitable à l"audience initiale. À supposer qu"il ne l"ait pas fait, je ne crois pas que cela change quoi que ce soit. Ce sont des aspects qui semblent se rapporter à la troisième condition d"une ordonnance Anton Piller. Leur omission est probablement sans intérêt vu que, d"autres moyens ont permis d'établir que cette condition est remplie.

Autres points

[39]      Il convient de noter certaines questions préliminaires qui ont été soulevées à l"audience.

[40]      La défenderesse a demandé une ordonnance écourtant le délai accordé pour déposer ses documents en réponse aux requêtes qui devaient être instruites le 26 avril 1999. Il y avait certains problèmes de signification qui finalement ont été résolus, et j"ai fait droit à cette demande.

[41]      La requête en examen de l"exécution de l"ordonnance Anton Piller avait été inscrite au rôle pour le 26 avril 1999, mais elle a été ajournée pour permettre un contre-interrogatoire sur affidavits.

[42]      J"ai ordonné à la demanderesse de remettre à la défenderesse la bande magnétoscopique de l"exécution de l"ordonnance.

[43]      La demanderesse a sollicité durant l"audience une injonction permanente contre la défenderesse. Je n"ai pas examiné cette demande. À ce stade des procédures, je ne vois aucune raison de donner suite à une demande d"injonction présentée sans préavis à la défenderesse. La demanderesse est libre de présenter, moyennant avis suffisant, une telle demande d"injonction.

Conclusion

[44]      La demande pour que soit rendue une ordonnance prorogeant l"ordonnance Anton Piller délivrée le 19 avril 1999 est rejetée, et l"ordonnance est annulée. La demanderesse restituera à la défenderesse tous les objets saisis et, à ses propres frais, elle procédera à toute réinstallation nécessaire des objets saisis.

[45]      Sous réserve d"une autre ordonnance de la Cour, la demanderesse veillera à ce que toute l"information obtenue durant la saisie demeure confidentielle.

[46]      La défenderesse a demandé les dépens sur une base avocat-client. Eu égard aux circonstances de la présente affaire, la question des dépens devrait être laissée à l"appréciation du juge du procès.

                                 Karen R. Sharlow

                                 __________________________                                      Juge

Ottawa (Ontario)

Le 28 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


Date : 19990430


Dossier : T-686-99

Ottawa (Ontario), le 30 avril 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :


WIC PREMIUM TELEVISION,


demanderesse,


- et -


ROY LEVIN, alias ROY LEVINE, M. UNTEL,

Mme UNETELLE et TOUTE AUTRE PERSONNE OU TOUTES AUTRES PERSONNES TROUVÉES SUR LES LIEUX OU INDIQUÉES COMME TRAVAILLANT SUR LES LIEUX, AU 1830 AVENUE DUBLIN, WINNIPEG (MANITOBA), QUI EXERCENT DES FONCTIONS OU TRAVAILLENT POUR DES ENTREPRISES EXERÇANT LEUR ACTIVITÉ SOUS LE NOM ET LA DÉNOMINATION DE "STARLINK", "STARLINK INC.", "STARLINK CANADA" OU "STARLINK MANITOBA", OU SOUS PLUSIEURS DE CES NOMS ET DÉNOMINATIONS,


défendeurs.


ORDONNANCE MODIFIÉE

1.      La demande de la demanderesse pour que soit prorogée l"ordonnance rendue par le juge Gibson le 19 avril 1999 est rejetée et l"ordonnance est annulée.
2.      La demanderesse remettra à la défenderesse la bande magnétoscopique de l"exécution de l"ordonnance.
3.      Il est ordonné à la demanderesse de restituer à la défenderesse tous les objets saisis et, à ses propres frais, de procéder à la réinstallation nécessaire des objets saisis.
4.      Sous réserve d"une autre ordonnance de la Cour, la demanderesse veillera à ce que l"information obtenue durant la saisie demeure confidentielle.
5.      Les dépens de la présente requête seront laissés à l"appréciation du juge du procès.

                             Karen R. Sharlow

                             __________________________

                             Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :          T-686-99
INTITULÉ :              WIC PREMIUM TELEVISION c. ROY LEVIN, alias ROY LEVINE ET AL
LIEU DE L"AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :      LE 26 AVRIL 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE SHARLOW

EN DATE DU          28 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

K. WILLIAM McKENZIE              POUR LA DEMANDERESSE
J. ALAN AUCOIN ET              POUR LES DÉFENDEURS

KATHRYN PODREBARAC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CRAWFORD, McKENZIE, McLEAN &

WILFORD

ORILLIA (ONTARIO)              POUR LA DEMANDERESSE
BLAKE, CASSELS & GRAYDON          POUR LES DÉFENDEURS

TORONTO (ONTARIO)

__________________

     1Je présume qu"il s"agit de la Loi concernant les enquêtes sur les particuliers , L.R.M. 1987, ch. P-34.

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