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Date : 20040203

Dossier : IMM-3194-02

Référence : 2004 CF 179

ENTRE :

                                                             LAI CHEONG SING,

TSANG MING NA,

LAI CHUN CHUN,

LAI CHUN WAI et

LAI MING MING

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

Introduction

[1]                Les demandeurs Lai Cheong Sing, son épouse Tsang Ming Na et leurs trois enfants sont arrivés au Canada en provenance de Chine. Ils ont par la suite demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. Leurs revendications ont été rejetées par un tribunal de la Section du statut de réfugié (SSR), en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications (l'ancienne Loi).


[2]                Le tribunal est arrivé à la conclusion que les deux parents étaient exclus de la définition de réfugié en vertu de l'alinéa 1 Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, qui est incorporée à la Loi comme partie de la définition de réfugié, et qu'aucun des membres de la famille Lai n'était inclus dans la définition de réfugié, puisque leur crainte en cas de retour en Chine ne portait pas sur la persécution pour un motif prévu dans la définition.

[3]                Ces motifs portent sur ma conclusion que leur demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal de la SSR doit être rejetée par une ordonnance à venir, après que les avocats des parties auront eu l'occasion de proposer toute question à certifier pour examen par la Cour d'appel, en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

Le contexte

[4]                Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire, ainsi que l'annulation, d'une décision datée du 6 mai 2002 et transmise par un avis de décision daté du 21 juin 2002. La décision, rendue par un tribunal de la SSR, rejetait les revendications présentées par les demandeurs pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention, selon la définition de l'ancienne Loi. Cette Loi a été remplacée par la LIPR le 28 juin 2002, après le prononcé de cette décision. La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, déposée le 28 juin 2002, est entendue en vertu de l'article 190 de la LIPR.


[5]                Les demandeurs sont Lai Cheong Sing (M. Lai), son épouse Tsang Ming Na (Mme Tsang) et leurs trois enfants, Lai Chun Chun, Lai Chun Wai et Lai Ming Ming. Ce sont des citoyens de la République populaire de Chine, qui sont arrivés au Canada en août 1999 et qui ont revendiqué le statut de réfugié 10 mois après leur arrivée, soit en juin 2000. En attendant l'examen de leurs revendications, M. Lai a été détenu en attente d'une audition portant sur son admissibilité. Il a été libéré par la suite, à condition qu'il se soumette avec son épouse à une forme de « résidence surveillée » . C'est la situation maintenant.

[6]                Le demandeur Lai Cheong Sing revendique le statut de réfugié au motif d'une crainte de persécution pour opinions politiques et de son statut de membre d'un groupe social, les hommes d'affaires chinois qui ont réussi. Son épouse Mme Tsang fonde sa revendication sur une crainte de persécution pour opinions politiques et sur son statut de membre d'un groupe social, la famille Lai. Lai Chun Wai déclare craindre d'être persécuté pour opinions politiques et pour son statut de membre d'un groupe social, la famille Lai. Les deux autres enfants déclarent craindre d'être persécutés à cause de leur statut de membre d'un groupe social, la famille Lai.


[7]                Lors de l'audience devant le tribunal, le ministre défendeur est intervenu après avoir donné avis que selon lui l'alinéa 1 Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés était en cause en l'espèce. Le ministre a déposé une grande quantité de preuves, principalement obtenues des autorités chinoises. Le témoignage des fonctionnaires chinois et les dossiers d'enquêtes et de condamnations d'autres personnes, qui se seraient livrées à des activités illégales en Chine et à Hong Kong avec M. Lai et Mme Tsang avant que ces derniers ne viennent au Canada, était corroboré en partie par le témoignage d'experts et des rapports au sujet du régime juridique, y compris le droit criminel, les poursuites et les sanctions pénales en Chine. En sus du témoignage de M. Lai, de son épouse et de l'aîné de leurs enfants, on a présenté au nom des demandeurs le témoignage d'autres personnes, y compris des témoignages d'experts sur le régime politique et judiciaire en Chine, le tout étayé d'un grand nombre de renseignements publics au sujet des conditions dans ce pays. Une partie de cette preuve portait sur le réseau de contrebande et d'autres activités illégales des sociétés contrôlées par M. Lai. Il s'agirait du plus grand réseau de ce genre en Chine.


[8]                Le ministre soutient qu'il a des raisons sérieuses de penser que M. Lai et Mme Tsang ont commis des crimes graves de droit commun avant d'être admis au Canada, notamment la contrebande, la fraude et l'évasion fiscale, ce qui les exclut du statut de réfugié en vertu de l'alinéa 1 Fb). Le ministre a aussi demandé qu'on arrive à la conclusion que M. Lai, son épouse et leurs trois enfants n'étaient pas inclus dans la définition de statut de réfugié au sens de la Convention qui se trouve dans l'ancienne Loi (maintenant à l'article 96 de la LIPR). Le tribunal a convenu que c'était le cas. On a conclu que la persécution qu'ils disent craindre n'est pas liée aux motifs énoncés dans la définition. En d'autres mots, il n'y a pas de lien entre la persécution qu'ils disent craindre et les motifs qu'ils donnent pour fonder leur crainte, savoir pour M. Lai, Mme Tsang et l'aîné de leurs enfants Lai Chun Wai, les opinions politiques, ainsi que pour chaque membre de la famille le statut de membre d'un groupe social. Plus particulièrement, le fondement de leur revendication de statut de réfugié était la crainte des membres de la famille d'être persécutés, aux motifs suivants :

(i)          M. Lai, par suite d'opinions politiques et de son statut de membre d'un groupe social, savoir les hommes d'affaires chinois qui ont réussi;

(ii)         Mme Tsang, par suite d'opinions politiques et de son statut de membre d'un groupe social, la famille Lai;

(iii)        Lai Chun Chun et Lai Ming Ming, par suite de leur statut de membre d'un groupe social, la famille Lai;

(iv)        Lai Chun Wai, par suite d'opinions politiques et de son statut de membre d'un groupe social, la famille Lai.

[9]                S'agissant de ces diverses revendications, le tribunal a conclu que M. Lai et Mme Tsang étaient tous deux exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 1 Fb). De plus, il a conclu que M. Lai et Mme Tsang, ainsi que tous leurs enfants, ne sont pas inclus dans la définition de réfugié au sens de la Convention qui se trouve dans l'ancienne Loi (que l'on trouve maintenant aux articles 96 et 98 de la LIPR).


[10]            Les parties décrivent la présente affaire de façon fort différente. Les demandeurs déclarent que c'est suite à l'un de plusieurs scénarios possibles d'intrigues politiques auxquels M. Lai n'a pas voulu s'associer, que lui, son épouse et ses sociétés ont été accusés à tort d'avoir commis des délits commerciaux majeurs, notamment la contrebande à grande échelle visant des marchandises valant des milliards de dollars. Les demandeurs soutiennent que les déclarations de personnages politiques importants en Chine, y compris le président et le premier ministre, ainsi que dans la presse gouvernementale, font clairement ressortir le fait que les dirigeants politiques ont décidé de la culpabilité de M. Lai, avant même que des accusations ne soient portées. De plus, ils déclarent que le régime de justice en Chine, ce qui comprend les tribunaux, ne peut faire fi des déclarations politiques et des pressions du gouvernement, et qu'il est déjà clair que M. Lai et Mme Tsang seront détenus, trouvés coupables et condamnés à des peines sévères dès leur retour en Chine. Ils ajoutent que le point de vue bien connu des dirigeants politiques au sujet de M. Lai et de son épouse donne à cette affaire un caractère de persécution en raison d'opinions politiques.

[11]            Les demandeurs présentent l'essentiel de leur point de vue de deux façons dans leurs prétentions écrites. Dans les prétentions écrites publiques initiales des demandeurs, ils décrivent l'affaire comme suit, au paragraphe 22 :

[traduction]

Même si cette affaire est très longue et volumineuse, on trouve une question très simple à sa base. Les personnages politiques les plus importants en Chine, y compris le président et le premier ministre, ont déjà décidé que les Lai étaient coupables et ils ont proclamé ce fait en public de façon constante, alors qu'aucune accusation n'a encore été portée. S'agissant des affaires importantes, le régime politique chinois est inféodé au Parti communiste et aux dirigeants politiques. Il est clair que les Lai seront trouvés coupables. La conclusion de leur procès criminel en Chine est déjà prévue. C'est la combinaison des déclarations politiques à l'encontre des Lai et du fait que le régime juridique chinois ne peut les ignorer qui transforme cette affaire en revendication de statut de réfugié par suite d'opinions politiques. [...]

Plus loin, dans la réponse des demandeurs au mémoire additionnel du défendeur, on trouve ceci a paragraphe 23 :

[traduction]


[...] Leur point de vue demeure, savoir que l'enquête par l'équipe 4.20 a été déclenchée par un rapport de dénonciation, que l'équipe 4.20 a reçu des directives des dirigeants politiques de trouver des preuves contre M. Lai et ses sociétés suite à ce rapport, que le rapport lui-même n'a aucun poids en tant que preuve et que son auteur n'a jamais été identifié ou interrogé par l'équipe 4.20, et que l'équipe 4.20 a cherché à obtenir des preuves par la voie d'aveux. Rien dans les conclusions du tribunal ne contredit ces faits.

[12]            Le défendeur soutient, comme l'a conclu le tribunal de la SSR, que cette affaire porte uniquement sur des criminels de droit commun qui cherchent à échapper à la justice en Chine. Leur crainte de persécution n'est rien d'autre qu'une crainte de poursuites pour la commission de crimes graves de droit commun, en vertu de lois d'application générale en Chine.

Les questions en litige

[13]            Les demandeurs contestent les conclusions finales du tribunal que M. Lai et Mme Tsang sont exclus du statut de réfugié en vertu de l'alinéa 1 Fb) de la Convention et que ceux-ci, ainsi que tous leurs enfants, ne sont pas inclus dans la définition de réfugié puisque la crainte dont ils font état ne porte pas sur une persécution pour un motif énoncé dans la Convention. Ils contestent aussi les conclusions du tribunal qui portent que la preuve de M. Lai et de Mme Tsang n'est généralement pas crédible. De plus, les demandeurs contestent plusieurs des conclusions qui sous-tendent la décision du tribunal, conclusions qui portent sur l'admissibilité de la preuve et le poids à lui donner, ainsi que sur plusieurs des facteurs qui fondent les conclusions finales du tribunal. Lorsque ces questions ont un impact sur les conclusions finales du tribunal, j'en traiterai en ce qu'elles sont liées à ces conclusions finales.


Le tribunal : les conclusions visant l'exclusion

[14]            Les conclusions finales du tribunal au sujet de l'exclusion portent qu'il y a des raisons sérieuses de penser que M. Lai et Mme Tsang sont coupables du crime grave de droit commun de contrebande (et M. Lai de celui de corruption) en dehors du Canada avant leur admission dans notre pays. C'est sur cette base que le tribunal a conclu que M. Lai et Mme Tsang étaient tous deux exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu du paragraphe 2(2) et de l'alinéa 1 Fb) de l'annexe à l'ancienne Loi, savoir l'alinéa 1 Fb) de la Convention internationale.

[15]            Cette disposition de la Convention continue à s'appliquer en vertu de la LIPR (article 98 et annexe). Elle est rédigée comme suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

. . .

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

. . .

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[16]            Les demandeurs soulèvent plusieurs objections au sujet des conclusions du tribunal portant sur l'exclusion. Je vais en traiter tour à tour, après une brève description de quelques-unes des différences entre le droit chinois et le droit canadien qui fondent les prétentions des demandeurs.


Les différences entre les régimes juridiques

[17]            Les parties conviennent des différences suivantes entre les régimes juridiques des deux pays. En Chine, aucune accusation criminelle n'est portée si la personne en cause n'est pas dans la zone de compétence des tribunaux chinois. En l'espèce, aucune accusation n'a été portée en Chine contre M. Lai et Mme Tsang, puisqu'ils ont quitté la Chine avant la fin de l'enquête portant sur les délits présumés. Toutefois, ils sont recherchés pour les délits présumés en vertu de l'équivalent de mandats d'arrestation. En l'espèce, les délits sont perçus par les autorités chinoises comme des activités dans lesquelles les sociétés de M. Lai, le groupe Yuan Hua, étaient impliquées. Suite à un rapport de dénonciation, que M. Lai déclare être faux, présenté par un citoyen qui n'a pas été identifié par les autorités, un groupe d'enquêteurs regroupant quelques centaines de personnes a été chargé de trouver des preuves de la commission de ces délits par M. Lai, ses sociétés et plusieurs fonctionnaires. Une grande partie de l'enquête a été conduite par l'arrestation et l'interrogatoire des employés des sociétés de Yuan Hua, ainsi que des fonctionnaires, suite à quoi des accusations ont été portées contre plusieurs personnes. Plusieurs d'entre elles ont été trouvées coupables et certaines ont été condamnées à la peine de mort et des exécutions capitales ont eu lieu.


[18]            Le processus d'enquête et de poursuites est très différent dans les deux pays et plusieurs des notions d'équité et de justice qui nous sont naturelles ne font pas partie du processus de l'administration de la justice en Chine. Ces différences reflètent la culture différente des deux pays, notamment, aux dires des demandeurs, quant à la place qu'occupe l'administration de la justice au sein de la structure gouvernementale. L'indépendance des enquêteurs, des responsables de la poursuite et des juges, par rapport aux dirigeants politiques de l'État, que nous estimons essentielle dans notre société, n'est pas la même en Chine, où le parti et l'exécutif dominent, aux dires des demandeurs, l'essentiel de l'organisation sociale, y compris les tribunaux criminels. C'est essentiellement suite à cette différence que les demandeurs soutiennent craindre d'être persécutés au motif d'opinions politiques, non pas leurs opinions politiques mais celles du gouvernement chinois.

La preuve documentaire au sujet de la contrebande et de la corruption


[19]            Une grande partie de la preuve documentaire présentée au tribunal au sujet des crimes présumés en Chine est constituée de rapports d'interrogatoires, ainsi que de la documentation subséquente et des dossiers de procès criminels, y compris les condamnations et les rapports portant sur certaines exécutions. Étant donné la nature du processus d'enquête et d'interrogatoire des détenus en Chine, les demandeurs soutiennent que ces rapports et documents, y compris les décisions conséquentes des tribunaux, n'auraient pas dû être admis en preuve par le tribunal, ou, s'ils l'étaient, ils n'auraient dû recevoir aucun poids étant donné qu'il s'agit de preuves obtenues par la torture, ou par un traitement cruel et inhumain. Aux dires des demandeurs, cet argument est appuyé par la preuve générale des conditions dans le pays, qui porte qu'on utilise en Chine la terreur et l'arrestation dans les enquêtes portant sur des activités contraires à l'intérêt public, ainsi que par la preuve des témoins experts cités par les demandeurs, par un affidavit portant qu'une déclaration faite aux enquêteurs chinois par une certaine personne était fausse, par la preuve tirée d'une procédure connexe en Chine où l'accusé a été interrogé pendant une longue période, plus longtemps que ce qui est prévu par le droit chinois, ainsi que par le rapport non signé d'une certaine T.M., une ancienne employée des sociétés Yuan Hua qui avait auparavant fait une déclaration aux enquêteurs chinois.

[20]            S'agissant de la preuve générale portant sur les conditions dans le pays et de la preuve des témoins experts cités par les demandeurs, le tribunal a présenté ses raisons pour justifier le fait qu'il privilégiait la preuve des témoins experts cités par le ministre plutôt que les opinions générales exprimées par les témoins experts cités par les demandeurs ou les rapports de nature générale sur les conditions dans le pays, en l'absence de preuve de l'existence d'un lien entre l'essentiel de la preuve documentaire qui lui était soumise et des actes spécifiques de torture ou de traitement dégradant des personnes qui avaient fourni cette preuve. Le rapport d'interrogatoire obtenu lors d'une longue période de temps a été suivi d'une entrevue avec la personne en cause, alors en détention en Chine, réalisée par un agent d'immigration canadien en présence des autorités chinoises. Le rapport de cette entrevue porte que les aveux faits par cette personne aux enquêteurs chinois ont été confirmés par celle-ci et elle a déclaré les avoir faits volontairement.


[21]            S'agissant de la preuve de l'ancienne employée T.M., ou à son sujet, on trouve un rapport d'enquête, produit après la détention et les poursuites, et une bande vidéo faite par la suite où elle répond à des questions et déclare que sa déclaration originale était véridique et volontaire. Il y a aussi une preuve additionnelle qui a été présentée, et acceptée par le tribunal, après la clôture des audiences. Le premier de ces documents est un rapport non signé de commentaires faits par T.M. à un avocat canadien et à sa secrétaire en Chine, rapport qui devait faire l'objet d'un affidavit qui n'a jamais été souscrit. Ce rapport non signé, annexé à l'affidavit de l'avocat canadien, pourrait, si l'on y ajoutait foi, jeter un doute sur la déclaration originale de T.M. Par la suite, le ministre a organisé l'interrogatoire de T.M. en Chine par un agent de liaison de la GRC, avec bien sûr la coopération des fonctionnaires chinois. Cet interrogatoire s'est tenu en présence d'un agent de sécurité chinois lié à l'agence qui peut avoir détenu et interrogé T.M. auparavant. Cet interrogatoire de l'agent de la GRC, qui a eu lieu hors de la connaissance de l'avocat des demandeurs, constitue selon moi une initiative extraordinaire ne respectant pas l'équité. De plus, elle s'est avérée ne pas être nécessaire puisque cette preuve, à laquelle le tribunal a donné un certain poids dans l'évaluation de l'implication de Mme Tsang dans les sociétés Yuan Hua, n'est pas la seule preuve qui a fondé sa conclusion.

[22]            Dans sa décision, le tribunal a fait des commentaires (page 262) au sujet des prétentions portant sur l'admissibilité des documents, notamment ceux en provenance du gouvernement chinois ou de personnes sous sa compétence, ainsi que sur un document des demandeurs qui faisait l'objet d'objections du ministre. Le tribunal conclut son examen comme suit :

[...] Après avoir examiné les documents en question, le tribunal conclut que toutes les pièces des revendicateurs ou du conseil du ministre sont recevables, y compris les documents déposés après la clôture de l'audience. La question est celle de savoir quel poids devrait être attribué à cette preuve.


[23]            Cette conclusion est cohérente avec le pouvoir discrétionnaire que la loi accorde au tribunal de décider quels éléments de preuve sont admissibles dans une affaire donnée. Ce pouvoir discrétionnaire de la Section de la protection des réfugiés est maintenant énoncé aux alinéas 170g), h) et i) de la LIPR. À moins que la Cour ne soit persuadée que l'évaluation du tribunal était manifestement déraisonnable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, elle n'a pas de raison d'intervenir.

[24]            Je partage l'avis de l'avocat des demandeurs qui veut qu'une preuve obtenue par la torture, ou par d'autres moyens interdits par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ne doit pas être retenue par un tribunal qui examine une revendication de statut de réfugié. En l'espèce, le tribunal a tenu compte de la preuve à laquelle les demandeurs s'objectent, mais uniquement après avoir examiné la question et être arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas de preuve crédible que les déclarations en cause portant sur les interrogatoires avaient été obtenues par l'utilisation de la torture ou de traitements dégradants appliqués aux personnes faisant l'objet de l'enquête en Chine.

[25]            Comme conclusion générale, cette décision en l'espèce portant sur l'admissibilité de déclarations, dossiers du tribunal et pièces diverses, était clairement de la compétence du tribunal telle que prévue dans la législation. Ce n'est que si la Cour était convaincue que les conclusions du tribunal au sujet de l'admissibilité ou du poids de la preuve étaient manifestement déraisonnables qu'elle serait justifiée d'intervenir.


Le fardeau de la preuve d'exclusion

[26]            Les parties conviennent que c'est le ministre qui a le fardeau de démontrer que les demandeurs doivent être exclus. Selon les demandeurs, ce fardeau exige que le ministre fasse la preuve que toutes les déclarations portant sur les interrogatoires qui ont été déposées en preuve étaient volontaires, ce que le tribunal n'a pas demandé. De plus, les demandeurs déclarent qu'en l'espèce, après avoir correctement situé le fardeau de la preuve le tribunal a, par sa décision, déplacé de façon erronée ce fardeau en leur demandant de démontrer que les déclarations n'étaient pas volontaires. S'agissant de la prétendue torture ou des mauvais traitements infligés aux détenus, le tribunal déclare ceci dans ses motifs (pages 233 et 234) :

Compte tenu de tous les éléments de preuve déposés, tant à l'égard de la situation dans le pays visé qu'à l'égard des témoins probants à l'audience, le tribunal conclut que bien que des personnes détenues soient parfois maltraitées et torturées en Chine, il n'a pas été établi selon la prépondérance des probabilités que cela a eu lieu à l'égard d'une déclaration ou d'un aveu obtenu par l'équipe d'enquête [...] ou dans le cadre du procès de Li Ji Zhou.

[27]            Cette dernière préoccupation, qui porte sur l'examen du fardeau de la preuve par le tribunal, est aussi soulevée par les demandeurs au sujet de la conclusion du tribunal sur l'inclusion, après que ce dernier a examiné la preuve et les arguments au sujet de la possibilité que les demandeurs, M. Lai et Mme Tsang, soient condamnés à la peine de mort après leur procès en Chine, savoir :

Le tribunal conclut selon la prépondérance des probabilités que le gouvernement de la Chine respectera les modalités de la note no 085/01 portant sur la non-application de la peine de mort à M. Lai et à Mme Tsang s'ils sont renvoyés en Chine et s'ils sont reconnus coupables de crimes commis avant leur rapatriement. (Motifs, pages 184 et 185.)



[28]            Au sujet de la première de ces préoccupations, savoir que le fardeau imposé au défendeur exige qu'il démontre que les déclarations obtenues au cours d'interrogatoires en Chine sont de nature volontaire, je ne suis pas convaincu que le tribunal a commis une erreur en n'imposant pas cette exigence. Le tribunal a accepté et privilégié la preuve des témoins experts cités par le ministre et des témoins en provenance de Chine, qui porte que le régime de justice en Chine, bien qu'en pleine évolution et différent de ce qui existe dans notre pays, n'est pas un régime fondé sur de fausses preuves. De plus, le tribunal n'a pas été saisi de beaucoup de preuves portant que les déclarations qui lui étaient soumises n'avaient pas été volontaires, sauf pour un rapport sans signature au sujet d'une déclaration de T.M. à un avocat canadien en Chine, preuve à laquelle le tribunal n'a pas donné beaucoup de poids pour les motifs qu'il a énoncés. En même temps, les déclarations en cause indiquent généralement, à leur face même, qu'elles ont été faites volontairement, la preuve que l'on trouve dans les transcriptions et dans les bandes vidéo de quelques personnes citées à leur procès en Chine indique que leurs déclarations étaient de nature volontaire, et les témoins en provenance de Chine, soit un enquêteur principal, un avocat de la poursuite et un expert de la procédure pénale chinoise, ont tous affirmé qu'ils ne connaissaient aucune instance où, dans le cadre de l'importante enquête et des poursuites liées aux activités des sociétés Yuan Hua, des déclarations n'auraient pas été volontaires. En l'absence de commentaires spécifiques portant sur les déclarations produites en l'espèce, la preuve générale sur les conditions dans le pays ne suffit pas à fonder une mise en doute par le tribunal de toutes les déclarations obtenues suite aux interrogatoires en Chine. Il s'agit là de documents qui étaient en preuve dans les procès criminels en Chine et le fait de soutenir, sans preuve spécifique, qu'on ne doit pas les admettre ou leur donner du poids ne constitue pas en lui-même un fondement qui permettrait de conclure que le tribunal a commis une erreur en les examinant sans d'abord insister que le ministre prouve dans chaque cas que la déclaration déposée était de nature volontaire.

[29]            Quant aux deux extraits de la décision du tribunal que j'ai cités, on les trouve dans le contexte de l'évaluation de la preuve présentée au tribunal. Selon moi, la référence à la « prépondérance des probabilités » dans chacun des cas se rapporte à une conclusion au sujet de la crédibilité de la preuve et non du fardeau imposé aux parties. S'agissant de l'exclusion, le tribunal a clairement reconnu que le fardeau de la preuve incombait au ministre d'établir qu'il y avait des raisons sérieuses d'exclure les demandeurs. S'agissant de l'inclusion, le tribunal a clairement reconnu que le fardeau de la preuve incombait aux demandeurs d'établir l'existence d'une preuve crédible de crainte raisonnable de persécution pour un motif énoncé dans la Convention.

[30]            Les références du tribunal à la prépondérance des probabilités par rapport à des questions précises de preuve qui lui étaient soumises, et non à ses décisions finales, n'indiquent pas selon moi qu'il aurait commis une erreur dans l'application du fardeau de la preuve à satisfaire par les parties.


Le caractère adéquat de l'avis et des conclusions

[31]            Les demandeurs soutiennent que l'avis d'exclusion, à tout le moins le détail des prétendues activités criminelles, n'était pas clair et que l'avis était vague. Ils ne savaient donc pas tout à fait ce qu'on leur reprochait. Bien que le tribunal ait pris note de cette préoccupation, il n'a pas énoncé de conclusion au sujet de l'avis. De plus, dans ses conclusions d'exclusion, le tribunal a déclaré qu'au vu de la preuve il y avait des raisons sérieuses de penser que M. Lai était impliqué dans la contrebande à grande échelle, et que Mme Tsang était impliquée dans la contrebande à grande échelle, sans mentionner quel était l'acte précis de contrebande que le tribunal avait des raisons sérieuses de croire que M. Lai avait commis.

[32]            Selon moi, l'avis de l'intention du ministre d'intervenir à l'audition de la revendication des demandeurs pour obtenir le statut de réfugié répond au critère essentiel qui veut qu'on indique sur quoi il fonde son intervention au vu de l'alinéa 1 Fb). De plus, l'avis les informe que M. Lai et Mme Tsang sont des personnes exclues pour avoir commis les crimes graves de droit commun que sont la contrebande, la fraude, l'évasion fiscale et la corruption. La conclusion quant à leur exclusion était fondée sur leurs formulaires de renseignements personnels, où ils admettent être visés par un mandat d'arrestation des autorités chinoises suite à une question qui a fait l'objet d'une enquête par une équipe spéciale chinoise.


[33]            L'avis satisfait clairement aux exigences de la LIPR. Je ne veux pas donner à entendre que ces exigences équivalent aux exigences de communication dans une affaire en vertu du Code criminel, mais les objectifs de ces deux lois canadiennes sont fort différents. La nature et le détail des activités criminelles que l'intimé considère avoir des raisons sérieuses de croire avoir été perpétrées par les demandeurs ressortent de la preuve déposée par le ministre, savoir les déclarations suite aux enquêtes, les décisions et autres preuves documentaires des procédures en Chine, ainsi que le témoignage devant le tribunal des témoins experts et des fonctionnaires de justice chinois.

[34]            Je suis convaincu que l'avis d'intervention satisfait aux exigences de la LIPR. De plus, je suis convaincu que les conclusions du tribunal au sujet des raisons sérieuses de considérer que les Lai avaient commis des crimes graves de droit commun, savoir la contrebande (et la corruption dans le cas de M. Lai), satisfont aux exigences de la LIPR ainsi que de l'alinéa 1 Fb), sans qu'il soit nécessaire de citer le détail des activités criminelles en cause, savoir le moment, l'endroit, les méthodes, les biens ou personnes impliquées, qui se trouvent dans le grand nombre de documents déposés et dans le témoignage des fonctionnaires chinois qui ont comparu au tribunal.


Les crimes de droit commun

[35]            Les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur de droit en concluant que les crimes prétendus des demandeurs, M. Lai et Mme Tsang, étaient des crimes de droit commun au sens de l'alinéa 1 Fb), sans prendre en considération leurs allégations voulant qu'en l'espèce les prétendus crimes étaient politiques à cause des positions prises et des opinions exprimées par les dirigeants chinois et les autorités publiques portant sur la culpabilité des demandeurs.

[36]            Le tribunal n'a pas accepté l'argument qui veut que les prétendus crimes en l'espèce soient considérés politiques aux fins de l'alinéa 1 Fb), du fait que les personnalités politiques sont opposées à M. Lai et au vu des problèmes causés par les liens entre le politique et le judiciaire en Chine. Le tribunal a accepté l'argument du ministre qui veut que l'alinéa 1 Fb) n'exige pas qu'on examine le crime du point de vue de la poursuite, déclarant que :

Ce qui compte, c'est la motivation du revendicateur au moment de la commission du crime.

En l'espèce, les demandeurs ne soutiennent pas que leurs activités avaient un objectif politique. Ils soutiennent plutôt que ce sont les objectifs ou la motivation du prétendu poursuivant, savoir le gouvernement chinois représenté par ses dirigeants, qui fondent l'existence de crimes politiques quelles que soient par ailleurs les croyances des demandeurs.


[37]            L'argument des demandeurs est nouveau, mais je ne suis pas convaincu que les « crimes de droit commun » au sens de l'alinéa 1 Fb) pourraient donner lieu à un tel argument dans une affaire exceptionnelle où la preuve appuierait cette conclusion. Selon moi, comme le tribunal l'a fait remarquer, on doit donner la même interprétation au mot « politique » , qu'on le trouve à l'alinéa 1 Fb) ou dans la définition générale de réfugié à l'article 96 de la LIPR, où les « opinions politiques » peuvent être celles du revendicateur du statut de réfugié ou celles qui sont perçues par le persécuteur présumé.

[38]            Il est toutefois clair que la conclusion du tribunal qu'il acceptait les arguments du ministre se situe clairement dans le contexte des faits de la présente affaire et que son commentaire doit être replacé dans ce contexte. Au vu de la preuve qui lui était soumise, le tribunal a conclu que les activités des demandeurs n'étaient pas politiques et qu'elles visaient l'obtention d'un gain personnel. La preuve des témoins experts cités par le ministre et des fonctionnaires chinois, ainsi que les dossiers de plusieurs poursuites et condamnations en Chine suite à l'enquête sur les activités des sociétés Yuan Hua, visent à démontrer que le régime de justice en Chine, du moins lorsqu'il s'agit du droit criminel d'application générale, est suffisamment indépendant du politique pour que les demandeurs soient traités au vu du droit applicable à tous s'ils retournent en Chine.


[39]            Je ne suis pas convaincu que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a conclu de ne pas accepter les allégations des demandeurs que les crimes étaient politiques. Le tribunal disposait d'une preuve abondante à l'appui de sa conclusion que les demandeurs n'avaient pas démontré que le processus judiciaire en matière criminelle était inféodé à la direction politique du pays. Or il s'agit là d'un élément essentiel de leurs arguments. Cette conclusion au vu de la preuve est une question mixte de fait et de droit et elle est raisonnable. Par conséquent, il n'y a pas de fondement en l'espèce justifiant une intervention dans les conclusions du tribunal voulant que les prétendus crimes en cause, savoir la contrebande et la corruption, sont des crimes de droit commun.

Les crimes en cause sont-ils « graves » ?

[40]            Les demandeurs contestent les conclusions du tribunal qui veulent que dans chaque cas les prétendus crimes, savoir la contrebande pour M. Lai et Mme Tsang et la corruption pour M. Lai, sont des « crimes graves » au sens de l'alinéa 1 Fb). Ils soutiennent que la preuve spécifique portant sur une activité de contrebande ne vient pas appuyer la conclusion qu'il y a eu contrebande, et que la preuve que le demandeur M. Lai aurait obtenu un gain illicite, ce qui est un élément essentiel de la corruption en droit chinois, n'est pas démontrée dans les deux cas auxquels le tribunal fait référence. Mais cet examen de la preuve devant le tribunal ne tient pas compte d'autres preuves acceptées par ce dernier, des déclarations suite à des enquêtes et des dossiers sur les condamnations par les tribunaux dans d'autres affaires, ainsi que les témoignages des fonctionnaires chinois et d'autres autorités au sujet des activités de contrebande et de corruption dans l'opération des sociétés Yuan Hua.


[41]            De plus, les conclusions du tribunal au sujet des « crimes graves » sont tirées dans le cadre d'une comparaison entre les lois criminelles et de douanes du Canada et les lois criminelles en Chine, des pénalités qui peuvent être imposées en vertu des deux régimes, y compris la possibilité de l'exécution capitale en Chine dans des cas graves, et des multiples allégations de délits qui ressortent des enquêtes portant sur les sociétés Yuan Hua. Les conclusions que ces activités sont des « crimes graves » ont aussi été tirées au vu de la jurisprudence, y compris d'autres décisions de tribunaux de la CISR.

[42]            Selon moi, ces conclusions sur des questions mixtes de droit et de fait, tirées au vu de la preuve et de la jurisprudence examinées par le tribunal, sont raisonnables et elles ne justifient pas une intervention de la Cour.

Les conclusions du tribunal sur l'exclusion


[43]            Plusieurs des objections portant sur les conclusions du tribunal que M. Lai et Mme Tsang sont exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 1 Fb) portent sur ses décisions au sujet de l'admissibilité de la preuve et du poids à lui donner, ainsi que sur certaines décisions subsidiaires sur lesquelles il existe des divergences entre les parties et qui fondent les conclusions finales du tribunal. Ces conclusions finales portent sur des questions mixtes de fait et de droit. Il n'y a pas d'erreurs sérieuses de fait qui justifieraient l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.4d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications. Les décisions portant sur la conclusion finale au sujet de l'exclusion sont, à mon avis, raisonnables au vu de la preuve présentée au tribunal et la Cour n'a aucune raison d'intervenir dans ces conclusions.

Les conclusions du tribunal sur l'inclusion

[44]            Les demandeurs M. Lai et Mme Tsang revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'ils craignent la persécution du fait d'opinions politiques et de leur statut de membre d'un groupe social, savoir, respectivement, les hommes d'affaires chinois qui ont réussi et les membres de la famille Lai. Le fils aîné Lai Chun Wai revendique le statut de réfugié du fait d'opinions politiques et de son statut de membre d'un groupe social, la famille Lai. Les deux autres enfants fondent leur crainte de persécution sur leur statut de membre de la famille Lai.

[45]            Dans sa décision, le tribunal rejette toutes ces revendications. Il conclut que M. Lai et Mme Tsang, ainsi que leurs enfants, ne feront pas face à un risque raisonnable de persécution (au sens donné à ces termes dans la Convention) s'ils retournent en Chine, ou notamment par suite de la condamnation possible à la peine de mort, à la torture ou à une peine ou un traitement cruel ou dégradant. Il n'existe pas de risque raisonnable de persécution pour les motifs énoncés dans la Convention. En fait, leurs craintes portent sur les poursuites en vertu du droit criminel d'application générale en Chine.


La possibilité d'une exécution capitale, de la torture ou d'un traitement dégradant

[46]            S'agissant de la menace d'exécution capitale, le ministre a déposé une note diplomatique du gouvernement chinois (no 085/01), où l'on trouve ceci :

[traduction]

Lai Changzing est le suspect principal dans l'affaire de contrebande d'envergure à Xiamen, province du Fujian, en Chine. Il s'est enfui au Canada lorsque l'affaire a vu le jour. Son rapatriement en Chine pour que son procès soit entendu par les organes judiciaires chinois compétents est d'une importance capitale à la lumière des efforts que la Chine déploie pour lutter contre la corruption et la contrebande.

La Chine a constaté la pratique judiciaire du Canada eu égard à la peine de mort lorsqu'il est question de rapatrier un prévenu. À la lumière de cette situation, le gouvernement de la Chine s'engage à faire en sorte que le tribunal pénal chinois pertinent ne condamne pas Lai Changxing à mort après son rapatriement en Chine pour tous les crimes qu'il peut avoir commis avant son rapatriement. La Cour populaire suprême, la plus haute instance judiciaire en Chine, a rendu une décision à cet égard et le tribunal pénal pertinent saisi de l'affaire de contrebande et de corruption sera informé de cette décision et s'y conformera.

Conformément à la décision susmentionnée et à l'article 199 du Code de procédure pénale de la République populaire de Chine, qui précise que « les peines de mort sont soumises à l'approbation de la Cour populaire suprême » , le tribunal pénal pertinent ne le condamnera pas à mort et même s'il le fait, la Cour populaire suprême n'approuvera pas le verdict; par conséquent, il ne sera pas exécuté s'il est renvoyé en Chine.

De même, la Chine est un État partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies. En vertu de la législation chinoise pertinente, Lai ne sera pas assujetti à la torture et à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pendant l'enquête le visant et son procès après son rapatriement et, s'il est condamné, pendant son incarcération.

Zeng Mingna, l'épouse de Lai, est aussi soupçonnée dans cette affaire de contrebande. Elle s'est enfuie au Canada avec Lai. Les engagements susmentionnés s'appliqueront aussi à Zeng si elle est rapatriée en Chine.


[47]            Le tribunal a entendu le témoignage d'un agent principal du service diplomatique canadien au sujet de la signification des notes diplomatiques en général, ainsi que son avis sur cette note en particulier. Il disposait aussi des avis des témoins experts au sujet de la Chine et de son régime juridique, avis sur lesquels il s'est appuyé. S'agissant de cette note, le tribunal est arrivé à la conclusion suivante (Motifs, pages 184 et 185) :

Le tribunal conclut selon la prépondérance des probabilités que le gouvernement de la Chine respectera les modalités de la note no 085/01 portant sur la non-application de la peine de mort à M. Lai et à Mme Tsang s'ils sont renvoyés en Chine et s'ils sont reconnus coupables de crimes commis avant leur rapatriement. De plus, il conclut selon la prépondérance des probabilités que le gouvernement chinois respectera les modalités de la note no 085/01 confirmant que M. Lai et Mme Tsang ne seront pas assujettis à la torture et à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s'ils sont reconnus coupables de crimes commis avant leur rapatriement.

[48]            Comme je l'ai fait remarquer plus tôt en discutant le fardeau de la preuve dans l'examen des conclusions sur l'exclusion, les demandeurs soutiennent que cette déclaration est erronée en ce qu'elle traite de la prépondérance des probabilités alors que ce fardeau de preuve ne s'impose pas aux demandeurs. J'ai déjà traité de cette question et fait ressortir que, prise dans son contexte, cette déclaration du tribunal porte sur sa perception de la crédibilité de la preuve au sujet de l'intention du gouvernement chinois et non sur le fardeau de la preuve qui s'impose aux demandeurs.


[49]            Les demandeurs soulèvent aussi deux autres objections au sujet du fait que le tribunal a accepté la note : la première porte sur l'interprétation du tribunal qui veut que la note accorde les mêmes assurances pour M. Lai et Mme Tsang et la deuxième est une allégation que le tribunal aurait dû tenir compte et faire état de tactiques trompeuses antérieures adoptées par les enquêteurs chinois venus au Canada en vertu de visas d'hommes d'affaires, alors que leur seul objectif était de rencontrer M. Lai et d'essayer d'obtenir qu'il retourne en Chine. Selon moi, l'interprétation que le tribunal donne à la note est raisonnable et sa conclusion quant à sa fiabilité a été tirée au vu de sa connaissance de la preuve en son entier, y compris des efforts malencontreux des enquêteurs chinois venus au Canada incognito pour essayer de traiter avec M. Lai, que cette preuve soit avancée spécifiquement ou non comme un facteur examiné pour arriver à cette conclusion. Selon moi, aucune de ces deux critiques ne justifie l'intervention de la Cour.

[50]            Les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis, sur deux autres aspects, une erreur dans son évaluation de la note diplomatique. Selon eux, la Cour suprême du Canada prescrit, dans l'arrêt Suresh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, une évaluation séparée et plus exigeante des assurances données par un État étranger qu'il n'aura pas recours à la torture ou aux traitements dégradants de ses prisonniers, par rapport aux assurances de ne pas appliquer la peine de mort. Selon moi, l'arrêt Suresh, précité, ne prescrit pas une telle différence d'évaluation lorsqu'il n'y a pas de preuve convaincante qui indique raisonnablement qu'il y a eu des recours à la torture ou aux traitements dégradants dans des cas semblables. En l'espèce, il y a beaucoup de preuves générales, mais rien, sauf le rapport non signé portant sur les commentaires que T.M. aurait faits à un avocat canadien, qui indiquerait qu'on a soumis à la torture ou à des traitements dégradants les personnes interrogées, même lorsqu'elles étaient en état d'arrestation, ou les personnes poursuivies pour des activités impliquant les sociétés du groupe Yuan Hua.


[51]            Le deuxième argument pour contester le fait que le tribunal s'est appuyé sur la note diplomatique porte sur le fait que le tribunal n'aurait pas, aux dires des demandeurs, examiné la conduite de l'État (la Chine) dans les poursuites concernant M. Lai et Mme Tsang, alors qu'ici, comme il ressort de l'arrêt Canada (Ministre de la Justice) c. Pacificador, (2002) 60 O.R. (3d) 685 (C.A.), (autorisation d'en appeler rejetée, bulletin de la CSC 2002, page 286), la conduite de la poursuite dans cette affaire était, aux dires des demandeurs, inacceptable et les assurances données par le gouvernement étranger quant au traitement approprié des demandeurs s'ils retournaient en Chine devaient être données par les tribunaux et non par le gouvernement. Je ne suis pas persuadé que l'arrêt Pacificador, précité, si important qu'il soit en matière d'extradition, est analogue à la présente espèce. Il ne s'agit pas ici d'extradition et la décision ne porte pas sur l'expulsion des demandeurs. De plus, il n'y a en l'espèce aucun fondement qui permettrait de conclure que la poursuite en Chine n'a pas agi dans le respect du droit criminel d'application générale en Chine. De plus, en l'espèce les assurances transmises par note diplomatique proviennent à la fois de l'exécutif et de la Cour populaire suprême de Chine.

[52]            En l'espèce, le tribunal, au vu de la preuve qui lui était soumise, qui comprend la note diplomatique, a agi de façon raisonnable en concluant à l'absence d'une preuve appuyant la prétention que les demandeurs seraient soumis à la torture ou à un traitement dégradant à leur retour en Chine. Il n'y a donc aucun motif justifiant l'intervention de la Cour.


Le fondement des conclusions du tribunal sur l'inclusion

[53]            Le tribunal a conclu que la prétention de M. Lai et de Mme Tsang qu'ils craignaient d'être persécutés pour des opinions politiques n'avait pas de fondement, parce qu'il a conclu que les demandeurs n'avaient pas d'opinions politiques et qu'ils n'en avaient pas fait état. Ce qu'ils prétendent, c'est que l'opinion politique en cause est celle de l'État, telle qu'exprimée par ses dirigeants, voulant qu'ils doivent être punis. Cette prétention est fondée sur une preuve que les tribunaux criminels en Chine sont inféodés aux dirigeants politiques dans leur gestion du droit criminel en général. Bien qu'il existe une certaine preuve de conditions dans ce pays qui pourrait suggérer que cette situation existe dans le cas de certaines personnes détenues pour des raisons autres que celles qui ressortissent normalement au droit criminel, il n'y a aucune preuve que les crimes dont il est fait état en l'espèce étaient politiques, sauf l'intérêt général de l'État de poursuivre les coupables d'activités criminelles.

[54]            L'argument de M. Lai qu'il craint d'être persécuté parce qu'il est membre d'un groupe social, savoir les hommes d'affaires chinois qui ont réussi, n'a pas été démontré. La preuve présentée au tribunal est que les hommes d'affaires sont encouragés en Chine et qu'ils ne font pas l'objet d'une quelconque persécution.


[55]            L'argument de Lai Chun Wai qu'il craint d'être persécuté tient à ce que deux membres de la famille de Mme Tsang en Chine ont été trouvés coupables du crime d'avoir recueilli ou aidé une fugitive des autorités de justice en Chine, savoir Mme Tsang, parce qu'à la demande de Lai Chun Wai ils avaient envoyé des sommes d'argent pour aider la cause des Lai au Canada, notamment pour payer leurs avocats. On a énoncé en son nom la prétention qu'il craignait d'être persécuté pour ce motif s'il retournait en Chine. Rien dans la preuve ne démontre qu'il serait traité de cette façon et, s'il l'était, ce serait en vertu d'une loi d'application générale en Chine. Il ne s'agirait alors pas de persécution, mais bien de poursuites.

[56]            Comme M. Lai et Mme Tsang ont tous deux été exclus de la définition de réfugié et qu'ils n'étaient pas inclus dans cette définition en qualité de personnes craignant d'être persécutées pour leurs opinions politiques, et dans le cas de M. Lai qu'il n'était pas inclus au motif qu'il était membre de la catégorie des hommes d'affaires chinois ayant réussi, la crainte de Mme Tsang et de ses trois enfants d'être persécutés parce qu'ils sont membres de la famille Lai n'est pas une crainte qui cadre avec la définition de réfugié au sens de la Convention, puisqu'il n'existe aucune preuve que la famille Lai serait persécutée pour des motifs énoncés dans la Convention.

[57]            Selon moi, les conclusions du tribunal qu'aucune des prétentions des membres de la famille les place dans le cadre de la définition de réfugié au sens de la Convention, qui sont fondées sur des questions mixtes de droit et de fait dans chaque cas, sont tout à fait raisonnables au vu de la preuve dont le tribunal était saisi et elles ne justifient pas l'intervention de la Cour.


La crédibilité

[58]            Pour les motifs qu'il a exposés, le tribunal a conclu que M. Lai et Mme Tsang n'étaient généralement pas crédibles. Le tribunal a donné suite à ces conclusions d'une façon qui n'était pas toujours cohérente, notamment en traitant le témoignage de M. Lai comme une de ses meilleures sources pour arriver à la conclusion qu'il s'était livré à la corruption. Les conclusions sur ce manque général de crédibilité sont contestées, mais aucune des conclusions du tribunal ne dépend de sa conclusion sur la crédibilité, même s'il n'a pas accepté le témoignage des demandeurs comme ceux-ci l'auraient voulu. En fait, ces conclusions sont fondées sur une preuve contraire présentée au tribunal par d'autres sources.

[59]            Nonobstant sa conclusion quant au manque de crédibilité général des demandeurs principaux, le tribunal a spécifiquement refusé d'arriver à la conclusion que voulait obtenir le ministre qu'il n'existait pas de fondement crédible aux revendications. Cette décision n'est pas mise en cause dans la présente demande.

[60]            Étant donné que les conclusions du tribunal ne s'appuient pas sur la crédibilité des demandeurs, je n'ai pas à me prononcer au sujet des conclusions du tribunal sur la crédibilité.


Conclusion

[61]            Pour les motifs que j'ai exprimés, je délivrerai une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

[62]            Comme je m'y suis engagé à la conclusion de l'audience, je dépose ces motifs et invite les avocats des parties à consulter et à aviser la Cour quant à toute question sur laquelle ils pourraient se mettre d'accord ou, à défaut d'un accord, quant à toute question que l'un ou l'autre des avocats peut proposer en vue de sa certification comme question grave de portée générale pour l'examen de la Cour d'appel, en vertu de l'alinéa 74d) de la LIPR. Toute question faisant l'objet d'un accord ou présentée par l'un des avocats doit être déposée au greffe de la Cour à Vancouver au plus tard le 17 février 2004. À défaut d'un accord, une partie s'opposant à toute question suggérée peut présenter ses prétentions à ce sujet au plus tard le 23 février 2004. Après examen des prétentions écrites, la Cour décidera s'il y a lieu de certifier l'une ou plusieurs questions et l'ordonnance rejetant la demande sera alors délivrée, avec le texte de toute question certifiée.

                                                                      _ W. Andrew MacKay _             

                                                                                                     Juge                              

Ottawa (Ontario)

Le 3 février 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            IMM-3194-02

INTITULÉ :                           LAI CHEONG SING, TSANG MING NA,

LAI CHUN CHUN, LAI CHUN WAI et

LAI MING MING

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE LUNDI 14 JUILLET 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :           LE MARDI 3 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

David Matas                              POUR LES DEMANDEURS

Esta Resnick                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                              POUR LES DEMANDEURS

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg, c.r.              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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