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     Date : 19971124

     Dossier : IMM-889-96

ENTRE :

     LUIGI PASCALE,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise au nom de l'intimé en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration1, portant que, de l'avis de l'intimé, le requérant présente un danger pour le public au Canada. La décision, datée du 22 février 1996 a été communiquée au requérant le 26 février 1996.

[2]      La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant cette affaire indique que le requérant veut aussi un contrôle judiciaire de l'ordonnance de renvoi émise contre lui. La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ne fait nullement état de ce document. Quoi qu'il en soit, les pièces déposées et les arguments que j'ai entendus au nom du requérant ne portaient pas sur le contrôle judiciaire de l'ordonnance de renvoi. Ce qui est peut-être plus important aussi, c'est que l'ordonnance d'autorisation émise en l'espèce par la Cour se rapporte uniquement à l'avis relatif à la question du danger.

[3]      Les faits de la cause peuvent se résumer ainsi. Le requérant, né en Italie en mars 1959, est arrivé au Canada à l'âge de neuf ans. Depuis lors, il n'a vécu nulle part ailleurs qu'en Alberta. Il a qualifié ses dix ans de mariage comme une relation [TRADUCTION] "d'amour-haine" qui s'est soldée par un divorce en 1993. Ses quatre enfants issus de ce mariage vivent avec son ex-épouse.

[4]      Le requérant a un casier judiciaire plutôt chargé qui remonte à 1976. Il comprend deux chefs d'accusation pour conduite dangereuse et une condamnation pour conduite avec un taux d'alcoolémie supérieur à la limite légale. Ses dernières condamnations en 1993 et 1995 respectivement faisaient suite à des accusations de voies de fait et d'agression sexuelle commises toutes deux contre son ex-épouse. Il a été condamné à une peine de détention de 20 mois du chef de l'agression sexuelle.

[5]      Le 1er février 1996, le requérant a été informé que l'intimée envisageait d'émettre un avis déclarant qu'il constituait un danger pour le public au Canada. Une documentation considérable sur laquelle le ministre comptait s'appuyer a été fournie au requérant et l'occasion lui a été donnée de présenter des observations, ce qu'il a fait. Le dossier de l'intimé et les observations du requérant ont fait l'objet d'examen par l'agent de réexamen attaché au ministère de l'intimé, lequel a recommandé l'émission d'un avis de danger. Cette recommandation a été approuvée par le directeur, Recherche et examen des cas, à la Direction générale du règlement des cas au ministère de l'intimé. Au bout du compte, un avis a été émis par le délégué du ministre déclarant que le requérant constitue un danger pour le public au Canada.

[6]      Dans l'affaire Williams c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, monsieur le juge Strayer de la Section de première instance, à l'occasion d'un contrôle judiciaire d'un avis ministériel de danger pour le public, a écrit ce qui suit :

         Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier. [citations omises]                 

[7]      Dans la citation ci-dessus, le mot "comme" tendrait à indiquer que les motifs de contrôle énumérés par la suite ne sont pas limitatifs, ce que l'intention du juge Strayer ne semble pas avoir corroboré, puisqu'il dit plus loin ce qui suit :

         Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier.                 

[8]      Dans cette dernière citation, je considère que les termes "... en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence ou sans égard au dossier" sont similaires à "... en considération de facteurs dénués de pertinence" qu'on trouve dans la première citation. De plus, l'absence de référence à l'erreur de droit en tant que motif de contrôle dans la deuxième citation est simplement due, à mon avis, à ce que les faits présentés au juge Strayer ne révélaient aucune erreur de droit.

[9]      L'avocat du requérant a soumis à l'attention de la Cour un large éventail de questions portant sur le dossier dont elle était saisie. On a reconnu en ma présence qu'un bon nombre de ces questions ont trouvé, dans la décision Williams, des réponses telles qu'elles s'imposent à moi. En outre, un certain nombre de ces questions portent sur la validité, l'applicabilité et l'effet sur le plan constitutionnel du paragraphe 70(5) de la Loi. Tous ces points exigent la signification de l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale3. Comme il n'en a rien été, il n'était pas loisible à l'avocat de plaider ces questions devant moi, ce qui a eu pour résultat que l'avocat du requérant a limité son intervention aux quatre erreurs suivantes qu'il juge susceptibles de contrôle, commises au nom du Ministre :

1.      Il a soutenu que le requérant n'a pas eu une juste occasion de répondre aux allégations portées contre lui, car on pouvait présumer que le délégué du Ministre s'est largement appuyé sur la note d'avis et les recommandations rédigées à son intention et dont on n'a pas donné connaissance au requérant en lui fournissant l'occasion d'y répondre.
2.      L'avocat a allégué qu'en s'appuyant sur l'avis et les recommandations susdits, le délégué du Ministre a en fait privé le requérant de la possibilité que ses observations soient étudiées personnellement par le décideur.
3.      Il a fait valoir que la note d'avis et les recommandations reflétaient un parti pris ou suscitaient une crainte raisonnable de parti pris contre le requérant ce qui aurait certainement porté préjudice à sa cause auprès du délégué du Ministre.
4.      Enfin, l'avocat prétend que, considérant l'ensemble des éléments dont disposait le délégué du Ministre, l'avis selon lequel le requérant constituait un danger actuel ou futur pour le public au Canada s'est formée tout simplement de façon abusive ou arbitraire ou sans égard à l'ensemble du dossier.

[10]      Voici, en substance, les observations de l'agent de réexamen qui ont conduit à proposer que le requérant soit considéré comme un danger pour le public :

         [TRADUCTION]                 
         M. Pascale, 35 ans, est arrivé au Canada à l'âge de 10 ans. Il a présenté des observations dont j'ai tenu compte pour former mon opinion. M. Pascale a signalé que les renseignements recueillis contre lui s'appuyaient sur des ouï-dire non fondés.                 
         C'est un peu vrai, car ni des documents de procédure ni des compte rendus d'audience n'ont été effectivement présentés. Quelques-uns de ceux qui ont écrit à la Ministre avaient personnellement intérêt à ce que M. Pascale soit renvoyé du Canada et l'on a accordé à ces lettres l'importance qu'elles méritaient en tant qu'éléments de preuve. Par ailleurs, d'autres correspondants favorables à son renvoi du Canada, comme le Centre canadien de la prévention criminelle et la Police de la ville de Lethbridge, ne sont pas directement concernés et n'ont rien à gagner, mais leurs témoignages ont également été dûment évalués en tant qu'éléments de preuve.                 
         La famille de M. Pascale est terrifiée par lui. Plusieurs membres de la famille ont adressé des lettres expliquant les circonstances qui les portent à croire qu'il continuera à maltraiter les siens. Ces lettres ont été surlignées pour en faciliter la consultation. Le Centre canadien de la prévention criminelle nous a demandé par écrit de nous charger de la déportation de M. Pascale qui a mis en danger les droits d'autrui - le droit à la sécurité personnelle.                 
         M. Pascale a envoyé plusieurs lettres contestant les renseignements présentés contre lui. Il a dit être un individu responsable, cette responsabilité consistant à payer pour ses mauvaises actions et ceux qui enfreignent les lois du pays en paient le prix en allant en prison. Cette sorte de déclaration indique qu'il se croit permis d'accomplir n'importe quel acte en autant qu'il en paie le prix en allant en prison. L'éventualité de récidive est jugée élevée dans ce cas-ci. La lecture de ses lettres indique clairement qu'il écarte toute responsabilité pour ses actes, qu'il nie toute conduite coupable et rejette le blâme sur son ex-femme et la famille de celle-ci.                 
         Ayant minutieusement examiné tous les renseignements obtenus et pris en compte les considérations d'ordre humanitaire, j'estime qu'une mesure de renvoi se justifie. Le manque de respect de M. Pascale à l'égard de la justice pénale et ses récents agissements envers sa femme me portent à croire que la sécurité du public et, en particulier, celle de la famille de M. Pascale est menacée s'il était autorisé à demeurer au Canada.                 

[11]      Je présumerai que le délégué de l'intimé s'est largement appuyé sur les susdits rapport et recommandation, approuvés d'ailleurs par un directeur, pour former son opinion. Je ne vois pas d'autre raison de rédiger le rapport et l'avis sinon que pour limiter la fréquence de l'examen exhaustif de l'ensemble du dossier que le délégué de l'intimé serait appelé à effectuer. Parallèlement, je ne perds pas de vue la position du juge Strayer voulant qu'en l'absence de preuve contraire, et on ne m'en a pas signalé ici, la Cour doit présumer la bonne foi du décideur au regard de tout le dossier soumis. Je suppose que le délégué de l'intimé avait en main toute la documentation pertinente et non pas simplement la note d'avis et la recommandation. Je présume, faute de preuve contraire, qu'il ou elle en a tenu pleinement compte.

[12]      Que j'eusse résumé différemment le dossier ou abouti à une autre recommandation, n'est pas, bien sûr, le critère pertinent. Je suis persuadé que le rapport sommaire de l'agent de réexamen était raisonnable, qu'il ne dénaturait pas le dossier dont l'agent était saisi, qu'il n'indiquait aucun parti pris réel ou raisonnablement appréhendé, même si l'on aurait pu voir dans certains éléments du rapport une preuve de parti pris.4

[13]      Le délégué de l'intimé n'a commis aucune erreur donnant lieu à contrôle en ne cherchant pas à obtenir d'autres documents à l'appui de la position du requérant. J'approuve le juge MacKay dans la cause Bavi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration5 lorsqu'il dit :

         [TRADUCTION]                 
         Je suis persuadé, à la lumière des condamnations et sentences infligées au requérant, qu'il incombait à celui-ci de prouver à la Ministre qu'il ne constituait pas un danger pour le public au Canada et non à la Ministre de se mettre en quête de preuves à l'appui des observations du requérant. Dans les circonstances, la décision portant que ses observations ne prouvaient pas qu'il ne constituait aucun danger pour le public au Canada semble raisonnable.                 

[14]      Je suis convaincu qu'on pourrait en dire autant ici et, en outre, que les observations du requérant ont été valablement exposées au délégué du Ministre dans le rapport et la recommandation de l'agent de réexamen.

[15]      Cela ne veut pas dire qu'il n'aurait pas été préférable de faire part au requérant du rapport sommaire et des recommandations de l'agent de réexamen et de lui fournir l'occasion de les commenter afin que le délégué de l'intimé les examine personnellement. Dans la décision Williams, le juge Strayer disait ceci :

         Je confirmerais d'abord, comme l'ont fait de nombreuses cours de justice dans le passé, qu'il est généralement sinon toujours préférable que les cours de justice et les tribunaux motivent leurs décisions. Donner des motifs est avantageux à bien des égards : les motifs permettent aux parties de savoir pourquoi elles ont eu gain de cause ou été déboutées, ce qui est une considération très importante; la rédaction de motifs astreint une cour de justice ou un tribunal à une discipline lorsqu'il faut justifier le résultat; et les motifs aident indéniablement une cour de justice, par la suite, à statuer sur un appel ou à exercer des pouvoirs de contrôle judiciaire.                 

[16]      Je suis persuadé, surtout lorsque la décision du délégué de l'intimé n'est pas assortie de motifs, qu'on pourrait en dire autant au sujet de la communication au requérant du rapport sommaire et des recommandations dont le délégué a vraisemblablement fait grand cas. Pareille communication aurait le grand avantage de mousser la confiance dans l'efficacité du processus. Ce faisant, et en offrant une occasion raisonnable de réagir au document, il est probable que l'éventail des demandes de contrôle judiciaire conséquentes à des avis de danger pour le public sera considérablement réduit. Il est difficile de trouver des arguments à l'encontre de la communication, sauf celui du temps supplémentaire que prendra le processus. En regard de ce temps, il faut tenir compte de la réalité, en ce sens que des personnes comme le requérant ont souvent passé au Canada le plus clair de leur existence, qu'elles sont dans une large mesure le produit de leur environnement au Canada et qu'elles seraient soumises à dure épreuve si on les transplantait dans un milieu différent où elles ne trouveront que de rares sources d'appui, sinon aucune, pas plus que des possibilités d'emploi; elles présenteront, à tout le moins, un danger bien plus grave en retombant, dans leur nouvel environnement, sous les mêmes sortes d'influences et dans les mêmes activités qui les ont conduites, ou du moins ont contribué, à leur délinquance au Canada. L'équité voudrait, peut-être, qu'on dise aux intéressés sur quelle base, le délégué de l'intimé a en partie agi.

[17]      En résumé donc, et considérant le critère énoncé dans Williams à propos du contrôle judiciaire de questions comme celle-ci, je ne trouve aucune erreur donnant lieu à contrôle qui justifierait, en l'occurrence, l'intervention de la Cour. C'est pourquoi, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[18]      La présente affaire a été instruite par devant moi à Calgary (Alberta), le 22 avril 1997. Les questions signalées dans l'exposé des faits et du droit du requérant sur lesquelles la Cour d'appel fédérale s'est prononcée dans la cause Williams6 n'ont pas été discutées devant moi, mais comme on savait généralement alors qu'une autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada serait sollicitée, l'avocat du requérant a demandé l'ajournement en attendant l'issue de cette demande. J'ai accédé à cette requête. Comme on l'a déjà noté, la demande de pourvoi relative à la décision Williams a été rejetée sans énoncé de motifs. Le greffe de Calgary a pris contact avec les avocats lesquels s'accordent sur l'inutilité de poursuivre plus avant. J'ai donc considéré que l'affaire était close et mis la dernière main aux présents motifs.


[19]      Advenant que l'avocat de l'une ou l'autre partie veuille faire certifier une question, il faudrait la présenter au greffe de Calgary dans un délai de sept jours à compter de la date des présents motifs. C'est alors que j'examinerai de telles observations et rendrai mon ordonnance.

                             Frederick E. Gibson

                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 24 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-889-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LUIGI PASCALE c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :      22 AVRIL 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              24 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

PETER WONG (403) 262-3000,              POUR LE REQUÉRANT

BILL BLAIN (403) 495-2983,              POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

LE MAJOR CARON

PETER WONG

BRAD HARDSTAFF                  POUR LE REQUÉRANT

GEORGE THOMSON                  POUR L'INTIMÉE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée (sans énoncé de motifs), le 16 octobre 1997, [1997] A.C.S.C. no 332 (QL).

3      L.R.C. (1985), ch. F-7.

4      Par exemple, on lit ce qui suit dans un narratif/recommandation à l'appui du rapport objet du paragraphe 27(1) de la Loi sur l'immigration :
         [TRADUCTION]          Le retour en Italie voudrait dire qu'il [le requérant] devrait apprendre un tout nouveau système et comment le déjouer.

5      No du greffe IMM-2859-95, 9 janvier 1996 (C.F. 1re inst.), non publié.

6      Précitée, note 2.

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