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     Date: 20000531

     Dossier: IMM-678-99

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2000

DEVANT : MADAME LE JUGE E. HENEGHAN

ENTRE :


TSUN YUN CHOW

     demanderesse


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur


MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]      Il s"agit du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 17 décembre 1998, que Tsun Yun Chow (la demanderesse) n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine. Elle est arrivée au Canada le 22 mars 1998. Elle a revendiqué le statut de réfugié en invoquant son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes qui ont plus d"un enfant en Chine.

[3]      La demanderesse a deux filles. La première est née en 1995 et l"autre est née en 1997, pendant que la demanderesse se cachait. La demanderesse allègue que le comité chargé de la planification familiale a découvert qu"elle avait un second enfant; elle a donc été détenue pendant dix jours au mois de septembre 1997. Elle a également allégué qu"on lui avait infligé une amende de 38 000 RMB; on l"a mise en liberté et on lui a dit de retourner dans un mois pour être stérilisée. Au mois d"octobre 1997, la demanderesse s"est cachée en vue d"éviter la stérilisation. Elle affirme également qu"au mois de janvier 1998, les autorités chinoises ont annulé le permis d"exploitation de son mari par représailles, à la suite de sa disparition.

[4]      Dans sa décision, la Commission a conclu qu"il y avait des invraisemblances et des omissions dans le témoignage de la demanderesse et, cela étant, elle a jugé que l"intéressée n"était en général pas crédible. La Commission a également conclu qu"il n"y avait pas suffisamment d"éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

[5]      La Commission a fourni un certain nombre de motifs à l"appui de la conclusion selon laquelle la demanderesse n"était pas crédible :

     -      La Commission a souligné que la demanderesse n"avait pas mentionné, au point d"entrée, qu"elle craignait principalement la stérilisation forcée. Elle a plutôt parlé [TRADUCTION] " de la planification familiale et du fait qu"il est impossible d"avoir d"autres enfants sans payer une amende ".
     -      La Commission a noté que l"intéressée ne pouvait pas donner d"explications au sujet de la raison pour laquelle les autorités ne l"avaient pas stérilisée lorsqu"elle avait été détenue ou de la raison pour laquelle son mari n"avait pas été stérilisé. La Commission a dit que, selon une preuve documentaire crédible, les autorités chinoises peuvent être impitoyables dans le domaine de la politique de la planification familiale. La Commission a dit que cette preuve documentaire étaye le fait qu"elle ne croyait pas le témoignage de la demanderesse.
     -      La demanderesse tente d"éviter le comportement impitoyable des autorités responsables de la politique de planification familiale. La Commission a conclu que cette tentative est incompatible avec l"allégation de la demanderesse selon laquelle elle a été mise en liberté sans être stérilisée.
         La Commission a dit que la preuve documentaire concernant la province de Guangdong est contradictoire; certains experts affirment que les autorités sont peu sévères en ce qui concerne la mise en oeuvre de la politique de planification familiale et d"autres affirment que la politique est mise en oeuvre de force. En se fondant sur la preuve documentaire, la Commission a conclu que, compte tenu du profil de la demanderesse, le comité chargé de la planification familiale aurait une attitude plus indulgente.
     -      La formation a dit que la conclusion défavorable qu"elle a tirée au sujet de la crédibilité est corroborée par le fait que le mari est encore en Chine et que les autorités ne le harcèlent pas. La Commission a également souligné que le mari n"avait pas été stérilisé.

[6]      Au point d"entrée, la demanderesse a déclaré qu"elle revendiquait le statut de réfugié à cause [TRADUCTION] " de la planification familiale et du fait qu"il est impossible d"avoir d"autres enfants sans payer une amende ". La Commission s"est fondée sur cette déclaration ainsi que sur la preuve documentaire pour discréditer la demanderesse.

[7]      Bien que la Commission soit chargée de soupeser la preuve et d"apprécier la crédibilité de la demanderesse et même s"il faut faire preuve de retenue à l"égard des conclusions qu"elle tire, j"estime que la Commission a apprécié d"une façon déraisonnable le témoignage de la demanderesse. La Commission a conclu que la demanderesse n"était pas crédible à cause de la déclaration qu"elle avait faite au point d"entrée. Elle s"est ensuite fondée sur la preuve documentaire pour justifier la conclusion selon laquelle la demanderesse n"était pas crédible. En particulier, la Commission s"est fondée sur la preuve documentaire, selon laquelle les autorités chinoises peuvent se montrer impitoyables lorsqu"il s"agit de mettre en oeuvre la politique de planification familiale. Compte tenu de cette preuve documentaire dans laquelle il est dit que les autorités chinoises sont impitoyables, la Commission n"a pas cru la demanderesse lorsqu"elle n"a pas pu expliquer pourquoi elle n"avait pas été stérilisée au moment de sa détention.

[8]      Dans sa décision, la Commission se contredit ensuite en soulignant que la preuve documentaire concernant la province de Guangdong est contradictoire. Certains experts affirment que les autorités sont peu sévères en ce qui concerne la mise en oeuvre de la politique de planification familiale et d"autres affirment que la politique est mise en oeuvre de force. En se fondant sur la preuve documentaire, la Commission a conclu que, compte tenu du profil de la demanderesse, les autorités responsables de la planification familiale auraient une attitude plus indulgente.

[9]      À mon avis, il est irrationnel et déraisonnable pour la Commission de se servir de la preuve documentaire d"une façon contradictoire. Plus précisément, il est irrationnel pour la Commission de conclure d"abord que les autorités responsables de la planification familiale en Chine sont impitoyables et de se servir ensuite de ce renseignement pour ne pas croire le témoignage de la demanderesse lorsqu"elle affirme avoir été mise en liberté sans être stérilisée, alors qu"il est ensuite dit que la demanderesse n"a pas objectivement raison de craindre d"être persécutée étant donné que la Commission a conclu que, dans sa province, et compte tenu de son profil, la demanderesse serait traitée avec plus d"indulgence par les autorités responsables de la planification familiale. Ces deux conclusions, qui découlent de la preuve documentaire, sont contradictoires et ne peuvent pas être toutes les deux maintenues.

[10]      Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Tremblay-Lamer a résumé la norme qui s"applique aux contrôles judiciaires des décisions rendues par la section du statut de réfugié. Voici ce que Madame le juge Tremblay-Lamer a dit :

     Prenant en compte tous ces facteurs, comme l'exige l'approche pragmatique et fonctionnelle, et après un examen minutieux des arrêts de la Cour suprême dans Pushpanathan et Baker, je suis d'avis que la norme de contrôle appropriée lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté en cas de renvoi en Inde est celle du caractère manifestement déraisonnable.
     Toutefois, l'adoption d'une approche mettant davantage l'accent sur la retenue judiciaire n'empêche pas la présente Cour d'intervenir s'il y a une erreur évidente, ou si la conclusion de la Commission ne s'appuie pas sur une interprétation raisonnable des faits.
     Dans le cadre de l'approche pragmatique, je suis d'avis qu'il y a une ligne de démarcation très fine entre une décision déraisonnable et une raison manifestement déraisonnable. [...] En définitive, la Cour chargée du contrôle devra effectuer un examen approfondi de la décision afin d'évaluer si les motifs de la décision du tribunal sont fondés sur la preuve et de s'assurer qu'ils ne sont pas manifestement illogiques ou irrationnels.1

[11]      La Commission a utilisé la preuve documentaire d"une façon contradictoire; je conclus donc que ses motifs manquent de logique.

[12]      En concluant que la demanderesse n"était pas crédible, la Commission signale également que le mari de la demanderesse est resté en Chine sans être harcelé. Toutefois, dans la transcription, la demanderesse explique à la Commission que les autorités ont retiré le permis de son mari parce qu"elle avait cherché à éviter d"être stérilisée.

[13]      Étant donné que le permis du mari a été révoqué, j"estime que la Commission n"a pas tenu compte de la totalité de la preuve en concluant que les autorités ne harcelaient pas le mari.

[14]      En outre, dans sa décision, la Commission se sert de la conclusion qu"elle a tirée au sujet du fait que le mari de la demanderesse n"était pas harcelé pour renforcer la conclusion selon laquelle cette dernière n"est pas crédible et que le fait que les autorités chinoises ne harcèlent pas le mari est incompatible avec la crainte d"être persécutée que la demanderesse éprouve.

[15]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée pour réexamen par une formation différente.

[16]      Les avocats des parties pourront dans les sept jours suivant la date à laquelle ils auront reçu ces motifs demander la certification d"une question.


ORDONNANCE

[17]      IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.


                                 " E. Heneghan "

                                         J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario),

le 31 mai 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-678-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      TSUN YUN CHOW c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 11 JANVIER 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE de Madame le juge Heneghan en date du 31 mai 2000


ONT COMPARU :

John Savaglio          POUR LA DEMANDERESSE

Geraldine MacDonald          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio          POUR LA DEMANDERESSE

Pickering (Ontario)

Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1Ibid. au par. 15-17.

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