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Date : 19990422


Dossier : T-2906-93

ENTRE:

     DAME FRANCES MAHER et

     M. JEAN MAHER

     Demandeurs

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     Défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

LES FAITS

[1]      Il s"agit d"une action en recouvrement contre la Couronne d"une indemnité que les demandeurs s"estiment en droit de recevoir suite à une expropriation par la défenderesse de terrains dont les demandeurs se réclament propriétaires. Les demandeurs sont les héritiers légaux, exécuteurs testamentaires et légataires fiduciaires de leur père, Feu Thomas Maher, décédé le 7 mars 1980.

[2]      Feu Thomas Maher, à titre de président et actionnaire, quasi-unique de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée, était propriétaire de nombreux terrains et concessions forestières dans le secteur du Lac St-Joseph.

[3]      La Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée avait acquis une partie importante du chemin de fer à lisses, le 21 novembre 1944, de "The Quebec and Lake St- John Railway Company".

[4]      Suite à l"achat de cette propriété, le chemin de fer à lisses est devenu un chemin carrossable utilisé en grande partie pour les camions de transport de bois.

[5]      Le 11 août 1950, la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée a vendu la plus grande partie de ce chemin, communément appelé l"ancien chemin de fer à lisses à la Corporation municipale de Shannon, lequel chemin est devenu un chemin public par la suite.

[6]      Le contrat de vente de ce chemin devenu public comportait deux clauses qui se lisaient comme suit:

             3. The party of the Second part binds itself not to sell any part of the said road and to use it entirely and exclusively for building the main road leading from the 4th range to the 10th range road.             
             4. Should the preceeding clause not be respected in whole or in part, the present cession will be ipso facto annulled.             

[7]      Plus tard, le 1er octobre 1957, la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée vendait toutes ses concessions forestières restantes et tous ses immeubles à la Compagnie Murdock Lumber Ltée.

[8]      Cette dernière vente d"octobre 1957 comportait également la vente du résidu de l"ancien chemin de fer à lisses à partir de la 10e concession de la Paroisse de Ste-Catherine.

[9]      Le 3 août 1959, près de deux ans après la vente des immeubles restants à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, Feu Thomas Maher, le père des demandeurs, procédait à la liquidation et à la dissolution de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée.

[10]      Comme à cette date le chemin était toujours utilisé comme chemin public, il n"en a pas été question lors de la liquidation et ce droit éventuel découlant de la clause résolutoire n"a été mentionné nulle part.

[11]      Le 1er septembre 1965, le Ministère de la Défense nationale a procédé à l"expropriation de plusieurs lots et concessions forestières du secteur du Lac St-Joseph et de la Seigneurie Fossambault dans la Paroisse de Ste-Catherine, incluant particulièrement les concessions de Murdock Lumber Ltée.

[12]      Suite à son avis d"expropriation, le Ministère de la Défense nationale a pris possession, purement et simplement, de l"ancien chemin de fer à lisses qui est en fait le lot 763 ainsi que de l"embranchement relié à ce chemin qui est le lot 858.

[13]      Bien que le Ministère de la Défense nationale ait versé un montant substantiel à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, il n"a pas été mis en preuve qu"un montant ait été versé pour couvrir la partie du chemin faisant l"objet du litige, soit les lots 763 et 858.

[14]      C"est en prenant connaissance d"un avis de qualité publié par le Curateur public du Québec dans "Le Soleil" du 16 décembre 1992, que les demandeurs ont appris que certains biens avaient été délaissés par des personnes morales, dont la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée.

[15]      Les demandeurs ont donc communiqué avec le Curateur public pour réaliser que le terrain représentant une partie du chemin public était dans une situation litigieuse.

[16]      Par la suite, les demandeurs ont pris des dispositions afin que le chemin qui avait été préalablement vendu à la Corporation municipale de Shannon leur soit rétrocédé suivant les dispositions des paragraphes 3 et 4 de l"acte de vente du 11 août 1950.

[17]      Cette cession ayant pour objet de ramener le droit de propriété dudit terrain et des lots 763 (ptie) et du lot 858 du cadastre officiel pour la Paroisse de Ste-Catherine, division d"enregistrement de Portneuf, dans le patrimoine des demandeurs par l"effet successif de la dissolution de la compagnie et du décès du père des demandeurs.

[18]      Le Ministère de la Défense nationale ne fut pas partie à ces transactions et ne semble pas avoir été avisé, sinon après coup, de ladite transaction.

[19]      Lorsque les demandeurs furent redevenus propriétaires des lots 763 et 858 du cadastre officiel de la Paroisse de Ste-Catherine, division d"enregistrement de Portneuf, ces derniers, par voie de mise en demeure, adressée en date du 22 octobre 1993, réclamaient de la défenderesse une indemnité juste et raisonnable avec les intérêts prévus suite à l"expropriation dudit terrain.

[20]      N"ayant reçu aucune nouvelle de la part de la défenderesse, les demandeurs ont intenté la présente action réclamant une somme totale de $1,123,300 en capital et intérêts à la date de la présente action, lesquels dommages ont été établis suivant une expertise réalisée par Les Entreprises Solivar et Serviteck Inc.



PRÉTENTIONS DE LA PARTIE DEMANDERESSE

[21]      Essentiellement, les prétentions de la partie demanderesse peuvent se résumer de la façon suivante:

     a)      La Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée dont Feu Thomas Maher était président et actionnaire, a été propriétaire du chemin de fer à lisses de 1944 à 1950, moment où la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée a vendu la plus grande partie de ce chemin à la Corporation municipale de Shannon, lequel chemin est devenu un chemin public par la suite;
     b)      Au moment de l"expropriation par le Ministère de la Défense nationale en 1965, le chemin de fer à lisses qui était devenu un chemin public a cessé d"être utilisé comme chemin public puisque la défenderesse a commencé à l"utiliser à ses fins personnelles.
     c)      Au moment de l"expropriation survenue en 1965, aucune indemnité n"a été versée à qui que ce soit pour le chemin public dont la défenderesse a pris possession en 1965.
     d)      Les demandeurs, étant devenus ultimement propriétaires des dites parties des lots 763 et 858 qui constituent ledit chemin, n"ont jamais reçu aucune indemnité depuis que la défenderesse a commencé à utiliser ledit chemin en 1965.
     e)      La défenderesse n"a jamais versé la moindre indemnité suite à cette expropriation, laquelle n"est pas contestée.
     f)      Les demandeurs sont en droit de réclamer une juste indemnité qu"ils étaient en droit de recevoir au moment de la prise de possession unilatérale du 1er septembre 1965 par la défenderesse des terrains en litige.

PRÉTENTIONS DE LA PARTIE DÉFENDERESSE

[22]      Le procureur de la défenderesse prétend qu"en vertu de l"acte de vente de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, la totalité du lot 763 avait été vendue à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, et que le Tribunal doit en conclure que tous les droits que la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée aurait pu avoir en vertu des clauses 3 et 4 de l"acte de vente, ont été transférés à la Compagnie Murdock Lumber Ltée et qu"ils ont été ensuite acquis par le Ministère de la Défense nationale, suite à l"expropriation survenue en 1965.

[23]      La défenderesse prétend, par ailleurs, que même si les droits conférés par les clauses 3 et 4 de l"acte de vente avaient encore appartenu à la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée au moment de sa liquidation et de sa dissolution, et que même s"ils avait été oubliés, cet oubli aurait entraîné la dévolution de ses droits au Curateur public du Québec et non pas à feu Thomas Maher.

[24]      Le procureur de la défenderesse prétend également qu"une indemnité d"expropriation a été versée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée pour le lot 763 de la Paroisse de Ste-Catherine, se référant en cela à une quittance publiée au Bureau de la publicité des droits de Portneuf, le 30 novembre 1967, sous le numéro 179155.

[25]      Le procureur de la défenderesse attaque également l"acte de rétrocession de la Municipalité de Shannon en faveur des demandeurs.

[26]      Le procureur de la défenderesse soumet que la Corporation municipale de Shannon n"a pas respecté les dispositions du Code municipal quant à la disposition du terrain. À cet effet, le procureur de la défenderesse suggère que les dispositions du Code municipal sont impératives et que la municipalité ne peut avoir cédé le terrain comme elle l"a fait en 1993 et que cette cession est nulle.

[27]      Le procureur de la défenderesse prétend que l"acte de rétrocession du chemin est nul de nullité absolue puisqu"il aurait été fait à titre gratuit contrairement à l"alinéa 6(1.1) du Code municipal, ajoutant par ailleurs que constituant une cession d"indemnité d"expropriation, cela emporterait également la nullité de cet acte.

[28]      Le procureur de la partie défenderesse suggère que les clauses résolutoires 3 et 4 de l"acte de vente de 1950 seraient devenues périmées et caduques lorsque la compagnie a cessé ses opérations commerciales en 1957.

[29]      Le procureur de la défenderesse suggère que la considération pour laquelle le chemin avait été cédé initialement par la compagnie en 1950 à la Municipalité de Shannon était qu"elle puisse bénéficier pour les fins de son commerce d"un accès à un chemin public entretenu.

[30]      Le procureur de la défenderesse suggère également que l"existence du chemin public en cause a été un facteur qui a joué en faveur de la compagnie dans le calcul du prix de vente au moment où la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée a vendu ses terres à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, en 1957.

[31]      Le procureur de la partie défenderesse suggère également qu"il y a eu double vente du lot 763 et que les articles 1487 et 1488 du Code civil du Bas-Canada relatifs à la double vente trouvent application en l"instance.

POINTS EN LITIGE

[32]      Est-ce que les demandeurs ont acquis, à un moment donné, un droit quelconque sur les lots 858 et 763 de la Paroisse de Ste-Catherine représentant le chemin public vendu à la Municipalité de Shannon?

[33]      Si les demandeurs ont acquis un droit quelconque, à un moment donné, est-ce que ce droit est demeuré valable après l"expropriation réalisée par la partie défenderesse?

[34]      Si les parties ont eu, à un moment donné, un droit quelconque sur les lots représentant le chemin, est-ce que ce droit a été compensé au moment de l"expropriation par la partie défenderesse?

[35]      Si au moment de l"expropriation les droits des demandeurs n"ont pas été compensés, à combien s"établit le quantum qui devrait représenter une juste indemnité, suite à l"expropriation?

ANALYSE

[36]      La Cour va procéder à l"analyse point par point des arguments présentés par les deux parties.

[37]      D"entrée de jeu, je me dois d"écarter la prétention de la défenderesse à l"effet qu"en vertu de l"acte de vente de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, la totalité du lot 763 avait été vendue à la Compagnie Murdock Ltée. En effet, la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée ne pouvait vendre deux fois le même terrain. La Cie d"Immeubles du Lac-Joseph Ltée avait déjà cédé le terrain sept ans auparavant à la Corporation municipale de Shannon, et le titre a été dûment enregistré.

[38]      Quant à la vente survenue en 1957 à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, seul le résidu du chemin de fer à lisses qui n"était pas inclus dans la vente de 1950 à la Corporation municipale de Shannon pouvait faire l"objet de cette vente et décider autrement serait tout à fait contraire tant aux règles prévues au Code civil qu"à la jurisprudence bien établie en pareille matière.

[39]      Quant à la Loi sur la Curatelle publique; qu"on se réfère soit à la loi applicable au moment où l"avis d"expropriation a été publié ou encore au moment où l"avis public a été publié par la Curatelle publique, en aucun cas, je ne puis conclure que le Curateur public soit devenu, par l"écoulement du temps, propriétaire dudit terrain. Je considère que le Curateur public n"a fait que son devoir, c"est-à-dire s"occuper de retrouver le véritable propriétaire des biens délaissés et s"assurer que la succession ou les véritables ayants droits, suite à la dissolution de la compagnie, puissent agir en leurs noms sans nécessiter d"intervention de la Curatelle publique.

[40]      En effet, c"est le Curateur public lui-même qui a pris la décision d"émettre un avis public recherchant les propriétaires de biens délaissés. Si le Curateur public s"était considéré comme propriétaire en l"espèce, il n"aurait pas pris des dispositions pour rechercher les véritables propriétaires des biens délaissés pas la compagnie. Le Curateur public ne peut agir que de façon temporaire, et dès que le véritable propriétaire se manifeste, le Curateur public n"a plus affaire au dossier.

[41]      Il semble évident que le Curateur public n"a procédé à aucune administration de ces biens délaissés. Lorsque la Corporation municipale a voulu clarifier ses titres de propriété, tant la municipalité que le Curateur public ont réalisé que la question devait être clarifiée en vertu des dispositions des articles 24 et 204 de la Loi sur le Curateur public qui sont claires et tendent à démontrer qu"en aucun cas le Curateur public ne pourrait prétendre à la propriété de ces dits lots et aucune demande, ni aucune preuve en ce sens, n"a été faite devant la Cour.

[42]      La prétention de la défenderesse à l"effet que le Curateur public serait devenu propriétaire dudit bien délaissé en date du 15 avril 1993 par l"effet de la loi, est tout à fait inapplicable dans les circonstances et je la rejette.

[43]      Quant à l"argument qu"une indemnité d"expropriation aurait été versée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, se référant en cela à une quittance publiée au Bureau de la publicité des droits de Portneuf le 30 novembre 1967, sous le numéro 179155, le procureur de la défenderesse n"a pas jugé bon de déposer ledit document, il est donc difficile pour moi de l"apprécier en l"absence de preuve.

[44]      Cependant, je dois rappeler également que comme ce terrain avait été préalablement cédé à la Corporation municipale de Shannon et qu"il ne pouvait se retrouver dans le patrimoine de la Compagnie Murdock Lumber Ltée, en aucun cas un paiement fait à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, s"il existe, ne pourrait être considéré comme étant une indemnité d"expropriation versée pour le lot 763 de la Paroisse de Ste-Catherine, puisqu"il était au moment de l"expropriation dans le patrimoine de la Corporation municipale de Shannon.

[45]      Quant à la prétention de la défenderesse à l"effet que l"acte de rétrocession du chemin est nul de nullité absolue puisqu"il aurait été fait à titre gratuit contrairement à l"alinéa 6(1.1) du Code municipal , ajoutant par ailleurs que constituant une cession d"indemnité d"expropriation, cela emporterait également la nullité de cet acte, je me dois de la rejeter également, puisque l"acte de cession intervenu le 4 août 1993 par lequel la Corporation municipale de Shannon cédait les lots 763 et 858 du cadastre officiel pour la Paroisse de Ste-Catherine n"était pas sans considération, mais plutôt en considération de l"acte intervenu antérieurement en 1950 par lequel la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée lui avait vendu lesdites assiettes de chemin pour la somme de $1 et l"engagement d"effectuer des travaux d"amélioration de $4,000, et l"obligation que le chemin demeure un chemin public.

[46]      Le chemin ayant perdu son statut de chemin public au moment de l"expropriation de 1965, cela constituait un élément déclencheur pour justifier l"application des clauses résolutoires 3 et 4 de l"acte de 1950.

[47]      J"ajoute également que si la défenderesse voulait prouver la nullité de l"acte de cession de la Corporation municipale de Shannon aux demandeurs, elle aurait dû s"y prendre autrement puisqu"il s"agit d"un acte officiel de la Corporation municipale intervenu devant notaire, un acte authentique dûment enregistré à la Division d"enregistrement de Portneuf, le 5 mai 1993.

[48]      Je ne vois pas non plus en quoi les clauses résolutoires 3 et 4 de l"acte de vente de 1950 seraient devenues périmées et caduques lorsque la compagnie a cessé ses opérations commerciales en 1957. Cette prétention doit également être rejetée.

[49]      La prétention de la défenderesse à l"effet que la vente du chemin à la Municipalité de Shannon aurait été faite en considération que le vendeur puisse bénéficier pour les fins de son commerce d"un accès à un chemin public entretenu est purement hypothétique et n"apparaît nulle part sur les titres de propriété qui ont été soumis à la Cour et aucune preuve n"a été présentée au Tribunal à cet effet, je dois donc rejeter cette prétention également.

[50]      Considérer par ailleurs que l"existence du chemin public en cause a été un facteur qui a joué en faveur de la compagnie dans le calcul du prix de vente au moment où la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée a vendu ses terres à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, en 1957, constitue également une hypothèse.

[51]      Cet argument n"est basé sur aucune preuve factuelle et qui plus est, je peux conclure de cette avancée de la part de la défenderesse, qu"il y a admission que ce chemin représente une valeur certaine pour les terrains qui sont situés en bordure, et qu"en conséquence, la défenderesse qui en est devenue l"unique propriétaire, suite à l"expropriation de 1965, jouit d"un avantage certain sans avoir déboursé un sou pour en obtenir la propriété.

[52]      C"est suite à deux achats successifs, l"un en 1937 et l"autre en 1944, que la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée est devenue propriétaire des lots 763 et 858 qui représentent le chemin de fer à lisses et de tous les lots forestiers environnants.

[53]      C"est donc après 1944 que le père des demandeurs a démantelé le chemin de fer et a commencé à l"utiliser comme chemin forestier.

[54]      Lorsque le père des défendeurs a décidé de vendre l"assiette du chemin en 1950, la municipalité avait exigé que le chemin soit en bon état et les clauses de rétrocession incluses au contrat de 1950 étaient tout à fait conformes aux pratiques en matière de vente de terrains.

[55]      Il n"était pas possible de prévoir à ce moment que ledit chemin redeviendrait privé et serait l"objet d"un avis d"expropriation 15 ans plus tard, en 1965, et il n"a pas été démontré qu"une disposition législative pouvait amener le Tribunal à conclure que cette clause de rétrocession pouvait être inopposable au Ministère de la Défense nationale.

[56]      Les demandeurs n"ont jamais prétendu que l"expropriation n"était pas valable à l"encontre des terrains visés par l"avis d"expropriation de 1965, mais ont plutôt prétendu que si le Ministère de la Défense nationale avait droit de procéder à l"expropriation, les expropriés ont également le droit d"être indemnisés.

[57]      J"ai examiné avec attention les plans et documents d"accompagnement qui ont été produits à l"audience et bien qu"il y ait certaines divergences mineures, je n"ai aucune hésitation à reconnaître que la position présentée par le procureur des demandeurs est claire à l"effet que l"auteur des demandeurs était bel et bien propriétaire, à la fois de l"assiette du chemin connu comme étant le chemin de fer à lisses, ainsi que des lots 763 et 858 du cadastre officiel de la Paroisse de Ste-Catherine, Division Portneuf et des lots environnants.

[58]      Et c"est à titre de propriétaire que Feu Thomas Maher a procédé d"une part à la cession du chemin à la Municipalité de Shannon en 1950 et par la suite, en 1957, à la vente de tous les terrains qui lui restaient, à la Compagnie Murdock Lumber Ltée.

[59]      Une erreur s"est effectivement produite lorsque le Ministère de la Défense nationale a procédé à l"expropriation de tous les terrains appartenant à la Compagnie Murdock Lumber Ltée en 1965, en ce qu"aucune indemnité n"a été versée au propriétaire du terrain représenté par le chemin de fer à lisses, soit les lots 763 et 858 du cadastre officiel de la Paroisse de Ste-Catherine qui ont fait l"objet de l"expropriation.

[60]      Si à cette époque, en 1965, le Ministère de la Défense nationale avait voulu verser une indemnité directement à la Municipalité de Shannon, cette dernière aurait été tenue par le jeu des dispositions de son acte d"acquisition, de rétrocéder la propriété desdits terrains à son propriétaire à l"époque, qui aurait reçu a bon droit le montant de l"indemnité d"expropriation.

[61]      À ce moment, par l"effet du droit de propriété qu"une compagnie dissoute détient sur ses biens, ces derniers reviennent à son actionnaire unique, et suite à son décès et suivant les règles de succession, aux demandeurs dans la présente instance.

[62]      Bien qu"il se soit écoulé plusieurs années depuis ces transactions, il n"en demeure pas moins que les demandeurs auraient eu droit d"être indemnisés.

[63]      On ne peut non plus leur reprocher d"avoir réagi tardivement, puisque ce n"est qu"en 1992 qu"ils ont pris connaissance que ces biens étaient considérés comme des biens délaissés d"une compagnie dissoute et qu"ils ont pris les dispositions nécessaires afin de sauvegarder leurs droits. C"est suite au refus de la défenderesse de les indemniser conformément à la loi qu"ils ont dû prendre un recours dès 1993 pour recouvrer une indemnité juste et valable.

[64]      J"ai également pris connaissance de l"affidavit de Madame Jeanne Prévost, décédée depuis l"instauration des présentes procédures, lequel affidavit est annexé à la pièce P-7, soit l"acte de cession de la Corporation municipale de Shannon aux demandeurs.

[65]      Cet affidavit donne une description claire et précise des circonstances qui ont entouré les transactions faites par la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée, particulièrement la dissolution de la compagnie.

[66]      Il est à noter que Madame Jeanne Prévost a été secrétaire de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée pendant près de 25 ans, soit de 1935 à 1959, soit jusqu"à la dissolution de la compagnie.

[67]      Quant à la prétention du procureur de la défenderesse à l"effet qu"il y a eu double vente du lot 763 et que les articles 1487 et 1488 du Code civil du Bas-Canada relatifs à la double vente trouvent application en l"instance, je me dois, encore une fois, de rejeter cet argument puisqu"il n"y a pas eu double vente du même terrain puisque la référence au lot 763 dans l"acte de vente de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée en 1957, précise qu"il s"agit particulièrement des droits de passage qui appartenaient à la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée, suivant une description détaillée aux pages 29 et 30 de la pièce P-4.

[68]      La description détaillée du chemin vendu, soit les lots 763 et 858 du cadastre de la Paroisse de Ste-Catherine qui apparaît à l"acte de vente de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Corporation municipale de Shannon, soit la pièce P-3, est très claire et la mention apparaissant à la page 31 de la pièce P-4, à l"effet que le lot 763 du cadastre de la paroisse de Ste-Catherine serait vendu par la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, est manifestement une erreur et comme elle faisait partie d"un acte de vente de 77 pages, on peut comprendre que l"erreur ait pu passer inaperçue.

[69]      L"avis d"expropriation déposé le 2 septembre 1965, présente un plan et une description du territoire affecté.

[70]      En ce qui concerne le lot 763, il est clairement mentionné comme étant visé par l"expropriation au paragraphe 1(c) de l"avis d"expropriation.

[71]      Quant au lot 858, il n"est mentionné nulle part, bien que le Ministère de la Défense nationale en ait pris possession, tout comme le lot 763.

[72]      À la révision de la chaîne de titre, le Tribunal constate que le 17 septembre 1937, la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée a procédé à l"achat d"un certain nombre de lots de la Compagnie Consolidated Paper Ltd Corp., dont les lots 762 et 763 et ce, sans garantie.

[73]      Le 17 novembre 1944, la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée achetait de "The Quebec and Lake St-John Railway Company" plusieurs lots dont le lot 763 décrit de la façon suivante:

             Description:      a strip of land of various widths being part of the former Gosford branch of the Quebec and Lake St-John Railway Company, and part of the former Quebec and Gosford Railway, or in the parish of Ste-Catherine, county of Portneuf, province of Quebec and more fully described as follows:             
             Parcel 1:      That part of said former Gosford branch, being that part of lot 857 in the fourth concession of said Parish lying north of the Public Road to Village of Ste-Catherine, and being bounded to the south-east by the Public Road, to the south-west by lots No. 269 & 270 to the north-west by lot No. 763 and to the north-east by lot No. 273 and coloured red on the attached plan, which is remained annexed to these present, after having been signed by the parties before the undersigned notary for identification.             
             Parcel 2:      That part of said former Quebec & Gosford Railway being part of lot No. 763 in the fourth concession of said parish, and being bounded at one end to the south-east by lot No. 857, and at the other end, to the north-west by the Jacques Cartier River, and on one side to the north-east by lots No. 271, 274 and 275, and on the other side to the south-west, by another part of said lots No. 271, 275 and colored green on the attached plan.             
             Parcel 3:      That part of said former Gosford branch, being part of lot No. 856 in 5ième concession of said parish, and being bounded at one end the the [sic] south by the Jacques Cartier River, and at the other end to the north by a Public Road and on one side, to the west by part of lots No. 408, 409 and 856, and on the other side, to the east, by another part of said lots No. 408 and 409, and coloured red on the attached plan.             
             Parcel 4:      That part of said former Quebec and Gosford Railway, being that part of lot No. 763 in the 5e, 6e, 7e, 8e, 9e, 10e and 11e concessions of said parish, and bounded at one end to the south-east, by the road beween lots No. 856 and 763, and at the other end to the north-west by the Township of Gosford in the county of Portneuf, and on either side by the remaining parts of said concession, and shown coloured green on the attached plan, after reserving thereoff and therefore the Public Road crossed by said parcel of land.             
             Parcel 5:      That part of said former Gosford branch being lot No. 858 in the 7e and 8E [sic] concessions of said parish being shown coloured red on the atached plan, after reserving thereof and therefore the Public Road and the part of lot No. 763 sold by these presents.             
             Parcel 6:      A piece or parcel of land of irregular form, hereof the lot No. 762 concession 11e of the official place and book of reference of the Parish of Ste-Catherine, county of Portneur [sic] province of Quebec and shown coloured yellow on the attached plan.             
             The land outlined blue on the attached plan, on either side of the Jacques Cartier River, leased to the municipality of the Parish of Ste-Catherine, and being part of parcel 2d and all of parcel 3e, is included in the sale of said parcels, subject to the terms of the lease. The former railway bridge over the Jacques Cartier River, is the property of the municipality of the Parish of Ste-Catherine.             

[74]      Comme le lot 763 apparaissait comme ayant été vendu tant par la Compagnie Consolidated Paper le 17 septembre 1937 que par la Compagnie Lake St-John en 1944, cela aurait pu représenter un problème. Cependant, comme les deux actes de ventes ont été faits à l"avantage de la même compagnie, soit la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée, par l"opération de la confusion, cette dernière compagnie s"est retrouvée propriétaire sans équivoque des lots 763 et 858 qui sont la vieille ligne de chemin de fer Québec Gosford et la vieille ligne de chemin de fer à lisses Québec Gosford, ainsi que son embranchement.

[75]      Comme ledit lot 763 a bel et bien été cédé en 1950 à la Municipalité de Shannon, la chaîne de titre est tout à fait claire quant à démontrer que la propriété dudit chemin a bel et bien été transférée à la Municipalité de Shannon.

[76]      Quant à la mention du lot 763 lors de l"acte de vente de la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée, comme cette vente a été faite 7 ans plus tard, la Compagnie Murdock Lumber Ltée ne pouvait prétendre avoir la propriété dudit lot et elle ne pouvait qu"exercer un recours en dommages à l"encontre du vendeur, ce qui n"a pas été fait ou du moins n"a pas été porté à la connaissance du Tribunal.

[77]      Quant au lot 858, il n"apparaît pas avoir été vendu par la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée en 1957 et il n"a pas non plus fait l"objet d"une désignation au moment du dépôt de l"avis d"expropriation.

[78]      La partie du lot 763 vendue par la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Compagnie Murdock Lumber Ltée est une partie du lot 763 dans la 11e concession et comprend un droit de passage dans la 10e concession, ce qui représente en fait une petite partie du lot 763.

[79]      Lorsque la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée vend à la Compagnie Murdock Lumber Ltée en 1957, elle avait déjà vendu l"assiette du chemin de fer, soit le lot 763 de la 4e à la 10e concession, en vertu de l"acte de vente intervenu avec la Corporation municipale de Shannon (pièce P-3). Il ne lui reste donc plus que les quatre droits de passage dans la 10e concession préalablement mentionnés et la partie du lot 763 sur la 11e concession.

[80]      Comme elle ne pouvait vendre plus que ce qu"elle avait à ce moment là, la Compagnie Murdock Lumber Ltée ne pouvait prétendre avoir acquis le chemin de la 4e à la 10e concession et je n"ai aucun doute, à ce stade-ci, à accepter les prétentions des demandeurs, à cet effet.

[81]      Quant aux interrogatoires des deux maires qui ont été faits hors cour, après autorisation, il est démontré que la municipalité a toujours entretenu le chemin et son embranchement entre 1950 et 1965, soit la période où la Municipalité de Shannon en a été propriétaire.

[82]      Dans son argumentation, le procureur de la défenderesse argumente, à juste titre, sur le dépôt du plan de la description du terrain par sa cliente, que:

             par le fait de ce dépôt le terrain devient et demeure dès lors dévolu à Sa Majesté1.             

[83]      Cette prétention n"est pas contestée par les demandeurs. Ces derniers prétendent plutôt que du moment que l"avis d"expropriation est déposé, les lots 763 et 858 qui servaient jusqu"alors de chemin public au bénéfice de la Municipalité de Shannon, en perdant ce statut de chemin public, doivent retourner dans le patrimoine de la compagnie qui leur avait vendu ce chemin par le jeu des clauses 3 et 4 du contrat de vente de 1950 (clauses résolutoires). De plus, même si la propriété du terrain est dévolue à Sa Majesté en vertu de la Loi sur l"expropriation, la défenderesse, dans le présent dossier, avait l"obligation de négocier avec le véritable propriétaire du terrain qui était en l"occurrence, les demandeurs.

LA JURISPRUDENCE

[84]      Le procureur de la défenderesse soumet une cause de jurisprudence, soit André Cloutier et autres, c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Canadien national) et Temiscouata Railway Company et autres [1996] R.J.Q., à la page 1650, décision du juge Jean-Roch Landry.

[85]      D"entrée de jeu, je tiens à mentionner qu"il existe une différence fondamentale entre ce dossier et le dossier en l"instance, puisque ni dans la loi, ni dans les contrats de ce dossier, n"existait un droit de retour ou une clause résolutoire explicite permettant le retour des terrains cédés par les requérants à la compagnie de chemins de fer.

[86]      Dans l"affaire Cloutier , les requérants allèguent simplement que tous les terrains avaient été cédés en vue de la construction et de la mise en opération d"un chemin de fer et que la fin de l"opération d"un chemin de fer constituait l"équivalent d"une clause de retour et impliquait que le terrain soit remis au propriétaire qui les avait cédés antérieurement.

[87]      Dans le dossier Cloutier également, le gouvernement fédéral procédait à une expropriation, cependant après avoir exproprié lesdits terrains, ils étaient confiés à la Compagnie du Canadien national pour exploitation du chemin de fer, ce qui est encore une fois très différent du cas en l"espèce, puisque du moment de l"expropriation par Sa Majesté, les lots 763 et 858 constituant le chemin public, propriété de la Municipalité de Shannon, perdaient leur caractère de chemin public, et c"est à ce moment précis que les clauses 3 et 4 du contrat de 1950 prenaient effet. La procédure d"expropriation dans le dossier Cloutier était d"ailleurs contestée par les requérants et leurs prétentions ont été rejetées à juste titre.

[88]      Encore une fois, dans le présent dossier, les demandeurs ne contestent aucunement le droit à l"expropriation et j"en conclus, avec tout le respect, que le dossier Cloutier ne peut trouver application dans le présent dossier.

[89]      Le procureur de la défenderesse a également référé au dossier Louis Viau c. Le Procureur général de la province de Québec et la Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal [1978] C.A, page 223. Cette décision soulève plusieurs points intéressants. En effet, les propriétaires fonciers avaient cédé à titre onéreux une lisière de terrain à l"auteur de la Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal. Cette vente comportait les conditions suivantes:

             The present sale is so made... for the consideration that the said company shall be bound... to construct and maintain on the said strip of land a railway with cars running thereon, the said vendor expecting that this will have the effect of increasing the value of the residue of the said farm... If the said company happens to cease to operate the said railway the said strip of land will revert in full property to the said vendor...             

[90]      Après plus de 60 ans, alors qu"un service de transport par autobus a été substitué au service des tramways, les appelants qui étaient les héritiers des cessionnaires, comme dans la présente instance, ont fait signifier à la Commission ainsi qu"à la Ville de Montréal un avis de rétrocession fondé sur les clauses résolutoires.

[91]      Dans ce dossier, lorsque l"expropriation est intervenue, à un moment donné, la clause résolutoire n"a pas trouvé application car un service de transport en commun était encore fourni sur la lisière en question. Dans ce dossier, le Tribunal en a conclu que la condition économique de maintenir le service de transport en commun était la considération principale en ce que les cédants, à l"époque, souhaitaient que le service de transport en commun se rende jusqu"à leurs terres de façon à donner une plus-value à leurs terrains au moment de la vente.

[92]      Je cite l"honorable juge Bernier, à la page 227:

             Je partage l"opinion de la Régie. Les clauses d"un contrat ont pour fins de définir l"objet du contrat, la nature et la portée des obligations réciproques des parties. Les parties ne sont pas censées avoir parlé pour ne rien dire. Il s"est agi en l"espèce d"une limite dans le temps, dont l"arrivée devait mettre fin à l"obligation et, partant, entraîner la défaillance de la clause résolutoire accessoire. C"est ce qui s"est produit lorsque les cédants ont pleinement obtenu l"intérêt, la fin qu"ils recherchaient, lorsqu"ils ont vendu toutes et chacune des parcelles du résidu de leurs fermes respectives. (Je souligne.)             

[93]      Encore une fois, la différence particulière entre ce dossier et le dossier en instance est le moment où l"expropriation est intervenue. Dans le dossier Viau , page 227:

             La Commission mise en cause fournissait toujours sur la lisière de terrain, qui avait fait l"objet des cessions en 1895, le service de transport en commun dont il y était question; que l"événement prévu n"était pas arrivé; et qu"en conséquence la Commission mise en cause était alors toujours propriétaire de la lisière.             
             Par ailleurs, pourvu que la condition résolutoire n"ait pas défailli, les appelants détenaient toujours leur droit conditionnel ad rem , soit la propriété sous condition suspensive de la lisière en question, droit dont ils auraient pu disposer et dont ils auraient été dépossédés par le fait de l"expropriation.             
             Cependant, comme la régie, je suis d"avis que la clause résolutoire avait défailli, était devenue périmée, caduque, lorsque les cédants ont réalisé ce qu"avait été pour eux la considération de la cession de cette lisière de leurs fermes, c"est-à-dire lorsqu"ils ont réalisé la plus-value que la proximité du service urbain de transport en commun avait apportée au résidu de leurs fermes.             

[94]      La comparaison entre les dossiers Viau et le dossier en instance est intéressante en ce que le Tribunal dans le dossier Viau a conclu que la considération était clairement mentionnée dans la clause résolutoire, à l"effet que la cession du terrain à la compagnie de transport était spécifiquement faite dans le but d"augmenter la valeur des terrains des cédants situés en bordure.

[95]      Le Tribunal en conclut que si les requérants n"ont plus de terrains situés en bordure, la considération pour laquelle la cession a été effectuée, a été reçue, et la clause résolutoire est devenue caduque.

[96]      Dans le cas qui nous concerne, il n"y a aucune considération de telle sorte mentionnée au contrat et les présomptions soulevées par le procureur de la défenderesse à l"effet que le terrain a été cédé à la Municipalité de Shannon parce que la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée avait l"intention de continuer à l"utiliser gratuitement pour ses opérations forestières, demeure de la spéculation, puisque d"une part cela n"apparaît pas au contrat de la cession et qu"aucune preuve n"a été faite en ce sens et que les témoignages écrits des deux anciens maires de la municipalité démontrent simplement que la municipalité avait un intérêt dans l"achat desdits lots 763 et 858.

[97]      Je ne peux donc conclure à l"application de cette décision et considérer que la clause résolutoire serait devenue caduque.

[98]      Le procureur de la défenderesse a soumis, pour ma considération, la décision dans le dossier French c. Mulgrave et Derry (Cantons) [1990] A.Q. No 1610.

[99]      J"ai pris connaissance dudit jugement et constate qu"il s"agissait d"un pourvoi en appel contre un jugement qui avait pour objet d"annuler une convention intervenue entre une corporation municipale et un citoyen.

[100]      Dans le cas qui nous occupe, je ne crois pas avoir la juridiction pour décider si oui ou non l"acte de cession intervenu le 4 août 1993 entre la Corporation municipale de Shannon et les demandeurs est valable en vertu des dispositions du Code municipal ; le document qui a été soumis à la Cour comme pièce P-7 est un document valable, authentique, qui a été dûment enregistré le 5 mai 1993 et si quiconque avait souhaité en demander la nullité, ce n"est sûrement pas en s"adressant à la Cour fédérale du Canada qu"il aurait pu arriver à ses fins.

QUANTUM

[101]      La preuve documentaire et la preuve par témoins, tant devant la Cour que par les interrogatoires hors cours qui ont été soumis en preuve au Tribunal, démontrent que lorsque le terrain a été vendu à la Corporation municipale de Shannon en 1950, il était en bon état et que le père des demandeurs avait dépensé une somme additionnelle de $4,000 pour améliorer l"assiette du chemin avant qu"il ne soit remis à la municipalité.

[102]      Selon la preuve présentée devant le Tribunal, il semble que la municipalité de Shannon ait entretenu le chemin de façon convenable entre 1950 et 1965 et qu"aux dires mêmes des deux maires qui ont témoigné hors cour sur la question, ce chemin était l"un des meilleurs de la région.

[103]      Pour procéder à l"évaluation de la valeur du terrain en l"espèce, les demandeurs ont produit deux témoins, M. Claude Thivierge, technicien en génie civil depuis 28 ans, engagé par la Compagnie Génivar, spécialisé dans la construction d"infrastructures, ainsi que M. Sylvain Miville, ingénieur-conseil. Ces deux experts ont témoigné quant à la façon dont ils ont établi la valeur du terrain.

[104]      Il est à noter que les experts, requis par les demandeurs, n"ont pu avoir accès aux terrains, propriété du Ministère de la Défense nationale, que le 18 novembre 1998, soit à peu près deux semaines avant le procès.

[105]      Comme ils avaient réalisé une évaluation antérieure à partir de photos aériennes, ils ont modifié à la baisse l"évaluation qu"ils avaient faite des coûts de construction dudit chemin.

[106]      Ils ont utilisé les valeurs unitaires à partir d"une copie de soumission datant de 1967 afin de déterminer les prix unitaires pour la construction.

[107]      Cette évaluation fut ensuite soumise à M. Denis Savoie, évaluateur agréé auprès de Serviteck Inc., lequel a préparé une évaluation du terrain et des dommages pour le terrain en litige. M. Denis Savoie fut reconnu pour ses qualités d"expert, tout comme Messieurs Miville et Thivierge, qui ont fait l"objet d"interrogatoires et de contre-interrogatoires par les procureurs des deux parties.

[108]      La défenderesse a choisi de ne pas présenter de preuve par expert pour contredire l"évaluation qui a été soumise et je ne vois rien dans la preuve qui m"amène à croire que cette évaluation n"a pas été faite conformément aux règles de l"art et j"en conclus que tant la méthode d"analyse que les calculs effectués permettent d"établir la valeur du chemin à $381,747.

[109]      Le procureur de la défenderesse suggère que les prétentions des demandeurs à l"effet que la valeur du terrain en 1965 était de $381,747, doivent être rejetées puisque les demandeurs ont pris pour acquis que le chemin était neuf en 1965 et qu"il n"y a pas eu de preuve directe quant à l"état du chemin en 1965.

[110]      Je considère que la preuve quant à la valeur du chemin a été établie d"une façon professionnelle à l"aide de photos aériennes et je considère également que la défenderesse n"a pas autorisé les demandeurs à avoir accès audit chemin pour en faire l"expertise avant le 18 novembre 1998, soit environ deux semaines avant le procès.

[111]      La Cour considère également l"absence totale de contre-preuve quant à la valeur du terrain en litige.

[112]      Dans le dossier qui nous occupe, la valeur du terrain a été établie par les experts pour l"année 1965 à partir de photos aériennes et d"évaluation de quantité et de coûts unitaires faits à partir d"une évaluation datant de l"année 1967.

[113]      Il faut comprendre qu"il est difficile après 33 ans d"établir exactement la valeur d"un terrain, particulièrement s"il s"agit de la construction d"une route et ce, à partir d"une voie de chemin de fer.

[114]      Le Tribunal prend donc pour acquis que bien que la valeur du terrain doit être établie au jour de l"expropriation pour pouvoir arriver à déterminer la valeur de la compensation, il est nécessaire également de retourner à la date de la vente du terrain par la Cie d"Immeubles du Lac St-Joseph Ltée à la Municipalité de Shannon, soit en 1950, avant que les travaux de confection de la route aient été effectués.

[115]      La Cour considère donc que les travaux nécessaires pour la construction de la route, suivant l"évaluation établie en 1965, auraient également été nécessaires en 1950 et auraient été établis probablement à une valeur différente qu"il est impossible d"établir exactement aujourd"hui.

[116]      Cependant, la Cour a décidé d"établir pour les fins de calcul que le montant du coût de construction du chemin établi à $381,747 pouvait être ramené à la même somme pour l"année 1950 en y appliquant une dépréciation pour les années d"usage par la municipalité, soit entre 1950 et 1965, soit une période de 15 ans.

[117]      Suivant une dépréciation successive de 2 % par année, la valeur du terrain se retrouve en 1965, établie à la somme de $281,394.

[118]      Quant à l"intérêt sur le capital, les demandeurs ne sont devenus propriétaires que suivant l"acte de rétrocession enregistré le 5 mai 1993.

[119]      Une mise en demeure fut adressée à la défenderesse le 22 octobre 1993, et c"est à ce moment que les droits des demandeurs furent portés à la connaissance de la défenderesse.

[120]      Me référant à l"article 31(1) de la Loi sur la Responsabilité civile de l"État et le Contentieux administratif, L.R. (1985) ch. C-50, et à l"article 1618 du Code civil du Québec, le capital portera donc intérêt à un taux simple de 5% par année à partir du 22 octobre 1993, ce qui représente au 22 avril 1999, $77,364.08 d"intérêts pour un grand total de la valeur du terrain de $358,758.08, au 22 avril 1999.

JURISPRUDENCE QUANT AU QUANTUM

[121]      La Cour est sensible à l"argument soulevé par le procureur de la défenderesse quant à la nécessité de tenir compte de la dépréciation dudit terrain au cours des années.

[122]      À cet effet, le procureur de la défenderesse m"a soumis une décision de la Cour de l"Échiquier du Canada de 1952, Her Majesty the Queen, on the Information of the Attorney General of Canada v. The Community of the Sisters of Charity of Providence2. Le dispositif du jugement précise:

             That it is fallacious to assume that an asset can be so well maintained that it will remain in as good as new condition indefinitely.             
             Depreciation begins from the moment of its first use and continues not withstanding maintenance.             
             ... It is always necessary to make a careful examination of the asset and consider its structural and functional condition so that consideration may be given not only to the elapsed time of its expectancy of life according to the tables but also to the remaining life that may be expected in the light of its actual condition.             

[123]      Il est donc reconnu qu"une dépréciation doit être appliquée pour chaque bien. Les facteurs dans le calcul de la dépréciation sont:

     - le temps écoulé de l"expectative de vie;

     - la condition structurale et fonctionnelle;

     - l"expectative de vie restante considérant sa condition actuelle;

     - la détérioration physique;

     - la désuétude fonctionnelle et économique.

[124]      Étant donné que le chemin n"a subit aucune dépréciation fonctionnelle et économique entre 1950 et 1965, puisqu"il y a eu utilisation annuelle et continue dudit chemin par la municipalité, seule une dépréciation basée sur une détérioration due à l"usage peut être appliquée.

[125]      Quant à la question de dépréciation, la Cour réfère également à Québec (Procureur général) c. L.A. Hébert Ltée [1999] J.Q. no 212; Presbyterian Church v. Canada [1974] F.C.J. No 1100 et Boivin c. Québec (Procureur général) [1996] A.Q. no 3505.

[126]      Le procureur de la défenderesse soumet la décision de la Cour de l"Échiquier du Canada de 1939, Corporation of the Town of Dartmouth v. His Majesty the King . J"en conclus, à la lecture de cette décision, que lorsque la doctrine et la jurisprudence semblent unanimes à n"accorder aucune compensation pour des rues expropriées, c"est en prenant pour acquis que la municipalité possède l"assiette des rues à titre de fiduciaire du public.

[127]      Ce n"est pas le cas dans le présent dossier où le chemin exproprié ne sera plus la propriété de la municipalité mais une propriété privée et qui ne redeviendra pas non plus un chemin public, mais sera utilisé vraisemblablement comme chemin privé à l"intérieur de la base militaire de ValCartier pour le seul usage de la défenderesse, pour lequel il représente une valeur certaine, puisque s"il n"avait pas existé, la défenderesse aurait dû dépenser au moins l"équivalent pour le construire sur son propre terrain.

[128]      Le procureur de la défenderesse a également cité une décision allant dans le même sens que la précédente, dans le dossier McDonald v. North Norfolk (Rural Municipality)3.

CONCLUSION

[129]      La Cour considère que les demandeurs ont démontré qu"ils sont en droit de recevoir une juste indemnité pour l"expropriation des lots 858 et 763 de la Paroisse de Ste-Catherine.

[130]      Pour tous ces motifs, la Cour condamne la défenderesse à payer aux demandeurs la somme de $358,758.08 plus les frais d"expertise du Bureau d"ingénieurs Génivar, établis à la somme de $5,407.25, ainsi que les frais de la Compagnie Serviteck Inc., évaluateurs agréés, également reconnus comme experts, pour la somme de $5,371.67, plus les intérêts à compter du 22 avril 1999.

[131]      Le tout avec dépens en faveur des demandeurs.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 22 avril 1999

__________________

1      Article 9(1) de la Loi concernant la prise de terres par voie d"expropriation, c. 106 des Lois du Canada, S.R., 1952.

2      [1952] Ex. C.R. 113.

3      [1992] Manitoba Court of Appeal.

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