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     Date : 19990813

     Dossier : T-1801-98

OTTAWA (ONTARIO), le vendredi 13 août 1999

En présence de Madame le juge B. Reed

ENTRE :

     RONALD KERTH,

     demandeur,

     - et -

     LE CANADA

     (MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES),

     défendeur.

     ORDONNANCE

     SUR PRÉSENTATION d'une demande de contrôle judiciaire ayant été entendue à Regina (Saskatchewan), le mercredi 28 juillet 1999 ;

     ET pour les motifs énoncés dans l'ordonnance rendue ce jour ;

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     la décision à l'étude est infirmée et la demande d'autorisation d'interjeter appel est renvoyée pour réexamen par un commissaire différent.

    

                                     B. Reed

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


Date : 19990813


Dossier : T-1801-98

Entre :

     RONALD KERTH,

     demandeur,

     - et -

     LE CANADA

     (MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES),

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un membre de la Commission d'appel des pensions le 15 juillet 1998, refusant au demandeur l'autorisation d'en appeler d'une décision du tribunal de révision des pensions devant la Commission d'appel des pensions. La décision du tribunal lui refusait une pension d'invalidité au motif qu'il ne correspondait pas à la définition d'invalide donné dans le Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, principalement parce qu'il était toujours considéré comme employable. Les questions en litige sont les suivantes : (1) quelle norme de contrôle doit appliquer la présente Cour dans une procédure de contrôle des décisions concernant des demandes d'autorisation d'appel devant la Commission, et (2) la décision en cause est-elle viciée pour l'un des motifs énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[2]      Le demandeur est un homme de 61 ans, ayant terminé sa neuvième année, qui a travaillé comme conducteur de camion pendant 40 ans, de 1954 à 1996. Il a été propriétaire-exploitant indépendant pendant 30 de ces années. En 1996, selon ses dires, il n'était plus en mesure de conduire son camion à cause d'incapacités physiques. Il indique qu'il a des douleurs aiguës dans le dos et dans le cou, et que ces douleurs irradient dans son bras et sa jambe gauches, ce qui l'empêche de se tenir debout ou de s'asseoir pendant de longues périodes. La douleur augmente quand il fait des efforts. Il signale également qu'il a des difficultés à respirer à cause de l'asthme et d'une bronchite chronique.

[3]      Le demandeur a présenté une demande de prestations d'invalidité le 29 juillet 1996. Sa première demande n'a pas été approuvée et il en a appelé de cette décision au tribunal de révision. Le tribunal de révision se compose de trois personnes, dont un membre du Barreau provincial, et une personne ayant des connaissances médicales. La décision du tribunal de révision n'était pas non plus favorable au demandeur.

La décision du tribunal de révision

[4]      La preuve sur laquelle le tribunal de révision s'est appuyé dans sa décision portait entre autres sur la demande de M. Kerth, dans laquelle il déclare qu'il a cessé de travailler parce qu'il ne pouvait supporter la douleur très aiguë qu'il ressentait dans le cou, le dos, la jambe gauche et le bras gauche. Il signalait qu'il ne pouvait rester assis ou de se tenir debout que dix minutes à la fois à cause des douleurs à la jambe et dans le dos et qu'il ne pouvait ni se pencher ni soulever des poids. La demande s'accompagnait également d'un rapport médical du médecin de famille de M. Kerth, le docteur Eagar, qui indiquait que M. Kerth souffrait d'arthrite dans la colonne, accompagnée d'une discarthrose cervicale modérée au niveau C5/6 et C6/7, avec production d'ostéophytes marginaux au niveau de la colonne dorsale. Le pronostic du Dr Eagar concernant l'état de M. Kerth n'était pas bon :

     [TRADUCTION]         
     Souffrance constante et détérioration continue dans le cou à prévoir. Incapable de conduire un camion (mouvements des épaules impossibles). Crampes dans les mains. Maintenant incapable de travailler.         

[5]      La preuve comportait également un rapport du Dr McDougall, rhumatologue. Il résume les symptômes de M. Kerth et conclut sur l'impression suivante :

     [TRADUCTION]         
     Le sujet souffre de douleurs au cou et dans le dos, probablement d'origine mécanique. L'examen d'aujourd'hui n'a révélé aucune déficit neurologique, dans les extrémités supérieures ou inférieures et rien ne laisse supposer un empiétement sur la racine nerveuse. Il a de la difficulté à tolérer les AINS et je lui ai recommandé de prendre de l'acétaminophène ; toutefois, je lui ai suggéré d'augmenter la dose, selon ses besoins. J'ai revu avec lui des programmes d'exercices spéciaux pour son cou et son dos et lui ai demandé de les faire régulièrement. Je n'ai mis aucune restriction et j'espère que ces exercices apporteront une certaine amélioration de ces symptômes. Il semblait satisfait de cette approche et je vous remercie de me permettre de participer à sa guérison.         

[6]      La seule autre preuve dont était saisie le tribunal est une note manuscrite du Dr Eagar en date du 23 octobre 1996, indiquant que le demandeur [TRADUCTION] " souffrait d'une incapacité chronique permanente limitant ses activités quotidiennes ".

[7]      Le tribunal de révision a tenu son audience le 3 mars 1997, et le demandeur se représentait lui-même. Le tribunal a conclu que le demandeur était en mesure d'accomplir des travaux légers pas trop exigeants :


     [TRADUCTION]         
     [. . .] La preuve médicale confirme l'existence de la douleur et le fait que celle-ci empêche M. Kerth de poursuivre son métier antérieur de camionneur [...]. Il est clair que M. Kerth ne peut actuellement exécuter des travaux physiques exigeants. Il est probable que cette situation se poursuivra indéfiniment dans l'avenir. Malgré cela, le tribunal est d'avis que M. Kerth conserve la capacité physique de faire des travaux légers non exigeants qui répondent à son besoin de changer de position régulièrement.         
     Une personne est considérée comme invalide uniquement si elle est incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Bien que M. Kerth soit manifestement tenu de réaménager ses activités, le tribunal croit qu'il conserve la capacité de faire certains types de travaux. Par conséquent, l'appel est rejeté.         

La Commission d'appel des pensions

[8]      Le demandeur a sollicité l'autorisation d'appeler de la décision du tribunal de révision devant la Commission d'appel des pensions. La Commission a compétence en vertu de l'article 84 du Régime de pensions pour se prononcer sur toute question de droit ou de fait permettant de déterminer si des prestations doivent être payées à une personne et le montant de ces prestations. L'audience devant la Commission est une audience de novo. La Commission se compose d'un président et d'un vice-président, tous deux juges de la Cour fédérale ou d'une cour supérieure provinciale, et d'un à dix autres membres qui sont tous juges. Les audiences de la Commission se déroulent devant un seul commissaire, ou des formations de trois ou de cinq commissaires. Le président, le vice-président ou un délégué désigné est chargé de décider des demandes d'autorisation d'appel. En l'espèce, la demande d'autorisation a été examinée par un commissaire nommé à cette fin.

[9]      La preuve déposée devant la Commission d'appel des pensions en vue d'appuyer la demande d'autorisation d'appel du demandeur était beaucoup plus substantielle que celle qui a été présentée au tribunal. M. Kerth a présenté des rapports médicaux allant de 1994 à 1996, pour décrire l'état de son dos et de son cou. Ces rapports décrivent diverses investigations qui ont été faites pour déterminer l'origine des maux de cou et de dos dont souffre M. Kerth. En 1994, des rayons-X ont révélé une légère discarthrose au niveau C5-6, sans preuve concluante au niveau de la compression de la racine nerveuse. De même, des rayons-X de la colonne lombaire révèlent une déminéralisation généralisée et des modifications dues à une légère discarthrose. À l'issue de l'examen de 1994, on a recommandé un myélogramme pour vérifier si le demandeur souffrait d'une lésion discale aurait pu exiger une chirurgie. Les myélogrammes ont révélé de légères modifications dégénératives et un peu d'arthrose dans la région cervicale, mais ils étaient par ailleurs normaux sans indication de protrusion discale.

[10]      Les rayons-X de 1995 et de 1996 révélaient une discarthrose de légère à modérée au niveau des vertèbres cervicales avec pincement de l'interligne discal et production d'ostéophytes au niveau C5/6. D'autres modifications dues à l'arthrose étaient également notées.

[11]      M. Kerth a également subi un examen fonctionnel respiratoire. Le rapport, daté du 23 juin 1997, indiquait ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Limitation sévère du débit de l'air partiellement réversible avec capacité réduite de diffusion pulmonaire pour le CO plus distension. Si d'autres examens donnent des résultats semblables, alors le diagnostic sera compatible avec une bronchopneumopathie chronique obstructive accompagnée d'asthme. Corrélation clinique suggérée.         

[12]      Finalement, et c'est peut-être ce qui est le plus important, la preuve incluait un rapport plus détaillé du Dr Eagar, et un rapport d'évaluation du travail effectué par la travailleuse sociale Rebecca Milo. Le rapport du Dr Eagar, daté du 22 septembre 1997, résume la plupart des antécédents médicaux de M. Kerth et les traitements subis au cours des quelques dernières années. Il déclare que M. Kerth souffre d'insuffisance ventilatoire obstructive et d'arthrose de la colonne à plusieurs niveaux avec pincement au niveau C5/6. Le rapport mentionne également l'hypertension artérielle de M. Kerth et un épisode de bronchite ; on lui prescrit depuis différents ventilateurs de type asthmatique. Le rapport indique également que les exercices prescrits par le Dr McDougall (dans la documentation présentée devant le tribunal) étaient source de douleur et que M. Kerth les avait cessés. Le Dr Eagar conclut son rapport de la manière suivante :

     [TRADUCTION]         
     Douleurs au dos et dans le cou accompagnées de fréquentes céphalées douloureuses. Il ne peut tondre le gazon, ni faire des travaux d'extérieur ou domestiques, par exemple passer l'aspirateur. Depuis trois ans, il ne peut plus déneiger son entrée. Depuis le printemps 1997, il a mal au genou gauche. Il a des crampes dans les mains quand il conduit une voiture ou quand il demeure en position assise ou debout pendant des périodes prolongées. Quand il monte les escaliers, il s'essouffle et il doit utiliser ses inhalateurs à la moindre activité exigeant un effort. Il a des invalidités permanentes marquées, comme celles qui sont indiquées ci-dessus et, à mon avis, celles-ci l'empêchent de pouvoir exercer une occupation quelconque.         

[13]      Une partie du rapport de Mme Milo, comme une partie de l'évaluation du Dr Eagar reproduite ci-dessus, est fondée sur les restrictions physiques déclarées par M. Kerth et, dans cette mesure, cette partie constitue une preuve subjective et non objective. Le rapport de Mme Milo se fonde sur une entrevue personnelle et son observation de M. Kerth, un examen de la documentation médicale pertinente, et une analyse de la documentation dont était saisi le tribunal. Elle a résumé les antécédents médicaux de M. Kerth et a discuté des changements importants dans ses activités quotidiennes. Par exemple, M. Kerth a indiqué qu'il ne pouvait plus faire de travaux autour de la maison, et qu'il ne pouvait plus se livrer à son hobby qui est de rafistoler des voitures, ni travailler dans son jardin. M. Kerth a discuté de la possibilité de prendre des emplois sédentaires, mais il estime qu'il ne serait pas capable de rester assis pendant le temps voulu, à cause des douleurs qu'il ressent en position assise. Mme Milo a identifié cinq restrictions spécifiques relatives au travail :

     [TRADUCTION]         
     1) niveau élevé de douleur à l'effort         
     2) difficulté à respirer quand il essaie de faire un effort         
     3) incapacité de rester assis ou debout pendant de longues périodes         
     4) incapacité de se pencher, de lever ou de transporter des poids         
     5) études inférieures à la neuvième année         

Elle continue en expliquant comment ces restrictions peuvent influer sur l'employabilité de M. Kerth :

     [TRADUCTION]         
     Ces restrictions en font un candidat médiocre pour tout travail physique. D'après mon évaluation, ces restrictions limitent Ronald à un emploi de nature sédentaire et à temps partiel. Pour pouvoir se qualifier pour des postes plus sédentaires, Ronald devrait poursuivre ses études ou acquérir une formation spécifique. Cela lui serait difficile étant donné qu'il est incapable de rester assis pendant une longue période et en raison des médicaments analgésiques que Ronald prend afin de réduire la douleur. Ces médicaments causent de la somnolence et l'empêchent de penser clairement. Cela signifie qu'il devrait probablement poursuivre ses études par correspondance, ce qui allongerait considérablement la période nécessaire pour parfaire ses études ou se recycler. Compte tenu de son âge, cela n'est peut-être pas une option raisonnable.         

Mme Milo conclut son rapport par le résumé suivant :

     [TRADUCTION]         
     En raison des restrictions au niveau du travail, indiquées ci-dessus, Ronald n'est pas en mesure de reprendre son ancienne occupation ou d'occuper un emploi qui suppose des efforts physiques. Il serait déraisonnable de s'attendre à ce que Ronald détienne une occupation véritablement rémunératrice en raison de la combinaison d'une discarthrose, qui, selon le dossier médical, affecte la totalité de son dos, et de l'emphysème récemment diagnostiqué. En outre, il a 59 ans, n'a pas de compétences transférables et a terminé ses études à la neuvième année. De façon réaliste, il ne peut être considéré comme un bon candidat pour le recyclage ou le perfectionnement des connaissances. Il n'est pas employable compte tenu de ses études, de sa formation et de ses antécédents de travail.         

[14]      Afin de pouvoir obtenir des prestations d'invalidité en vertu du Régime de pensions, un demandeur doit réunir trois conditions : i) respecter les conditions de cotisations en ayant versé des cotisations valides au régime pour la période minimum d'admissibilité ; (ii) être invalide, au sens du Régime de pensions, quand les conditions de cotisations ont été respectées ; et iii) continuer d'être invalide. Il n'a pas été contesté que le demandeur respectait les conditions de cotisations. En l'espèce, la question est plutôt de savoir si le demandeur est invalide au sens du Régime de pensions. Le paragraphe 42(2) définit une personne invalide :

(2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to be suffering from a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

     (i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and
     (ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death;

(2) Pour l'application de la présente loi :

a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa :

(i) une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,
(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

Ainsi, l'invalidité doit être grave et prolongée.

[15]      La décision de la Commission dans laquelle elle refusait l'autorisation d'appeler se lit comme suit :

     [TRADUCTION]         
     Le tribunal de révision, ayant des connaissances spécialisées sur les questions de droit et des services de santé, a conclu que le demandeur avait toujours la capacité de faire certains types de travaux et par conséquent il a rejeté son appel.         
     J'ai examiné les rapports médicaux et je crois qu'ils établissent que les conclusions du tribunal sont raisonnables. La prépondérance des avis médicaux appuie la conclusion du tribunal.         
     La demande ne fait ressortir aucune erreur de principe de la part du tribunal et n'offre aucune nouvelle preuve qui pourrait faire pencher la balance en faveur d'un résultat différent.         
     L'autorisation d'interjeter appel est donc refusée.         


La demande de contrôle judiciaire

[16]      Le demandeur soutient que le commissaire ne s'est pas posé la bonne question quand il a examiné sa demande d'autorisation d'interjeter appel. La question sur laquelle il devait se pencher était de savoir si la nouvelle preuve était suffisante pour justifier une audience devant la Commission d'appel des pensions, et non pas de se prononcer sur l'appel lui-même. Il soutient que la preuve présentée était suffisamment importante pour être examinée par une formation complète de commissaires, et non pas évaluée et rejetée dans le contexte d'une demande d'autorisation d'appeler.

[17]      La mesure dans laquelle l'expression " une occupations véritablement rémunératrice " utilisée au paragraphe 42(2) du Régime de pensions doit prendre en compte certaines des caractéristiques personnelles d'une personne et ne pas être simplement une conclusion qu'il y a, quelque part au monde, un emploi que ce demandeur serait physiquement en mesure d'exercer, sans tenir compte des études du demandeur ou d'autres facteurs pertinents, est une question qui a été soulevée dans le dossier de la demande, mais qui n'a pas été reprise dans les plaidoyers. Je n'ai donc pas besoin d'en traiter, mais il faut certainement que l'emploi soit rémunérateur pour la personne visée et que cela ne soit pas simplement une possibilité abstraite.

La norme de contrôle

[18]      Les facteurs pertinents pour déterminer la norme de contrôle applicable dans une procédure de contrôle judiciaire ont récemment été énoncés dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C. S. 982. La considération la plus importante est l'intention du législateur : celui-ci avait-il l'intention que le tribunal de révision fasse preuve de retenue à l'égard de la décision, ou avait-il l'intention de prévoir un appel de plein droit, ou la norme pertinente se trouve-t-elle quelque part entre ces deux pôles. En outre, la norme de contrôle doit être déterminée en faisant référence à la nature spécifique de la décision faisant l'objet du contrôle. La même norme ne s'appliquera pas nécessairement à toutes les décisions provenant du même décideur. Les facteurs devant être pris en compte selon l'arrêt Pushpanathan sont les suivants : (1) les dispositions législatives régissant le processus de contrôle, notamment la question de savoir s'il y a une clause privative ; (2) le degré d'expertise du tribunal ayant trait à la question en litige, comparativement au degré d'expertise que possède le tribunal de révision sur le sujet ; (3) l'objet de la loi et les objectifs du décideur, c'est-à-dire si le décideur cherche à établir un équilibre entre des considérations d'ordre public (souvent formulées en termes vagues) ou à se prononcer sur les droits des particuliers ; (4) la nature de la décision faisant l'objet du contrôle, c'est-à-dire notamment de savoir s'il s'agit d'une question de droit ou de fait.

[19]      J'aborderai maintenant ces facteurs en fonction de la décision faisant l'objet du présent contrôle. Les paramètres législatifs du contrôle prévu sont énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Le Régime de pensions ne renferme aucune clause privative, à l'exception du fait qu'il prévoit que les décisions de la Commission d'appel des pensions sont définitives, et qu'elles peuvent uniquement faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Bien que la jurisprudence indique que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale exige une " décision manifestement déraisonnable ", ce n'est pas le critère qui a été appliqué dans l'arrêt Pushpanathan , ou plus récemment dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.S. no 39. Je note que les expressions utilisées à l'alinéa 18.1(4)d) sont dissociatives ; il faut se demander si la décision faisant l'objet du contrôle se fonde sur une conclusion de fait qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le décideur disposait. Pour ce qui a trait au contrôle des décisions en s'appuyant sur leurs faits particuliers, cela signifie que le mandat de la loi permet de situer la norme de contrôle dans une certaine gamme qui s'échelonne d'un haut degré de retenue judiciaire (le caractère abusif ou arbitraire doit être démontré) à une norme de contrôle qui retient comme critère la décision correcte ou raisonnable (le décideur n'a pas tenu compte des éléments dont il disposait). Quand le contrôle porte sur des questions de droit, toutefois, l'alinéa 18.1(4)c) n'accorde aucune latitude.

[20]      Pour ce qui a trait à l'expertise relative de la Commission et de la présente Cour, il n'y a pas beaucoup de différence entre elles pour ce qui est de déterminer les principes applicables aux demandes d'autorisation d'interjeter appel. Bien entendu, les commissaires ont une expertise plus grande pour traiter des faits de l'affaire.

[21]      Pour ce qui a trait aux motifs de la Loi et à ceux du décideur, la décision porte sur la détermination des droits d'une personne (le droit aux prestations). Le tribunal a donc un pouvoir de nature décisionnelle, et non pas un pouvoir qui porte sur des questions discrétionnaires d'intérêt public. La Commission est un organisme judiciaire, puisqu'elle est composée de juges.

[22]      Pour ce qui a trait à la nature de la décision, celle-ci porte à la fois sur une question de droit et sur une question de fait. La question de droit est de savoir si la Commission a appliqué le critère juridique pertinent. La question de fait est de savoir si la décision de la Commission est appuyée par la preuve.

[23]      D'après l'évaluation précitée des facteurs pertinents, je conclus que la norme de contrôle en l'espèce n'oblige pas à faire preuve d'un niveau élevé de retenue judiciaire.

Analyse de la décision de la Commission

[24]      La demande d'autorisation d'interjeter appel est une étape préliminaire à une audition du fond de l'affaire. C'est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui-ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l'audition de l'appel sur le fond. À l'étape de la demande d'autorisation, le demandeur n'a pas à prouver sa thèse. Par exemple, dans les décisions de la Cour d'appel fédérale que l'avocat du défendeur m'a citées, ayant trait à l'ancienne Règle 1107(1) de la Cour fédérale, on retrouve les commentaire suivants : Kurniewicz v. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration) (1974), 6 N.R. 225, page 230 :

         Pour que cette demande soit recevable, la requérante doit convaincre la Cour qu'il existe un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l'appel. [Non souligné dans l'original.]         

Association des consommateurs du Canada c. La Commission d'énergie hydro-électrique de l'Ontario (cas no 2) (1974), 2 N.R. 479, page 482 :

     [. . .] avant que la présente demande puisse être accueillie, la Cour doit être en mesure de déterminer s'il existe une question de droit ou de compétence particulière dont la réponse pourrait mener à l'annulation de la décision ou ordonnance attaquée. [Non souligné dans l'original.]         

[25]      Comme il convient que je le fasse en procédant au contrôle de la décision de la Commission, je suis guidé par les motifs sur lesquels cette décision s'appuie. La décision se lit comme si l'exercice auquel la Commission s'est livrée était une évaluation du fond de la décision du tribunal, plutôt que de la question de savoir si la Commission devait autoriser le demandeur à interjeter appel de la décision du tribunal. Il semble en partie que même si la décision du tribunal avait été évaluée selon le critère utilisé dans la procédure de contrôle judiciaire : [TRADUCTION] " les rapports médicaux [...] établissent que les conclusions du tribunal sont raisonnables " ; " la demande ne fait ressortir aucune erreur de principe de la part du tribunal ". Ailleurs dans la décision, c'est comme si un commissaire s'était prononcé sur le bien-fondé de la demande de pension d'invalidité présentée par le demandeur, plutôt que sur sa demande d'autorisation d'interjeter appel : [TRADUCTION] " la demande n'offre aucune nouvelle preuve qui pourrait faire pencher la balance en faveur d'un résultat différent ". Il semble donc que la décision du commissaire indique que celui-ci a assumé le rôle qu'aurait joué la Commission une fois l'autorisation accordée et après l'examen du fond de la demande.

[26]      J'ai été informé par l'avocat du demandeur que, lorsque l'autorisation est accordée dans des cas de ce genre, la nouvelle audience est un procès de novo, et donc que le demandeur peut soumettre à la Commission toute preuve additionnelle qui est pertinente, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la décision du tribunal, et qu'il n'est pas limité à produire uniquement la preuve déposée à l'appui de sa demande d'autorisation d'interjeter appel. En outre, un demandeur peut avoir droit à des prestations si la preuve établit l'existence de son invalidité à une date ultérieure à celle de la décision du tribunal. Par exemple, en l'espèce, le demandeur pourrait avoir droit à des prestations s'il peut établir que son invalidité existait à une époque antérieure au 1er janvier 1998. Le tribunal a rendu sa décision le 5 juin 1997. Je n'ai pas vérifié ces affirmations, mais l'avocat du défendeur ne s'y est pas opposé. Si elles sont exactes, elles sont une raison de plus d'adopter un seuil moindre à l'étape de l'autorisation d'interjeter appel que celui qui existe au niveau d'une audition sur le fond.

[27]      Quoi qu'il en soit, abstraction faite de l'exactitude de la procédure décrite ci-dessus, lorsque le motif d'une demande d'autorisation d'interjeter appel se fonde principalement sur l'existence d'une preuve additionnelle, à mon avis, la question qu'il faut se poser, c'est de savoir si la nouvelle preuve déposée à l'appui de la demande d'autorisation soulève un doute véritable quant à savoir si le tribunal serait parvenu à la décision qu'il a prise s'il avait été saisi de la preuve additionnelle.

[28]      J'ai donc conclu que le commissaire, en prenant la décision qui fait l'objet du présent contrôle, s'est posé la mauvaise question et qu'il a imposé un fardeau trop lourd au demandeur dans son évaluation de la demande d'autorisation d'appel. Pour les motifs précités, la décision est infirmée et la demande d'autorisation d'interjeter appel est renvoyée pour réexamen par un autre commissaire.

    

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 13 août 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1801-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Ronald Kerth c.

                         Canada (Ministre du Développement des

                         ressources humaines)

LIEU DE L'AUDIENCE :              Regina (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 28 juillet 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE REED


DATE : le 13 août 1999

ONT COMPARU :

James Ludwad                      POUR LE DEMANDEUR

Nicole Gendron                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Duchin, Bayda & Kroczynski              POUR LE DEMANDEUR

Avocats et procureurs

Regina (Saskatchewan)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa

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