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Date : 20020125

Dossier : T-1303-01

                                                                                                Référence neutre : 2002 CFPI 95

ENTRE :

                                             DETMAR GARNET DESJARLAIS

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

REPRÉSENTÉE PAR UN COMITÉ

DU CONSEIL PRIVÉ NOMMÉ LE 10 FÉVRIER 1877

PAR SON EXCELLENCE LE GOUVERNEUR

GÉNÉRAL DU CANADA, MAINTENANT

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE

DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

                                                                                                                                 défenderesses

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]         Les plaidoiries touchant la présente action ne sont pas encore closes. Cependant, le demandeur, qui agit pour son propre compte, soulève une question intéressante. Il souhaite obtenir une ordonnance voulant que la défenderesse, la Couronne en l'espèce, assume seule l'ensemble des dépens actuels et futurs. Cette demande vise essentiellement les dépens futurs puisque la présente action n'en est qu'à un stade très précoce.

[2]         Les moyens invoqués à l'appui de la requête visant à obtenir les dépens à l'avance sont les suivants : non seulement la défenderesse a-t-elle sciemment modifié les conditions énoncées dans le traité no 6 de 1876, mais elle a en outre omis de s'efforcer de régler la réclamation du demandeur, réclamation complexe qui intéresse notamment la modification du document constatant le traité no 6 et par laquelle on tente d'obtenir réparation tant sous la forme d'une douzaine de déclarations que de dommages-intérêts, y compris une réparation pour fraude. Le demandeur affirme donc que la défenderesse devrait être responsable, à l'avance, de toutes les dépenses qu'il engage.


[3]         Je conviens avec M. Desjarlais qu'une partie agissant pour son propre compte ne peut obtenir des honoraires d'avocat sous le régime des Règles de la Cour fédérale [voir par exemple l'arrêt Levigne c. Canada (1998), 229 N.R. 205, à la page 206 (C.A.F.)]. En effet, sous réserve de certains changements apportés aux règles en faveur des profanes, les dépens, qui s'apparentent à des honoraires afin de compenser les frais d'avocats, ont toujours été réservés aux cas où il y avait comparution d'un avocat. Évidemment, cela n'a pas pour effet de restreindre le droit d'un profane ayant obtenu gain de cause de réclamer des débours, y compris les menues dépenses engagées pour obtenir des conseils juridiques d'un avocat et, éventuellement, une indemnité pour une partie du temps consacré à faire valoir des intérêts juridiques : voir par exemple la décision Canada c. Kahn (1999), 160 F.T.R. 83, aux pages 89 et 90, rendue par Monsieur le juge Teitelbaum. Je vais maintenant me pencher sur le bien-fondé de la requête du demandeur.

[4]         Les dépens consistent en grande partie en une indemnité accordée à la partie qui a obtenu gain de cause et recouvrable de la partie déboutée, soit à la suite d'une étape de l'instance ou à la fin de celle-ci. Toutefois, le demandeur signale, avec raison, que la question des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[5]         Certes, la Cour a entière discrétion pour décider qui doit payer les dépens, ceux-ci suivant habituellement l'issue de la cause. Ce pouvoir doit néanmoins être exercé judiciairement, conformément à la jurisprudence et à la pratique établies. Si on laisse de côté pour l'instant la notion de cautionnement pour dépens, je dois préciser qu'à ma connaissance, il n'existe aucune décision pertinente de la Cour fédérale m'autorisant à accorder au demandeur, avant l'issue de l'instance et aux frais de la défenderesse, un chèque en blanc pour les dépens. De plus, les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles de la Cour fédérale, lesquels servent à orienter l'exercice du pouvoir en matière de fixation des dépens, sont de nature rétrospective. Il convient toutefois d'approfondir cette question.


[6]         L'avocate de la défenderesse me renvoie à la décision Westergard-Thorpe c. Canada (2000), 167 F.T.R. 101, dans laquelle Monsieur le juge McKeown, sans trancher ce point précis, mentionne qu'il doute avoir compétence pour adjuger des dépens à l'avance (page 104). Ce doute se fonde sur une observation faite par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, tribunal investi d'une compétence inhérente, dans l'arrêt Woodward's Limited c. Montreal Trust Co. of Canada (1993), 73 B.C.L.R. (2d) 342, selon laquelle :

[TRADUCTION] [D]ans une cause ordinaire, les frais et dépens, aussi bien ceux de l'appelant que ceux de l'intimé, sont incertains jusqu'au moment où le jugement est rendu. Je ne suis pas d'avis que les parties en l'espèce, aussi bien l'appelante que l'intimée, doivent être traitées différemment d'un autre avocat par la Cour. Cela revient à dire que si la Cour a compétence, ce dont je doute fortement, cette compétence ne peut être que discrétionnaire et je ne suis pas disposé à exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur de l'appelante. La question des frais et dépens sera réglée à la fin de l'appel (page 344).

[7] Tout ce qui précède fait abstraction de l'arrêt Davies c. Eli Lilly & Co., [1987] 1 W.L.R. 1136, dans lequel la Cour d'appel précise que rien n'empêche l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'adjuger des dépens avant la fin de l'instance.


[8]         L'arrêt Davies portait sur la règle 3(3) de l'ordonnance anglaise no 62. Cette règle prévoit que, si la cour exerce son pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance relative aux dépens d'une instance quelconque, ces dépens doivent suivre l'issue de la cause à moins que, dans les circonstances de l'affaire, une autre ordonnance ne soit indiquée. Dans l'arrêt Davies, le juge de première instance avait, à un stade précoce de l'instance, prononcé une ordonnance portant disjonction d'une cause d'action en vue de son instruction - il s'agissait en fait d'une cause type -, les quelques 1 500 autres parties demanderesses devant contribuer aux dépens au fur et à mesure du déroulement de cette cause type. La question en litige consistait à décider si la règle 3(3) de l'ordonnance no 62 interdisait à la Cour de rendre une ordonnance au sujet de dépens n'ayant pas encore été engagés. Chacun des juges de la Cour d'appel a prononcé des motifs distincts, tous concordant, selon lesquels le libellé de l'ordonnance et de la règle ne prohibe nullement l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'adjuger des dépens à un stade précoce de l'instance lorsque la justice l'exige. La déclaration la plus claire à cet égard est peut-être celle faite par le lord juge Balcombe, à la page 1146, voulant que l'ordonnance et la règle [traduction] « [...] ne s'intéressent pas au moment où une ordonnance relative aux dépens peut être rendue, mais seulement à la façon dont le pouvoir discrétionnaire doit être exercé [...] » .

[9]         Notre règle analogue, le paragraphe 400(1) des Règles de la Cour fédérale, dispose :

Pouvoir discrétionnaire de la Cour - La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.


Cette règle se prête à la même analyse que celle effectuée dans l'arrêt Davies. Elle confère un pouvoir discrétionnaire quant au montant et à la répartition des dépens et quant à la détermination des personnes qui doivent les payer. Par contre, le paragraphe 400(1) des règles n'empêche pas la Cour d'adjuger des dépens, à l'avance, dans les situations appropriées. Les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des règles, dont il faut tenir compte lors de l'exercice de ce pouvoir, sont sans doute de nature rétrospective, mais leur examen est facultatif. Il est fort possible que la Cour fédérale, même s'il s'agit d'un tribunal créé par la loi, jouisse d'une compétence implicite, par opposition à une compétence inhérente, lorsqu'il lui faut rendre à un stade précoce une décision relative aux dépens, dans la mesure où cette décision est nécessaire pour permettre à la Cour d'exercer sa compétence expresse. Or, en l'espèce, à la lumière de toutes les circonstances de l'affaire, je n'ai pas à trancher la question de la compétence pour rendre une décision quant au paiement de dépens à l'avance : une telle ordonnance serait prématurée.

[10]       Le juge McKeown n'avait pas lui non plus à décider de la question de la compétence de la Cour fédérale d'adjuger des dépens à l'avance. Il a plutôt, à la page 105 de l'arrêt Westergard-Thorpe, exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant d'adjuger des dépens à l'avance, que ce soit à titre conditionnel ou non.


[11]       Comme je l'ai dit, j'ai examiné la thèse de M. Desjarlais. Certains des points qu'il soulève ne sont pas sans inspirer la compassion. Il fait notamment valoir que, compte tenu de sa situation financière, les débours engagés au titre de la présente action seront une source de difficultés. Si on laisse de côté la question de la compassion, Monsieur le juge Addy a mentionné, dans la décision Solosky c. La Reine, [1977] 1 C.F. 663, que les dépens ne doivent faire l'objet d'aucun traitement particulier et que la capacité de payer ne doit pas constituer un facteur déterminant, que des dépens soient ou non adjugés - dans cette affaire, la Cour a condamné le demandeur débouté à payer les dépens. Il faut plutôt examiner le bien-fondé de l'affaire elle-même, soit en réalité l'issue de la cause (voir la page 671). M. Desjarlais se préoccupe également d'un retard apparent. À mon avis, il n'y a eu aucun retard déraisonnable dans la présente instance. Dans la mesure où il y a eu du retard, et j'insiste sur le fait que, jusqu'ici, celui-ci était minime, cette situation est au moins en partie attribuable au fait que M. Desjarlais, maintenant contre sa volonté semble-t-il, a été désigné comme défendeur dans une instance qui paraît être un dédoublement de la présente action. Le demandeur a donc pris des dispositions pour faire fixer la date de présentation d'une demande de sursis visant la présente action ainsi que la date de présentation d'une requête en radiation de l'autre action. Si je comprends bien, il demande, à titre subsidiaire, des précisions ainsi que la prorogation du délai prescrit pour déposer une défense. De surcroît, des problèmes mineurs sont survenus au moment de communiquer avec M. Desjarlais, ce qui a entraîné l'ajournement d'une conférence de gestion des instances antérieure jusqu'à ce que le greffe ait pu déterminer comment joindre M. Desjarlais. Ces retards de peu d'importance sont peut-être déplorables, mais ni eux ni la situation financière de M. Desjarlais n'ont une incidence directe, en droit, sur l'adjudication de dépens à l'avance. Le demandeur soutient également avoir droit à des dépens à l'avance parce que sa cause est bien fondée. Cependant, au stade actuel de l'instance, le demandeur n'a pas encore prouvé le bien-fondé de sa thèse et, tant que ce ne sera pas fait, ce qui est énoncé dans la déclaration et dans l'affidavit du demandeur demeure de simples allégations.


[12]       Enfin, même si un demandeur peut obtenir un cautionnement pour dépens d'un défendeur, cette mesure ne s'applique que dans les cas où le défendeur présente une demande reconventionnelle, comme il est prévu à l'article 415 des règles.

[13]       La requête visant à obtenir des dépens à l'avance, soit en réalité une indemnité pour dépens payable à l'avance, est prématurée et rejetée.

        « John A. Hargrave »

                                                                                                                        Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 25 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        T-1303-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Detmar Garnet Desjarlais c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 25 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              MONSIEUR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   Le 25 janvier 2002

COMPARUTIONS:

Garnet Desjarlais

Plaideur en personne                                                                  POUR SON PROPRE COMPTE

Leanne Young

Ministère de la Justice                                                                  POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Plaideur en personne                                                                  POUR SON PROPRE COMPTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                              POUR LES DÉFENDERESSES

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