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Date : 19980519


Dossier : IMM-4898-96

ENTRE :

     EMMANUEL SOLIS,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE CAMPBELL

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'avis d'un représentant du ministre en date du 5 décembre 1996 selon lesquels Emmanuel Solis (le " requérant ") constituait un danger pour le public conformément au sous-alinéa 46.01(1)e )(iv), à l'alinéa 53(1)d) et au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration (la " Loi ").

A.      Les faits à l'origine du litige

[2]      Le requérant, qui est né le 26 décembre 1976, a quitté le Guatemala pour arriver au Canada avec sa famille en 1986 et a obtenu le statut d'immigrant reçu le 22 novembre 1990.

Depuis 1992, le requérant a été reconnu coupable de différentes infractions pénales, dont voici un résumé :1


DATE

ACCUSATION

PEINE

5 mars 1992

(Tribunal pour adolescents)

Introduction par effraction dans un dessein criminel

Probation 1 an

5 février 1993

(Tribunal pour adolescents)

(1)      Vol qualifié
(2)      Port d'arme

(1) 18 mois de garde en milieu fermé et 18 mois de probation

(2) 18 mois de garde en milieu fermé conc. et 18 mois de probation conc.

16 mars 1994

(Tribunal pour adolescents)

(1)      Vol qualifié
(2)      Voies de fait

(1)-(2) 4 mois de garde en milieu fermé dans un établissement pour adultes pour chaque chef d'accusation conc. et conc. à la peine purgée et probation de deux ans pour chaque chef d'accusation conc.

23 mars 1994

(1)      Vol qualifié
(2)      Port d'arme
(3)      Illégalement en liberté

(1)-(2) 2 ans pour chaque chef d'accusation conc. et conc. à la peine purgée et interdiction d'avoir en sa possession des armes à feu, des munitions ou des explosifs pendant 10 ans.

21 décembre 1995

(1)      Introduction par effraction dans un dessein criminel et vol
(2)      Vol

(1) 18 mois pour chaque chef d'accusation conc. mais conc. à la peine purgée

(2) 1 an conc.

[3]      Compte tenu des déclarations de culpabilité prononcées contre le requérant en 1994, une enquête a été tenue le 30 novembre 1994 devant un arbitre de l'immigration, qui a conclu que le requérant était une personne visée au sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi. L'arbitre a donc pris une mesure d'expulsion conditionnelle contre le requérant conformément au paragraphe 32.1(4) de la Loi. Le requérant a alors demandé le statut de réfugié et a également interjeté appel de la mesure d'expulsion devant la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la " Section d'appel ").

[4]      Dans une lettre datée du 24 avril 1996, le requérant a été avisé que l'intimé examinerait la question de savoir si le requérant constitue un danger pour le public conformément au paragraphe 70(5) et au sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi. Le requérant a également été invité par cette lettre à formuler des observations au ministre. Cette lettre a plus tard été remplacée par une autre lettre en date du 17 septembre 1996, qui visait à informer le requérant que l'intimé examinerait la question de savoir s'il constituait un danger pour le public conformément au paragraphe 70(5), au sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) et à l'alinéa 53(1)d) de la Loi. La seconde lettre faisait état des éléments sur lesquels le ministre se fonderait et donnait au requérant un délai de quinze jours suivant la date de réception de la lettre pour présenter des observations.

[5]      Des observations ont été formulées au nom du requérant. Le 5 décembre 1996, un représentant du ministre a conclu que le requérant constituait un danger pour le public conformément à chacune des trois dispositions susmentionnées. Le processus décisionnel suivi dans le cas du requérant a fait l'objet d'un contrôle judiciaire serré et le jugement en l'espèce concerne la dernière demande présentée.2

B.      Questions liées à l'équité procédurale

     1.      Lacune touchant l'avis et la documentation

[6]      L'argument du requérant sur ce point est fondé sur le fait que l'avis en date du 17 septembre 1996 comportait uniquement des copies de 26 documents ainsi que la mention selon laquelle [TRADUCTION] " le ministre pourra en tenir compte " pour en arriver à une opinion, sans aucune indication de la raison de leur pertinence.3 En réalité, le requérant soutient que, même si son cas est bien exposé dans les documents, les questions précises à trancher ne sont pas indiquées, si bien qu'il doit deviner quels sont les points au sujet desquels il devrait fournir des explications dans la réponse à l'avis.

[7]      En plus de cet argument concernant l'insuffisance de l'avis, le requérant soutient que deux documents pertinents que le ministre a examinés ne lui ont pas été envoyés, soit un [TRADUCTION] " rapport sur l'avis du ministre " en date du 31 juillet 1996, dans lequel l'avis au premier palier est exprimé au sujet de la question du danger,4 et une note interne en date du 3 mars 1995 contenant un avis sur les conditions du pays au Guatemala.5

[8]      En ce qui a trait à l'argument portant sur l'insuffisance de l'avis, l'avis au premier palier est cité comme preuve des questions que le ministre devait examiner et aurait donc dû être envoyé au requérant pour que celui-ci soit informé des éléments à commenter dans la réponse. Le Guide de l'immigration - procédures d'immigration (IP) qui est utilisé pour la préparation des avis de danger et qui exige la communication complète de tous les éléments pertinents au requérant est cité au soutien de cet argument.

[9]      La politique relative à la communication complète est pertinente et compatible avec les exigences liées à l'équité procédurale, mais la question de savoir si les lacunes soulevées en l'espèce constituent un motif au sujet duquel je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire dépend des faits de l'affaire. Je n'accorde aucune importance à cet argument en l'espèce.

[10]      En ce qui a trait à la question du danger pour le public, une lecture des quelque 34 pages de documents qui ont été envoyés au requérant indique assez clairement les points au sujet desquels des explications devaient être fournies. Ces questions sont citées de façon assez précise dans l'avis au premier palier :

     [TRADUCTION] Même si le sujet était âgé de 15 ans lorsqu'il a commis le vol qualifié le 16 novembre 1993, il a subi son procès devant un tribunal pour adultes et a purgé sa peine dans un établissement fédéral pour adultes; lors du vol commis le 16 novembre 1993, le sujet a tenu un couteau près de la poitrine de la victime et l'a amenée dans un véhicule qui s'est éloigné de l'endroit où le vol avait eu lieu; au cours d'une entrevue menée par des membres de la police de Winnipeg, le sujet a fait des déclarations qui ont incité les agents à croire qu'il pouvait devenir un délinquant dangereux et tuer un policier s'il avait d'autres démêlés avec la police; le sujet ne semblait pas éprouver de remords par suite de ses gestes.6         

[11]      Le fait que cet avis n'a pas été inclus dans les documents envoyés au requérant ne nuit nullement à la cause de celui-ci, car il énonce simplement ce qui ressort clairement de la lecture des documents fournis. Compte tenu de l'évidence des questions qui devaient être commentées dans toute réponse à l'avis de danger, j'estime que le requérant n'a nullement été privé de la possibilité de fournir une réponse entière du fait qu'il n'a pas reçu cet avis.

[12]      Dans la réponse qui a été donnée à l'avis, au lieu de fournir une réponse complète aux faits invoqués, l'avocat du requérant a décidé de formuler les remarques suivantes :

     [TRADUCTION] En plus de ces documents, je demande au représentant du ministre de tenir compte du fait que M. Solis juge impossible de répondre de façon précise, parce qu'aucun élément de la lettre du 24 avril n'indique la raison pour laquelle il peut être considéré comme un danger pour le public. Pour être traité de façon équitable, le requérant doit être avisé non seulement de la possibilité qu'un avis de danger soit délivré à son sujet, mais aussi de la raison pour laquelle cet avis pourrait être délivré à son sujet. Il est nécessaire que la lettre de notification établisse un lien entre les faits applicables au cas du requérant et le risque de danger public. Ce lien n'a pas été établi en l'espèce.         
     La lettre renvoie aux documents joints. Aucun des documents en question n'indique que M. Solis constitue un danger pour le public. Les seuls renseignements qui sont défavorables à la cause de M. Solis sont les renseignements concernant les déclarations de culpabilité prononcées à son endroit.7         

Toutefois, à mon avis, aucun renseignement supplémentaire n'était nécessaire, parce que le lien est évident d'après les documents fournis, qui indiquent clairement en quoi le requérant pourrait être considéré comme un danger pour le public.

[13]      Pour que la politique relative à la communication soit pleinement respectée, il aurait probablement fallu que la note interne soit envoyée au requérant. Toutefois, étant donné que le document contient des renseignements qui ont tendance à appuyer la demande du requérant fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, parce qu'il décrit le climat de violence, de corruption et de violation des droits de la personne qui régnait au Guatemala à l'époque où il a été rédigé, j'estime que cette omission ne nuit pas à la cause du requérant. Je refuse donc d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à invoquer cette omission.

2.      Arguments ignorés

[14]      Le requérant soutient qu'il appert des propos suivants de la demande d'avis en date du 6 décembre 1997 que l'agent de réexamen a commis une erreur susceptible de révision, étant donné que la deuxième lettre de réponse du requérant n'a pas été prise en compte :

     [TRADUCTION] Bien que l'avocat n'ait envoyé aucune observation écrite concernant spécifiquement les risques auxquels ce sujet s'exposerait s'il retournait au Guatemala, d'autres observations formulées au soutien de sa cause, notamment une lettre en date du 24 septembre 1996 du Mennonite Central Committee, indiquent que le terrorisme et les violations des droits de la personne étaient encore importants au Guatemala en 1995 et soulèvent des préoccupations entourant les risques auxquels sont exposés les réfugiés qui retournent au pays...8 [non souligné dans l'original]         

[15]      En fait, la partie en italique est exacte. Voici le texte de la deuxième réponse en date du 7 novembre 1996, que l'avocat du requérant a rédigée :

     [TRADUCTION] Vous trouverez sous pli des renseignements supplémentaires concernant l'avis de danger public.9         

À la lettre était jointe une déclaration dans laquelle la mère du requérant fournissait des renseignements détaillés sur les violations des droits de la personne dont sa famille avait fait l'objet au Guatemala avant de s'enfuir au Canada en 1986. Mis à part l'argument incomplet cité dans la [TRADUCTION] " demande visant à obtenir l'avis du ministre ", l'agent de réexamen s'est attardé à la situation du pays. Je n'accorde donc aucune importance à cet argument.

C.      Questions d'ordre constitutionnel

[16]      L'avocat du requérant a signifié un avis portant que la validité, l'applicabilité ou les conséquences du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration seraient débattues au motif que la disposition en question va à l'encontre des articles 6, 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.10

     1.      Article 6

[17]      Voici le texte de cette disposition :

     Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir. [non souligné dans l'original]         

[18]      La mesure dans laquelle le requérant peut invoquer ce droit dépend de la question de savoir s'il est un " citoyen du Canada " en qualité de résident permanent. Au soutien de cette conclusion, le requérant invoque l'argument suivant :

     [TRADUCTION]         
     A. Droit de demeurer au Canada         
     1. Le requérant soutient que le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration va à l'encontre de l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, compte tenu des faits de la présente affaire, et qu'il est inopérant.         
     Paragraphe 52(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.         
     2. L'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés confère à tout citoyen le droit de demeurer au Canada.         
     3. Le Parlement ne peut préciser en quoi consiste la citoyenneté, faute de quoi cette disposition n'aura aucun effet de contrôle sur le Parlement.         
     4. La Constitution du Canada représente la loi suprême du pays.         

     Paragraphe 52(1).

     5. La Charte canadienne des droits et libertés s'applique au Parlement du Canada à l'égard de toutes les questions qui relèvent de sa compétence.         

     Paragraphe 32(1).

     6. Étant donné que la Charte constitue la loi suprême du pays et qu'elle renferme la notion de citoyenneté, il doit y avoir une notion constitutionnelle de citoyenneté qui représente la loi suprême au pays et à l'encontre de laquelle peut être évaluée la conception de la citoyenneté que le Parlement a établie dans les lois du Canada. Dans la mesure où le Parlement cherche à nier la citoyenneté et à permettre le renvoi d'une personne qui, selon la Constitution, est un citoyen, il commet un manquement à l'article 6 de la Charte.         
     7. Aux États-Unis, les tribunaux ont statué que la conception de la citoyenneté selon la constitution a un sens pouvant être différent du sens prévu dans la législation. En conséquence, les tribunaux ont déclaré inconstitutionnelles différentes dispositions législatives autorisant la révocation de la citoyenneté :         
     Trop v. Dulles 356 U.S. 86 (1958) (C.S. É.-U.)         
     Kennedy v. Mendoza-Martinez 372 U.S. 144 (1953) (C.S. É.-U.)         
     Chneider v. Rusk 377 U.S. 163 (1964) (C.S. É.-U.)         
     Afroyim v. Rusk 387 U.S. 253 (1967) (C.S. É.-U.)         
     Vance v. Terrazas 444 U.S. 252 (1980) (C.S. É.-U.)         
     8. Le sens de tout droit ou liberté garanti par la Charte canadienne des droits et libertés est déterminé par une analyse de l'objet de cette garantie et interprété à la lumière des droits qu'elle vise à protéger.         
     R. c. Big M. Drug Mart (1958), 18 C.C.C. (3d) 385 (C.S.C.)         
     Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B. (1985), 23 C.C.C. (3d) 289, p. 299 (C.S.C.)         
     Hunter c. Southam (1984), 14 C.C.C. (3d) 97, p. 106 (C.S.C.)         
     9. Les droits reconnus par la Charte sont des droits de la personne. L'objet de la Charte et de chacune de ses dispositions consiste à protéger et à promouvoir les droits de la personne. Les droits que la Charte vise à protéger sont les droits à la dignité, à la confiance en soi et à l'épanouissement personnel.         
     10. Un des droits de la personne qui constitue un élément essentiel de l'être humain est le droit de chacun de vivre en société avec les autres membres de sa propre culture, de sa propre langue et de sa propre religion. C'est ce droit qui est protégé par le droit de demeurer au Canada.         
     Voir également l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.         
     11. Le droit de demeurer au pays est inscrit dans la Charte pour empêcher le Parlement et le gouvernement du Canada d'expulser une personne qui fait partie de la société canadienne. La Charte permet à une personne qui fait partie de la société canadienne de demeurer au Canada et de vivre en société avec les autres Canadiens.         
     12. La question de savoir si une personne fait ou non partie de la société canadienne aux fins de l'article 6 de la Charte ne peut dépendre d'un texte législatif car, si tel était le cas, la Charte demeurerait assujettie au contrôle du Parlement. À l'inverse, c'est plutôt le Parlement qui est assujetti au contrôle fondé sur la Charte. La question de savoir si une personne fait partie de la société canadienne aux fins de l'article 6 de la Charte est une question de fait.         
     13. Étant donné qu'aux fins de la Charte, la question de la citoyenneté est une question de fait, la décision portant sur la question de savoir si une personne peut invoquer la Charte en qualité de citoyen varie selon les faits de chaque cas. Les facteurs à prendre en compte pour décider si une personne est un citoyen aux fins de la Charte sont les questions suivantes :         
         a) La personne est-elle née au Canada?         
         b) La personne a-t-elle déjà eu la citoyenneté en vertu de la loi?         
         c) Quels sont les liens familiaux, culturels et linguistiques de la personne avec le Canada?         
         d) Le refus de la citoyenneté canadienne ferait-il de la personne un apatride?         
         e) Si la personne est née à l'extérieur du Canada, à quel âge est-elle arrivée au Canada?         
         f) Pendant combien de temps la personne est-elle restée au Canada, notamment au cours de ses années formatrices?         
     14. Ainsi, dans une situation extrême, une personne qui est née à l'extérieur du Canada, qui n'a jamais eu la citoyenneté canadienne selon une loi du Canada, qui n'a aucun lien familial, culturel ou linguistique avec le Canada, qui est citoyenne d'un autre pays, qui est arrivée au Canada à l'âge adulte et qui n'a passé qu'une petite partie de sa vie au Canada n'est pas visée par l'article 6 de la Charte.         
     15. À l'inverse, une personne qui est née au Canada, qui a déjà eu la citoyenneté canadienne dans le passé, qui a des liens familiaux, culturels et linguistiques avec le Canada, qui n'est citoyenne d'aucun autre pays et qui n'est jamais restée à l'extérieur du Canada serait visée par la protection de l'article 6 de la Charte, même si elle ne possède pas la citoyenneté à l'heure actuelle en vertu de la loi.         
     16. Dans les autres situations se trouvant entre ces deux extrêmes, les tribunaux devront décider dans chaque cas si la personne est un citoyen aux fins de l'article 6 de la Charte en tenant compte des facteurs énumérés.11         

     En réponse, l'intimé invoque l'argument suivant :

     [TRADUCTION] La citoyenneté a toujours été une question relevant de l'interprétation d'un texte législatif. L'article 6 de la Charte offre certaines protections aux personnes qui ont ce statut reconnu par la loi. Les protections offertes par l'article 6 s'appliquent à une catégorie de personnes visée par un texte législatif : l'article 6 n'a pas créé en soi une nouvelle catégorie.         
     Même si le requérant soutient que le mot " citoyen " de l'article 6 de la Charte a un sens plus large que celui qui lui est donné dans les lois fédérales, il n'a pu citer aucune autorité appuyant une définition du " citoyen " qui s'appliquerait à lui. Le requérant n'a cité aucune autorité canadienne appuyant une définition du " citoyen " qui serait plus large que le sens ordinaire du mot " citoyen ", soit une personne qui s'est vu conférer les droits de la citoyenneté aux termes d'une loi fédérale pertinente. Si l'on tentait de donner au mot " citoyen " un sens non prévu dans les dispositions législatives fédérales, le mot perdrait toute signification.         

     ...

     La Cour suprême du Canada a déjà examiné la question des droits reconnus à l'article 6 par rapport à l'expulsion d'une personne qui est un résident permanent. Dans l'arrêt Chiarelli, le juge Sopinka, qui a prononcé les motifs de la Cour, s'est exprimé en ces termes :         
         Donc, pour déterminer la portée des principes de justice fondamentale en tant qu'ils s'appliquent en l'espèce, la Cour doit tenir compte des principes et des politiques qui sous-tendent le droit de l'immigration. Or, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer...                 
         La distinction entre citoyens et non-citoyens est reconnue dans la Charte. Bien que le par. 6(2) accorde aux résidents permanents le droit de se déplacer dans tout le pays, d'établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens ont le droit "de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir", que garantit le par. 6(1).                 
         Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer.                 
     M.E.I. c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711.         
     La Cour suprême du Canada a donc examiné la question de l'expulsion des résidents permanents à la lumière de l'article 6 de la Charte et a indiqué clairement que le Parlement n'est effectivement pas en mesure d'édicter une loi régissant les conditions dans lesquelles les personnes qui ne sont pas des citoyens seront autorisées à demeurer au Canada, malgré la présence de l'article 6 de la Charte. Par conséquent, l'adoption du paragraphe 70(5) de la Loi et son application à la présente espèce et à tout autre cas ne font rien de plus que ce que l'intimé peut faire d'après ce que la Cour suprême du Canada a déjà confirmé.12         

[19]      J'accepte d'emblée les arguments de l'intimé, qui constituent une réponse concise et efficace aux arguments du requérant, et il n'est donc pas nécessaire que je m'attarde sur cette question. En conséquence, je rejette ce motif de contestation.

2.      Article 7

[20]      Voici le texte de cette disposition :

     Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.         

[21]      L'applicabilité de ce droit a apparemment été réglée par la décision que la Section d'appel de la Cour fédérale a rendue dans l'arrêt Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Williams,13 où la première question certifiée à laquelle la Cour devait répondre est la suivante : " le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration fait-il intervenir les droits à la liberté et/ou à la sécurité de la personne conformément à l'article 7 de la Charte? " La Cour a répondu par la négative à cette question.

[22]      L'avocat du requérant a soutenu que l'arrêt Williams peut être distingué du cas du requérant, parce qu'il ne peut être invoqué que pour les questions qu'il a eu pour effet de trancher et non pour les autres questions. En effet, selon le requérant, étant donné que les principales questions soulevées dans l'affaire Williams portaient sur le caractère imprécis et l'absence de motifs, son application touche uniquement ces arguments. De plus, si j'ai bien compris, le requérant allègue que l'arrêt Williams se limite aux avis concernant les " non-réfugiés " et, étant donné que le ministre a donné un avis fondé sur le sous-alinéa 46.01(1)e )(iii), qui concerne en réalité le statut de réfugié du requérant, celui-ci ne fait pas partie de la catégorie des " non-réfugiés " et n'est donc pas visé par l'arrêt Williams .

[23]      La réponse à la question certifiée de l'arrêt Williams ne comportait aucune condition. Par conséquent, je refuse de croire que l'argument du requérant me permet de franchir l'obstacle imposé par cet arrêt. Je rejette donc ce motif de contestation.


     3.      Article 12

[24]      Voici le libellé de cette disposition :

     Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.         

[25]      Le requérant invoque l'argument suivant au sujet de ce droit :

     [TRADUCTION] Le requérant fait valoir que la décision selon laquelle il constitue un danger public représente un traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés . La Commission doit décider dans chaque cas si, d'après les faits sous études, le traitement représente un traitement cruel et inusité. Le requérant fait valoir que la délivrance d'un certificat de danger public dans les circonstances particulières de la présente affaire représente une mesure cruelle et inusitée.         
     Dans l'arrêt Canepa, la Cour d'appel fédérale a statué que, pour que soit respectée l'interdiction, selon la Charte, de faire subir un traitement cruel et inusité aux personnes qui ont des liens profondément enracinés avec le Canada, il doit y avoir un " examen prudent et équilibré de la demande de l'appelant de demeurer au Canada, ... sur le plan équitable plutôt que légal ", semblable à celui que fait la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.         
     Canepa c. M.E.I. (1992), 93 D.L.R. (4th) 589, p. 599.         
     ... Le requérant a des liens profondément enracinés avec le Canada, étant donné qu'il est ici depuis 1990 comme immigrant reçu. Il a avec lui au Canada sa mère, quatre soeurs et quatre frères. Dans ces circonstances, il serait démesuré de l'expulser sans procéder à un examen prudent et équilibré de sa demande de demeurer au Canada, sur le plan équitable plutôt que légal, lequel examen serait semblable à l'examen que fait la Section d'appel de la Commission d'appel de l'immigration et du statut de réfugié et est exigé par la Charte, selon la Cour d'appel fédérale.         
     Le requérant fait valoir que, sur le plan constitutionnel, l'avis de danger public ne peut être utilisé que pour les personnes qui n'ont aucun lien profond avec le Canada. Il devient inévitablement plus difficile de contrebalancer les facteurs d'ordre humanitaire avec la criminalité lorsqu'une personne a des liens profondément enracinés avec le Canada. Cet équilibre ne peut être atteint que dans le cadre d'une audience devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui peut entendre les témoins et évaluer la crédibilité, ce qui ne peut être fait dans le cadre d'une procédure écrite.14         

[26]      L'intimé fait valoir qu'il n'y a pas lieu d'accorder d'importance à l'argument du requérant, parce que le litige porte sur l'avis du ministre qui est fondé sur le paragraphe 70(5) et non sur la mesure d'expulsion. De plus, l'intimé allègue que, si le paragraphe 70(5) ne fait pas intervenir les droits à la liberté et/ou la sécurité de la personne conformément à l'article 7 de la Charte, il ne peut y avoir manquement au droit reconnu à l'article 12 de la Charte.

[27]      Je souscris aux arguments de l'intimé et fais miennes les remarques que le juge Rothstein a formulées lorsqu'il a examiné une contestation semblable touchant le paragraphe 70(5) dans l'arrêt Gillespie c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration :15 [TRADUCTION] " Je ne puis voir aucun lien entre la délivrance d'un avis de danger et l'existence d'un traitement cruel et inusité au sens où cette expression est employée à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés ". En conséquence, je rejette également ce motif de contestation.

     4.      Article 15

[28]      Voici le libellé de cette disposition :

     La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.         

[29]      L'argument du requérant est énoncé en ces termes dans " l'avis d'une question constitutionnelle " :

     [TRADUCTION] Le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration est incompatible avec l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et est inopérant. Il offre en effet des garanties insatisfaisantes à l'encontre de l'emploi des procédures d'expulsion accélérées qui y sont énoncées pour des motifs qui sont prohibés par l'article 15 de la Charte, comme la discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion. Étant donné que, dans le passé, le Canada s'est rendu coupable à maintes reprises de discrimination contre les immigrants, laquelle discrimination était fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion, tant dans les lois qu'il a adoptées en matière d'immigration que dans la façon dont il a administré lesdites lois, ces protections sont nécessaires pour que les lois en question soient valables. La disposition législative est également incompatible avec l'article 15 de la Charte, parce qu'elle n'offre pas aux résidents permanents qui sont visés par une demande de désignation comme personnes constituant un danger public les mesures de protection qu'elle offre aux autres groupes de personnes (notamment les personnes qui souffrent d'une déficience mentale et qui sont détenues au gré du lieutenant-gouverneur après avoir été reconnues non coupables d'un acte criminel pour cause d'aliénation mentale). La disposition va également à l'encontre de l'article 15 de la Charte, parce qu'elle établit une distinction fondée sur une caractéristique personnelle, soit le fait que la personne a commis un acte criminel.         

[30]      Le critère à appliquer pour décider s'il y a eu manquement à l'article 15 est celui que Madame le juge McLaughlin a établi dans l'arrêt Miron c. Trudel :16

     L'analyse fondée sur le par. 15(1) comporte deux étapes. Premièrement, le demandeur doit démontrer qu'il y a eu négation de son droit " à la même protection " ou " au même bénéfice " de la loi qu'une autre personne. Deuxièmement, le demandeur doit démontrer que cette négation constitue une discrimination. Pour établir qu'il y a discrimination, le demandeur doit prouver que la négation repose sur l'un des motifs énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue et que le traitement inégal est fondé sur l'application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe, bien que, dans de rares cas, des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou des motifs analogues peuvent, à l'examen, se révéler non discriminatoires. Une fois que la violation du par. 15(1) est établie, il y a alors déplacement de la charge de la preuve et la partie qui cherche le maintien de la loi, habituellement l'État, doit établir la justification de cette discrimination conformément à l'article premier de la Charte .         

[31]      À mon avis, il est impossible que la deuxième partie de l'argument soit retenue. En effet, même s'il est prouvé d'une façon ou d'une autre qu'il y a eu négation du droit du requérant " à la même protection " ou " au même bénéfice " de la loi, il ne peut être établi à mon sens que le refus est fondé sur un motif mentionné à l'article 15 ou sur un motif analogue. Le motif invoqué, soit le fait qu'il s'agit d'un " résident permanent ayant commis un acte criminel ", ne peut respecter ce critère. Par conséquent, je rejette également ce motif de contestation.

D.      Conclusion

[32]      Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande est rejetée.

E.      Questions certifiées

[33]      Le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit :

     83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application " règlements ou règles " ne peut être porté en appel devant la Cour d'appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.         

[34]      Dans l'arrêt Liyanagamage c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),17 la Cour d'appel fédérale a mentionné que, pour qu'une question grave de portée générale puisse être certifiée en application du paragraphe 83(1), les conditions suivantes doivent exister :

     ... le juge des requêtes doit être d'avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [voir l'excellente analyse de la notion d'" importance " qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLed, Young, Weir Ltd. et al. , (1986) 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l'Ontario)], et qu'elle est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel. Le processus de certification qui est visé à l'article 83 de la Loi sur l'immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d'obtenir, de la Cour d'appel, des jugements déclaratoires à l'égard de questions subtiles qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.         

[35]      Par suite de la communication aux avocats du projet des présents motifs, après avoir reçu des observations au sujet des questions qui respectent le critère énoncé dans l'arrêt Liyanagamage, je certifie les questions suivantes :

     1. Le mot " citoyen " de l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés a-t-il un sens différent de celui qui lui est reconnu par la loi? Dans l'affirmative, un avis fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration va-t-il à l'encontre d'un droit reconnu par l'article 6?
     2. Peut-il y avoir manquement à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu'il n'y a pas manquement à l'article 7 de celle-ci? Dans l'affirmative, un avis fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration va-t-il à l'encontre du droit reconnu par l'article 12?

                             Douglas R. Campbell

                                     J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-4898-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Emmanuel Solis c. Ministre de la Citoyenneté et

                     de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :          18 février 1998

ORDONNANCE ET MOTIFS DU JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :              19 mai 1998

ONT COMPARU :

Me David Matas                  POUR LE REQUÉRANT

Me Sharlene Telles-Langdon          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me David Matas                  POUR LE REQUÉRANT

Winnipeg (Manitoba)

Me George Thomson                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      Dossier du requérant, p. 17.

2      Le 9 décembre 1996, avant qu'une décision concernant le statut de réfugié soit prise et avant que l'appel interjeté devant la Section d'appel de l'immigration soit entendu, le ministre a délivré les avis de danger en question. Après la délivrance desdits avis, un agent d'immigration supérieur a conclu que le requérant n'était pas admissible à présenter une demande de statut de réfugié en raison de l'avis de danger fondé sur l'article 46.01. Cette conclusion a donné lieu à une demande d'autorisation visant à présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à l'égard de cette décision. L'autorisation a été refusée (dossier IMM 9-97). Le 23 juin 1997, l'appel du requérant devant la Section d'appel a été rejeté pour cause d'absence de compétence en raison de l'avis de danger fondé sur le paragraphe 70(5). Le requérant a présenté une demande d'autorisation en vue de déposer une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision. Sa demande d'autorisation a été refusée le 12 décembre 1997 (dossier IMM-3217-97). Toutefois, avant que cette décision soit prise, le requérant a été expulsé le 21 juillet 1997. Cette expulsion est survenue après le rejet de la demande de sursis que le requérant avait présentée à la Cour, celle-ci ayant conclu à l'absence de preuve établissant un préjudice irréparable qui justifierait l'octroi du sursis.

3      Dossier du tribunal, p. 39.

4      Ibid, p. 36 à 38.

5      Ibid, p. 34 et 35.

6      Ibid, p. 36 à 38.

7      Ibid, p. 74.

8      Ibid, p. 5.

9      Ibid, p. 104.

10      Après les plaidoiries concernant les dispositions suivants de la Charte, il a été convenu que, si j'estimais qu'une contestation fondée sur la Charte était justifiée, j'accorderais à l'intimé une autre occasion de présenter des arguments relatifs à l'article premier de la Charte. Pour les raisons indiquées ci-après, cette mesure n'est pas nécessaire.

11      Dossier du requérant, p. 89 à 91.

12      Mémoire supplémentaire de l'intimé, p. 4 et 5.

13      [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.).

14      Dossier du requérant, p. 103 et 104.

15      Décision non publiée, IMM 1046-96, 20 octobre 1997.

16      [1995] 2 R.C.S. 418, p. 485.

17      Liyanagamage c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4, p. 5 (C.A.F.).

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