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     T-1497-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 AOÛT 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED

E n t r e :

     LE CHEF ARTHUR M. MANUEL et LES CONSEILLERS

     BONNIE ANDREW, RICHARD MANUEL,

     PATRICK ADRIAN, FRANK DENAULT et ROGER SAULS,

     en leur nom personnel et au nom des

     membres de la BANDE DE NESKONLITH,

     requérants.

     et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     et

     FISHERIES COUNCIL OF BRITISH COLUMBIA,

     SPORTS FISHING INSTITUTE OF BRITISH COLUMBIA,

     B.C. WILDLIFE FEDERATION,

     MARINE TRADES ASSOCIATION,

     CAMPBELL RIVER GUIDES ASSOCIATION,

     intervenants.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR la requête en date du 15 juillet 1997 présentée pour le compte des requérants en vue d'obtenir une ordonnance en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, une ordonnance provisoire suspendant l'application des ordonnances de modification prises le 2 juillet 1997 et les remplaçant par une ordonnance judiciaire interdisant la rétention et la possession de saumons cohos pris dans le cadre de la pêche sportive tant que la Cour n'aura pas tranché définitivement ladite requête, qui a été entendue les 28 et 29 juillet et au sujet de laquelle une réponse a été déposée le 1er août 1997 :


     REJETTE la requête en injonction provisoire.

     B. Reed

                                         J U G E

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

     T-1497-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 AOÛT 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED

E n t r e :

     LE CHEF ARTHUR M. MANUEL et LES CONSEILLERS

     BONNIE ANDREW, RICHARD MANUEL,

     PATRICK ADRIAN, FRANK DENAULT et ROGER SAULS,

     en leur nom personnel et au nom des

     membres de la BANDE DE NESKONLITH,

     requérants.

     et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     et

     FISHERIES COUNCIL OF BRITISH COLUMBIA,

     SPORTS FISHING INSTITUTE OF BRITISH COLUMBIA,

     B.C. WILDLIFE FEDERATION,

     MARINE TRADES ASSOCIATION,

     CAMPBELL RIVER GUIDES ASSOCIATION,

     intervenants.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR la requête présentée le 23 juillet 1997 au nom de l'intimé en vue d'obtenir, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, des articles 6 et 317 et du paragraphe 320(2) des Règles de la Cour fédérale une ordonnance prescrivant que la présente demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action ou, à titre subsidiaire, une ordonnance prorogeant en vertu de l'article 1614 des Règles du 11 août au 31 décembre 1997 le délai imparti à l'intimé pour déposer son affidavit, laquelle requête a été entendue par voie de vidéoconférence le 6 août 1997 :

     1.      REJETTE la requête;
     2.      ENJOINT aux intervenants de présenter au plus tard le 15 août 1997 toute requête portant sur les éléments de preuve complémentaires qu'ils pourraient vouloir présenter. La date du début de l'audition de la demande de contrôle judiciaire a été fixée au 21 août et l'intimé a jusqu'au 20 août pour déposer son dossier de demande.

     B. Reed

                                         J U G E

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

     T-1497-97

E n t r e :

     LE CHEF ARTHUR M. MANUEL et LES CONSEILLERS

     BONNIE ANDREW, RICHARD MANUEL,

     PATRICK ADRIAN, FRANK DENAULT et ROGER SAULS,

     en leur nom personnel et au nom des

     membres de la BANDE DE NESKONLITH,

     requérants.

     et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     et

     FISHERIES COUNCIL OF BRITISH COLUMBIA,

     SPORTS FISHING INSTITUTE OF BRITISH COLUMBIA,

     B.C. WILDLIFE FEDERATION,

     MARINE TRADES ASSOCIATION,

     CAMPBELL RIVER GUIDES ASSOCIATION,

     intervenants.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

     Les requérants ont intenté une action en contrôle judiciaire de quatre décisions prises par le directeur général de la région du Pacifique du ministère des Pêches et Océans. Les décisions en question sont des ordonnances de modification qui imposent des limites à la pêche du saumon coho. Les requérants cherchent à obtenir l'annulation de ces décisions au motif que la personne qui a pris les décisions en question n'a pas tenu compte d'un fait pertinent, à savoir les droits ancestraux des requérants, ou n'en a pas tenu suffisamment compte. Ils soutiennent que si le directeur avait tenu compte de leurs droits ancestraux, les restrictions imposées à la pêche au saumon coho auraient été plus sévères. En plus de demander l'annulation des ordonnances de modification, les requérants demandent à la Cour d'ordonner, à titre de mesure temporaire, que la pêche sportive du saumon coho soit pratiquée exclusivement selon le principe de la remise à l'eau des captures. Bien qu'ils ne le précisent pas dans leur demande de contrôle judiciaire, les requérants demandent également le prononcé d'une ordonnance interdisant toute augmentation des prises fortuites de saumon coho que les pêcheurs commerciaux sont autorisés à prendre. Les prises fortuites sont des poissons (en l'occurrence, le saumon coho) faisant l'objet d'une pêche accidentelle par des pêcheurs qui recherchent d'autres espèces (par ex., le saumon sockeye). Comme la saison de la pêche au saumon coho est déjà en cours, les requérants demandent une injonction provisoire en vue d'obtenir les réparations susmentionnées en attendant que la demande principale puisse être entendue. L'intimé cherche à obtenir que la demande des requérants soit transformée en action et que le délai qui lui est imparti pour déposer des affidavits en réponse soit reporté au 31 décembre 1997. Les requérants demandent que le délai qui leur est imparti pour déposer des documents au sujet de leur demande soit abrégé et que leur demande soit entendue de façon urgente.

LA DEMANDE D'INJONCTION PROVISOIRE

     Les requérants font valoir qu'ils ont le droit ancestral de pêcher le saumon coho dans certaines eaux de la rivière Thompson et que ce droit est constitutionnellement reconnu par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils affirment que l'intimé est de ce fait tenu de gérer les pêches en se fixant comme première priorité la conservation des stocks et comme deuxième priorité la protection du droit des requérants de prendre la quantité de saumon coho dont ils ont besoin à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales. La pêche du saumon coho par d'autres personnes devient donc la troisième priorité.

     Les ordonnances que le directeur régional a prises et dont on demande l'annulation ont été prises en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement de pêche (dispositions générales)1. Ces ordonnances limitent la quantité de saumon coho qui peut être prise au cours de la saison de pêche actuelle. Les requérants affirment que les ordonnances ont été prises sans tenir compte de l'obligation à laquelle l'intimé est tenu envers eux, laquelle obligation découle de leurs droits ancestraux.

     Pour pouvoir obtenir une injonction provisoire, il faut, comme pour toute injonction interlocutoire, prouver qu'un préjudice irréparable sera causé si l'injonction n'est pas accordée. Les critères applicables sont énoncés dans l'arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores, [1987] 1 R.C.S. 110. Je m'attacherai aux éléments de preuve se rapportant au préjudice irréparable.

     Au coeur de la demande d'injonction provisoire se situent les affidavits souscrits par des biologistes. Il semble que le contenu de ces affidavits soit contesté. Les requérants ont déposé l'affidavit souscrit le 30 mai 1997 par M. Michael Galesloot, biologiste au Tribunal des pêches. Sont joints à cet affidavit des documents obtenus du ministère des Pêches et Océans (le Ministère). Parmi ceux-ci se trouve une note de service écrite en 1994 par M. Neil Shubert, biologiste aménagiste, au sujet des stocks de saumon coho de cette année-là. Le saumon de 1994 est le stock géniteur qui revient cette année. On trouve également des données qui font état de la diminution des stocks de saumon coho, ainsi qu'une note de service écrite le 11 mars 1997 par M. Ken Wilson, qui était à l'époque biologiste aménagiste au Ministère. Dans cette note de service, M. Wilson affirme que le saumon coho de la rivière Thompson est en voie de disparition et que la seule mesure compatible avec le mandat de conservation du Ministère et avec les obligations internationales et constitutionnelles du Canada consiste à interdire complètement la pêche sélective du saumon coho dans la rivière Thompson, ainsi que l'interdiction de possession et de rétention des prises fortuites de saumon coho.

     Les ordonnances de modification qui sont contestées dans la présente demande, les ordonnances nos 1997-341, 1997-342, 1997-343 et 1997-344, ont été prises le 2 juillet 1997. Elles imposent des restrictions visant à réduire les prises totales de saumon coho par rapport aux prises permises les années précédentes. Ainsi que M. Graham, le directeur de la section de gestion du Pacifique au Ministère l'a expliqué, ces restrictions sont les suivantes :

     [TRADUCTION]         
     i.      aucune pêche sélective du saumon coho dans le Sud de la C.-B.;         
     ii.      la limite de capture quotidienne imposée aux pêcheurs sportifs sur la côte ouest de l'île de Vancouver et dans le détroit de Juan de Fuca passera de quatre à deux saumons cohos;         
     iii.      la limite de capture quotidienne imposée aux pêcheurs sportifs dans l'axe fluvial du Fraser passera de quatre à zéro;         
     iv.      imposition de périodes et de zones de fermeture pour la pêche sportive pour réduire la présence de saumons cohos;         
     v.      mise en place de programmes intensifs de contrôle des prises pour évaluer de près l'efficacité des mesures de restriction et pour déterminer si d'autres mesures devraient être imposées au cours de la saison de la pêche.         

     M. Galesloot a déposé un affidavit daté du 17 juillet 1997 dans lequel il a déclaré qu'à son avis, suivant son expérience et ses observations personnelles et les données du Ministère, les ordonnances de modification n'empêcheraient pas un nombre important de saumons cohos de la rivière Thompson d'être capturés par les pêcheurs sportifs maritimes. Il déclare en effet :

     Ces interceptions augmenteront la probabilité que de nombreux stocks de coho ne remontent pas en nombre suffisant les affluents de la Thompson pour frayer et, de ce fait, le nombre minimal cible visé pour l"échappée (fixé par Pêches et Océans Canada) ne sera pas respecté. À part la fermeture du Fraser et celle de certaines zones à la pêche sportive en mer, ce qui peut réduire jusqu"à un certain point la mortalité du coho de la Thompson, la pêche sportive demeure entièrement permise dans des zones où on sait qu"elle aura des effets sur le coho de la Thompson.         

     Les requérants ont également déposé un affidavit, daté du 16 juillet 1997, souscrit par David Ellis, planificateur et conseiller en ressources, dans lequel ce dernier fait état de la baisse spectaculaire des stocks de coho. Il affirme que la pêche sportive du coho aura de graves effets négatifs sur le coho de la Thompson, alors qu"elle pourrait être pratiquée de façon sélective de façon à ne pas affecter le stock de cette rivière, et que le système de surveillance utilisé par le MPO pour établir le nombre de cohos capturés est inapproprié et sous-financé.

     En réponse à la demande d"injonction provisoire, l"intimé a déposé un affidavit souscrit par Ron Kadowski, daté du 20 juillet 1997. M. Kadowski, biologiste responsable de l"évaluation des stocks au MPO, est chargé de la gestion des programmes d"évaluation des stocks de saumon dans la zone concernée. Trois affidavits souscrits par Bud Graham (datés respectivement du 23, du 24 et du 28 juillet 1997) ont aussi été déposés de même qu"un affidavit, souscrit le 25 juillet 1997 par M. Luedke, biologiste chargé de l"évaluation des stocks de saumon à la Division de l"évaluation des stocks pour la côte ouest de l"île de Vancouver.

     M. Kadowski conteste l"exactitude des thèses de M. Wilson et de M. Ellis. Il s"interroge sur la capacité de M. Wilson à tirer des conclusions sur les obligations internationales et constitutionnelles du Canada. Selon lui, M. Wilson ne possède pas les compétences nécessaires pour se prononcer sur le risque d"extinction de poissons comme le coho, alors que le MPO dispose de biologistes spécialistes de ce domaine. Il signale qu"il partage la préoccupation de M. Wilson au sujet du déclin des stocks de coho, et le point de vue de ce dernier selon lequel il faut faire en sorte que le niveau de ces stocks ne descende pas au-dessous de leur niveau actuel. Il soutient que les mesures introduites visent cet objectif. M. Kadowski fait valoir que l"affidavit de M. Ellis comporte de nombreuses erreurs et incohérences, notamment son affirmation concernant l"importance de la pêche sportive du stock de coho ces dernières années et ses répercussions sur ce stock. Il contredit l"affirmation de M. Ellis selon laquelle il serait possible de concevoir la pêche sportive du coho de manière à limiter les prises de coho de la Thompson et non celles des autres stocks de coho. M. Kadowski explique la méthode par laquelle on a choisi un taux d"exploitation de 20 à 25 % pour 1997, et affirme ce qui suit :

     ...Pour 1997, on a choisi un taux d"exploitation de 20 à 25 %. Ce taux permettra d"éviter que le nombre de géniteurs dans une proportion donnée des cours d"eau du bassin ne descende au-dessous d"un niveau pré-établi, appelé " seuil d"échappée ". L"échappée correspond au nombre de cohos adultes qui échappent aux différentes pêches (autochtones, commerciales et récréatives) et réussissent à remonter jusqu"aux frayères.         
     12.      Les biologistes du MPO chargés des évaluations ont pris en compte différents seuils d"échappée, chacun représentant un aspect différent du scénario. Une échappée supérieure à 9 femelles par kilomètre ensemencerait entièrement les habitats disponibles, et cette valeur est proche des valeurs qui maximiseraient la production. La non-atteinte de ce niveau n"est toutefois pas jugée nuisible pour la production à long terme. D"après les biologistes du MPO, une échappée d"une femelle par kilomètre est considérée comme un minimum absolu, et il est recommandé de fixer le taux d"exploitation cible de manière à ce que toutes les populations se situent au-dessus de ce minimum. Toutefois, même si ce taux est considéré comme un minimum absolu, deux populations de cohos ayant fait l"objet d"une étude poussée se sont rétablies rapidement alors que les échappées étaient tombées à 1 femelle par kilomètre. Les biologistes ont recommandé aux gestionnaires des pêches du MPO de choisir un taux d"exploitation du coho qui permettra à presque toutes les populations d"avoir une échappée d"au moins 3 femelles par kilomètre.         
     13.      Pour établir la valeur d"un taux d"exploitation, on calcule quelle proportion des populations devrait réussir à atteindre un seuil d"échappée donné si ce taux était appliqué. Dans le cas des populations de coho du détroit de Géorgie et du Fraser (y compris le bassin hydrographique de la Thompson) qui sont à l"étude, on estime que le taux d"exploitation de 20 % à 25 % adopté par le MPO pour la saison de pêche de 1997 aura les effets suivants :         
         i)      environ 50 % de ces populations auront des échappées d"au moins 9 femelles par kilomètre, c"est-à-dire qu"environ la moitié des cours d"eau seront entièrement ensemencés;
         ii)      environ 90 % de ces populations auront des échappées d"au moins 3 femelles par kilomètre; et
         iii)      toutes ces populations auront des échappées d"au moins 1 femelle par kilomètre.
     ....
     19.      Pour 1997, dans le cas du coho du sud de la Colombie-Britannique, le MPO a établi qu"un taux d"exploitation de 20 à 25 % peut protéger le stock adéquatement tout en permettant son exploitation par les Autochtones, et en autorisant une certaine activité de pêche sportive et l"exploitation commerciale d"autres espèces de saumon. Grâce à ce régime d"exploitation, 8 300 à 26 400 cohos pourront échapper aux différentes pêches et remonter la Thompson pour frayer.         
     20.      Contrairement au paragraphe 21 de l"affidavit de M. Ellis, le maintien de la pêche sportive du coho en 1997 aura très peu d"effets sur le coho de la Thompson.         

     M. Graham fait valoir également que le taux d"exploitation permis en vertu des ordonnances de modification protégera suffisamment les stocks de coho, notamment celui de la Thompson. Messieurs Graham et Luedke décrivent le système de surveillance utilisé par le MPO et indiquent qu"il est satisfaisant et adéquatement financé. Il y a une certaine ambiguïté dans l"affidavit susmentionné de M. Kadowski, en particulier en ce qui concerne le sens donné à " un minimum absolu ". Toutefois, faute de contre-interrogatoire du déposant, je ne suis pas prête à interpréter cette expression comme l"a proposé l"avocat des requérants. (On trouve la même formulation dans le document présentant le plan de gestion intégré du saumon coho du sud de la Colombie-Britannique.

     Pour obtenir une injonction provisoire, le requérant doit démontrer qu'il subirait un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas prononcée. Le problème auquel est confrontée la Cour en l'espèce est que la preuve, qui a été déposée sous forme d'affidavit, n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire, qu'elle est contradictoire et qu'en ce qui concerne la question du préjudice irréparable, elle penche à première vue tout autant en faveur de l'intimé qu'en faveur des requérants. (Je laisse de côté les problèmes de compétence que soulève par ailleurs le fait pour la Cour de prononcer ce qui constitue en réalité un ordre de gestion donné aux intimés plutôt qu'un jugement déclaratoire). Il m'est impossible de conclure que les requérants se sont acquittés du fardeau qui leur incombait en l'espèce.

FIXATION DE LA DATE D'AUDITION DE LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE - TRANSFORMATION EN ACTION?

     Je passe maintenant aux deux requêtes qui ont été entendues par vidéoconférence le mercredi 6 août 1997. L'avocat de l'intimé sollicite, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale et de l'article 1614 des Règles de la Cour fédérale, le prononcé d'une ordonnance transformant la présente demande en une action et prorogeant au 31 décembre 1997 le délai imparti à l'intimé pour produire ses documents. Les intervenants appuient la position de l'intimé. L'avocate des requérants a pour sa part déposé une requête visant à faire abréger le délai imparti à l'intimé pour produire ses documents et à obtenir l'audition urgente de la demande de contrôle judiciaire. Les documents de l'intimé doivent présentement être déposés au plus tard le 11 août 1997, aux termes de l'article 16 des Règles. La pêche sportive au saumon coho est à son apogée à la fin d'août et en septembre.

     L'avocat de l'intimé soutient qu'il y a de bonnes raisons d'instruire la présente demande comme s'il s'agissait d'une action. La nature et l'ampleur des droits ancestraux sont en litige en l'espèce, ce qui nécessite l'audition de témoins, notamment de témoins experts, par exemple des anthropologues et des historiens. Une question constitutionnelle complexe est en cause et la Cour est davantage en mesure de résoudre ce genre de question si elle dispose d'un cadre factuel complet. L'avocat de l'intimé affirme qu'il est nécessaire d'entendre longuement des témoins experts au sujet de la question de savoir si les ordonnances prises par le Ministère sont suffisantes pour atteindre les objectifs de conservation visés. L'avocat ajoute que la Cour voudra voir et entendre ces témoins pour apprécier leur crédibilité. De plus, l'ampleur du dossier à partir duquel les décisions en question ont été prises est assez floue, étant donné qu'il ne s'agit pas de décisions rendues par un tribunal, lesquelles s'accompagnent d'une transcription et comportent une preuve clairement définie.

     L'avocate des requérants a déposé des documents à l'appui de la revendication de droits ancestraux de ses clients lorsqu'elle a déposé la demande de contrôle judiciaire. Elle ne demande pas la permission de verser d'autres documents au dossier. Elle fait remarquer que l'intimé savait que ses clients envisageaient depuis un certain temps la possibilité d'engager une action en justice et que l'intimé n'a pas encore déposé de document pour contester l'assertion de ses clients. Je suis persuadée que, si quelqu'un doit subir un préjudice du fait de la non-présentation des éléments de preuve détaillés au sujet des droits ancestraux en litige, ce sont les requérants. S'ils désirent procéder en fonction des pièces déjà versées au dossier, on ne devrait pas leur imposer la tenue d'un procès.

     L'avocate des requérants soutient que la présente affaire n'est pas complexe sur le plan des faits, mais qu'elle est complexe sur le plan juridique. Selon elle, les questions en litige sont claires : (1) ses clients possèdent un droit ancestral; (2) ce droit impose à l'intimé l'obligation de gérer la pêche du saumon coho dans la rivière Thompson d'une certaine façon, c'est-à-dire en accordant la priorité aux droits autochtones et, de façon concomitante, à la conservation des stocks; (3) les décisions qui ont été prises par le directeur régional l'ont été sans tenir compte des droits ancestraux des requérants et de l'obligation à laquelle le Ministère était tenu envers eux; (4) étant donné que les ordonnances de modification ont été prises sans tenir compte d'un facteur pertinent, elles devraient être modifiées; (5) étant donné que l'annulation des ordonnances de modification remettrait en vigueur un régime qui protège moins les droits de ses clients que le régime qui existait en vertu des ordonnances de modification, la Cour devrait, à titre de mesure provisoire et jusqu'à ce que le Ministère prenne une nouvelle décision, prononcer une injonction interdisant aux pêcheurs sportifs de pêcher le saumon coho.

     Ainsi qu'il a été précisé plus haut, les requérants ont déjà produit les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent à l'appui des droits ancestraux qu'ils font valoir. Ils doivent établir le bien-fondé des droits qu'ils revendiquent pour avoir la qualité pour contester les décisions qu'ils cherchent à faire annuler pour les motifs qu'ils invoquent. J'ai précisé que je ne crois pas que les requérants devraient être obligés de transformer leur demande en action pour permettre à la Cour d'avoir un dossier factuel plus complet au sujet des droits ancestraux revendiqués, s'ils ne désirent pas le faire. L'intimé ne m'a pas persuadé qu'il subira un préjudice si les requérants procèdent par affidavit.

     Le deuxième moyen ci-dessus articulé est un moyen de droit. C'est sur le fondement de la jurisprudence que son bien-fondé sera établi ou non. L'existence et la portée de cette obligation sont déterminantes pour la demande des requérants. Le troisième moyen a un fondement factuel très étroit et, de fait, une grande partie des éléments de preuve se rapportant à cette question semblent se trouver dans les affidavits qui ont été déposés en réponse à la demande d'injonction provisoire. Le quatrième moyen est lui aussi en grande partie un moyen de droit : c'est une conclusion de droit qui découle des conclusions tirées au sujet des autres moyens. Aucun de ces moyens n'exige que la demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

     L'avocat de l'intimé soutient que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être transformée en action parce qu'il est nécessaire d'entendre des témoignages d'experts détaillés au sujet des mesures de conservation prises par le Ministère pour démontrer à la Cour que ces mesures sont suffisantes. L'importance de ces témoignages dépend toutefois de la portée de l'obligation, s'il en est, à laquelle l'intimé est tenu envers les requérants. Cette obligation consiste-t-elle à gérer la pêche et les stocks de poissons de façon à répondre aux besoins des autochtones avant que qui que ce soit d'autre ne soit autorisé à prendre du poisson? Consiste-t-elle à gérer les stocks de manière à protéger le saumon coho de la rivière Thompson contre l'extinction? La réponse à la question de savoir si les ordonnances de modification constituent des mesures de conservation suffisantes dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire des requérants en découle. Il peut également être pertinent de se demander si la Cour accorderait l'injonction demandée (le premier moyen précité) en supposant qu'elle décide qu'il convient de prendre ce type de mesure plutôt que de prononcer un jugement déclaratoire. Le différend factuel qui porte sur la question de savoir si les mesures de conservation sont suffisantes pourrait également être pertinent à tout argument que l'intimé pourrait invoquer pour affirmer que, même si le Ministère a pris les décisions en question sans tenir compte des droits ancestraux des requérants et de l'obligation à laquelle il était tenu envers eux, il s'agit, du point de vue du droit administratif, d'une erreur sans importance, étant donné que des mesures de conservation suffisantes ont été prises. Dans ce cas, les décisions ne pourraient pas être annulées.

     L'avocat de l'intimé estime nécessaire de produire de nombreux affidavits d'experts pour expliquer comment les taux d'exploitation de la saison 1997 ont été fixés et la raison pour laquelle ils sont jugés suffisants pour conserver les stocks de la rivière Thompson. L'avocate des requérants affirme qu'elle n'a pas l'intention de se fonder sur d'autres documents que ceux du Ministère. Elle soutient que le contenu et le caractère déraisonnable des décisions ressortent à l'évidence des documents du Ministère lui-même.

     Comme dans toute demande de contrôle judiciaire, les décisions qui ont été prises sont contestées en fonction des documents dont disposait la personne qui a pris la décision, où moment où elle l'a prise. En ce qui concerne les paramètres incertains du dossier et des documents qui devraient en faire partie, certains de ces documents ont déjà été identifiés dans les affidavits qui ont été déposés pour appuyer ou réfuter la demande d'injonction provisoire. L'intimé a évidemment la possibilité de joindre d'autres documents de même nature à ses affidavits. Les requérants ont précisé dans leur avis de requête ce qu'ils estiment être le dossier sur lequel ils se fonderont (comme le prévoit l'article 1613 des Règles de la Cour fédérale).

     Le fait qu'à la fin du procès, la demande des requérants serait sans objet (par ex., en raison du fait que l'intimé demande que la Cour proroge au 31 décembre 1997 le délai qui lui est imparti pour déposer ses documents) est fort préoccupant lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu ou non de faire droit à la requête visant à instruire la demande de contrôle judiciaire comme s'il s'agissait d'une action, malgré la volonté des requérants. Le saumon revient tous les trois ans. La décision prise au sujet des stocks de l'année en cours ne peut s'appliquer à la saison 1998. La saison de la pêche sportive est à son apogée à la fin d'août et en septembre. Les ordonnances contestées n'ont été prises contre l'intimé que le 2 juillet 1997. De fait, les requérants ne pourraient obtenir de réparation, même s'ils obtenaient gain de cause, si on les obligeait à procéder par voie d'action. De plus, l'avocate des requérants affirme qu'elle et ses clients ont choisi une instance en contrôle judiciaire non seulement pour éviter les délais qui accompagnent l'instruction d'une action, mais aussi pour limiter les frais de justice. Elle affirme que ses clients ne peuvent se permettre un long procès auquel ils devraient consacrer beaucoup de temps et qu'ils ne devraient pas être forcés de procéder de cette façon alors qu'ils ont choisi de procéder par voie de contrôle judiciaire. Ce sont là des arguments convaincants.

     Par ces motifs, la requête présentée par l'intimé en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi et de l'article 1614 des Règles sera rejetée. Les délais prescrits par les articles 1606, 1607, 1608 et 1609 des Règles seront abrégés. Les requérants ont déjà déposé leurs documents conformément à l'article 1603 des Règles. L'intimé devra produire ses affidavits au plus tard le 11 août 1997 comme l'exige l'article 1603 des Règles; le délai prévu à cet article ne sera pas abrégé. Les requérants devront déposer le dossier de leur demande au plus tard le 14 août 1997 et l'intimé devra déposer le dossier de sa demande au plus tard le 19 août 1997. Il sera loisible aux requérants et à l'intimé de modifier ces dates, de consentement, à condition que tous les dossiers de demande soient déposés au plus tard le 20 août 1997.

     L'audition de la présente demande de contrôle judiciaire commencera le 21 août à 9 h, à Vancouver, et se poursuivra le 22 août. La Cour demande aux avocats de répartir de façon équitable entre eux le temps dont ils disposent. Je suggère aux avocats d'ouvrir le débat en abordant la question de l'existence, de la portée et de la nature des droits ancestraux, ainsi que celle de l'existence, de la portée et de la nature de l'obligation à laquelle l'intimé était tenu, en la personne du directeur régional, où moment où il a pris les ordonnances de modification. Cette suggestion ne saurait lier le juge qui entendra la demande et n'est pas censée le lier, mais elle peut constituer une façon utile de limiter le débat en fonction du temps disponible, étant donné que, lorsque la portée de l'obligation aura été délimitée, la mesure dans laquelle les ordonnances de modification respectent ou non cette obligation est susceptible d'être évidente.

     Il reste un dernier point à aborder. Le 21 juillet 1997, le juge Campbell a accordé aux intervenants la qualité pour intervenir à l'instance. Dans cette ordonnance, il a déclaré que [TRADUCTION] " tout élément de preuve à être présenté par un des intervenants fera l'objet d'une ordonnance de la Cour sur demande présentée après le dépôt du dossier de l'intimé ". J'interprète cette disposition comme signifiant que les intervenants n'ont pas obtenu, aux termes de cette ordonnance, le droit de produire des éléments de preuve supplémentaires, mais que si l'un d'entre eux voulait le faire, il devait présenter à la Cour une demande en vue d'obtenir une ordonnance lui permettant de le faire après le dépôt du dossier de la demande des intimés. Les délais qui ont depuis été fixés en ce qui concerne le dépôt du dossier de la demande de l'intimé et l'audition de la demande rendent cette disposition caduque. Les intervenants connaissent maintenant les documents sur lesquels les requérants se fondent. Ils ont déjà été déposés. Ils sauront le 11 août 1997 sur quels documents l'intimé se fondra. Pour leur accorder une possibilité réaliste de demander d'ajouter des documents à ceux que les parties ont portés à la connaissance de la Cour, et pour éviter une situation qui obligerait le juge qui entend la demande au fond à consacrer du temps pour déterminer si des documents supplémentaires devraient être admis, les intervenants doivent présenter cette demande à la Cour au plus tard le 15 août 1997. Je constate qu'il s'agit du genre de questions sur lesquelles les avocats peuvent, avec un peu de bonne volonté, s'entendre entre eux, pour permettre une audition efficace et rapide sur le fond.

     B. Reed

                                         J U G E

Ottawa (Ontario)

Le 8 août 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1497-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le chef Arthur M. Manuel et autres
                     et
                     Procureur général du Canada
                     et
                     Fisheries Council of British Columbia et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
                     Ottawa (Ontario)
DATES DE L'AUDIENCE :      28 et 29 juillet 1997
                     6 août 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Reed le 8 août 1997

ONT COMPARU :

     Me Karen Wristen                  pour les requérants
     Me Paul Partridge                  pour l'intimé
     Me Nancy South
     Me Christopher Considine              pour l'intervenant
     Me Jacqueline Beltgens              Sports Fishing Institute of British Columbia
     Me Keith Lowes                  pour l'intervenant
                             Fisheries Council of British Columbia

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Sierra Legal Defence Fund              pour les requérants
     Vancouver (C.-B.)
     George Thomson                  pour l'intimé
     Sous-procureur général du Canada
     Ottawa (Ontario)
     Considine & Company              pour l'intervenant
     Victoria (C.-B.)                  Sports Fishing Institue of British Columbia
     Me Keith Lowes                  pour l'intervenant
                             Fisheries Council of British Columbia
__________________

1      6.(1) Lorsqu'une période de fermeture, un contingent ou une limite de taille ou de poids de poisson est fixé pour une zone par un des règlements énumérés au paragraphe 3(4), le directeur général régional peut, par ordonnance, modifier la période de fermeture, le contingent ou la limite pour cette zone ou pour toute partie de cette zone.

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