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Date : 20001023


Dossier : IMM-4477-99

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 23 OCTOBRE 2000

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE ROTHSTEIN


ENTRE :


     JIAN SEI XUE

    

     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     ORDONNANCE

     POUR les motifs énoncés,

     IL EST ORDONNÉ QUE :

1.      Le contrôle judiciaire est rejeté.



Marshall Rothstein

J.C.A.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 octobre 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.





Date : 20001023


Dossier : IMM-4477-99



ENTRE :



     JIAN SEI XUE

    

     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE ROTHSTEIN (ex officio)


[1]      Le présent contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié porte sur la question de la protection de l'État. Le demandeur n'a pas cherché à obtenir la protection de l'État en Chine. La Commission a conclu qu'il était raisonnable de croire que le demandeur aurait obtenu la protection de l'État s'il s'était adressé à un bureau de lutte à la corruption en Chine. C'est sur cette base que la Commission a rejeté la revendication de statut de réfugié du demandeur.

[2]      Le demandeur soutient que la Commission a commis trois erreurs :

     1.      la Commission ne pouvait logiquement conclure que le demandeur aurait dû solliciter la protection de l'État alors que les services de police avaient émis un « avis de recherche » à son sujet;
     2.      la Commission n'a pas évalué le peu de résultats des tentatives de lutte à la corruption du gouvernement chinois;
     3.      la Commission lui a imposé une norme de preuve plus élevée que celle de la prépondérance des probabilités.

[3]      La Commission a accepté le fait que la participation du demandeur à des manifestations visant des fonctionnaires corrompus pouvait être perçue comme l'expression de sentiments à l'encontre du gouvernement. Malgré la légèreté de la preuve portant sur l' « avis de recherche » qui aurait été émis par des policiers corrompus au sujet du demandeur, la Commission a accepté comme un fait l'émission d'un tel avis. Toutefois, la Commission a conclu que le gouvernement chinois faisait de sérieuses tentatives pour éliminer la corruption des fonctionnaires et qu'il y avait peut-être jusqu'à 37 000 bureaux de lutte à la corruption en Chine. Un de ces bureaux est situé dans le voisinage de la résidence du demandeur et celui-ci en connaissait l'existence. Le demandeur déclare qu'il n'a pas voulu s'adresser au bureau de lutte à la corruption par crainte de représailles. La Commission a conclu que ce témoignage n'était pas crédible. Elle déclare ceci :

[traduction]
Au vu de la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu que vous aviez en fait à craindre des représailles et que c'est cette crainte qui a fait que vous ne vous êtes pas adressé à un des bureaux de lutte à la corruption. Si je rejette cette partie de votre témoignage, c'est que selon votre propre narration vous n'aviez pas peur de participer à une manifestation et de crier des slogans attaquant la corruption. Puisque vous étiez disposé à crier des slogans, je ne trouve pas qu'il soit plausible qu'alors que vous étiez disposé à risquer des représailles dans ce contexte vous auriez eu peur de vous plaindre à un bureau de lutte à la corruption.

Il n'y a rien d'illogique dans le raisonnement de la Commission. La conclusion de la Commission que l'explication donnée par le demandeur pour justifier le fait qu'il ne se soit pas adressé au bureau de lutte à la corruption n'était pas crédible n'a rien de déraisonnable.

[4]      La Commission a été saisie d'une preuve documentaire portant que les initiatives du gouvernement chinois pour combattre la corruption sont encore inadéquates et trop faibles pour l'éliminer. Toutefois, le document en question fait état de 900 000 plaintes présentées par des citoyens et visant des fonctionnaires en 1997. Il y est question de 3 700 ou de 37 000 bureaux de lutte à la corruption, ces chiffres différents se trouvant dans des rapports différents. La Commission a fait état de ce document dans ses motifs, sans toutefois parler expressément de la faiblesse des initiatives de lutte à la corruption. Il n'est pas nécessaire que la Commission fasse état de manière détaillée de tous les renseignements qui sont contenus dans la preuve documentaire. Le fait qu'il y ait bon nombre de bureaux de lutte à la corruption en Chine, dont l'un dans le voisinage de la résidence du demandeur dont il connaissait l'existence, suffisait pour que la Commission puisse conclure que ce dernier aurait pour le moins dû s'adresser au bureau de lutte à la corruption. Même si la Commission ne traite pas directement de la preuve qui ferait état de la faiblesse des initiatives de lutte à la corruption, je ne peux dire que la conclusion de la Commission que le demandeur aurait au moins pu s'adresser au bureau de lutte à la corruption soit déraisonnable.

[5]      Je vais maintenant traiter de la norme de preuve. La Commission a expliqué son point de vue sur la question de la norme de preuve de la façon suivante :

[traduction]
Selon moi, cette réclamation tourne autour de la question de la protection de l'État. Selon les précédents et la doctrine, les États sont présumés capables de protéger leurs citoyens sauf dans des situations où il y a une désagrégation complète de l'État. Cette présomption peut être réfutée par une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection. C'est cet aspect du droit portant sur la protection de l'État qui permet de trancher cette affaire puisque, sur cette question, je dois avoir une preuve claire et convaincante.

[6]      Jusque là, la Commission paraphrase le critère permettant de déterminer la capacité ou l'incapacité d'un État à protéger ses citoyens, qui est énoncé dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 724 :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection.

[7]      Toutefois, la Commission ajoute ceci :

[traduction]
En d'autres mots, pour conclure que l'État ne pouvait protéger le demandeur je dois être convaincu et non seulement persuadé au vu de la prépondérance des probabilités.

Ce faisant, la Commission semble vouloir expliquer comment elle appliquerait le critère de l'arrêt Ward voulant que la présomption qu'un État devrait être capable de protéger ses citoyens peut être réfutée par un demandeur au moyen d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection.

[8]      Le demandeur soutient que la Commission a fait une erreur en lui imposant un fardeau de preuve plus élevé que celui de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[9]      Dans The Law of Evidence in Canada, (2d ed., 1999), Sopinka, Lederman et Bryant abordent la question de la norme de preuve en matière civile aux paragraphes 5.41 à 5.47. Bien qu'à première vue la réponse semble peu controversée, savoir que la norme applicable en matière civile est celle de la prépondérance des probabilités, la question n'est pas si claire puisqu'il semble y avoir deux théories ou deux points de vue sur cette question. L'un de ces points de vue veut qu'il n'y ait pas de norme variable ou de base en matière civile permettant de diverger de la norme de preuve selon la prépondérance des probabilités. Comme le juge en chef Laskin l'indique dans l'arrêt Continental Insurance Company c. Dalton Cartage Ltd., [1982] 1 R.C.S. 164, à la p. 171 :

Je n'estime pas que ce point de vue [de lord Denning dans Bater v. Bater, [1952] 2 All E.R. 458, à la p. 459] s'écarte du principe d'une norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités ni qu'il appuie une norme variable. La question dans toutes les affaires civiles est de savoir quelle preuve il faut apporter et quel poids lui accorder pour que la cour conclue qu'on a fait la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

Sopinka, Lederman et Bryant citent les motifs du juge Dixon dans Sodeman v. R., [1936] C.L.R. 192, aux p. 216 et 217 (Aust. H.C.), en indiquant qu'ils résument bien ce point de vue.

[traduction]
En common law, à distinguer du droit ecclésiastique, on ne trouve pas de troisième norme de persuasion. Toutefois, les questions de fait sont de nature très variée et dans certains cas il faudra porter plus d'attention à l'examen de la preuve que dans d'autres, ce qui implique qu'on puisse rechercher une plus grande clarté dans la preuve. Toutefois, chaque question doit en définitive être tranchée par l'utilisation de l'une ou l'autre de ces normes [savoir, la preuve selon la prépondérance des probabilités ou la preuve hors de tout doute raisonnable].

[10]      L'autre point de vue est exprimé par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, à la p. 137, savoir que la preuve selon la prépondérance des probabilités est une catégorie très large qui comporte différents degrés de probabilité.

La norme générale applicable en matière civile comporte différents degrés de probabilité qui varient en fonction de la nature de chaque espèce : voir Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases (Toronto: 1974), à la p. 385. Comme l'explique lord Denning dans Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458 (C.A.), à la p. 459 :
La preuve peut être faite selon la prépondérance des probabilités, mais cette norme peut comporter des degrés de probabilité. Ce degré dépend de l'objet du litige. Une cour civile, saisie d'une accusation de fraude, exigera naturellement un degré de probabilité plus élevé que celui qu'elle exigerait en examinant si la faute a été établie. Elle n'adopte pas une norme aussi sévère que le ferait une cour criminelle, même en examinant une accusation de nature criminelle, mais il reste qu'elle exige un degré de probabilité proportionné aux circonstances.

[11]      Cet extrait du juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes est confirmé par la majorité dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 992. L'arrêt Continental Insurance c. Dalton est mentionné brièvement par le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, à la p. 378. Toutefois, on n'y trouve pas de contestation du point de vue exprimé dans l'arrêt R. c. Oakes établissant différents degrés de probabilité. Il semble donc que les deux points de vue peuvent être utilisés.

[12]      Compte tenu du point de vue exprimé par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes, savoir que dans certaines circonstances il faut un degré plus élevé de probabilité, ainsi que de la règle énoncée dans l'arrêt Ward, qu'il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection, je suis d'avis qu'on ne peut dire que la Commission a commis une erreur en déterminant la norme de preuve applicable en l'instance. Si la Commission avait abordé la question en exigeant d'être convaincue hors de tout doute (absolument), ou même hors de tout doute raisonnable (la norme criminelle), elle aurait commis une erreur. Toutefois, il faut replacer les termes utilisés par la Commission dans le contexte de la citation de l'arrêt Ward qu'elle paraphrasait. Bien que la Commission ne renvoie aucunement aux arrêts Oakes et Bater, et même si elle aurait pu être plus précise et indiquer qu'elle devait être convaincue selon la prépondérance des probabilités, il semble clair que ce qu'elle a voulu faire c'est imposer au demandeur, aux fins de réfuter la présomption de la protection de l'État, le fardeau d'un plus grand degré de probabilité aligné sur l'exigence de clarté et de conviction énoncée dans l'arrêt Ward. Ce faisant, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur.

[13]      Le contrôle judiciaire est rejeté.

     Marshall Rothstein

     J.C.A.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 octobre 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-4477-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JIAN SEI XUE c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 16 OCTOBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROTHSTEIN (EX OFFICIO)


EN DATE DU :              23 OCTOBRE 2000



ONT COMPARU

M. SILCOFF                                  POUR LE DEMANDEUR

A.-M. OBERST                              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

LEWIS & ASSOCIATES                          POUR LE DEMANDEUR

TORONTO

MORRIS ROSENBERG                          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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