Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                                           

                                                                                                                                 Date : 20010509

                                                                                                                     No du greffe : T-845-99

                                                                                                                                                           

Référence neutre : 2001 CFPI 449

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                   CANADIEN PACIFIQUE LTÉE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                                                 BRIAN DUNN

défendeur

- et -

RON T. CLERK

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue par l'arbitre Brian Dunn, qui a été nommé le 12 février 1999 afin de trancher un litige aux termes du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, entre Ron T. Clerk ( « Clerk » ) et Canadien Pacifique Ltée ( « CP » ). CP cherche à obtenir le contrôle de la décision rendue le 11 mai 1999 par l'arbitre Brian Dunn, par laquelle celui-ci a refusé d'accorder à CP une remise de l'audience prévue. La demanderesse sollicite également une ordonnance visant le retrait de l'instance de l'arbitre Brian Dunn.

[2]                Il convient de tracer un bref historique du litige opposant la demanderesse CP au défendeur Clerk afin de contextualiser l'affaire dont notre Cour est saisie. Le 12 juin 1996, le défendeur Clerk a déposé une plainte contre la demanderesse, alléguant un congédiement injuste au sens de l'art. 240 du Code canadien du travail. La plainte a été instruite devant l'arbitre David Kwavnick. Avant que la décision arbitrale ne soit rendue, l'arbitre Kwavnick s'est retiré de l'instance dès qu'il a été mis au courant des modalités de la proposition de règlement hors cour intervenue entre la demanderesse et le défendeur Clerk.

[3]                Un nouvel arbitre, M. Brian Dunn (l' « arbitre » ), a été nommé le 12 février 1999. Une des questions préliminaires dont l'arbitre a été saisi consistait à savoir si un règlement hors cour liant la demanderesse et le défendeur Clerk existait malgré le retrait de l'arbitre Kwavnick. L'arbitre a rendu sa décision le 10 mars 1999, statuant qu'aucun règlement hors cour n'était intervenu entre les parties et qu'une date qui conviendrait à toutes les parties serait fixée pour la tenue de l'audience.

[4]                Les événements qui sont survenus lors de la fixation des dates d'audience qui conviendraient aux parties ont donné lieu aux questions dont notre Cour est présentement saisie.


[5]                Le 6 avril 1999, Mme Louise Béchamp, avocate de la demanderesse, a déclaré dans son affidavit que l'arbitre [TRADUCTION] « avait laissé un message non détaillé » sur sa boîte vocale[1]. Elle a affirmé ne pas avoir eu le temps de rappeler l'arbitre, puisqu'elle a été absente de son bureau pendant une grande partie du mois d'avril. L'avocate de la demanderesse a déclaré dans son affidavit que l'arbitre avait téléphoné à sa secrétaire le 16 avril 1999 pour l'aviser qu'il convoquait la tenue d'une audience les 26 et 27 avril 1999. L'arbitre lui a également fait savoir qu'il avait tenté d'envoyer une lettre par télécopieur au bureau de l'avocate de la demanderesse, mais que certains problèmes s'étaient posés lors de l'envoi. La secrétaire a informé l'arbitre que l'avocate de la demanderesse n'était pas libre les 26 et 27 avril 1999.

[6]                Le 16 avril 1999, l'arbitre a écrit à la demanderesse pour l'informer que les dates d'audience relatives à la présente affaire seraient fixées aux 26 et 27 avril 1999. L'avocate de la demanderesse affirme avoir reçu cette lettre le 20 avril 1999.

[7]                Le 21 avril 1999, l'avocate de la demanderesse a envoyé une lettre par télécopieur à l'arbitre l'avisant qu'elle ne serait pas libre les 26 et 27 avril 1999 et que la disponibilité des témoins ne pouvait être déterminée avant la tenue de l'audience. L'avocate de la demanderesse a demandé d'être consultée avant que les dates d'audience soient fixées.


[8]                Le 23 avril 1999, l'arbitre a écrit une lettre adressée à l'avocate de la demanderesse faisant état du fait que l'audience aurait lieu les 26 et 27 avril, et portant à sa connaissance le fait qu'une requête pour ajournement pourrait être plaidée au début de l'audience[2]. Les deux derniers paragraphes de la lettre de l'arbitre étaient rédigés en ces termes :

[TRADUCTION] La présente affaire a traîné depuis assez longtemps qu'elle en devient embarrassante.

Aucune partie ne peut tirer de présomption quant à l'ajournement d'une audience prévue. C'est de mon ressort. Je serai présent le 26 avril à 10 h. Je connaîtrai alors de toute requête pour ajournement, comme je le ferai en tout temps au cours d'une audience. Je ferai droit à une telle requête si j'estime qu'il existe des motifs raisonnables autres que la simple négligence. Je m'attends à ce que les deux parties ou leurs représentants soient présents le 26 avril.

[9]                Le 26 avril 1999, un associé du bureau d'avocats retenu par la demanderesse, M. Rolland Forget, a assisté à l'audience tenue devant l'arbitre afin d'obtenir un ajournement. M. Forget a avisé l'arbitre que l'avocate de la demanderesse serait libre du 17 au 21 mai, puis du 14 au 18 juin 1999, sous réserve de la disponibilité des témoins. L'arbitre a fait droit à la requête pour ajournement à condition que l'avocate de la demanderesse confirme la disponibilité des témoins au plus tard le 28 avril 1999.

[10]            M. Forget affirme dans son affidavit que, lors de l'audience du 26 avril 1999, l'arbitre a mis en doute l'exactitude des dates de disponibilité des témoins appelés par l'avocate de la demanderesse[3] :

               5.              [TRADUCTION] Le défendeur, M. Dunn, a vérifié la justesse de ce renseignement auprès du plaignant, M. Clerk, d'une manière que j'ai jugée inappropriée à la lumière de mon expérience en ce que cette démarche mettait en doute la véracité de mes affirmations; j'ai donc senti le besoin d'informer l'arbitre qu'il n'existait aucun motif valable de remettre en cause mes affirmations de cette manière.


               6.             Au cours de l'audience du 26 avril, M. Dunn a également fait des commentaires par lesquels il a jeté un doute sur l'estimation faite par l'avocate de la demanderesse quant à la durée de l'audience, n'étant pas d'avis que l'audience pourrait durer jusqu'à six jours, mais n'ignorant cependant pas que l'audience tenue devant l'autre arbitre avait duré cinq jours et que la présente audience a été prolongée de quatre journées additionnelles.

[11]            Le défendeur Clerk n'est pas d'accord avec la description faite par M. Forget de l'audience du 26 avril. Selon lui, c'est M. Forget et non l'arbitre qui a proposé que M. Clerk vérifie la justesse du renseignement fourni par M. Forget au sujet de la disponibilité des témoins. Le défendeur Clerk a déclaré dans son affidavit que l'arbitre n'avait pas fait de commentaires négatifs à M. Forget, pas plus qu'il a jeté un doute sur ses prétentions[4].

[12]            Le 28 avril 1999, l'avocate de la demanderesse a informé l'arbitre, par télécopieur et en lui laissant un message sur sa boîte vocale, que les témoins seraient disponibles durant la semaine du 14 juin 1999, mais non durant la semaine du 17 mai 1999.

[13]            Le 30 avril 1999, l'arbitre a laissé un message sur la boîte vocale de l'avocate de la demanderesse, lui indiquant que l'audience aurait lieu du 19 au 21 mai, puis du 15 au 17 juin. Si l'on se fie à l'affidavit de l'avocate de la demanderesse, l'arbitre aurait déclaré que ces dates seraient fixées [TRADUCTION] « compte tenu de l'affaire et de la position de M. Clerk » et qu'il ne connaîtrait d'aucune autre demande d'ajournement.


[14]            Le 5 mai 1999, l'avocate de la demanderesse a écrit à l'arbitre pour lui demander de se retirer du dossier[5]. Elle a indiqué que les commentaires écrits et oraux que l'arbitre a faits, ainsi que le comportement qu'il a adopté lors de la fixation d'une date d'audience, constituaient une violation de la justice naturelle. L'avocate de la demanderesse a également allégué une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre.

[15]            Le 11 mai 1999, l'arbitre a écrit à l'avocate de la demanderesse pour lui faire savoir qu'il allait tenir compte de sa demande qu'il se retire du dossier au début de l'audience prévue le 19 mai 1999. L'arbitre n'avait pas encore reporté à ce moment-là les dates prévues pour l'audience[6].

[16]            Le 18 mai 1999, notre Cour a fait droit à une requête en sursis d'instance.

[17]            La demanderesse soulève deux questions relatives à la décision rendue par l'arbitre le 11 mai 1999. Premièrement, l'arbitre a-t-il violé le principe de justice naturelle en fixant des dates d'audience qui entrent en conflit avec les dates de disponibilité des témoins appelés par la demanderesse? Deuxièmement, existe-t-il une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre?


[18]            La demanderesse fait valoir que l'arbitre a violé le droit qui lui revient de savoir ce qui lui est reproché, ainsi que le droit d'avoir l'occasion de répondre aux arguments qui lui sont opposés (la règle audi alteram partem). Plus particulièrement, la demanderesse plaide que l'arbitre a enfreint la règle audi alteram partem en (1) fixant des dates d'audience qui entrent en conflit avec les dates de disponibilité des témoins appelés par la demanderesse et en (2) refusant d'accorder à la demanderesse un ajournement préalablement à l'audience du 26 avril 1999.

[19]            La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Supermarchés Jean Labrecque Inc. c. Flamand[7] que l'omission de donner un avis aux parties de la date et de l'endroit de l'audience constitue une violation de la règle audi alteram partem. Dans cet arrêt, un juge du

Tribunal du Travail a décidé de tenir une audience à Montréal plutôt qu'à Val d'Or sans en informer les parties. La Cour énonce ce qui suit à la p. 234 :

Même en l'absence de mention spécifique de la règle audi alteram partem dans le texte de loi, comme dans l'art. 128 du Code du travail, et compte tenu que la fixation de la date et du lieu du procès n'est pas un acte de pure administration, comme je l'ai déjà souligné, le défaut d'avis préalable aux parties ou à leur procureur au dossier de la date de l'audience et de sa tenue à Montréal le 10 juin 1981 ne respecte pas cette règle fondamentale, implicite dans toute procédure de nature judiciaire ou quasi judiciaire. Ne respecte pas non plus cette règle, la décision rendue par le juge en chef, en l'absence des parties et sans avis préalable, de tenir la séance du 10 juin 1981 à Montréal plutôt qu'à Amos ou à Val d'Or.


[20]            En l'espèce, l'arbitre a effectivement donné un préavis de la date d'audience à la demanderesse; cependant, la demanderesse prétend que le préavis ne lui a pas laissé un délai raisonnable pour se préparer. J'accepte que l'arbitre a laissé un message non détaillé sur la boîte vocale de l'avocate de la demanderesse le 6 avril 1999, ce qui n'équivaut pas à un préavis des dates d'audience. Le préavis le plus tôt que l'arbitre aurait pu donner à la demanderesse aurait été le 16 avril 1999, lorsque l'arbitre a informé la secrétaire de l'avocate de la demanderesse des dates d'audience. La demanderesse aurait alors disposé de neuf jours pour se préparer à l'audience. Le préavis le plus tardif aurait été donné à la demanderesse le 20 avril 1999, lorsque l'avocate de la demanderesse a reçu la lettre de l'arbitre confirmant les dates d'audience. La demanderesse aurait alors disposé de cinq jours pour se préparer à l'audience.

[21]            De manière analogue, l'arbitre aurait été mis au courant, dès le 16 avril 1999, de la non-disponibilité de l'avocate de la demanderesse aux dates convenues pour la tenue de l'audience lorsque la secrétaire de l'avocate de la demanderesse a informé l'arbitre de l'engagement que l'avocate avait déjà pris. Le 21 avril 1999, l'arbitre a su, sur réception d'une lettre, que les témoins de la demanderesse ne pouvaient être présents à l'audience dans un si bref délai.

[22]            Même si l'arbitre a effectivement accordé un ajournement le 26 avril 1999, l'avocate de la demanderesse était tenue d'informer l'arbitre des dates de disponibilité des témoins au plus tard le 28 avril 1999. Même si l'avocate de la demanderesse avait indiqué à l'arbitre le 28 avril 1999 que les témoins seraient libres en juin, l'arbitre a convoqué les audiences à des dates incompatibles avec les dates de disponibilité des témoins de la demanderesse.


[23]            À mon avis, l'arbitre a manqué à son obligation d'équité procédurale en convoquant des audiences à des dates qui entraient en conflit avec les dates de disponibilité des témoins de la demanderesse. Dans l'arrêt Supermarchés Jean Labrecque Inc. c. Flamand[8], la Cour suprême du Canada a cité avec approbation les commentaires suivants tirés de l'ouvrage intitulé de Smith's Judicial Review of Administration Action[9] :

[TRADUCTION] De manière générale, la justice naturelle exige que les personnes susceptibles d'être directement visées par des projets de mesures, de décisions ou de procédures de nature administrative soient suffisamment avisées de ces projets pour qu'elles puissent :

a) faire valoir elles-mêmes leurs moyens; ou

b) comparaître à une audience ou à une enquête (s'il y a lieu); et

c) préparer efficacement leurs propres arguments et répondre aux arguments (le cas échéant) qui leur sont opposés.

[...]

Si, comme d'habitude l'imposition de l'obligation de donner un avis a pour but d'accorder à ceux qui sont visés la possibilité de se faire entendre, l'avis doit être signifié dans un délai suffisant pour permettre de faire valoir efficacement leurs moyens. Si une audience doit avoir lieu, on doit donner avis de la date et de l'endroit de celle-ci.


L'obligation d'équité procédurale exige qu'une partie soit en mesure de préparer efficacement ses propres arguments et de répondre aux arguments qui lui sont opposés. Il importe de noter que, suivant la procédure d'arbitrage sous-jacente du Code canadien du travail, il incombe à l'employeur, en l'espèce, de se décharger du fardeau de la preuve lors de l'audience définitive. J'estime raisonnable la demande présentée par l'avocate de la demanderesse pour l'ajournement des procédures jusqu'au mois de juin afin de permettre aux témoins qui doivent se déplacer d'être présents à l'audience. Compte tenu du fardeau de preuve qui lui incombe dans la présente procédure d'arbitrage, l'employeur doit, afin de présenter ses arguments de manière efficace, disposer d'un délai raisonnable pour permettre aux témoins de se déplacer. En convoquant une audience au mois de mai plutôt qu'au mois de juin, l'arbitre a manqué à son obligation d'équité procédurale du fait qu'il a limité la capacité de la demanderesse de plaider sa cause.

[24]            Une conclusion selon laquelle l'arbitre a violé les règles de justice naturelle est considérée comme un excès de compétence[10]. Par conséquent, la décision rendue le 11 mai 1999 par l'arbitre, par laquelle il a fixé des dates d'audience qui entraient en conflit avec les dates de disponibilité des témoins de la demanderesse, est infirmée. La disponibilité des témoins et de l'avocate devrait constituer le facteur clé dans la fixation des nouvelles dates d'audience dans l'instance, et les témoins et l'avocate devraient disposer d'un délai raisonnable pour se libérer en vue de l'audience.

[25]            La demanderesse sollicite plus que la simple annulation de la décision rendue par l'arbitre le 11 mai 1999. Alléguant l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre, la demanderesse cherche également à obtenir un jugement déclaratoire visant le retrait de l'arbitre du dossier.

[26]            Le critère pour déterminer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité a été énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie[11] en ces termes :


[L]la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [...] » .

Ce critère a été développé plus en détail par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Sorger v. Bank of Nova Scotia[12], dans lequel la Cour s'est exprimée de la manière suivante :

[TRADUCTION] [O]n doit prendre en considération l'effet cumulatif de tous les facteurs pertinents. Pris ensemble, ces facteurs amèneraient-ils une personne extérieure raisonnable et renseignée à une crainte raisonnable de partialité de la part du juge de première instance, et à conclure que le procès n'a pas été équitable et impartial?

[27]            La demanderesse soutient qu'il existe effectivement une crainte raisonnable de partialité si on tient compte de l'effet cumulatif des éléments de preuve suivants. Premièrement, la lettre de l'arbitre datée du 23 avril 1999, dans laquelle il a déclaré que [TRADUCTION] « [l]a présente affaire a traîné depuis assez longtemps qu'elle en devient embarrassante » et qu'il fera droit à une demande d'ajournement [TRADUCTION] « s'il existe des motifs raisonnables autres que la simple négligence » . Selon la demanderesse, le ton de cette lettre donne à penser que l'arbitre la blâme pour les délais et qu'il considère qu'elle a fait preuve de négligence. Deuxièmement, l'affidavit de M. Forget, qui affirme avoir eu l'impression que l'arbitre avait mis en doute la justesse de ses prétentions lors de l'audience du 26 avril 1999, à l'occasion de laquelle l'arbitre a accordé un ajournement. Troisièmement, le peu d'importance que l'arbitre a accordé à la fixation des dates d'audience qui conviendraient à toutes les parties. Quatrièmement, le message laissé par l'arbitre sur la boîte vocale, le 30 avril 1999, dans lequel il déclarait que [TRADUCTION] « compte tenu de


l'affaire et de la position de M. Clerk » les dates d'audience seraient fixées en mai et en juin. La demanderesse fait valoir qu'elle n'a pas été mise au courant de « la position de M. Clerk    » .

[28]            Avant d'examiner cette preuve afin de déterminer l'existence ou non d'une crainte raisonnable de partialité, il importe de noter que la conjecture à elle seule ne sera pas suffisante pour qu'on puisse conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. Comme lord Denning l'a déclaré dans l'arrêt Metropolitan Properties Co. (F.G.C.), Ltd. v. Lannon[13] :

[TRADUCTION] [...] [P]our trancher la question de savoir s'il y avait une réelle probabilité de partialité, la cour ne scrute pas l'esprit du juge ou du président du tribunal, ni de quiconque exerce une fonction judiciaire. La cour ne se demande pas s'il existe une réelle probabilité que l'intéressé avantage ou a de fait avantagé une partie aux dépens de l'autre. La cour s'intéresse à l'impression produite. Même si le juge était on ne peut plus impartial, dans la mesure où des personnes sensées estiment que, compte tenu des circonstances, il y a une réelle probabilité de partialité de sa part, il ne doit pas siéger. S'il siège, sa décision ne peut pas être maintenue [décisions citées omises]. Cela dit, il doit y avoir une réelle probabilité de partialité. Suppositions et conjectures ne suffisent pas [décisions citées omises]. Il faut que les circonstances soient telles qu'une personne raisonnable puisse penser qu'il est probable ou vraisemblable que le juge ou le président favorise ou a favorisé injustement l'une des parties aux dépens de l'autre. La cour ne cherchera pas à savoir si le juge a effectivement favorisé injustement l'une des parties. Il suffit que des personnes raisonnables puissent le penser. La raison en est évidente. La justice suppose un climat de confiance qui ne peut subsister si des personnes sensées ont l'impression que le juge a fait preuve de partialité.


[29]            J'estime que la preuve présentée par la demanderesse n'indique pas, au regard du critère de la personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, s'il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre. Les commentaires de l'arbitre dans la lettre du 23 avril 1999, portant que la durée de l'affaire est telle [TRADUCTION] « qu'elle en devient embarrassante » , ne constituent pas un blâme à l'égard de l'avocate de la demanderesse; il ne s'agit que d'une déclaration générale. Les commentaires de l'arbitre portant qu'il ne fera droit à une demande d'ajournement que [TRADUCTION] « s'il existe des motifs raisonnables autres que la simple négligence » ne constituent pas une accusation de négligence, comme le prétend la demanderesse. Une fois de plus, il s'agit là d'une déclaration générale par laquelle l'arbitre a avisé les parties qu'un ajournement sera accordé s'il existe des motifs raisonnables à l'appui. Dans les faits, l'arbitre a accordé un ajournement.

[30]            Même si M. Forget a déclaré dans son affidavit qu'il a eu l'impression que l'arbitre avait exprimé des doutes quant à la justesse de ses prétentions lors de l'audience du 26 avril 1999, le défendeur Clerk, quant à lui, a affirmé dans son affidavit que ce n'était pas le cas. Le ton inquisiteur de l'arbitre peut ou peut ne pas avoir été mal interprété par M. Forget ou le défendeur Clerk. Je suis cependant convaincu que cette preuve n'amènerait pas une personne raisonnable à conclure que l'arbitre accusait M. Forget de lui mentir. Au mieux, cette preuve équivaudrait à une supposition. Vu qu'une supposition ne suffit pas pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, cette preuve n'amènerait pas une personne raisonnable à conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre. Le même raisonnement s'applique au message laissé par l'arbitre sur la boîte vocale de l'avocate de la demanderesse, dans lequel il indiquait que les dates d'audience seraient fixées [TRADUCTION] « compte tenu de l'affaire et de la position de M. Clerk » . Même si l'avocate de la demanderesse a soutenu qu'elle n'a jamais été mise au courant de la [TRADUCTION] « position de M. Clerk » , cette déclaration peut tout simplement renvoyer à ce que M. Clerk avait soutenu lors de l'audience du 26 avril 1999. Une


fois de plus, toute conclusion au sujet de cette déclaration relève de la conjecture et ne donne aucunement lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[31]            Compte tenu de la preuve et de son effet cumulatif, je suis d'avis que le comportement de l'arbitre n'a pas donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[32]            La décision rendue le 11 mai 1999 par l'arbitre relativement à la fixation des dates de la présente audience est par conséquent annulée. L'affaire est renvoyée à l'arbitre pour que celui-ci fixe des nouvelles dates d'audience. Ce faisant, l'arbitre est tenu de prendre en considération la disponibilité des témoins et de l'avocate et de leur donner un délai raisonnable pour se préparer en vue de l'audience.

                                                                             

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La décision rendue par l'arbitre le 11 mai 1999 relativement à la fixation des dates d'audience est annulée.

2.         L'affaire est renvoyée à l'arbitre pour que celui-ci fixe des nouvelles dates d'audience et, ce faisant, il est tenu de prendre en considération la disponibilité des témoins et de l'avocate et de leur donner un délai raisonnable pour se préparer en vue de l'audience.


3.         La demande relative au retrait de l'arbitre, M. Dunn, du dossier est rejetée.

4.         Il n'y a pas lieu d'accorder de dépens dans l'instance.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »                       

                                                                                                                                                     Juge    

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

               


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                           T-845-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Canadien Pacifique Ltée c. Brian Dunn et Ron T. Clerk

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 28 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

EXPOSÉS PAR LE JUGE BLANCHARD

EN DATE DU 9 MAI 2001

ONT COMPARU :

Dominique Launay                                                         pour la demanderesse

Ron T. Clerk en son nom personnel                               pour le défendeur (Ron T. Clerk)

Aucun représentant                                                        pour le défendeur (Brian Dunn)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken, Martineau, DuMoulin, LLP                               pour la demanderesse

Montréal (Québec)

Ron T. Clerk                                                                 pour le défendeur (Ron T. Clerk)

Ottawa (Ontario)



[1]           Dossier de demande de la demanderesse, Livre I, à la p. 55, onglet 6.

[2]               Ibid. à la p. 77, onglet 11.

[3]           Ibid. à la p. 19, onglet 4.

[4]           Dossier du défendeur, à la p. 1.

[5]               Supra, note 1, à la p. 79, onglet 13.

[6]            Ibid. à la p. 83, onglet 14.

[7]               [1987] 2 R.C.S. 219.

[8]              Ibid. à la p. 235.

[9]              de Smith, Stanley Alexander. de Smith's Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. By J. M. Evans. London : Stevens & Sons, 1980 aux pages 196 et 197.

[10]             Université du Québec c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, à la p. 490.

[11]          [1978] 1 R.C.S. 369 à la p. 394.

[12]          (1998), 160 D.L.R. (4th) 66 à la p. 69.

[13]           [1968] 3 All E.R. 304 (C.A.), à la p. 310.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.