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Date : 20050218

Dossier : T-2107-04

Référence : 2005 CF 264

ENTRE :

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                        RICKY SINCLAIR ARAB

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                En avril dernier, M. Arab a été arrêté à Montréal et il a été accusé de trafic de stupéfiants. Sa voiture a été fouillée. Une mallette a été trouvée dans le coffre. Dans la mallette se trouvaient 373 750,00 $ en espèces.

[2]                Selon le rapport de police, M. Arab a d'abord feint d'ignorer qu'il y avait de l'argent dans la voiture. Il a par la suite reconnu que le coffre contenait de l'argent mais il a affirmé que cet argent ne lui appartenait pas.


[3]                La police a conservé l'argent en vue de s'en servir éventuellement en preuve contre M. Arab. Le ministère du Revenu national a appris que les accusations seraient retirées. Il a fait procéder à une cotisation d'actif net à la suite de laquelle une nouvelle cotisation a été établie à l'égard de M. Arab pour les années d'imposition antérieures. Le solde dû en impôt fédéral et provincial, ainsi qu'en intérêts et pénalités, se chiffrait à 283 973,00 $. Il s'est par ailleurs vu réclamer, dans une nouvelle cotisation, la somme de 78 190,89 $ à titre de taxe de vente harmonisée en vertu de la Loi sur la taxe d'accise.

[4]                Le ministre a présenté une requête ex parte fondée sur le paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour saisir l'argent comptant. Le juge Blais a rendu le 26 novembre 2004 une ordonnance communément appelée ordonnance de recouvrement préventif. Je suis saisi d'une requête présentée par M. Arab en vue de faire annuler l'ordonnance ex parte.

[5]                En principe, le ministre doit, selon le paragraphe 225.1(1) de la Loi, attendre 90 jours après la mise à la poste de l'avis de cotisation avant de recouvrer les sommes dues. Un juge peut toutefois autoriser le ministre à agir sans délai. Le paragraphe 225.2(2) de la Loi dispose :

(2) Malgré l'article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu'il estime raisonnables dans les circonstances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

(2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

[6]                Le paragraphe 225.2(8) permet au contribuable de demander à la Cour, au moyen d'une requête, de réviser l'autorisation ex parte.


[7]                M. Arab affirme que l'ordonnance devrait être annulée parce que le ministre n'a pas effectué une divulgation complète et sincère dans sa requête ex parte et que rien ne permet de penser que le fait de retarder les mesures de perception mettrait en danger le recouvrement de la présumée dette. M. Arab est bien établi à Halifax, il possède une valeur nette importante sur les deux immeubles dont il est personnellement propriétaire et il est travailleur autonome dans le cadre de deux entreprises. Rien ne permet de penser qu'il est un criminel ou qu'il a déjà dilapidé des actifs. Il déclare ses revenus, produit chaque année une déclaration de revenus et paie ses impôts. De plus, l'argent en question n'est pas le sien. Il le détenait en fiducie pour l'investir pour le compte d'amis.

[8]                Je vais commencer par ce qui n'est pas en litige, en l'occurrence par les erreurs que renfermerait la cotisation d'actif net et par la question de savoir si, en fait, le ministre ne détient pas trop de garanties, compte tenu des intérêts fonciers de M. Arab.


[9]                M. Arab a l'intention de contester la cotisation et c'est bien la voie qu'il doit emprunter s'il souhaite obtenir une décision finale au sujet de ce qu'il doit, le cas échéant. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur la validité des cotisations. Le paragraphe 152(8) de la Loi prévoit que, sous réserve de sa modification ou de son annulation lors d'une opposition ou d'un appel, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission (Ministre du Revenu national c. MacIver (1999), 99 D.T.C. 5524, au paragraphe 7 (la juge Sharlow, maintenant juge à la Cour d'appel), et Ministre du Revenu national c. Services M.L. Marengère Inc. 2000 D.T.C. 6032, au paragraphe 64 (le juge Lemieux)).

[10]            Quant à savoir si le ministre détient trop de garanties, cette question ne m'a pas été soumise. À cette étape-ci, M. Arab conteste le droit du ministre de saisir ou non le montant qui a été saisi et appliqué à son compte.

DÉFAUT D'EFFECTUER UNE DIVULGATION COMPLÈTE ET SINCÈRE

[11]       Dans toutes les affaires ex parte, le demandeur est tenu de soumettre à l'attention de la Cour tous les faits en litige, même ceux qu'il juge inutiles ou inopportuns, ainsi que toute la jurisprudence pertinente. La requête ex parte était appuyée par un affidavit de M. Jeff Rafuse, chef d'équipe du Programme spécial d'exécution - enquêtes au Bureau des services fiscaux de Halifax de l'Agence des douanes et du revenu du Canada. M. Rafuse a exposé les faits, indiqué ses sources de renseignements et révélé que sa consultation des registres lui avait permis de constater que M. Arab était propriétaire de deux immeubles situés dans la municipalité régionale de Halifax ainsi que d'une automobile vieille de sept ans. L'allégation suivant laquelle il n'y a pas eu de divulgation complète et sincère provient de son contre-interrogatoire, au cours duquel il a expliqué qu'il ne s'occupait pas personnellement de recouvrement et que c'est le percepteur commis au dossier qui suggère de demander une ordonnance de recouvrement préventif. Comment alors pouvait-il personnellement croire qu'un retard risquait de compromettre le recouvrement de la créance?

[12]            J'estime que la divulgation était complète et sincère. Les déclarations de revenus produites dans le passé par M. Arab ont été soumises à la Cour. Voici un homme disposant de moyens relativement modestes qui a été accusé d'un crime, qui a d'abord nié être au courant de la présence de l'argent découvert dans le coffre de sa voiture et qui ne pouvait posséder autant de liquidités à moins de ne pas avoir déclaré des revenus. Ces faits se passent de commentaire et constituent ou non des motifs raisonnables de croire que le recouvrement serait compromis en raison du retard.

À QUI APPARTIENT L'ARGENT?

[13]       M. Arab a signé un affidavit à l'appui de sa requête en annulation de l'ordonnance ex parte et il a été contre-interrogé à ce sujet. Il est bien établi qu'en 1996, il a reçu une indemnité de 70 000,00 $ du gouvernement de la Nouvelle-Écosse pour des blessures subies au pensionnat pour garçons de Shelburne et qu'en 1998, il a touché une indemnité d'environ 10 000,00 $ pour des blessures subies lors d'un accident d'automobile.

[14]            M. Arab a démontré qu'il avait bien géré son argent et qu'il l'avait fait fructifier grâce à d'excellents placements immobiliers à Halifax. Voyant cela, quelques-uns de ses amis qui avaient été pensionnaires comme lui à Shelburne et qui avaient aussi touché une indemnité se sont regroupés et lui ont confié leur argent pour qu'il l'investisse. Il traversait Montréal en voiture en direction de Toronto lorsque l'argent a été trouvé dans son automobile. Les accusations criminelles portées contre lui ont été retirées. À son avis, ces accusations n'ont été portées que dans le but de retenir cet argent afin de donner suffisamment de temps au ministre pour le saisir.


[15]            Les éléments de preuve tendant à démontrer que l'argent n'appartient pas à M. Arab consistent en trois lettres signées, mais dont les auteurs n'ont pas prêté serment, qui sont postérieures à l'arrestation. Un des auteurs de ces lettres affirme qu'il a remis 90 000,00 $ à M. Arab pour qu'il les investisse, un autre explique qu'il lui a confié 50 000,00 $ et le troisième, qui aurait remporté des millions de dollars à la loterie en 1997, en a prélevé 165 000,00 $ qu'il a donnés à son neveu qui devait les investir dans l'entreprise de son choix au profit de son oncle. Le neveu en question n'a fait aucune déclaration selon quoi il aurait remis l'argent à M. Arab.

[16]            Aucun de ces hommes n'a encore réclamé l'argent en question. Il n'existe aucune pièce justificative - chèques oblitérés ou virements bancaires - pour appuyer les allégations qui n'ont pas été faites sous serment et, selon leurs propres déclarations de revenus qu'ils ont jointes aux affidavits qu'ils ont déposés en réponse, on est peut-être en présence de quelqu'un qui a fraudé l'aide sociale et qui, jusqu'ici, aurait trouvé peu commode que le fisc sache qu'il avait cet argent.

[17]            Dans la mesure où le défendeur a invoqué l'argument que l'argent en question ne lui appartenait pas dans le but de démontrer que les nouvelles cotisations étaient erronées, je suis, comme je l'ai déjà dit, lié par le paragraphe 152(8) de la Loi, de sorte que je dois présumer, pour le moment, que les nouvelles cotisations sont valides et exécutoires.


[18]            L'argent se trouvait en la possession de M. Arab. Compte tenu des éléments d'information présentés jusqu'ici, M. Arab n'a pas réfuté la présomption selon laquelle l'argent lui appartient. Au contraire, le règlement intervenu entre lui et le pensionnat pour garçons de Shelburne et l'achat de ses immeubles sont extrêmement bien documentés. On ne saurait considérer M. Arab comme une personne qui n'a pas le sens des affaires et qui cache son argent sous le matelas. Il s'ensuit, à cette étape-ci, que l'argent découvert dans le coffre de sa voiture était de l'argent qu'il aurait préféré ne pas dévoiler aux autorités.

LA SAISIE ÉTAIT-ELLE JUSTIFIÉE?

[19]       La question est celle de savoir si, pour reprendre le libellé de la Loi, « le juge [...] est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant » . Le juge Blais en était convaincu, au vu des éléments dont il disposait. Contrairement à lui, j'ai eu l'avantage d'entendre la version des faits de M. Arab et d'examiner le contre-interrogatoire de M. Rafuse ainsi que l'affidavit et le contre-interrogatoire du policier de Montréal qui a participé à l'opération d'infiltration ayant conduit à l'arrestation de M. Arab. Compte tenu de ces éléments, je suis convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à M. Arab d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement du montant de la cotisation établie à son égard. Je confirme donc l'autorisation donnée au ministre de prendre sans délai des mesures de recouvrement.


[20]            Il est sans intérêt de savoir si M. Arab se livrait à des activités criminelles ou s'il avait l'intention de s'engager dans de telles activités. Les accusations ont été retirées. Je préfère toutefois le témoignage du sergent-détective montréalais qui a affirmé qu'il avait entrepris avec M. Arab des discussions qui se seraient soldées par une opération commerciale non documentée. J'estime que la personne qui transporte dans le coffre de son automobile une somme d'argent liquide importante dont on ne peut retracer l'origine, du moins par le truchement des registres bancaires habituels, a un comportement qu'on pourrait qualifier de peu orthodoxe et qui [TRADUCTION] « permet raisonnablement de craindre qu'il serait difficile de retrouver ces fonds ou de les récupérer pour acquitter la dette fiscale » (Deputy Minister of National (Taxation) c. Quesnel, [2001] 2 C.T.C. 75 (C.S.C.-B.), le juge Clancy, au paragraphe 27). Dans la décision Canada (Ministre du Revenu national - MRN) c. Rouleau, [1995] 2 C.T.C. 442, le juge Gibson, qui examinait une nouvelle cotisation d'actif net établie à la suite de la découverte d'une importante somme d'argent en liquide au cours de l'exécution d'un mandat de perquisition, a déclaré ce qui suit au paragraphe 9 :

[...] La façon dont il conserve ses biens dénote très certainement qu'il conduit ses affaires d'une manière que l'on pourrait qualifier de peu orthodoxe. Elle révèle également des pratiques qui permettraient très facilement au requérant de soustraire des biens considérables s'il était enclin à le faire de sorte qu'il pourrait être difficile de retrouver les biens et de les récupérer.

Voir aussi la décision R c. Paryniuk, [2004] 2 C.T.C. 236 (le juge von Finckenstein).

[21]            Le ministre s'est incontestablement acquitté du fardeau initial qui lui incombait.


[22]            M. Arab rétorque en faisant valoir qu'à part cet argent comptant, qui ne lui appartient d'ailleurs pas, il est propriétaire d'immeubles et qu'il produit ses déclarations de revenus. Comme il possède une valeur nette dans deux propriétés, valeur nette qu'il ne pouvait liquider immédiatement, rien ne permet de penser qu'il cherchait à dilapider ses biens. Mais il ne s'agit pas de savoir s'il se contente de montrer au ministre certains éléments d'actifs qui ne sont pas sous forme liquide, mais bien qu'il semble avoir des actifs non déclarés qui pourraient disparaître en un clin d'oeil en livrant une mallette à quelqu'un d'autre.

[23]            Si je ne préférais pas la version des faits du sergent-détective, je me retrouverais avec le récit de M. Arab suivant lequel il était en route pour Toronto pour prendre le pouls du marché immobilier sans avoir pour autant fixé un rendez-vous à un courtier. S'il allait effectivement acheter quelque chose, avait-il l'intention de faire un versement de 300 000,00 $ en espèces? Son récit manque de cohérence et de crédibilité.

[24]            Pour ces motifs, la requête sera rejetée avec dépens.

                                                                              « Sean Harrington »            

                                                                                                     Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 18 février 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-2107-04

INTITULÉ :                                                    LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

c.

RICKY SINCLAIR ARAB

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 10 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 18 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Mark Donohue                                                  POUR LE DEMANDEUR

Kevin Gilpin                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Gilpin Law Inc.                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)


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