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Date : 19980910


Dossier : T-126-98

ENTRE :

    

     LANCE OLMSTEAD,


demandeur,


et


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeur,


et


COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,


tierce partie.


MOTIFS D"ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      Par la présente requête, le demandeur sollicite essentiellement de la Cour la radiation d"une partie considérable de la défense. Se fondant sur la Règle 221, le demandeur fait valoir que la défense ne révèle en fait aucune défense valable, qu"elle n"est pas pertinente ou qu"elle est redondante, qu"elle risque de nuire à l"instruction équitable de l"action ou de la retarder, et qu"elle constitue par ailleurs un abus de procédure. Il fait en outre valoir que certains paragraphes de la défense relèvent de la chose jugée, certains arguments étant en effet irrecevables en raison de leur identité avec des arguments que la Cour a eu l"occasion de rejeter dans l"affaire Canada (Procureur général) c. Martin , (1994), 72 F.T.R. 249, jugement confirmé par la Cour d"appel fédérale (1997), 211 N.R. 149. Bien que la requête écrite n"exige pas de décision préliminaire sur un point de droit, les deux avocats ont invoqué cet argument à titre subsidiaire. Voyons un peu le contexte de l"affaire.

LE CONTEXTE

[2]      L'affaire a débuté par une demande de contrôle judiciaire, qui s"est par la suite muée en action. Selon la déclaration, le demandeur, ayant à la fois les capacités et la volonté entières d"être maintenu dans ses fonctions, a été obligé de prendre sa retraite en 1995, à l"âge de 56 ans, et de quitter les Forces armées canadiennes alors qu'il occupait le rang de major. Cependant, en 1994, sachant qu"on allait l"obliger à prendre sa retraite, il a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), se disant la cible d"une discrimination en raison de son âge, et ce contrairement à l"article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Cette plainte est restée en suspens jusqu'à l"issue de l"affaire Martin .

[3]      Dans l"affaire Martin c. Ministère de la Défense nationale (1992), 17 C.H.R.R. D/435, le tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) a considéré que la disposition fixant l'âge de retraite appliquée par les Forces armées canadiennes constituait une pratique discriminatoire. Précisons que, devant le TCDP, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes n"ont guère contesté l"aspect discriminatoire de la disposition en cause, s"attachant plutôt à justifier cette politique en y voyant une exigence professionnelle justifiée au sens de l"alinéa 15a ) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi sur les droits de la personne) ou en tant que règlement au sens de l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne. Le tribunal a considéré que l"alinéa 15b ) ne s"appliquait pas en l"occurrence, mais qu"en tout état de cause la politique de départ obligatoire à la retraite ne constituait pas une exigence professionnelle justifiée au sens de l"alinéa 15a ) de la Loi sur les droits de la personne. Cette conclusion a été confirmée aussi bien par la Section de première instance que par la Cour d"appel dans l"arrêt Canada c. Martin (précité).

[4]      Dans l"intervalle, les Ordonnances et règlements royaux (les ORR) étaient modifiés le 3 septembre 1992 par l"ajout d"un paragraphe 15.17(10), aux termes duquel l"article des ORR en question constituait effectivement un règlement au sens de l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne. L"alinéa 15b ) dispose notamment qu"il n"y a pas pratique discriminatoire s"il est mis fin à l"emploi d"une personne parce que celle-ci a atteint la limite d"âge prévue dans un règlement adopté par le gouverneur en conseil pour l"application de l"article en question.

[5]      Cela nous amène à la décision dont le demandeur fait appel, à savoir une décision de la CCDP, en date du 26 septembre 1997, rejetant la plainte du major Olmstead au motif qu"au regard des ORR, il avait été régulièrement mis fin à son emploi par la modification introduite le 3 septembre 1992, modification qui mettait la disposition prévoyant la fin de l"emploi pour cause de limite d"âge dans le champ d"application de l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne. Selon la thèse défendue par le major Olmstead dans sa déclaration, selon laquelle l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne, à la fois parce qu"il restreint les garanties offertes par la Loi sur les droits de la personne en matière d"âge et parce qu"il nie le droit à l"égalité devant la loi ou dans la loi et le droit à la même protection ou au même bénéfice de la loi en fonction de l'âge, contrairement à l"article 15 de la Charte . Le major Olmstead sollicite par conséquent un jugement déclaratoire ainsi qu"une ordonnance portant annulation de la décision par laquelle la CCDP a rejeté sa plainte.

[6]      À ce stade-ci, avant de me pencher sur la défense et les passages de celle-ci, qu"il convient de radier, le cas échéant, j"entends évoquer certains des principes fondamentaux régissant la radiation d"un acte de procédure dans le cadre de ce qui est devenu la Règle 221.

LES PRINCIPES FONDAMENTAUX RÉGISSANT LA RADIATION D"UN ACTE DE PROCÉDURE

[7]      Le demandeur a déposé une réponse à la défense. En règle générale, une partie à l"instance ne peut pas solliciter par requête la radiation d"un acte de procédure auquel elle a déjà répondu. Il existe des exceptions à ce principe, y compris celle voulant que le principe ne fasse point obstacle au dépôt d"une requête en radiation pour défaut de cause d"action ou, selon ce qui est plaidé en l'espèce ici, pour défaut de défense raisonnable : voir, par exemple, les décisions Mayflower Transit Ltd. c. Marine Atlantic Inc. (1990), 29 F.T.R. 30 (1re inst.) et Nabisco Brands Ltd. c. Procter & Gamble Co. et autres (1985), 5 C.P.R. (3d) 417, à la p. 418 (C.A.F.). En outre, lorsqu"une défense, ou, comme en l"espèce, la réponse à une défense, soulève les mêmes questions que la requête en radiation, rien n"empêche le dépôt d"une requête en radiation sur le fondement des motifs prévus à la Règle 221(1) : voir Ricafort et autres c. Canada (1989), 24 F.T.R. 200, à la p. 202, décision du juge Strayer, alors juge de première instance, et Montreuil c. La Reine [1976] 1 C.F. 528, à la p. 529. En l"espèce, le demandeur répond en faisant valoir que certains paragraphes de la défense, qui devront en l"occurrence être examinés au regard de la Règle 221, ne révèlent aucune défense raisonnable, sont dénués de pertinence ou redondants, et risquent de nuire à l"instruction équitable de l"action ou de la retarder. Dans sa réponse, le demandeur fait en outre valoir que les paragraphes 11 à 14, ainsi que le paragraphe 18 de la défense, relèvent de la chose jugée. Je peux donc considérer que tous les paragraphes contestés de la défense sont sucesptibles d'être radiés.

[8]      Il n"est pas aisé d"obtenir la radiation d"un acte de procédure. En l"occurrence, s"agissant d"une requête en radiation de certaines parties d"une défense, le demandeur est tenu de démontrer, sans le moindre doute, que les arguments qui lui sont opposés ne sauraient être retenus. Il en est particulièrement ainsi lorsqu"il s"agit de la radiation d"un acte de procédure au titre des Règles 221(1)b ) à f), dispositions prévoyant plusieurs chefs de radiation invoqués en l"occurrence par le demandeur, car celui-ci doit en effet établir que la partie contestée de la défense est " ...si manifestement non essentielle, futile, embarrassante et abusive qu"elle est clairement désespérée et inutile " : Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Berglund Industrial Supply Co. Ltd. et autres (1982), 64 C.P.R. (2d) 206, à la p. 210 (C.F. 1re inst.). Si le moyen de défense invoqué n"est ni désespéré ni inutile, mais qu"il a au contraire quelque chance d"être retenu, même si la chance en est mince, la requête en radiation doit être rejetée. J"ajouterais qu"en raison d"un autre principe général, un argument qui est certes superfétatoire, mais qui n"entraîne aucun préjudice, ne doit pas être radié : Pater International Automotive Franchising Inc. c. Mister Mechanic Inc. et autres (1990), 28 C.P.R. (3d) 308, à la p. 313 (C.F. 1re inst.).

L'EXAMEN DE LA QUESTION

[9]      Au départ, le demandeur contestait, entre autres, les paragraphes 3, 7 et 8 de la défense. À l"audition de la requête, l"avocat du demandeur a fait savoir à la Cour que, dans la mesure où ces paragraphes peuvent être considérés comme exposant le contexte des faits, son client ne s"y opposait plus. Voyons maintenant les divers paragraphes et groupes de paragraphes dont le demandeur sollicite la radiation.

Le paragraphe 5 : motifs de la mise à la retraite

[10]      Le paragraphe 5 de la défense expose les dispositions des ORR fixant l"âge de retraite des officiers. Ce paragraphe constitue une réponse générale, mais également une réponse précise aux paragraphes 5, 7 et 8 de la déclaration. Ces paragraphes exposent certains détails concernant le départ à la retraite du major Olmstead, ainsi que sa volonté et sa capacité à poursuivre sa carrière. Le paragraphe 5 de la défense évoque les ORR, qui ne sont pas directement en cause en l"occurrence, mais fournit aussi certains éléments du contexte général de l'affaire. Ce paragraphe n"est pas contestable et n"entraîne aucun préjudice. Au pire, il est simplement superfétatoire. Il sera donc conservé.

Le paragraphe 6 : démenti à l"argument invoquant une violation de la Charte

[11]      Ce paragraphe de la défense fait essentiellement valoir que l"application des ORR n"a entraîné aucune violation des droits et libertés garantis au demandeur par la Charte , même si le défendeur ajoute [TRADUCTION] " ou autrement ". Cette mention des ORR n"est pas simplement superfétatoire car ce ne sont pas les ORR que le demandeur conteste comme étant contraires aux droits que lui garantit la Charte . Cette mention des ORR faite au paragraphe 6 est donc radiée.

Les paragraphes 9 à 18 : la pertinence des ORR et des règles d"organisation militaires

[12]      Les paragraphes 9 à 18 de la défense développent les arguments justifiant la nécessité, dans les ORR, d"une politique de départ obligatoire à la retraite, et exposent également les principes d"organisation nécessaires, selon le défendeur, aux forces armées. L"avocat du demandeur soutient qu"on ne doit pas permettre au défendeur de compliquer une instance qui ne porte ni sur les ORR ni sur l"organisation militaire, mais sur la constitutionnalité de l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne.

[13]      Pour justifier son évocation des ORR, qui ne sont pas directement contestés en l'espèce, le défendeur fait valoir qu"il lui faut bien citer l"article premier de la Charte , puisque les droits et libertés garantis par la Charte sont susceptibles d"être restreints " ...dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d"une société libre et démocratique " (article premier de la Charte ). Selon ce raisonnement, l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne n"a pas en soi pour effet de fixer un âge de retraite obligatoire ni d"isoler un groupe particulier de personnes, l"essentiel étant la nature même du service militaire, service qui relève d"un régime légal particulier. C"est pourquoi le défendeur élargit le débat aux ORR et, plus généralement, à la vie militaire. Le demandeur, lui, entend éviter cet élargissement du problème mais, en invoquant l"article premier de la Charte et en niant que cette disposition justifie l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne, c"est lui qui permet, dans une certaine mesure, au défendeur de faire valoir certains des arguments développés aux paragraphes 9 à 18 de la défense. Le paragraphe 17 de la défense, qui ne découle pas nécessairement des paragraphes 9 à 16 de celle-ci, constitue une réponse au paragraphe 23 de la déclaration, dans lequel le demandeur affirme que l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne ne constitue pas une limite raisonnable dont, selon les termes mêmes de l"article premier de la Charte , la justification puisse se démontrer dans le cadre d"une société libre et démocratique.

[14]      Je ne puis affirmer que le défendeur, aux paragraphes 9 à 14 et aux paragraphes 17 et 18 de sa défense, invoque, à n"en pas douter, des arguments qui ne sauraient aboutir ou qui sont si manifestement dénués de pertinence, frivoles ou abusifs, qu"ils sont, à l"évidence, désespérés et inutiles. Cela dit, cette partie de la défense contient deux paragraphes non pertinents, le paragraphe 15 qui s"attache à comparer les limites d"âge dans d"autres forces armées occidentales, et le paragraphe 16, dans lequel le défendeur affirme que les membres des forces armées ont ainsi la possibilité de prendre leur retraite plus jeunes et en toute sécurité financière. Ces deux paragraphes ne révèlent aucune défense raisonnable, retarderont l"instruction de l"action, et constituent un abus de procédure. Ces paragraphes sont donc radiés. Il est clair que ce que le défendeur affirme aux paragraphes 9 à 14, ainsi que dans les paragraphes 17 et 18, allongera l"instruction de l"action, mais non par un abus de procédure. Le problème n"en est pas réglé pour autant, le demandeur affirmant que les paragraphes 9 à 14 (ainsi que les paragraphes 15 et 16) devraient être radiés car ils soulèvent des questions relevant de la chose jugée, puisqu"ils invoquent des arguments que la Cour a rejetés dans l"affaire Martin .

La chose jugée

[15]      Dans son arrêt Canada c. Chung, [1993] 2 C.F. 42, à la p. 57, la Cour d"appel fédérale a rappelé que la doctrine de la chose jugée ou res judicata, également appelée per rem judicatum, revêt deux formes différentes. La première est l"irrecevabilité pour identité des causes d"action et la seconde est l"irrecevabilité pour identité des questions en litige. Selon le demandeur, la seconde s"appliquerait en l"espèce.

[16]      En matière d"irrecevabilité pour identité des questions en litige, le critère a été exposé clairement dans l"arrêt Carl Zeiss Stiftung V. Rayner & Keeler Ltd. (no 2) , [1967] 1 A.C. 853, à la p. 935 :

     [TRADUCTION]" Pour qu"il y ait irrecevabilité au motif que la question a déjà été tranchée, il faut toujours 1) que la même question ait déjà été tranchée; 2) que la décision de justice invoquée comme motif d"irrecevabilité soit définitive; et 3) que les parties à la décision en question ou leurs ayants droit soient les mêmes personnes que les parties à l"instance dans le cadre duquel est invoquée l"irrecevabilité ou les ayants droit de celles-ci. "         

Cette définition a été sanctionnée par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Angle c. Ministre du Revenu national , [1975] 2 R.C.S. 248, à la p. 254, et elle a été ultérieurement citée dans l"affaire Canada c. Chung (précitée à la p. 57), comme régissant l"irrecevabilité.

[17]      Glosant sur la première condition, c"est-à-dire que ce soit la même question qui soit dans les deux procédures soumise à la Cour, M. le juge Dixon a souligné, dans l"arrêt Angle , que l"irrecevabilité doit pouvoir se fonder sur une question qui était fondamentale à la décision intervenue dans l"action antérieure :

         Il ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l"affaire antérieure ou qu"elle doive être inférée du jugement par raisonnement...La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été " fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé " dans l"affaire antérieure... (p. 255)                 

L"explication n"est peut-être pas d"une entière clarté dans la mesure où elle semble opérer une distinction entre, d"une part, les questions revêtant une importance fondamentale dans le cadre de la décision antérieure, c"est-à-dire faisant nécessairement partie des fondements juridiques de la décision et, d'autre part, les questions évoquées et tranchées eu égard aux circonstances de l"affaire, mais qui ne constituaient pas vraiment un des fondements essentiels du jugement. J"y reviendrai un peu plus loin en examinant les questions effectivement tranchées dans le cadre de l"arrêt Martin . Je tiens cependant à examiner d"abord les conséquences de l"irrecevabilité dans la présente instance.

[18]      S"il y a effectivement irrecevabilité en l"espèce en raison de l"identité des questions en litige, il faudra conclure qu"il y a eu abus de procédure : voir, par exemple, Hunter v. Chief Constable of the West Midlands Police , [1982] A.C. 529, à la p. 530 (sommaire) et aux pp. 541 et 542.

[19]      J"estime que l"arrêt Martin, rendu sur le fondement de faits intervenus avant que ne soit apportée aux ORR la modification qui, allègue-t-on, permet de faire bénéficier la disposition en matière d'âge de retraite de l"exception prévue à l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne, a réglé la question de savoir si la disposition en cause relève effectivement de l"alinéa 15a ) de la Loi sur les droits de la personne, en tant qu"exigence professionnelle justifiée.

[20]      Le demandeur aimerait bien qualifier les arguments soulevés par la Couronne dans sa défense d'un effort, de la part de celle-ci, en vue de plaider à nouveau l"affaire Martin , ce qui lui permettrait d"invoquer la chose jugée, mais ce n"est pas le cas. Le simple fait qu"une partie, voire une grande partie, des mêmes éléments de preuve s"applique dans une autre cause, n"entraîne pas automatiquement une irrecevabilité pour identité des questions en litige. Le fait que certaines questions soulevées en l"espèce ont peut-être déjà été tranchées dans l"arrêt Martin n'est pas pertinent en l'espèce car, même si ces questions concernent elles aussi l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne, elles ne constituent pas un élément essentiel du fondement juridique des décisions intervenues dans cet arrêt. Vu cette conclusion, il n"y a pas lieu d"examiner les autres conditions qu"exige l"irrecevabilité pour identité des questions en litige, mais je doute que les parties à la présente action soient l"une et l"autre ayants droit des parties engagées dans l"affaire Martin , et sur ce point l"on pourra se reporter à l"examen du problème dans le jugement Kimberly-Clark Canada Inc c. Canada (1998), 145 F.T.R. 265, aux p. 273 et suivantes.

[21]      Avant d"examiner la question de savoir si le présent litige pouvait être tranché directement sous forme de point de droit, je tiens également à noter que ce qui reste de la défense présentée par la Couronne sont les arguments nécessaires à un examen de la constitutionnalité de l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne dans le contexte des ORR, puisqu"une question constitutionnelle ne se tranche pas dans le vide.

La décision préliminaire sur un point de droit

[22]      Le major Olmstead fait valoir qu"il ne peut pas assumer les frais d"une action en bonne et due forme telle que celle qui a été engagée dans l"affaire Martin . Si c"est le major Olmstead qui a obtenu que l"on transforme ce qui était une demande de contrôle judiciaire relativement peu dispendieux, en une action, plus coûteuse, il n"en reste malheureusement pas moins vrai que les procédures judiciaires demeurent un luxe, même pour le plaideur obtenant gain de cause, et non seulement cela entraîne-t-il des frais, mais cela exige également beaucoup de temps de la part des parties concernées. C"est pourquoi la Règle 220 offre la possibilité de rendre une décision préliminaire sur un point de droit pertinent et utile.

[23]      En règle générale, une décision préliminaire sur un point de droit ne doit être rendue que dans le cadre d"une instance où les parties s"entendent sur les faits essentiels : Stiksma c. Canada et autres (1988), 19 F.T.R. 94, à la p. 96 (1re inst.). Voilà où se situe le problème en l"espèce. Il est clair qu"un exposé conjoint des faits n"est pas toujours nécessaire. La Cour peut accepter des faits auxquels l"ensemble des parties ont acquiescé ou tirer des conclusions des arguments invoqués par la partie défenderesse à la requête en décision préliminaire : voir, par exemple, Berneche et autres c. Canada (1991), 133 N.R. 232, aux pp. 235 et 236 (C.A.F.). Cela dit, les questions de constitutionnalité ne sauraient être examinées ni tranchées sans que l"on se rapporte aux faits, c'est-à-dire de façon abstraite. Elles doivent être analysées dans le contexte qui est le leur : voir, par exemple, McKinney c. Bureau des gouverneurs de l'Université de Guelph (1991), 76 D.L.R. (4th) 545, aux pp. 648 et 661 (C.S.C.). Dans un même ordre d"idée, de telles questions ne devraient pas être considérées comme de pures questions de droit alors que de nombreux faits restent en litige, non seulement en ce qui concerne les faits eux-mêmes mais également pour ce qui est de leur pertinence en ce qui concerne l"action. En l"espèce, le défendeur fait état d"une douzaine de domaines précis dans le cadre desquels il entend produire des éléments de preuve factuels afin de répondre à l"argument d"inconstitutionnalité de l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne. Le demandeur prétend que ces questions ont déjà été tranchées dans l"affaire Martin et qu"elles sont donc sans pertinence en l"espèce. Répétons que l"affaire Martin n"entraîne aucune irrecevabilité. Il se peut très bien qu"un juge de première instance estime que les éléments de preuve qu"entend produire le défendeur sont pertinentes et admissibles.

[24]      Le présent litige ne peut malheureusement pas être tranché directement sous forme de point de droit si les parties ne parviennent pas à produire un exposé conjoint des faits ou, à tout le moins, à rapprocher leurs points de vue concernant les conclusions que la Cour devrait tirer, sur le plan des faits, des arguments présentés de part et d"autre.

CONCLUSION

[25]      Il est regrettable que la question de savoir si l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne est contraire à l"article 15 de la Charte et, dans l'affirmative, s"il se justifie tout de même au regard de l"article premier de la Charte , ne puisse pas être simplifiée en abrégeant les actes de procédure et en réduisant le nombre d"arguments invoqués. Cela dit, il s"agit d"un problème complexe qui doit être examiné dans le contexte qui lui convient, c"est-à-dire un contexte contenant suffisamment de données factuelles. Ainsi, alors que j"ai radié une petite partie de la défense au titre de la Règle 221, la plupart de ce que le défendeur affirme dans le cadre de sa défense peut très bien s"avérer pertinent.

[26]      Le demandeur ne peut pas non plus plaider l"irrecevabilité pour identité des questions en litige, car même si les solutions adoptées dans l"arrêt Martin peuvent avoir une incidence sur la présente action, sur le plan des questions invoquées et tranchées, ces questions ne constituaient pas un des fondements essentiels des décisions intervenues dans l"affaire Martin , affaire qui portait non pas sur l"alinéa 15b ) de la Loi sur les droits de la personne, en cause dans la présente affaire, mais plutôt sur l"alinéa 15a ) de cette loi.

[27]      Encore une fois, il est regrettable, vu les frais que la présente action risque d"entraîner, qu"on ne puisse pas la trancher en vertu de la Règle 220, par une décision préliminaire sur un point de droit. Les parties ne sont pas suffisamment proches au niveau des faits qu"elles estiment pertinents. Un tribunal ne pourrait pas non plus trancher au fond au seul vu des actes de procédure, et notamment au vu des actes de procédure produits par le défendeur. L"on comprend certes la situation du major Olmstead, dont les ressources financières ne sont pas illimitées, mais il faut bien se rappeler que c"est le major Olmstead qui a obtenu qu"une demande de contrôle judiciaire relativement expéditive soit transformée en action, avec toutes les étapes que suppose ce type de procédure.

[28]      Les parties du paragraphe 6 où sont évoqués les ORR, ainsi que les paragraphes 15 et 16 de la défense, sont radiés. Il n"y aura, à ce stade-ci, aucune décision préliminaire sur un point de droit au titre de la Règle 220. Les dépens suivront l"issue de la cause. Il résulte de cette requête plaidée avec talent que le demandeur devra, à l"audience, non seulement plaider le droit mais également contrer une défense très complexe au niveau des faits.

                             (signature) " John A. Hargrave "

                                 protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 10 septembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

    

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-126-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lance Olmstead

     c.

     Le Procureur général du Canada et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 22 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. JOHN HARGRAVE, PROTONOTAIRE,

en date du 10 septembre 1998

ONT COMPARU :

     M. Lawrence Armstrong      pour le demandeur

     Armstrong Nikolich

     Victoria (C.-B.)

     Mme Darlene Patrick      pour le défendeur

     Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Lawrence Armstrong      pour le demandeur

     Morris Rosenberg      pour le défendeur

     Sous-procureur général

     du Canada

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