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Date : 20000426


Dossier : T-938-99

ENTRE :


     SYNDICAT DES DÉBARDEURS SCFP,

     SECTION LOCALE 375

     Demandeur


     - et -


     LES TERMINUS MARITIMES FÉDÉRAUX,

     DIVISION FEDNAV LIMITÉE MONTRÉAL (QUÉBEC)

     Défenderesse


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision rendue le 29 avril 1999 par monsieur Serge Cadieux, agent régional de sécurité ("l"agent régional"), annulant les instructions suivantes émises à la défenderesse par l"agent de sécurité Alain :

         - les instructions ou items numéros un (1) à dix (10) inclusivement de l"instruction du 8 décembre 1997 émises en vertu de l"alinéa 145(2) a) du Code canadien du travail L.R.C. (1985), c. L-2 (ci-après "C.c.t." ) ;
         - l"instruction du 9 décembre 1997 émise en vertu des alinéas 145(2) a) et b) C.c.t.; et

         - l"instruction du 18 décembre 1997 émise en vertu des alinéas 145(2) a) et b) C.c.t. .


FAITS

[2]      Les Terminus Maritimes Fédéraux ("TMF") est une entreprise de débardage qui opérait sur plus d"une dizaine de sections du port de Montréal.

[3]      Le 3 décembre 1997, vers 10 h 30, monsieur Joseph Ronci, employé au titre de vérificateur chez TMF, est décédé des suites d"un écrasement par un chariot élévateur de 25 tonnes en opération.

[4]      Suite à cet accident, une enquête fut ouverte presqu"immédiatement et conduite par Alain Messier, agent de sécurité, assisté de Yves Jégou, également agent de sécurité.

[5]      Le 4 décembre 1997, l"agent de sécurité Messier a émis une première instruction verbale à TMF en vertu de l"alinéa 145(2) a) du C.c.t., laquelle comportait onze (11) items. L"instruction fut confirmée par écrit le 8 décembre 1997.

[6]      Le 9 décembre 1997, l"agent de sécurité Messier a émis une seconde instruction verbale à TMF en vertu des alinéas 145(2) a) et b) du C.c.t. Ladite instruction fut confirmée par écrit le 12 décembre 1997 et visait les pneus de deux chariots élévateurs de TMF.

[7]      Le 17 décembre 1997, l"agent de sécurité Messier effectua une visite au chantier de TMF au Port de Montréal et constata que l"employeur n"avait pris comme seule mesure corrective que celle mentionnée à l"item onze (11) de l"instruction du 8 décembre 1997. Il émit alors une nouvelle instruction en vertu des alinéas 145(2) a) et b) du C.c.t., instruction qui fut confirmée par écrit le 18 décembre suivant.

[8]      Par lettre datée du 22 décembre 1997, TMF demanda la révision de l"ensemble des instructions émises par l"agent de sécurité Messier en vertu de l"article 146 du C.c.t. .

[9]      Le 20 mars 1998, TMF a fait parvenir à Développement des Ressources Humaines Canada, par l"intermédiaire de ses procureurs, une lettre motivant sa demande de révision.

[10]      Les parties en vinrent à une entente à l"effet qu"il n"y aurait pas d"audition, mais plutôt transmission d"une argumentation écrite par ces dernières. TMF signifia copie de son argumentation le 23 décembre 1998 alors que le Syndicat des Débardeurs, Section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction de la fonction publique (ci-après le "SCFP"), déposait son argumentation le 2 décembre 1998.

[11]      Le 30 décembre 1998, TMF fit parvenir une réponse à l"argumentation de la partie syndicale.

[12]      Le 10 février 1999, lors d"une conférence téléphonique, l"agent régional demanda aux parties de présenter une argumentation relative à la notion de "danger" telle que définie par le C.c.t. .

[13]      En réponse à la demande de l"agent régional de sécurité, TMF faisait parvenir le 10 mars 1999 ses observations alors que le 18 mars 1999, le SCFP, faisait parvenir à son tour son argumentation.

[14]      En date du 29 avril 1999, l"agent régional Cadieux rendit une décision, d"où la présente demande de contrôle judiciaire déposée par le SCFP.

LA DÉCISION DU 29 AVRIL 1999 FAISANT l"OBJET DE LA PRÉSENTE DEMANDE
[15]      Dans la décision datée du 29 avril 1999, l"agent régional de sécurité déterminait ainsi la question à laquelle il devait répondre :
         "Est-ce que les situations décrites par l"agent de sécurité aux instructions en ANNEXES (A,B et C) constituent des "dangers" au sens du Code? Subsidiairement, et dans l"éventualité où l"agent régional de sécurité décide qu"il y a absence de "danger" au sens du Code, quelle est la compétence de ce dernier pour modifier une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) du Code pour danger, en une instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code pour une contravention?"

[16]      Analysant tout d"abord la notion de "danger", l"agent régional en est venu à la conclusion qu"il devait retenir les principes s"appliquant en matière de refus de travail. À la page 7 de sa décision, il résuma ces principes comme suit:
         "Le danger devra être immédiat et réel (Montani vs Compagnie des chemins de fer nationaux , C.C.R.T. décision no 1089 ) . Il devra être présent au moment de l"enquête de l"agent de sécurité (Bonfa c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, Dossier no A-138-89 ). Sa réalisation devra être plus qu"hypothétique. De plus, et tel que souligné par Me Benaroche, l"agent de sécurité devra déterminer, après enquête, qu"un danger au sens du Code existe. L"agent de sécurité ne peut présumer de l"existence d"un danger afin d"intervenir mais il doit recueillir une preuve à cet égard (Mario Lavoie 1998 F.C.J. no 1285 ) et sa décision devra être basée sur des critères objectifs (Coulombe vs. Empire Stevedoring Company Ltd., C.C.R.T. décision no 747). Le danger devra en être un qui est visé par le Code. Par conséquent un danger inhérent au travail de l"employé ou qui en constitue une condition normale d"emploi ne peut servir de motif au droit de refus (Montani, supra )."


[17]      Par la suite, l"agent régional de sécurité analysa les onze (11) items de l"instruction émise par l"agent de sécurité Messier le 8 décembre 1997. Précisant que certaines instructions émises l"avaient été en vertu de "danger" au sens général du terme, de situations hasardeuses et d"infractions au Règlement canadien sur la santé et sécurité au travail , D.O.R.S./94-264, art.2(F) ( le "Règlement" ), l"agent régional conclut qu"aucun "danger" au sens du C.c.t. ne justifiait l"émission d"instructions en l"espèce. Il a cependant maintenu la décision de l"agent de sécurité relativement à l"item numéro (11), TMF ayant retiré sa contestation.
[18]      Pour les fins de la présente, j"estime nécessaire de résumer brièvement l"analyse faite par l"agent régional de chaque instruction annulée:
1) Les opérateurs des appareils de manutention n"ont pas une vue sans obstacle de l"aire où l"appareil doit circuler et qu"ils ne sont pas dirigés par un signaleur
[19]      L"agent régional de sécurité a d"abord noté que l"agent de sécurité avait observé nombre d"opérateurs qui circulaient avec leurs appareils les fourches baissées. Ensuite, l"agent régional écrivit ceci:
         "Il n"y a aucun doute qu"opérer un chariot élévateur de 25 tonnes parmi les employés et autres personnes ayant affaire sur ces lieux avec les fourches à un mètre du sol crée un risque susceptible de causer des blessures éventuelles aux personnes qui se trouvent dans la même aire de travail que l"appareil parce que les fourches et son assemblage ajoutent de nombreux points morts à la vision de l"opérateur. Je note toutefois que l"agent de sécurité n"a [sic ] pas intervenu immédiatement pour protéger les employés, lorsqu"il a constaté cette pratique, tout simplement parce que le risque de blessure n"était pas suffisamment aigu pour arrêter l"opération. En d"autres mots, l"agent de sécurité n"est pas intervenu pour protéger les piétons du danger parce qu"il ne possédait aucune information spécifique ou aucun élément de preuve à l"effet que le danger était immédiat."


[20]      De l"avis de l"agent régional, il s"agissait d"une pratique hasardeuse, mais le danger n"étant pas immédiat, il n"en était pas un prévu par le Code.
2) Les charges qui dépassent la largeur des chariots à fourches sont manutentionnées au-dessus de la tête des piétons
[21]      À l"instar de l"agent de sécurité, l"agent régional a considéré qu"il s"agissait d"une pratique inacceptable. Il conclut cependant que le danger constaté par l"agent de sécurité n"était pas prévu par le C.c.t. puisqu"il était hypothétique et non immédiat.
[22]      L"agent régional en est venu à sa conclusion en prenant en considération le fait que l"agent de sécurité n"avait pas vérifié si la charge devait être ou était attachée tel que prévu par le paragraphe 14.34(2) du Règlement, et n"avait pas vérifié également les conditions physiques du sol, des fourches, du transport ou autres conditions pour déterminer si la charge allait se renverser.
3) Les équipements de manutention ne sont pas déneigés et que la vue des opérateurs est obstruée en marche arrière
[23]      Selon l"agent régional de sécurité, l"observation d"une accumulation de 22 centimètres de neige sur la partie arrière d"un chariot élévateur n"était qu"une observation statique qui ne rencontrait pas les critères de danger au sens du C.c.t. Puisque personne n"avait constaté une utilisation en marche arrière d"un chariot avec une accumulation de neige à l"arrière, il ne pouvait pas y avoir, à son avis, de danger réel et immédiat au moment de l"enquête de l"agent de sécurité.
4) Dans le stationnement à l"extérieur de la barrière, des appareils de manutention transportent des charges et que les opérateurs n"ont pas une vue sans obstacle de l"aire et qu"ils ne sont pas dirigés par un signaleur pendant que les employés et les personnes qui ont accès à l"aire de manutention se dirigent à pied vers leur voiture ou vers le quai
[24]      L"agent régional était d"opinion que cette observation par l"agent de sécurité Messier constituait, si elle était fondée, une infraction au Règlement mais non d"un danger au sens du C.c.t. , puisqu"hypothétique et non immédiat.
5) Les appareils de manutention ne sont pas munis d"un avertisseur sonore qui fonctionne automatiquement durant le déplacement en marche arrière
[25]      Reconnaissant que le fait de ne pas avoir d"avertisseur sonore sur un appareil de manutention constituait une infraction à l"alinéa 14.16(1)b) du Règlement, l"agent régional en est toutefois venu à la conclusion qu"il n"y avait aucune situation de danger au sens du C.c.t. en l"espèce.
6) Des passages à l"usage exclusif des piétons ne sont pas aménagés
[26]      Bien qu"il ait qualifié de "fort imprudent et même périlleux de permettre à des employés qui doivent traverser l"aire de manutention de circuler dans la même aire que les appareils motorisés pendant que des opérations de manutention sont en cours", l"agent régional conclut qu"il ne s"agissait pas là d"un danger au sens du C.c.t.
7) La plupart des employés, des gestionnaires ainsi que les personnes qui ont accès à l"aire de manutention ne portent pas de gilet de signalisation
[27]      L"agent régional a évalué que, dans les circonstances, il ne s"agissait pas d"une situation susceptible de causer des blessures à une personne qui est exposée avant qu"on ne puisse y remédier et qu"elle ne pouvait être qualifiée de situation dangereuse au sens du C.c.t.
[28]      Bien que l"article 12.13 du Règlement impose le port du gilet de signalisation, l"agent régional affirma que le fait de ne pas porter le gilet en soi ne constituait pas automatiquement un danger au sens du Code.

8) Il n"existe pas de procédure définissant la façon sécuritaire de se déplacer, pour les appareils de manutention
et
9) Il n"existe pas de procédure définissant la façon sécuritaire de se déplacer pour les piétons
[29]      L"agent régional a indiqué dans sa décision que ces instructions "... n"identifient aucunement une situation susceptible de causer des blessures à une ou des personnes avant qu"il ne puisse y être remédier. Elles [les instructions] décrivent plutôt les mesures que l"agent de sécurité considèrent appropriées dans les circonstances".
[30]      Selon lui, ces instructions n"avaient donc aucunement trait à un danger immédiat.
10) Les gestionnaires et les employés utilisent les marchepieds des appareils de manutention pour se déplacer d"un endroit à l"autre du quai
[31]      L"agent régional a constaté que cette façon de se déplacer était contraire au paragraphe 14.30(1) du Règlement et en est venu à la conclusion qu" "il est évident que cette pratique ne peut être tolérée", Il a rapporté également que l"agent de sécurité " a observé un employé utiliser le marchepied d"un appareil motorisé pour se déplacer". Or, à son avis, "si l"agent de sécurité était d"avis que cette pratique était susceptible de blesser l"employé immédiatement, il aurait dû intervenir au moment même où il a observé l"employé sur le marchepied et non pas plus tard alors qu"il donne une série d"instructions à l"employeur. Le danger n"existait plus à ce moment".
[32]      Ainsi, selon lui, une telle pratique survenue dans le passé ne pouvait constituer un danger au sens du C.c.t. au moment où l"agent de sécurité a émis son instruction.
[33]      Par conséquent, l"agent régional a annulé les items numéros (1) à (10) inclusivement de l"instruction du 8 décembre 1997 émise en vertu de l"alinéa 145(2) a) du C.c.t.
[34]      Quant à l"instruction du 12 décembre 1997 émise en vertu des alinéas 145(2) a) et b) du C.c.t., qui se lisait comme suit:
         Les pneus arrières des équipements de manutention no 9560 et no 1024 ont une usure excessive, ce qui peut provoquer leur éclatement et résulter en une perte de contrôle de ces appareils. Ce qui représente un risque d"écrasement pour les employés


[35]      L"agent régional a annulé cette instruction au motif qu"une possibilité de perte de contrôle n"était qu"un risque hypothétique et ne correspondait pas à la définition de danger au sens du C.t.c.
[36]      L"agent régional a également annulé l"instruction du 18 décembre 1997 émise en vertu des alinéas 145(2) a) et b) du C.t.c. au motif que cette dernière visait uniquement les instructions annulées précédemment.
[37]      Enfin, s"appuyant sur la décision de cette Cour dans Vancouver Wharves Ltd c. Canada (Procureur Général ), A.C.F. No 943, l"agent régional en vint à la conclusion qu"il lui était impossible de considérer les instructions émises par l"agent de sécurité Messier, comme l"ayant été en application du paragraphe 145(1) C.c.t. Il s"exprimait à ce sujet comme suit:
         "Or pour convertir une instruction émise en vertu des paragraphes 145(2) pour danger en une instruction pour une infraction requiert qu"une nouvelle instruction soit émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code, un pouvoir que je n"ai pas présentement en vertu du Code.
         D"ailleurs, l"honorable juge P. Rouleau de la Cour fédérale, première instance, a déjà eu l"occasion de statuer sur ce même point dans Vancouver Wharves Ltd vs The Attorney General of Canada, dossier de cour no T-1125-97 . À la page 8 du jugement, alors que le demandeur contestait la compétence de l"agent régional de modifier une instruction à l"interprétation que j"avais donnée concernant les limites à ma compétence en vertu de l"article 146(3) du Code le juge écrivait:
             Applying these principles to the case at bar, I can find no fault with the regional Safety Officer"s determination of the jurisdictional issue before him"


ARGUMENTS DES PARTIES
Arguments du demandeur
[38]      Le document soutient d"abord que l"agent régional a omis de tenir compte des distinctions entre l"exercice d"un droit de refus en vertu de l"article 128 C.c.t. et une instruction donnée en vertu du paragraphe 145(2) C.c.t. dans l"application des principes relatifs à la notion de danger prévue au C.c.t.
[39]      Ensuite, le demandeur soutient que l"agent régional a commis une erreur de compétence en décidant qu"il n"avait pas le pouvoir de modifier une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) en une instruction émise conformément au paragraphe 145(1) du C.c.t.
[40]      Enfin, le demandeur soumet que l"agent régional aurait dû conclure à l"existence d"un danger au sens du C.c.t. pour chacune des instructions qui ont été annulées. Subsidiairement, dans les cas où il y aurait absence de danger, le demandeur soumet que l"agent régional aurait dû modifier les instructions émises pour danger en vertu du paragraphe 145(2) C.c.t. en instructions pour contravention en vertu du paragraphe 145(1) C.c.t.
Arguments de la défenderesse
[41]      La défenderesse soutient que l"agent régional n"a pas commis d"erreur en interprétant la notion de danger prévue au C.c.t.
[42]      La défenderesse soumet d"autre part que l"agent régional a bien jugé en décidant que convertir une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) C.c.t. en une instruction pour une infraction en vertu de 145(1) C.c.t. ne relevait pas de ses pouvoirs.
[43]      La défenderesse soutient finalement que l"agent régional était justifié de conclure à l"inexistence de danger au sens du C.c.t. pour chacune des instructions de l"agent de sécurité Messier soumise pour révision.
ANALYSE
[44]      En vertu du paragraphe 145(2) du C.c.t., l"agent de sécurité a le pouvoir d"émettre des instructions écrites à un employeur lorsqu"il existe une situation dangereuse:

145. (2) S"il estime que l"utilisation d"une machine ou chose ou qu"une situation existant dans un lieu constitue un danger pour un employé au travail, l"agent de sécurité:

     a) en avertit l"employeur et lui enjoint, par des instructions écrites, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu"il précise:



     (i) soit à la prise de mesures propres à parer au danger,
     (ii) soit à la protection des personnes contre ce danger;

    

     b) peut en outre, s"il estime qu"il est impossible dans l"immédiat de parer à ce danger ou de prendre des mesures de protection, interdire, par des instructions écrites données à l"employeur, l"utilisation du lieu, de la machine ou de la chose en cause jusqu"à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n"ayant toutefois pas pour effet d"empêcher toute mesure nécessaire à la mise en oeuvre des instructions.

145. (2) Where a safety officer considers that the use or operation of a machine or thing or a condition in any place constitutes a danger to an employee while at work,

    

     (a) the safety officer shall notify the employer of the danger and issue directions in writing to the employer directing the employer immediately or within such period of time as the officer specifies
     (i) to take measures for guarding the source of danger, or
     (ii) to protect any person from the danger; and
     (b) the safety officer may, if the officer considers that the danger cannot otherwise be guarded or protected against immediately, issue a direction in writing to the employer directing that the place, machine or thing in respect of which the direction is made shall not be used or operated until the officer"s directions are complied with, but nothing in this paragraph prevents the doing of anything necessary for the proper compliance with the direction.
[45]      La définition de "danger" est prévue au paragraphe 122(1) du C.c.t.:

122. (1) ...

"danger" Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu"il ne puisse y être remédié.

122. (1) ...

"danger" means any hazard or condition that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed thereto before the hazard or condition can be corrected;


[46]      En l"espèce, l"agent régional a retenu l"interprétation faite par le Conseil canadien des relations de travail et par cette Cour de la notion de "danger" dans le cadre de l"exercice d"un droit de refus au sens de l"article 128 du C.c.t.

[47]      Selon moi, ce faisant, l"agent régional n"a commis aucune erreur de droit. Il a bien évalué la notion de "danger" telle qu"édictée à la partie II du C.c.t. en considérant notamment qu"il doit y avoir un danger immédiat, réel et présent, et non pas un danger hypothétique.

[48]      Ainsi, l"agent régional avait raison de mentionner à la page 15 de sa décision qu""[u]n danger représente une situation dynamique de faits précis comportant des éléments objectifs".

[49]      Ayant correctement appliqué la notion de "danger", l"agent régional a ensuite analysé les faits du litige afin de déterminer pour chacune des instructions s"il existait véritablement un danger au sens du C.c.t. Il s"agissait là de questions mixtes de faits et de droit, à l"intérieur de son domaine d"expertise.

[50]      Bien que non protégées par une clause privative, les décisions de l"agent régional émanent d"une instance décisionnelle spécialisée et bénéficie d"une certaine forme de retenue judiciaire.

[51]      Je partage l"avis du juge Cullen que la norme de contrôle dans les circonstances doit se situer "quelque part entre la norme du caractère raisonnable et celle de l"absence d"erreur" lorsqu"il déclare dans Westcoast Energy c. Canada (Code canadien du travail, Agent régional de sécurité), [1995] A.C.F. no. 1534 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 24 :

"En l"espèce, la décision n"est pas protégée par une clause privative. Toutefois, comme la question a été examinée dans l"arrêt Pezim , précité, l"absence de clause privative n"est pas seule déterminante. Je suis également disposé à conclure que l"agent régional de sécurité est une instance décisionnelle spécialisée et à accorder beaucoup d"égards à ces conclusions qui restent nettement dans son domaine d"expertise. Cependant, lorsque l"agent régional de sécurité interprétait le droit, la norme de contrôle devait, selon moi, être plus stricte. Bien que l"avocat de la requérante ait insisté pour que la Cour accepte que la norme de contrôle était l"absence ou la quasi-absence d"erreur, je ne suis pas prêt à aller aussi loin, en ce sens que l"agent régional de sécurité n"interprétait pas une disposition de la loi limitant sa compétence. La norme de contrôle applicable aux questions de droit en l"espèce se trouve plutôt, à mon avis, quelque part entre la norme du caractère raisonnable et celle de l"absence d"erreur."


[52]      J"ai révisé chacune des instructions annulées par l"agent régional, et à mon avis, celui-ci n"a pas erré en concluant que l"agent de sécurité Messier n"avait pas recueilli une preuve suffisante de l"existence d"un danger tel que défini au C.c.t. pour chacune des instructions.

[53]      Je suis également d"avis que l"agent régional était fondé de conclure que même si TMF et ses employés avaient contrevenu aux procédures prévues par le Règlement au moment de l"enquête de l"agent de sécurité Messier, cela n"avait pas pour effet de rendre le lieu de travail dangereux au sens au sens du C.c.t.

[54]      À l"instar de l"agent régional, je crois donc que l"agent de sécurité Messier n"a pas établi la présence d"un seul danger réel et immédiat au sens du paragraphe 145(2) C.c.t. et ce, bien que l"agent de sécurité ait constaté un danger au sens général du terme pour chacune des instructions.

[55]      En ce qui a trait au pouvoir de l"agent régional de modifier une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) C.c.t. en une instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) C.c.t., il faut d"abord se référer à l"article 146 C.c.t. qui énonce les pouvoirs de l"agent régional:

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l"agent de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les quatorze jours qui suivent, en demander la révision par un agent régional de sécurité dans le ressort duquel se trouve le lieu, la machine ou la chose en cause.

(2) L"agent régional de sécurité peut exiger que toute demande verbale de révision soit également présentée par écrit.

(3) L"agent régional de sécurité mène une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et sur la justification de celles-ci. Il peut les modifier, annuler ou confirmer et avise par écrit de sa décision l"employeur, l"employé ou le syndicat en cause.

[...]

146. (1) Any employer, employee or trade union that considers himself or itself aggrieved by any direction issued by a safety officer under this Part may, within fourteen days of the date of the direction, request that the direction be reviewed by a regional safety officer for the region in which the place, machine or thing in respect of which the direction was issued is situated.

(2) The regional safety officer may require that an oral request for a review under subsection (1) be made as well in writing.

(3) The regional safety officer shall in a summary way inquire into the circumstances of the direction to be reviewed and the need therefor and may vary, rescind or confirm the direction and thereupon shall in writing notify the employee, employer or trade union concerned of the decision taken.

[...]

[56]      Tel que mentionné précédemment, l"agent régional a conclu que le paragraphe 146(3) du C.c.t. limitait sa compétence et qu"il n"avait donc pas juridiction pour convertir une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) en une instruction émise en vertu du paragraphe 145(1).

[57]      En analysant ainsi la portée du paragraphe 146(3), l"agent régional était saisi d"une question de droit qui ne relevait pas de son expertise. Sa décision est donc révisable selon la norme de la décision correcte.

[58]      Or, selon moi, l"agent régional n"a commis aucune erreur en décidant comme il l"a fait.

[59]      Le paragraphe 145(1) prévoit que l"agent de sécurité peut émettre des instructions à un employeur pour contravention à la Partie II du C.c.t.:

145. (1) S"il est d"avis qu"il y a contravention à la présente partie, l"agent de sécurité peut ordonner à l"employeur ou à l"employé en cause d"y mettre fin dans le délai qu"il précise et, sur demande de l"un ou l"autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens.

145. (1) Where a safety officer is of the opinion that any provision of this Part is being contravened, the officer may direct the employer or employee concerned to terminate the contravention within such time as the officer may specify and the officer shall, if requested by the employer or employee concerned, confirm the direction in writing if the direction was given orally.

[60]      Comme on peut le voir, le pouvoir d"intervention de l"agent de sécurité à ce paragraphe est limité: il ne lui permet que d"ordonner de se conformer à la Loi dans un délai.

[61]      Comparativement, les pouvoirs de l"agent de sécurité en vertu du paragraphe 145(2) sont énormes. Ces pouvoirs peuvent lui permettre de fermer une entreprise s"il le décide. Cela, parce qu"il y a danger au sens du C.c.t.

[62]      Le législateur a donc délibérément choisi de diviser ces deux pouvoirs dans deux paragraphes distincts, et il y a lieu d"en tenir compte lorsqu"il s"agit de déterminer l"étendue du pouvoir de révision que le législateur a voulu accorder à l"agent régional au paragraphe 146(3). La Loi est ainsi construite que l"agent régional saisi d"une demande selon le paragraphe 146(1) se retrouve en révision d"une instruction émise sous l"autorité d"un paragraphe, et c"est une révision de cette instruction qu"il doit effectuer.

[63]      Ainsi, dans le cadre de ses fonctions, l"agent régional est amené à analyser la source législative selon laquelle l"agent de sécurité s"est basé pour agir, et cette source, dans ce cas ci, est le paragraphe 145(2).

[64]      Or, s"il décide de modifier une instruction émise par l"agent de sécurité en vertu du pouvoir de révision, je suis d"avis que l"agent régional doit demeurer dans les limites de la source législative en vertu de laquelle l"agent de sécurité a agi.

[65]      Dans la décision Vancouver Wharves Ltd. C. Canada (Procureur Général), supra, l"agent régional avait décidé de modifier une instruction donnée à la société Vancouver Wharves par un agent de sécurité parce que ce dernier avait, de l"avis de l"agent régional, erré en déterminant les dispositions auxquelles Vancouver Wharves avait contrevenues. Dans ses motifs, l"agent régional indiquait qu"il lui était autorisé de ce faire vu qu"il demeurait dans les limites du pouvoir sous-jacent à l"instruction qu"il révisait, soit celui prévu au paragraphe 145(1):

"Par conséquent, nous devons nous demander quelle était l"intention du législateur lorsqu"il a confié à l"agent régional de sécurité le pouvoir de modifier une instruction. L"article 146 du Code accorde déjà à l"agent régional de sécurité le pouvoir d"annuler ou de confirmer une instruction. Assurément, donc, le pouvoir de modifier une instruction veut dire que si l"agent de sécurité fait référence à la mauvaise disposition réglementaire dans son instruction, l"agent régional de sécurité peut corriger cette erreur à condition que la correction soit compatible avec les faits rapportés par l"agent de sécurité. L"agent régional de sécurité, comme l"agent de sécurité avant lui, est guidé dans l"exercice de ses fonctions par la disposition de déclaration d"objet.
Le pouvoir de réviser une instruction exige que l"agent régional de sécurité examine les circonstances précises que l"agent de sécurité a examinées dans le cadre de son enquête et, au besoin, modifie le contenu de l"instruction. Cela ne veut pas dire que si l"agent de sécurité avait examiné la question de savoir si l"employeur a contrevenu au paragraphe 145(1) du Code, je pourrais conclure que l"agent de sécurité prétendait examiner la question de savoir s"il existait un danger et donner une instruction en vertu du paragraphe 145(2) du Code. Si j"agissais ainsi, j"outrepasserais, à mon avis, ma compétence parce qu"il faudrait que je donne une nouvelle instruction relative au danger; ce pouvoir n"a pas été accordé à l"agent régional de sécurité. L"instruction que j"ai modifiée avait été donnée sous le régime du paragraphe 145(1) du Code et la modification que j"y ai apportée est également régie par la même disposition, sur la base des faits précis qu"a pris en considération l"agent de sécurité."


[66]      Le juge Rouleau, saisi de la demande de contrôle judiciaire de Vancouver Wharves Ltd., confirma la décision de l"agent régional et s"exprima comme suit:

"L"application de ces principes à l"espèce ne me permet pas de conclure que l"agent régional de sécurité a commis une erreur en se prononçant sur la question de la compétence comme il l"a fait."


[67]      En l"espèce, je crois que l"agent régional a une fois de plus bien jugé l"étendue de son pouvoir de révision. Si le législateur avait eu l"intention de permettre à l"agent régional d"émettre de nouvelles instructions, il aurait pu l"indiquer expressément au paragraphe 146(3) du C.c.t. Il ne l"a pas fait. Je note, par exemple, que lors d"un renvoi au Conseil canadien des relations industrielles dans le cas où un employé refuse de travailler au motif qu"il y a danger, l"alinéa 130(1)b) du C.c.t. autorise le Conseil à émettre les instructions qu"il juge indiquées parmi celles que doit ou peut donner l"agent de sécurité aux termes du paragraphe 145(2):


130. (1) Le Conseil procède sans retard et de façon sommaire à l"examen des faits et des motifs de la décision dont il a été saisi en vertu du paragraphe 129(5) et peut:

     a) soit confirmer celle-ci;
     b) soit donner, en ce qui concerne la machine, la chose ou le lieu, les instructions qu"il juge indiquées parmi celles que doit ou peut donner l"agent de sécurité aux termes du paragraphe 145(2).

[emphase ajoutée]

130. (1) Where a decision of a safety officer is referred to the Board pursuant to subsection 129(5), the Board shall, without delay and in a summary way, inquire into the circumstances of the decision and the reasons therefor and may

     (a) confirm the decision; or
     (b) give any direction that it considers appropriate in respect of the machine, thing or place in respect of which the decision was made that a safety officer is required or entitled to give under subsection 145(2).

[emphasis added]

[68]      On retrouve dans d"autres lois différentes formulations qui sont utilisées par le législateur lorsque celui-ci accorde le type de pouvoir que le demandeur voudrait voir reconnaître ici à l"agent régional. Par exemple, lorsqu"on regarde les pouvoirs accordés à la section d"appel à l"alinéa 74(3)a) de la Loi sur l"Immigration, L.R.C. 1985, c. I-7, lors d"un appel d"une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel:

74. (3) Dans le cas visé au paragraphe (2), la section d"appel peut, à tout moment:

     a) modifier les conditions ou en imposer de nouvelles;





[emphase ajoutée]

74. (3) Where the Appeal Division has disposed of an appeal by directing that execution of a removal order or conditional removal order be stayed, the Appeal Division may, at any time,

     (a) amend any terms and conditions imposed under subsection (2) or impose new terms and conditions;

[emphasis added]


[69]      Ou encore, lorsqu"on lit les pouvoirs qui avaient été accordés au Tribunal des anciens combattants en vertu de l"article 42 de la Loi sur le Tribunal d"appel des anciens combattants, L.C. 1987, c.25, abrogée par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants, L.C. 1995, c. 18, article 105:

42. Le Tribunal est habileté, au titre de l"article 12, à réexaminer et confirmer, annuler ou modifier toute décision du Conseil de révision des pensions ou de la Commission des allocations aux anciens combattants ou à y substituer une nouvelle décision comme s"il avait lui-même rendu la décision en cause.

[emphase ajoutée]

42. The Veterans Appeal Board may, under section 12, reconsider and confirm, rescind or amend any decision of the Pension Review Board or the War Veterans Allowance Board, or substitute a new decision therefor, as if the decision were a decision of the Veterans Appeal Board.

[emphasis added]

[70]      Par conséquent, je conclus que le pouvoir de révision envisagé par le législateur au paragraphe 146(3) du C.c.t. ne peut permettre l"émission de nouvelles instructions en vertu du paragraphe 145(1) alors que ce sont des instructions émises en vertu du paragraphe 145(2) qui font l"objet de la révision.

[71]      Pour ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire, le tout avec dépens.


                             "Max M. Teitelbaum"

                         _____________________________

J.C.F.C.



Ottawa (Ontario)

Le 26 avril 2000

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